Accueil > Services bancaires > Request to Pay : quels cas d’usage et business model ? Request to Pay : quels cas d’usage et business model ? L’European Payments Council (EPC) publiera en décembre la documentation technique à propos du “Request to Pay”, standard de messagerie qui permettra à un bénéficiaire d’une créance d’envoyer une demande de virement au payeur. Plusieurs banques expliquent à mind Fintech les enjeux de la création de ce service, les cas d’usage envisagés et les stratégies de monétisation en cours d’élaboration. Par Aude Fredouelle. Publié le 03 novembre 2020 à 11h18 - Mis à jour le 06 janvier 2022 à 16h10 Ressources L’European Payments Council (EPC) doit dévoiler en décembre les détails techniques d’un futur scheme “Request to Pay” (RTP), qui a vocation à être déployé dans l’Union européenne pour divers cas d’usage. Le Request to Pay fait d’abord référence à une cinématique de paiement : le bénéficiaire souhaitant recevoir un paiement renseigne un certain nombre d’informations (montant, date d’exécution…) et notifie le payeur, qui doit valider le paiement. Cette cinématique existe déjà chez certains acteurs français, comme les applications de paiement entre particuliers Lydia ou Pumpkin sur lesquelles un utilisateur peut demander à un autre utilisateur un remboursement d’un certain montant. Mais au-delà de ce déroulé, le Request to Pay est surtout un service de messagerie standardisé, qui a vocation à être intégré aux infrastructures de paiement. “C’est un format spécifique qui permettra à tous les acteurs qui déploient une interface RTP d’être interopérables”, explique Pierre Lahbabi, CEO du cabinet de conseil spécialisé dans le paiement Galitt. Le RTP permettra de déclencher des virements (dont, pour de nombreux cas d’usage, des virements instantanés SCT Inst, mais parfois aussi des virements classiques), après authentification par le payeur auprès de sa banque – soit sur l’application bancaire, soit via un Third Party Provider agréé en tant qu’initiateur de paiement PIS, au sens de la DSP2. Ce format donnera surtout la possibilité d’intégrer un certain nombre de modalités lors de la demande : la date du paiement (immédiat ou différé), paiement fractionné… “Le format est très riche, ce qui favorisera la multiplicité des cas d’usage”, analyse Pierre Lahbabi . Autre avantage : puisque le paiement passe par le virement SEPA, le système sera européen. Les virements instantanés représentent désormais 6,5% des virements SEPA Le RTP devrait majoritairement aboutir au déclenchement de virements instantanés (SCT Inst), déployés en 2018 dans l’Union européenne – et pourrait d’ailleurs contribuer à accélérer leur développement. Au second trimestre 2020, environ un an et demi après le lancement du virement instantané, les virements SEPA instantanés représentent 6,5% de tous les virements SEPA en Europe (accéder à notre baromètre). En France, la plupart des grandes banques proposent désormais le service et la plupart ont décidé de facturer l’émission de virements instantanés aux particuliers, entre 0,80 et 1 euro l’unité. Certaines ont cependant fait le choix de la gratuité totale, comme le groupe Arkéa, ou bien d’une gratuité limitée à certains plafonds ou conditions. C’est le cas du Crédit Agricole et de BPCE (plafond de 300 euros), de Société Générale et BNP Paribas (500 euros par jour) et de Boursorama (un virement par jour, 2 000 euros maximum). Plus récemment, des services dédiés aux entreprises ont vu le jour, à l’image de celui lancé par Arkéa en décembre 2019 et du service dévoilé par SocGen en juillet 2020, permettant de télétransmettre en un seul fichier des “virements de masse” en instantané, pour un montant unitaire allant jusqu’à 100 000 euros. Une première version basique du standard devrait être publiée en décembre par l’EPC, puis une seconde version enrichie l’année prochaine. Et avec le RTP, c’est un nouvel écosystème de services de paiement et de cas d’usage qui pourrait voir le jour. Paiement des factures L’un des cas d’usage les plus évidents : le paiement de factures. “Le RTP est une forme de modernisation du prélèvement automatique qui permet de redonner le pouvoir de décision au consommateur, résume Fabrice Denèle, en charge de la stratégie et des partenariats chez Natixis Payments. Même si pour des raisons de gestion de trésorerie, les créanciers sont friands du prélèvement, nous avons atteint les limites de ce système car le sentiment selon lequel le consommateur doit avoir la main sur ce qu’il paye est de plus en plus répandu. Une tendance accentuée par le digital et la création de multiples offres de PFM pour mieux visualiser ses comptes et gérer son argent”. Une étude consommateur réalisée par le cabinet Galitt sur