Accueil > Adtechs & Martechs > Erik-Marie Bion (Verizon Media) : “La publicité ciblée ne va pas disparaître avec les cookies tiers, elle se transformera et restera efficace” Erik-Marie Bion (Verizon Media) : “La publicité ciblée ne va pas disparaître avec les cookies tiers, elle se transformera et restera efficace” Six ans après avoir acquis Yahoo et AOL pour mettre en œuvre une convergence entre télécoms, médias et publicité, Verizon a annoncé leur cession au fonds d'investissement Apollo Global Management pour un montant inférieur à leur prix d'acquisition. Erik-Marie Bion, VP France, Allemagne, Italie, Espagne et co-directeur EMEA de Verizon Media, explique les raisons de cette opération, la façon dont l'activité a été transformée ces deux dernières années et le nouveau projet. Il livre également son regard sur l'évolution du marché publicitaire numérique et l'impact que vont avoir les restrictions liées à la collecte de données sur le prix des inventaires publicitaires. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 16 juillet 2021 à 16h22 - Mis à jour le 19 juillet 2021 à 18h18 Ressources Après avoir cédé Tumblr en 2019 et le HuffPost en 2020, Verizon a annoncé vouloir vendre l’ensemble de son activité média et publicitaire (Yahoo, AOL, TechCrunch …) au fonds de capital-investissement Apollo Global Management pour 5 milliards de dollars. N’est-ce pas un aveu d’échec pour un groupe qui avait été constitué à hauteur de 9,5 milliards de dollars ? Non car c’est un constat anachronique : les difficultés ont eu lieu en 2018 et sont derrière nous. Il faut avoir en tête le chemin parcouru en six ans et la transformation opérée par le groupe depuis plus de deux ans. Verizon avait acquis AOL en 2015 pour 4,4 milliards de dollars puis Yahoo en 2017 pour 4,5 milliards de dollars, soit en effet 9,5 milliards d’euros pour constituer un groupe mondial dans les contenus, la publicité en ligne et les technologies appuyé par un opérateur télécom de rang mondial. A ce moment-là, le groupe est rebaptisé Oath est est dirigé par Tim Armstrong. C’est en 2018 que l’entreprise a rencontré des difficultés dans son plan de développement ; la concurrence pour le marché de la publicité en ligne a été extrêmement forte et l’intégration dans Verizon a été plus lente que prévue. Au deuxième semestre 2018, le groupe a pris des décisions radicales : le management de Verizon a été remplacé et Tim Armstrong est parti de Oath, la marque a été abandonnée au profit de Verizon Media et la dévalorisation d’AOL et Yahoo de 4,6 milliards de dollars a été actée dans ses comptes. Le plus difficile a été fait à ce moment-là. Le prix de cession de l’activité à Apollo Global Management correspond à la valorisation posée fin 2018 ; c’est le signe que depuis cette écriture l’activité média et publicitaire a été solide, le groupe n’est pas bradé. En intégrant des activités de médias, de monétisation publicitaire et de technologies, les ambitions de Verizon étaient très élevées. Pourquoi cette intégration entre un opérateur télécom et des médias n’a-t-elle pas tenu toutes ses promesses ? AOL, Yahoo, Le Huffington Post ou Techcrunch sont des actifs importants mais qu’il fallait profondément transformer. Le projet impliquait plusieurs fusions et réorganisations d’activités. Cela prend nécessairement du temps ensuite pour consolider et créer de la valeur. Fusionner des technologies se fait dans la durée et induit des coûts importants. Un exemple : nous avions jusqu’à six SSP différentes, c’était difficile d’être performant sur toutes et de rendre notre offre lisible par le marché, surtout dans un univers aussi concurrentiel que le nôtre. Aujourd’hui cette restructuration est derrière nous. Notre activité DSP en Europe affiche ainsi une croissance à trois chiffres depuis le deuxième trimestre 2020 l’an dernier. Et l’ensemble des produits et des marchés ont une progression à deux chiffres sur la période. Nous sommes concentrés sur nos métiers et sur la diversification autour. Désormais, Verizon, l’un des leaders mondiaux des télécoms et déjà premier sur la 5G avec 30 grandes villes couvertes aux Etats-Unis et 60 fin 2021, a besoin de nouveaux fonds pour investir dans la 5G. C’est une technologie déjà essentielle pour les opérateurs télécoms et qui le sera de plus en plus ; elle nécessite des dizaines de milliards d’euros d’investissements pour Verizon, qui a des ambitions très fortes. Dans ce contexte, Verizon Media n’est plus un actif essentiel : il y a 130 000 à 140 000 salariés à Verizon, dont 10 000 pour l’activité Verizon Media. L’opération lui apportera 5 milliards de dollars. Cela peut sembler simple comme raisonnement, mais c’est essentiel dans