Louis Dreyfus (Groupe Le Monde) : “Nous travaillons sur la remise à plat de notre offre tarifaire pour l’abonnement numérique au Monde”

Partagez-vous totalement la position sur les droits voisins de l’APIG, dont Le Monde fait partie, et sa plainte déposée devant l’Autorité de la concurrence ? 

Ma position est alignée avec celle des autres éditeurs de l’association. Nous menons tous le même combat : défendre la valeur produite par les médias d’information et l’application de la loi. Il n’est pas sain que des acteurs importants puissent s’affranchir d’un dispositif législatif. J’attends donc des GAFA qu’ils s’y conforment et y apportent une réponse collective. C’est une question de souveraineté. Les pouvoirs publics sont d’ailleurs moteurs sur cette question. 

Des évolutions ont-elles eu lieu ces dernières semaines ? Faut-il apporter une évolution à la loi votée en juillet pour la rendre plus précise et opposable juridiquement aux intermédiaires ?

Nous sommes dans le dialogue et il faut que les plateformes fassent un premier pas et proposent une solution. Je suis optimiste (des discussions ont été amorcées entre l’APIG et Google, via Carlo d’Asaro Biondo, président des partenariats EMEA de Google, mais elles sont plus poussées avec Facebook, via une délégation franco-américaine, ndlr). Je suis persuadé que chacune des plateformes va bouger après la très forte pression mise par les pouvoirs publics ces dernières semaines. Le président de la République s’est prononcé en ce sens, le gouvernement aussi. Il serait difficile d’accepter qu’il n’y ait pas d’évolution notable de la part des plateformes avant la fin de l’année. On verra en conséquence si la loi est suffisamment adaptée.

“Tous nos accords avec les plateformes incluent un aspect financier ; c’est essentiel.”

Ce contexte est-il de nature à remettre en cause les partenariats qu’entretient Le Monde avec les GAFA ?

Non, car notre stratégie est toujours la même et elle est cohérente : Le Monde noue des accords avec les plateformes quand cela ne fragilise pas notre indépendance éditoriale et que cela favorise nos intérêts, pour toucher de nouvelles audiences, développer nos offres d’abonnements purs numériques, etc. Et tous incluent un aspect financier ; c’est essentiel. Et c’est logique, puisque ces acteurs-là ont besoin de la qualité de nos contenus. Mais sans jamais renoncer à notre indépendance.

L’accord noué depuis septembre entre Le Monde et Spotify pour la diffusion de podcasts va-t-il en ce sens ? Qu’avez-vous appris ?

Oui. Spotify veut proposer des podcasts de qualité et pour nous, il s’agit de tester de nouveaux formats éditoriaux autour de l’audio et toucher de nouvelles audiences tout en dégageant des revenus. Nous avons déployé trois séries de podcasts, dont deux sont les déclinaisons d’articles publiés dans nos supports (le décryptage par ses auteurs d’une enquête en plusieurs volets sur le Parti socialiste, et une série de récits sur la naissance et la fin de relations sentimentales interprétés par des comédiens, ndlr). Une autre, “le goût de M”, est un podcast natif qui propose les témoignages de personnalités de la culture, de la mode ou de la gastronomie autour de leur histoire personnelle et leurs goûts, sur tous les sujets. Il est trop tôt pour en tirer des enseignements, mais le taux d’engagement est important. Il y a par exemple plus de la moitié de l’audience du podcast Le goût de M qui l’écoute jusqu’au bout (entre 23 et 31 minutes chacun, ndlr). 

Les deux actionnaires de référence du groupe, Xavier Niel et Matthieu Pigasse, ont annoncé en septembre leur volonté de doter Le Monde d’une fondation ou d’un fonds de dotation pour garantir son indépendance. Où en est cette initiative ? 

Le projet a été confirmé. Le conseil de surveillance du Groupe Le Monde (soit Xavier Niel et Matthieu Pigasse, ndlr), a donné mandat au directoire, donc au directeur du Monde, Jérôme Fenoglio et à moi, de présenter un projet en ce sens en lien avec le pôle d’indépendance du groupe. Matthieu Pigasse et Xavier Niel ont par ailleurs confirmé, lors du conseil de surveillance de L’Obs du 9 octobre, que l’hebdomadaire est concerné par ce projet de fondation au même titre que Le Groupe Le Monde (L’Obs a les mêmes actionnaires de référence que le Groupe Le Monde et bénéfice de synergies mais ne figure pas juridiquement dans son périmètre, ndlr).

Comment expliquer les tensions entre les deux principaux actionnaires constatées depuis un an jusqu’à cette proposition ?

Ce sont des situations qui peuvent parfois se produire et sont maintenant apaisées. Il n’y a eu aucun impact sur les résultats du groupe, sa direction, sa stratégie de développement ou sur l’indépendance des rédactions.

Quels sont les résultats économiques attendus en 2019 pour le Groupe Le Monde ?

