Accueil > Assurance > Gestion des contrats et des sinistres : comment les assureurs rénovent leurs systèmes Gestion des contrats et des sinistres : comment les assureurs rénovent leurs systèmes Les assureurs s’engagent progressivement dans un processus de rénovation de leurs systèmes de gestion de contrats. Enjeux : gagner en agilité et en capacité de lancement de nouveaux produits et améliorer les parcours en ligne. En recourant à des progiciels, externaliser le poids de la mise en conformité. Par Aude Fredouelle. Publié le 26 mars 2019 à 15h10 - Mis à jour le 06 avril 2023 à 15h03 Ressources Comme les systèmes de core banking des banques, les systèmes de gestion de contrats et sinistres (“Policy Administration System”) des assureurs sont en pleine rénovation. Leur périmètre s’est agrandi au fil des années pour couvrir divers modules et fonctionnalités : “la gestion des contrats, les facturations et appels à cotisation, la tarification et la souscription, la sélection du risque, la gestion des sinistres, la réassurance, la création des documents de type conditions particulières liées aux contrats….”, égrène Thierry Loras, en charge du secteur assurances au sein de l’entité Financial Services chez Capgemini. “Ces modules ont souvent été développés de manière spécifique, sur des mainframe [ordinateur central, ndlr] dans un premier temps puis, dans les années 1990, sur des systèmes ouverts comme des systèmes Windows, mais développés en interne.” Depuis quelques années pourtant, les assureurs s’ouvrent à des acteurs externes, éditeurs de progiciels, qui leurs proposent des solutions packagées couvrant tout ou partie des modules. D’une part, pour des raisons réglementaires : “en santé, notamment, les évolutions réglementaires et la recomposition du marché liée à des fusions et rapprochements entre mutuelles a poussé certains acteurs à se doter d’un système à l’état de l’art sur le marché”, raconte Thierry Loras. D’autre part, pour des raisons technologiques. “Les assureurs ont réussi à faire communiquer des systèmes digitaux avec leurs anciens systèmes mais ils ont des difficultés pour lancer fréquemment des produits et services innovants et pour les gérer sous le format digital, pas seulement les vendre en ligne”, décrit Béatrice Honnoré. Partner chez Deloitte depuis janvier, elle est passée par Gras Savoye, Generali, Harmonie Mutuelle et a été directrice générale d’ITN, éditeur du progiciel Cleva, de 2015 à 2019. Les progiciels sont vus comme un moyen “de lancer de nouvelles gammes de produits à moindre coût, plus facilement et plus rapidement qu’en s’appuyant sur les anciens systèmes”, indique Ekine Akuiyibo, directeur du développement de Socotra, progiciel américain lancé en 2014. Ils permettent aussi d’offrir un parcours en ligne sans coutures sans avoir à investir massivement pour rénover les anciens systèmes. “Le système de gestion des contrats a longtemps été vu comme un centre de coût mais les assureurs commencent à le voir davantage comme un outil technologique”, ajoute Ekine Akuiyibo. Par ailleurs, “choisir une solution packagée permet de mutualiser les investissements avec ses autres clients, puisque certains acteurs internationaux réinvestissement massivement le fruit de leur chiffre d’affaires en R&D”, ajoute Thierry Loras, de Capgemini. Rodolphe Henry, fondateur de l’éditeur français Coopengo, confirme : “nous créons une communauté qui finance l’amélioration du logiciel. Certains clients ont financé des modules ensuite utilisés et enrichis par d’autres.” Le marché des progiciels est segmenté selon les branches de l’assurance (dommages, assurance vie, santé ou prévoyance) mais aussi selon la géographie – des acteurs internationaux s’opposent à des pure-players couvrant un ou deux pays. “Plus la branche est réglementée, comme dans l’assurance vie, moins les acteurs sont internationaux et plus le marché est segmenté”, commente Thierry Loras. Nouveau produit ou remplacement Les progiciels peuvent être déployés de deux manières. En suivant une stratégie verticale, d’abord, via une solution complète couvrant la gestion des contrats, la facturation et la gestion de sinistres, pour lancer une nouvelle gamme de produits ou pénétrer un nouveau segment de marché. Dans des contextes de remplacement des anciens systèmes, ensuite. Il s’agit dans ce cas de projets lourds menés par étapes avec livraisons successives, pour réduire la durée des projets et le niveau de risque et minimiser la perturbation en interne. “Ce sont des projets stratégiques, que l’on conduit graduellement, soit avec une logique horizontale, en commençant par exemple par la gestion des sinistres ou des prestations avant de remonter sur la gestion de contrats ou la souscription ; ou bien avec une logique de segments de marchés”, confirme Thierry Loras. Par exemple, en novembre 2016, Covéa Affinity, entité de Covéa dédiée aux assurances affinitaires