la bataille autour de la 5G qui est en train de se dérouler au niveau mondial. Par ailleurs, Verizon restera engagé au sein de la société en conservant 10 % des parts. C’est un signe de confiance. “Verizon Media a désormais un rythme de croisière de plus de 2 milliards d’euros de revenus par trimestre, c’est cela qu’Apollo Global Management achète : la transformation est déjà bien amorcée et nos perspectives sont bonnes” En quoi un fonds d’investissement peut-il réussir à créer de la valeur autour de Yahoo et AOL ? C’est une opération pleine de promesses : Apollo est l’un des plus grands fonds de private equity dans le monde. Il détient 150 sociétés et son métier porte sur la transformation des entreprises pour créer de la valeur. Comme je le disais, la reconfiguration du groupe a été effectuée dès fin 2018 et Verizon Media a été identifié comme ayant un potentiel important. Là encore, il faut faire un retour en arrière pour bien comprendre les contours du groupe actuel et ses atouts. Verizon a racheté a AOL en 2015 et Yahoo en 2017 pour construire Verizon Media. Entre temps, un accord global signé avec Microsoft à l’été 2015, pour 10 ans, a conduit à ce que nos offres search soient commercialisées par Microsoft advertising, tandis que Verizon Media commercialise ses formats natifs et mobiles. Ce accord a fortement marqué le repositionnement de Verizon Media dans la publicité en les technologies. Depuis 2017, nous sommes à la fois un média et une adtech aussi bien du côté de l’offre que de la demande. Ce qui a nécessité une reconfiguration progressive de nos offres. Nous avons fusionné nos différentes DSP en une seule en 2018 : depuis trois ans, on peut se focaliser uniquement sur l’innovation pour la développer, autour de l’audio, la TV connectée, le out of home et le mobile. Dans le même esprit, à l’été 2020, nous avons consolidé nos SSP et rapatrié les inventaires de Microsoft dans une seule pour vendre le display de Yahoo et de Microsoft de façon homogène. Et dans le même temps, nous avons cédé Tumblr, Flickr et HuffPost afin de centrer nos efforts sur le média autour de Yahoo recentré sur les informations et la boîte mail et sur l’adtech pilotée par la data. Il y aura également une forme de retour au source avec la marque Yahoo qui sera utilisée aussi au niveau du groupe. Le marché publicitaire a été difficile en 2020 mais semble rebondir en 2021. Comment Verizon Media y fait face et quels sont les derniers résultats du groupe ? Sans l’arrivée de la crise sanitaire au printemps 2020, la société aurait retrouvé la croissance dès le premier trimestre l’an dernier. L’entreprise a profité du rebond ; elle a réalisé 11,4 % de croissance au niveau mondial au dernier trimestre 2020 par rapport au dernier trimestre 2019, avec 2,3 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Malgré la crise, les résultats ont tenu. Les revenus de notre plateforme publicitaire – notre activité adtech – étaient même en hausse de 40 % en 2020. En France, la croissance sur l’ensemble de l’année a été à trois chiffres sur la DSP et à deux chiffres sur la SSP. Au premier trimestre 2021, la dynamique est restée soutenue avec 10,4 % de croissance en un an, soit 1,9 milliard de dollars de chiffre d’affaires. L’activité advertising était d’ailleurs en progression de 26 %, notre activité de DSP de 45 % et les revenus issus de notre inventaire publicitaire propriétaire de 13 %. La tendance était identique au deuxième trimestre. Verizon Media a désormais un rythme de croisière de plus de 2 milliards d’euros de revenus par trimestre, c’est cela qu’Apollo Global Management achète : la transformation est déjà bien amorcée et nos perspectives sont bonnes. “Avec la raréfaction des cookies tiers, le yield management entre l’inventaire avec donnée et celui sans donnée sera essentiel” Les conditions plus strictes de la collecte de données sont en train de changer en profondeur le marché de la publicité numérique. Comment le groupe s’adapte-t-il ? Aujourd’hui, 80 % de l’inventaire est commercialisé avec de la data issu de l’éditeur média ou d’un tiers. Le chiffre va nécessairement baisser. La capacité à générer et maitriser de la data first party va être essentielle. Ce contexte va renforcer les grandes plateformes comme Google et Facebook, qui en accumulent énormément, mais aussi les éditeurs médias dont les contenus et services sont suffisamment qualitatifs pour maîtriser et organiser un lien direct avec de larges audiences. Verizon en fait partie et notre position à la fois de média producteur de contenus et services disposant d’une taille critique et de plateforme publicitaire, donc présent côté achat et côté vente, est un atout. Notre