INFO MIND MEDIA – Yahoo lance un plan social en France pour se séparer de son équipe éditoriale

C’est à la fois une nouvelle page qui se tourne pour le numérique, au moins symboliquement, et la poursuite d’une longue évolution. Yahoo, ce pionnier de l’internet de la fin des années 90 et du début des années 2000, alors porte d’entrée du web en Occident avec son portail de contenus et de services, est sur le point de fermer le pôle éditorial qui alimente Yahoo Actualités, l’édition française de son portail Yahoo.com, a appris mind Media. L’annonce a été faite en interne courant septembre.

L’annonce d’un plan social pour le bureau parisien nous a été confirmée mardi 7 octobre par un porte-parole de Yahoo : “Nous proposons de réorienter notre stratégie afin de refléter les priorités commerciales de Yahoo France et avons entamé une période de consultation avec nos employés, comme l’exige la loi. Nous ne sommes pas en mesure de fournir plus de détails pour le moment.” 

Plusieurs mois de discussions

“Le processus de consultation actuel n’est pas lié à la fermeture des activités françaises, aux partenariats médias ou à Yahoo France”, a ajouté de façon sibylline ce responsable, interrogé sur la teneur exacte du plan social. Simple prudence liée à la procédure juridique et sociale d’un PSE, très encadrée ? Discours de façade et volonté de jouer sur les mots ? L’annonce officielle effectuée en interne en septembre porte bien en tout cas sur la suppression des équipes éditoriales basées à Paris et la fin des contributions des pigistes, selon deux sources concordantes. 

Le processus légal devrait durer quelques mois. Yahoo va se séparer de son équipe éditoriale et supprimer Yahoo Actualités tel qu’il est proposé aujourd’hui. L’entreprise conservera très probablement une version française de son site, pour donner accès à son moteur de recherche et à son service de messagerie, comme elle le fait déjà dans certains pays, par exemple en Italie et en Espagne. Et ce même si son service mail a perdu en attractivité, loin derrière ceux de Google, Outlook Microsoft et Orange : Yahoo Mail totalisait 5,5 millions de VU mensuels en juin dernier (7,5 millions cinq ans plus tôt) et 2,5 millions de VU quotidiens. C’est 40 millions de VU par mois pour Gmail de Google et 20 millions chaque jour.

Yahoo devrait aussi conserver sa structure juridique en France, pour des raisons légales et afin d’abriter les contrats d’une poignée de fonctions supports maintenues au moins à court terme. Autre alternative, envisagée par un ancien salarié de Yahoo France interrogé par mind Media, mais peu probable : même sans équipe éditoriale française, Yahoo pourrait conserver un portail d’informations alimenté uniquement par quelques contenus tierces produits hors de France et/ou par des sociétés partenaires. 

L’équipe éditoriale française de Yahoo est dirigée par Alexandre Delperier. L’ex-journaliste sportif en radio et en télévision officie pour le portail en tant que directeur des contenus, des programmes et des acquisitions depuis 2015, après être entré dans la structure en 2013. Contacté par mind Media, il n’a pas répondu à nos sollicitations. Le bureau est composé d’une vingtaine de personnes, dont 10 à 15 chargées d’alimenter le portail en contenus et en actualités, et de l’administrer. Il s’agit essentiellement de journalistes rédacteurs et éditeurs numériques (auxquels s’ajoutent des contributions ponctuelles non permanentes). Ce sont d’abord ces personnels qui sont concernés par le PSE, mais l’avenir des quelques fonctions supports (administratif, technique, RH…) se pose, à court ou moyen terme. Notre interlocuteur et ancien salarié estime à une vingtaine le nombre total de collaborateurs du bureau français.

Un rôle d’agrégateur dépassé 

Pour compléter ses services historiques de moteur de recherche et de messagerie, Yahoo était devenu agrégateur et producteur d’actualités en lançant Yahoo Actualités, afin de proposer des informations générales, produites via une rédaction interne ou acquises auprès de quelques médias partenaires ; aujourd”hui essentiellement BFMTV, 20 Minutes, Le HuffPost, Euronews et l’AFP, mais aussi parfois Courrier International, France24 et RFI. Ces dernières années, le portail s’est enrichi d’actualités financières, via Capital, Challenges et quelques sites de contenus, et de contenus lifestyle, via Femme Actuelle, Elle, Top Santé, Grazia, 750g, etc.