le RTP révèle en effet que 70 % des Français sondés préféreraient recevoir une demande de paiement par mail pour régler leurs factures. Pour le client final, l’avantage du Request to Pay réside en effet dans l’obligation d’acceptation côté payeur, qui évite un prélèvement imprévu occasionnant un découvert. Et du côté de la société payée, “il sera possible de relier l’opération de Request to Pay à une facture, en indiquant sa référence, son montant, l’identification du client, etc., précise Pierre Lahbabi. Cela facilitera énormément la réconciliation pour les émetteurs de ces factures”. Si les prélèvements ne devraient pas disparaître du jour au lendemain, notamment pour les services reposant sur un abonnement mensuel, le RTP pourrait ainsi progressivement remplacer une partie des chèques et des prélèvements automatiques. En BtoB, le RTP pourra aussi simplifier le règlement de factures entre sociétés. “Une vingtaine de pourcents des échecs de prélèvements relèvent de paiements BtoB et le problème des délais de paiement entre entreprises est majeur, ajoute Fabrice Denèle. Un RTP avec un virement référencé, qu’il soit instantané ou pas, est très adapté à la fin du chèque entre entreprises.” (lire notre dossier : “Retards de paiement : avec la crise, les outils pour entreprises sur le devant de la scène”). La loi de finances pour 2020 prévoyant de systématiser la facturation électronique entre entreprises entre 2023 et 2025, “le RTP pourra être utilisé pour compléter l’échange de factures par voie électronique avec du paiement, renchérit Fabrice Denèle. Cela pourrait permettre de bien référencer les paiements, de réduire les délais, d’améliorer la gestion de la trésorerie…” À terme, imagine Régis Folbaum, directeur des paiements et de la donnée de La Banque Postale, “nous pourrions même imaginer une forme de paiement en machine-to-machine”. “La transformation du paiement pour les commerçants” Paiement de proximité Un second cas d’usage évoqué, sur lequel misent beaucoup les banques françaises : celui du paiement de proximité. Le commerçant peut, une fois les informations du paiement renseignées, transmettre l’information au client via son mobile (en lui demandant de scanner un QR code ou bien via un contact en NFC). Le client s’authentifie alors sur l’application de sa banque pour valider le paiement. Intérêt principal du RTP pour le commerçant : éviter les frais d’interchange des cartes bancaires. Reste cependant à connaître quelle sera la facturation mise en place pour le RTP. Ensuite, le RTP pourrait permettre à des petits commerçants d’accepter des paiements via leur mobile, sans avoir besoin d’un terminal de paiement électronique. Mais l’intérêt n’est pas aussi évident pour le client final. L’adoption du paiement mobile est extrêmement lente. Selon le dernier rapport de l’Observatoire sur la sécurité des moyens de paiement, les paiements mobiles ont représenté 45 millions d’opérations et 794 millions d’euros en 2019, soit seulement 0,18 % du total des transactions en valeur et 0,38 % en volume. Et le paiement mobile en RTP serait moins fluide pour le client qu’un paiement carte sans contact. “La France est en effet un pays très attaché à la carte, reconnaît Fabrice Denèle, mais dans certains pays comme en Allemagne ou aux Pays-Bas, le paiement par virement est déjà très développé. Il y serait assez logique d’avoir ce type de parcours.” Pour Régis Folbaum, “outre l’occasion de mettre en place de nouveaux parcours de paiement, la perspective la plus intéressante résidera surtout dans les paiements de gros montants, pour les commerçants qui veulent éviter l’interchange et pour éviter les plafonds carte. Par exemple, pour acheter une voiture chez un concessionnaire, un billet d’avion en ligne ou en agence… “ Le RTP pourrait en effet aussi être utilisé pour les paiements en ligne… Même si les premières expérimentations autour du virement instantané dans l’e-commerce, comme celle de BPCE avec Air France, se sont pour l’instant soldées par des échecs. Selon Fabrice Denèle, de Natixis Payments, “il manque une expérience client standardisée, une marque et des règles de jeu communes pour tout le marché pour que cela fonctionne”. L’irrévocabilité du virement instantané peut aussi rebuter le client final. La question de la création de services autour du virement, similaires à ceux proposés pour les cartes (garanties, assurances, protections contre la fraude), devrait être remise sur la table. Le RTP pourrait en tout cas “permettre d’améliorer le parcours client de paiement par virement instantané”, évoque Narinda You, directrice de la stratégie et des relations de place de Crédit Agricole Payment Services. En CtoC, le RTP pourrait également permettre de proposer