Après une première vague de reculs en 2023, les remises en question du télétravail se sont poursuivies en 2024. L’exemple d’Amazon est particulièrement spectaculaire, l’entreprise ayant décidé d’y mettre complètement fin pour 300 à 350 000 salariés en septembre. La société informatique Dell en a fait de même le même mois pour ses équipes de vente, tandis que son concurrent IBM exigeait début 2024 de ses managers qu’ils reviennent au bureau. Les raisons avancées sont diverses : perte de productivité, moindre montée en compétences des salariés ou collaboration moins efficace entre les équipes. Les salariés continuent pourtant de privilégier ce mode d’organisation du travail, quitte à faire grève, comme ceux d’Ubisoft en France, pour réclamer le maintien de la politique de flexibilité de leur entreprise.
Des dynamiques variées dans les entreprises
Si la politique de retour au bureau est une tendance nette dans les grandes entreprises américaines, Starbucks ayant également imposé une présence de trois jours par semaine en octobre, elle n’est pas suivie partout. Même aux États-Unis, la part de salariés télétravailleurs est passée de 19 à 23 % entre décembre 2022 et décembre 2024. En Grande-Bretagne, la tendance est la même : les grands groupes sont de moins en moins favorables au travail à distance mais une proportion très importante de travailleurs (44 %) en bénéficient selon les données publiées en 2024. En Italie, le télétravail est également en progression : 2 millions de télétravailleurs en bénéficiaient dans les grandes entreprises en 2024, à un niveau proche de la période des confinements de 2020. Les salariés y sont également attachés : 73 % s’opposeraient à une politique de présentiel stricte tandis que 46 % des télétravailleurs se disent contre tout retour en arrière. De même, en France, la flexibilité reste dans les priorités de la population active.
Des accords d’entreprise mieux disants
Malgré la multiplication des discours de patrons de grandes entreprises critiquant le télétravail, le retour en arrière n’est pas généralisé. Même le groupe de communication Publicis, où le PDG Arthur Sadoun pointait les risques de ce mode d’organisation du travail pour l’innovation ou la progression de jeunes, maintient en France le droit à deux jours de télétravail par semaine. L’entreprise accorde aussi des droits supplémentaires aux salariés en situation de handicap, aux aidants et aux femmes enceintes. Les salariés de l’entreprise de la chimie Biomérieux ont également bénéficié de conditions plus avantageuses avec l’octroi d’une indemnité de 2,50 euros par jour. Tandis que l’énergéticien Engie SA étend le rythme maximal de télétravail de 2 jours par semaine à 10 jours par mois, tout en augmentant l’indemnité dédiée. Selon une étude inédite menée par mind RH en 2024 sur les grandes entreprises, le rythme maximal de télétravail octroyé dans les accords s’est établi à 2,46 jours l’année précédente, continuant à augmenter depuis 2020. Les exemples de recul sont rares, les partenaires sociaux vantent au contraire ses bienfaits pour “l’agilité de l’organisation du travail” (CMA CGM), le bien-être au travail (Axa Banque) ou la “réduction de l’impact carbone” (Crédit Coopératif). Cependant, alors que seuls 26 % des salariés télétravaillent, la possibilité d’en bénéficier constitue une problématique d’attractivité et d’équité au sein des organisations.
Étude mind RH – Les grands groupes français n’ont pas réduit le droit au télétravail depuis 2020
La perspective d’une régulation plus large
Le cadre légal peut également constituer un levier pour enraciner le télétravail. En Grande-Bretagne, depuis 2024, les salariés peuvent demander à bénéficier d’un mode de travail flexible dès le jour de leur prise de poste. En Autriche, les règles encadrant le travail hybride s’appliquent depuis l’année dernière à davantage de situations : elles ne couvrent plus seulement le travail à domicile mais tout lieu de travail à distance. Enfin, au Chili, un droit opposable au télétravail a été accordé par le législateur aux parents et aux aidants. Face à des situations et des niveaux de régulation très disparates entre pays, les salariés européens pourraient également bientôt bénéficier de droits communs. Après l’échec des partenaires sociaux à se mettre d’accord, la Commission a lancé au printemps les consultations préalables à la présentation d’une directive européenne sur le télétravail. La lettre qu’elle leur a envoyée esquisse les premières pistes de régulation : obligation de prévention des risques de santé liés à ce mode d’organisation, obligation de prise en charge de frais et transparence sur la surveillance des salariés. La Pologne, qui exerce la présidence tournante au premier semestre 2025, s’est engagée à avancer le dossier malgré l’opposition du patronat.