Le chiffre d’affaires global du groupe devrait être en légère progression, soit un peu plus de 305 millions d’euros, dont un peu plus de la moitié pour le périmètre de la marque Le Monde. L’activité du groupe est tirée par la bonne santé de l’abonnement numérique et des ventes en kiosque. La diffusion représentera entre 78 et 80 % des revenus, contre 20 à 22 % pour la publicité. Le résultat opérationnel sera stable, conformément à nos prévisions, de l’ordre de plus 6 millions d’euros. Le chiffre définitif sera précisé lors de la clôture des comptes.

Evolution de la diffusion France Payée totale du Monde sur 5 ans  (ACPM)

 Année 2015 : 268 000 exemplaires / jour  –  Année 2019 en cours : 303 000 exemplaires / jour

Le marché publicitaire est toujours aussi difficile pour les éditeurs de presse, que ce soit pour le papier ou sur le numérique. Quels sont les résultats du groupe sur ce point ?

Notre chiffre d’affaires publicitaire total sera sans doute en baisse de 2 à 3 % ; c’est donc une baisse maitrisée. La publicité papier se porte bien, notamment pour Le Monde, mais l’évolution de la publicité sur le numérique est contrastée. Nos revenus en programmatique ont progressé de 35 % entre janvier et octobre. C’est supérieur au marché, qui doit être à + 20 % environ. Par ailleurs les campagnes vidéo ont triplé depuis octobre. Mais la vente en gré à gré est en baisse. Nous ne restons pas inactifs : ainsi dès janvier nous proposerons Skyline, notre offre publicitaire commune avec nos partenaires du Figaro, en accès programmatique. 

Constatez-vous des effets économiques liés au label Digital Ad Trust dans lequel les éditeurs investissent depuis deux ans ? 

Pour l’instant, il ne montre pas son efficacité vis-à-vis des annonceurs. Il n’y a pas davantage de budgets investis sur ce label. Mais il participe à mettre en avant la qualité de nos contextes et de nos offres publicitaires.

“L’amélioration des résultats est sensible à L’Obs avec un retour à l’exploitation bénéficiaire”

Quel est le nombre d’abonnés en ligne au Monde désormais ?

Le Monde devrait atteindre 230 000 abonnés purs numériques fin 2019, contre 180 000 il y a un an. Cela représente le plus grand volume d’abonnés en ligne en France parmi les médias d’information généralistes alors que notre tarif mensuel est sensiblement supérieur (le tarif standard du Monde.fr est à 17,90 euros par mois, ndlr). Le panier moyen de l’abonné en ligne a été multiplié par deux depuis 2011 (on peut l’estimer entre 10 et 12 euros par mois environ, ndlr). Nous allons continuer le développement de notre stratégie payante et visons désormais un million d’abonnés purs numériques en 2025. Cela passera par un enrichissement de nos offres éditoriales et tarifaires ainsi que par l’international.

L’Obs n’a pas échappé à la crise qui touche les newsmags ces trois dernières années. Dans quelle situation est l’hebdomadaire actuellement ?

L’amélioration des résultats est sensible avec un retour à l’exploitation bénéficiaire. 

Quelles sont vos priorités en 2020 ? 

D’abord la poursuite de la croissance des abonnements numériques, que ce soit pour Le Monde, Courrier International, L’Obs et Télérama. Cela passera forcément par le recrutement de nouvelles audiences et le déploiement de nouveaux formats, audio et vidéo notamment. Pour Télérama, l’arrivée début janvier de Diane Lemoine, qui est actuellement directrice marketing numérique du Monde, sera un vrai plus pour ce titre qui a tous les atouts pour devenir un acteur majeur du numérique. Elle intégrera l’équipe de Catherine Sueur, présidente du directoire de Télérama, à la direction du numérique et de l’innovation.

Par ailleurs, je le disais précédemment, nous allons également développer davantage les activités du Monde à l’international, qui génère déjà près de 25 % de notre trafic en ligne et un peu moins de 15 % de notre portefeuille abonnés numériques. Nous allons poursuivre nos investissements sur l’offre Le Monde Afrique : nous pensons pouvoir monétiser cette audience via des offres payantes sur mobile. Et nous allons reconduire notre Festival au Canada pour une troisième édition à Montréal.

Nous travaillons également, avec Julien Laroche-Joubert, directeur numérique du Monde, et Lou Grasser, directrice des abonnements, sur la remise à plat de notre offre tarifaire sur l’abonnement numérique au Monde. Il y aura des évolutions liées à la fois à la pratique du multi-compte – aujourd’hui souvent clandestin – et sur l’offre éditoriale, afin de mieux différencier les niveaux tarifaires d’abonnements (Le Monde travaille sur une segmentation plus fine des tarifs de ses abonnements en ligne (actuellement 8,50 euros par mois pour les étudiants et 17,90 euros en plein tarif, avec la mise en place d’offres  intermédiaires avec plus ou moins de contenus et services associés, dont le multi-compte, lire notre article dédié ici, ndlr).

Enfin, le déménagement de l’ensemble de nos équipes à partir de la mi-janvier dans un même bâtiment dont nous serons propriétaires nous permettra de travailler sur une culture de groupe plus assumée et favorisera des passerelles et des partages de savoir-faire, tout en veillant à la stricte indépendance de chacune des rédactions.