un service similaire à ceux déployés par Lydia ou Pumpkin, non pas dans un système “trois coins” propriétaire (un utilisateur de Lydia ne pouvant demander un paiement qu’à un autre utilisateur de Lydia) mais dans un système accessible quelle que soit la banque du payeur. Et le service pourrait être particulièrement intéressant dans le cadre d’échange de produits ou services entre particuliers : grâce au virement instantané, le paiement est reçu directement par le vendeur. Business model : un équivalent à l’interchange sur le virement instantané ? Malgré la diversité des cas d’usage imaginés, la future popularité du RTP est loin d’être évidente : une tentative similaire avait déjà été lancée en France en 2016, avec la création du format SEPAMail Rubis, mais le succès n’a pas été au rendez-vous. “Le format existe toujours, mais il n’est pas utilisé”, raconte Fabrice Denèle, de Natixis Payments. Selon lui, ce format de message a échoué car les créanciers ont refusé de payer pour le service. “Cela signifie que la valeur perçue à cette époque n’était pas suffisamment importante pour qu’il soit préféré au virement classique qui coûte peu cher”. Mais le RTP “arrive à un moment où la technologie a évolué et permet des cas d’usage différents, notamment avec le virement instantané”. Pour beaucoup d’observateurs, le momentum est meilleur. “Je pense que le standard qui va être défini dans le cadre de l’EPC va vraiment s’imposer, car il est soutenu par de nombreuses banques”, témoigne ainsi Pierre Lahbabi. Pour que le RTP fonctionne, une question primordiale devra cependant être réglée : celle du business model. En effet, “l’IP en lui-même ne coûte pas très cher mais la définition des cas d’usage puis le développement de nouvelles interfaces et de nouveaux parcours clients, l’homologation tous supports confondus et la personnalisation des workflows selon le profil du client constitueront des développements très compliqués…”, égrène Régis Folbaum. Pour du paiement de factures en BtoB, “le marché devrait trouver son équilibre” en facturant les entreprises, reconnaît Fabrice Denèle. Mais pour les autres cas d’usage, la monétisation sera plus difficile. Pour le paiement P2P, par exemple. “Le P2P n’est pas un marché monétisable. C’est un service que l’on propose pour concurrencer les grandes plateformes affinitaires comme Lydia ou PayPal mais on ne pourra pas le facturer.” En revanche, “utiliser l’IP (Instant Payment) avec un format RTP dans le commerce, pour les achats de biens ou de services, apporte une valeur côté créanciers et commerçants qui pourrait être monétisée”, assure Fabrice Denèle. Reste à savoir comment. Car facturer les commerçants ne sera pas simple. “La banque acquéreur peut se rémunérer auprès du commerçant, mais comment la banque teneur de comptes peut-elle monétiser le service ? se demande Fabrice Denèle. Il semble impossible qu’elle noue des accords bilatéraux avec chaque commerçant.” Résultat : “pour pouvoir initier du virement instantané au point de vente ou sur la page de paiement d’un site, il va falloir que les commerçants acceptent d’adhérer au réseau d’acceptation et qu’un modèle économique soit mis en place, décrit Narinda You. Et pour que les commerçants aient intérêt à passer au RTP, il faudra qu’il soit compétitif parmi les autres solutions qui leur sont proposées.” Pour Fabrice Denèle, “il faudra mettre en place une modalité organisée de transfert de valeur par le régulateur, différente de l’interchange qui n’est pas autorisé en dehors de la carte, sans quoi cela ne pourra pas fonctionner”. Les banques souhaitent donc négocier auprès des régulateurs européens la création d’un équivalent à l’interchange sur les virements instantanés, similaire à celui déjà appliqué sur les paiements par carte bancaire. Les discussions devraient être poussées par EPI (European Payments Initiative), l’initiative de 16 banques européennes pour faire émerger une solution de paiement paneuropéenne unifiée (lire notre dossier sur les enjeux et la création d’EPI). “Il faut que les banques aient un moyen de facturer les nouveaux services, pour lesquels elles doivent investir, comme le virement instantané IP, le Request to Pay… , insiste Fabrice Denèle, qui est membre du Steering Committee d’EPI pour le groupe BPCE. Je ne crois pas que l’on puisse déployer l’IP et le RTP dans le commerce sans scheme pour standardiser l’expérience client et créer la confiance autour d’une marque. L’EPI pourrait développer des outils Request to Pay sous sa propre marque et rassembler toutes les banques teneurs de comptes avec les PSP qui travaillent avec les commerçants, à l’autre bout de la chaîne”. Narinda You confirme : “je ne vois pas un acteur développer le RTP seul, sans la