objectif est de proposer des alternatives au ciblage par le cookie tiers en développant deux types d’offres. L’une via des partenariats avec des éditeurs médias du côté de l’offre, et avec des entités spécialisées dans la technologie et les données coté demande, comme nous l’avons annoncé par exemple avec Epsilon (Publicis, ndlr). La deuxième via notre ID unifié Verizon ConnectID lorsqu’une identité utilisateur est détectée, lequel est déjà disponible dans les régions APC et Amérique du nord et devrait l’être en Europe en fin d’année. Ce sont des changements importants, mais cela fait 20 ans que le marketing digital évolue et s’adapte. La publicité ciblée ne va pas disparaître avec les cookies tiers, elle se transformera et restera efficace. Ciblage post-cookies tiers : Verizon Media complète ses offres par une solution contextuelle Quelle valeur attribuer à l’inventaire publicitaire sans data ? C’est la question centrale pour le marché et qui va nous occuper tout au long des prochains mois. Il y a – et cela va s’accentuer – de moins en moins d’inventaires avec des données ; logiquement ils devraient être mieux valorisées, leur prix devraient augmenter. Les inventaires publicitaires de qualité et avec données devraient prendre de la valeur, mais dans quelle proportion ? Et cette progression des prix des inventaires avec data compensera-t-elle la perte de revenus liée à l’augmentation des inventaires sans data ? L’offre et la demande trouveront un équilibre, mais il y a un système de vase communiquant entre ces deux types de commercialisation – avec et sans données – qu’il faut analyser et optimiser : avec la raréfaction des cookies tiers, le yield management entre l’inventaire avec donnée et celui sans donnée sera essentiel. Le marché dispose encore d’un peu de temps pour s’adapter, d’autant que les investissements des annonceurs sont en forte progression et que d’autres leviers en bénéficient. Depuis la fin 2020 par exemple, il y a intérêt sensible pour les pages d’accueil des médias : toutes les agences, pour tous les types d’annonceurs, demandent à acheter des inventaires en page d’accueil. Les marques ont le besoin de communiquer vite et fort, et donc d’événementialiser des lancements des produits en utilisant des formats qui associent puissance et visibilité, parfois en y ajoutant des critères de performance. On verra en fin d’année si ce type de comportement s’est poursuivi au deuxième semestre. Jean-Michel De Marchi AdtechCookiesDonnées personnellesDSPOpérateurs télécomsPublicité programmatiqueSSP Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Verizon va revendre sa filiale média et publicitaire Verizon Media au fonds d’investissement Apollo Ciblage post-cookies tiers : Verizon Media complète ses offres par une solution contextuelle La R&D au New York Times : 3 innovations réalisées avec des grands acteurs technologiques Verizon Media réorganise son activité média autour de Yahoo et lance des services payants Buzzfeed acquiert le HuffPost Verizon va commercialiser des formats natifs dans Apple News en Australie, au Canada et au Royaume-Uni Entretiens Erik-Marie Bion (Verizon Media) : "Nous souhaitons renforcer notre rôle de média de référence en France sur la vidéo mobile" essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 Intégrer la transition écologique dans les performances des médias et de la publicité Les enjeux réglementaires de la publicité en ligne en 2023 2023 : la transformation du marché publicitaire analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : ce qu’il faut comprendre du procès de Google aux Etats-Unis Recommandation, personnalisation des contenus, services technologiques… Cafeyn veut transformer son offre Le rapport des États généraux de l’information veut concilier économie des médias, indépendance et qualité de l’information Dmitry Shevelenko (Perplexity) : “Nous encourageons les éditeurs français à rejoindre notre programme de partenariats médias” ENQUÊTE - La régie publicitaire du Monde a réduit ses effectifs de 8 % INFO MIND MEDIA - Le CESP va lancer sa certification Retail Data Trust Agence79 officialise la consolidation du budget média numérique de Carrefour Publicis et Omnicom, champions de la croissance au premier semestre 2024 INFO MIND MEDIA - Une levée de fonds d’environ 750 000 euros en vue pour le nouveau média The Big Whale Google reconnu coupable de monopole dans la recherche en ligne : ce qu'il faut retenir data Les baromètres, panoramas et chiffres sur l'évolution du marché IA générative : quels éditeurs français bloquent les robots d’OpenAI et Google, lesquels ont adopté le protocole TDMRep ? 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