Le rôle de messagerie et d’agrégateur de contenus a longtemps conféré à Yahoo, comme à Orange et Microsoft MSN, un rôle central dans les usages web. Ces carrefours d’audience ont ensuite vu leur place s’amenuiser du fait de l’omniprésence croissante de Google et des plateformes sociales. Le groupe Yahoo, incluant notamment la messagerie et le portail d’informations, totalisait 23,8 millions de VU mensuels en juin, contre 25 millions il y a cinq ans (Médiamétrie//NetRatings, juin 2025 et juin 2020).

En parallèle, la concentration des investissements publicitaires vers Google et Meta, puis la montée en puissance d’Amazon et dernièrement TikTok, ont accentué les difficultés économiques de ces acteurs.

Les effectifs publicitaires déjà touchés en 2023  

mind Media avait déjà révélé à l’été 2023 la restructuration de l’activité publicitaire de Yahoo en France, via un PSE, avec la cessation de l’activité de SSP (la vente technologique programmatique) et l’externalisation de la commercialisation de la publicité native chez Taboola, pour se concentrer sur l’activité de DSP (l’achat programmatique) opérée depuis quelques grands hubs régionaux. 

Une réduction d’activité autant qu’un choix stratégique, qui avait vu la suppression de 60% des effectifs en France, soit un peu plus de 30 postes sur une soixantaine de personnes au total. Un salarié concerné par ce premier PSE nous a mentionné les bonnes conditions de départ qui avaient alors été proposées par la direction aux personnels concernés. Cette réduction d’effectifs traduisait déjà le déclin continu de l’activité : en 2009, le bureau français comprenait 250 personnes.

Ces fermetures successives d’activités s’inscrivent dans une évolution mondiale, Yahoo ayant réduit son périmètre d’activités éditoriales et publicitaires. Outre dix bureaux aux États-Unis, le groupe américain possédait il y a trois ans encore une vingtaine d’autres bureaux : au Canada, Brésil, Irlande, Royaume-Uni, France, Allemagne, Italie, Espagne, Danemark, Norvège, Israël, Inde (3), Australie, Hong Kong, Singapour, Taiwan et Japon (via un accord commercial). Avec très souvent un portail d’informations. 

Plus de la moitié ont été fermés en 2023. Ne subsistent jusqu’ici en Europe que les éditions anglaise, française et allemande, du fait d’audiences encore importantes, de revenus publicitaires jusque-là encore satisfaisants, et, sans doute, la volonté de maintenir une présence statutaire dans les trois marchés clés européens. Mais leur situation semble s’être détériorée. En 2023, un ex-salarié de l’activité publicitaire de Yahoo France nous indiquait déjà que la zone EMEA représentait moins de 15% des revenus du groupe et une faible marge. 

Un groupe obligé de se recentrer

Yahoo n’est plus le puissant moteur de recherche qu’il était au tournant des années 2000 : alors géant de la recherche en ligne et premier site consulté dans le monde, il s’est rapidement fait supplanter par Google Search. Le groupe n’a, depuis, pas réussi sa transformation dans les technologies publicitaires et les contenus, malgré de multiples acquisitions et nouveaux positionnements. Il accumule les restructurations pour optimiser ses résultats financiers et optimiser sa valorisation. 

Cette politique de rationalisation des activités et de réduction des coûts correspond à la feuille de route du fonds Apollo Global Management, qui a acquis Yahoo auprès de Verizon en septembre 2021. Apollo veut prioriser les actifs les plus dynamiques et les plus générateurs de marge : quatre ans après son acquisition, il ne serait pas illogique qu’il prépare sa sortie.

La direction mondiale revendiquait en 2022 un groupe “très rentable” à l’échelle globale, avec 8 milliards de dollars de chiffre d’affaires. Yahoo attire encore plusieurs centaines de millions d’utilisateurs chaque semaine à travers le monde sur ses médias et services, désormais essentiellement anglophones : Yahoo Search, Yahoo Mail, Yahoo Actualités, Yahoo Finance, Yahoo Sport, AOL, Techcrunch, Engadget… 

Mais la taille du groupe diminue régulièrement un peu plus. Au début des années 2010, il rassemblait encore 12 000 à 15 000 salariés. Fin 2021, ce n’étaient plus que 10 000, puis probablement autour de 6 000 en 2024. Le chiffre pourrait encore diminuer : Reuters a annoncé début octobre des négociations entre Yahoo et le groupe italien Bending Spoons (WeTransfer, Evernote, Meetup…) concernant la cession d’AOL pour 1,4 milliard de dollars.