force de frappe d’EPI. il faut des moyens mutualisés et une masse critique suffisante.” En parallèle, pour Pierre Lahbabi, les clients finaux pourront tout de même être facturés pour le RTP, sous certaines modalités. Et si ce sont plutôt les entreprises qui feront la demande de paiement (commerçants, fournisseurs de services…) qui seront facturés en premier lieu, les particuliers payeurs pourront aussi l’être via la création de services à valeur ajoutée, “par exemple pour la possibilité de payer plus tard ou en plusieurs fois, d’associer du crédit…” L’étude consommateur réalisée par Galitt révèle en effet que 51 % des sondés sont prêts à utiliser le RTP pour payer une facture en plusieurs fois. Les banques en phase de réflexion En attendant la publication du standard, les banques ont déjà entamé les réflexions autour du RTP. “D’abord, chez Transactis, la joint-venture avec Société Générale qui gère les paiements du groupe, nous avons défini les cas d’usage puis sur nous avons travaillé sur un lotissement des briques techniques, révèle Régis Folbaum. Pour les cas d’usage pertinents pour nous et nos clients, il peut y avoir des solutions différentes en fonction des établissements bancaires, de la typologie de clients… En premier lieu, le règlement de factures pour les ETI et professionnels mais, à titre d’exemple, l’utilisation du RTP peut aussi intéresser CNP Assurances, dont La Banque Postale est actionnaire majoritaire, pour imaginer des nouvelles formes de parcours clients pour payer la prime d’assurance”. Chez BPCE aussi, “nous sommes en phase de brainstorming concernant les cas d’usage, le front, l’expérience client, le back et le business model…, énumère Fabrice Denèle. Nous nous demandons comment cela pourra être déployé en termes d’infrastructure, à quoi ressembleront les interfaces…”. Selon le responsable, les premiers cas concrets apparaîtront en 2021. Banques, PSP et acteurs agréés DSP2 devront se saisir du RTP Deux types de prestataires de services seront concernés : ceux qui se positionnent côté porteurs de cartes (les banques, les wallets), et ceux qui se positionnent côté commerçants (la banque acquéreur, le fournisseur du service d’acceptation, l’établissement de paiement…). Sont aussi concernés les acteurs travaillant sur le paiement de factures, comme GoCardless et SlimPay sur le prélèvement automatique. “Ils auront intérêt à développer une solution de Request to Pay pour la proposer à leurs clients”, explique Pierre Lahbabi. Les banques vont développer des interfaces back-end pour recevoir les flux en RTP et transmettre la validation ou non via le message standardisé. “Ce ne sont pas des projets énormes en termes d’impact car le virement instantané est déjà en place”, explique Pierre Lahbabi. Mais à elles également d’élaborer des interfaces front pour divers cas d’usage, ce qui nécessitera davantage de développements. Et elles ne seront pas les seules à le faire : les TPPs agréés PIS dans le cadre de la DSP2, comme Bankin’ ou Linxo ou bien les clients qui font appel à leurs services, pourront proposer le Request to Pay (accéder à la liste des sociétés agréées DSP2 de mind Fintech). Le Request to Pay ne rencontre pas le succès outre-Manche Des fonctionnalités de Request To Pay ont déjà vu le jour avec succès à l’étranger. Dans un post de blog au sujet du RTP, Deloitte évoque ainsi Bharat Pay, lancé en Inde au sein d’UPI (Unified Payment Interface), partagé par 60 banques et dernier né d’une série d’innovations dans le paiement ; le service de facturation électronique BPAY en Australie et enfin le service eBill, adopté en Suisse par plus de 90 institutions financières et 1200 émetteurs de factures chaque mois. “Toutefois, notent Vincent Maissin, manager FSI et Anne Vinot, consultante FSI, les auteurs du post de blog, le Request To Pay se déploie encore avec difficulté dans certains pays, en témoigne l’étude du cas du Royaume-Uni. (…) Le déploiement du service est freiné par 3 facteurs : la difficile adoption par les utilisateurs, due à une expérience utilisateur limitée sur le mobile et au manque de fluidité de l’authentification à 2 facteurs imposée par le régulateur, le très fort ancrage du prélèvement automatique dans les habitudes des consommateurs, à l’heure où il représente encore 72 % des paiements récurrents au Royaume-Uni, et surtout la concurrence d’autres moyens de paiements, ancrés chez les marchands, à l’instar des cartes Visa et Mastercard plus rentables pour les banques.” Aude Fredouelle DSP2instant paymentpaiement en lignepaiement en magasinpaiement entre particuliersrégulation Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Confidentiel [Info mind Fintech] EPI crée une société provisoire dotée de 25 millions d’euros