du monde automobile, annonçait sélectionner l’éditeur Wyde dans le cadre de la stratégie de refonte de son système de gestion des pannes mécaniques. Le cloud devient indispensable “Il y a deux ans, la discussion du cloud occupait 50% de nos discussions avec les assureurs traditionnels”, se rappelle Ekine Akuiyibo, de la solution américaine Socotra, qui ne propose pas de déploiement on-premise. Aujourd’hui, ils nous demandent simplement quel hébergeur nous utilisons.” De ce côté de l’Atlantique, l’évolution est la même : “le déploiement cloud est plus commun aux Etats-Unis mais nos clients européens commencent aussi à l’envisager”, commente ainsi Keith Stonell, directeur général EMEA chez Guidewire, progiciel américain. Thierry Loras, qui accompagne avec Capgemini des clients assureurs sur des appels d’offre pour choisir un progiciel, abonde. “Les clients souhaitent une solution qui donne le choix du SaaS, par exemple pour lancer une nouvelle gamme de produits à faible volume et montants et dont le risque est faible.” Cependant, “s’il s’agit de remplacer le système coeur de gestion, qui supporte des milliers ou millions de police, les acteurs prendront beaucoup plus de précautions et envisageront souvent une stratégie sur leur propre cloud privé plutôt qu’une stratégie cloud native. Cela dépend du niveau de maturité du client en termes d’infrastructure et de qualité de service.” Pour les acteurs de tier 1, qui ont tous du progiciel sur certains périmètres, notamment suite à des fusions et rachats, la question du cloud public ne se pose pas : ils achètent la licence on-premise et mélangent leur vieux systèmes aux nouvelles solutions. Sur le mid-market, par contre, où les DSI sont moins dimensionnées, le SaaS est plus répandu, selon Béatrice Honnoré, de Deloitte : “les déploiements on-premise et cloud sont assez équilibrés. On constate une accélération du mid market, mutuelles ou courtiers vers des modèles SaaS.” L’intégration pèse lourd Selon Thierry Loras, “de nombreux clients sous-estiment la charge de travail liée à l’intégration, qui pèse souvent plus de 30% de la charge de travail totale du projet car il est nécessaire de s’interfacer avec de nombreux systèmes satellites. La tendance va vers l’enrichissement du catalogue d’APIs Restful en standard par les assureurs mais il y a beaucoup d’interfaces à gérer – il faut se connecter en temps réel avec des comparateurs, sites web, partenaires, outils de signatures électroniques, de paiement en ligne…. Cela ne dépend pas que du progiciel et cela demande que l’assureur ait une architecture avec une plateforme API capable de gérer toutes ces connexions.” Les éditeurs évoquent des durées de projets de trois mois (pour le lancement d’un nouveau produit) à deux ou trois ans (pour un projet stratégique de remplacement des anciens systèmes). Les coûts peuvent donc varier drastiquement, selon le périmètre et la branche, “de moins de deux millions d’euros à plusieurs dizaines de millions d’euros pour des gros projets”, indique Thierry Loras, de Capgemini. Les acteurs doivent ensuite s’acquitter d’une licence annuelle et les contrats sont généralement signés pour cinq ans. Progiciels historiques vs nouveaux acteurs Certains éditeurs ont commencé à s’imposer dans l’Hexagone, depuis quelques années : sur l’IARD, l’américain Guidewire (huit clients, dont AXA et Natixis), ITN Cleva (Gfi) sur la gestion des contrats (qui compte la Banque Postale Assurance et Natixis parmi ses clients) ou encore Prima (davantage mid-market que tier 1). En vie (épargne, prévoyance), DXC Technology (GraphTalk A.I.A), Cegedim (solution ACTIV’Infinite), Vermeg (avec Solife)… Une nouvelle vague de progiciels est aussi en train d’émerger, comme sur le marché des solutions de core banking. Les nouveaux acteurs se positionnent pour l’instant plutôt sur l’IARD (moins réglementé) avec des solutions plus légères, en SaaS, qui intègrent des parcours digitaux de manière native alors que les traditionnels ont complété leurs offres avec des briques ou produits supplémentaires pour les parcours en ligne. Parmi ces nouveaux entrants : le britannique Kasko et les américains Sunlight Enterprise ou Socotra. Ce dernier a publié la documentation des APIs pour sa solution cloud sur son site, afin de permettre une intégration rapide. “Notre solution est tournée avant tout vers les développeurs, comme peut le faire Adyen sur le créneau du paiement par exemple”, décrit Ekine Akuiyibo. En France, la start-up Okayo s’est lancée en 2014 et met en avant “le niveau de paramétrabilité très fort” de sa solution, qui peut évoluer “sans avoir besoin de livrer une nouvelle version du produit” et “sans faire appel à des “purs informaticiens”, décrit Bruno Messali, directeur produit et développement. Les experts métiers sont formés à la solution et paramètrent eux-mêmes le produit. Un autre français, Coopengo, s’est de son côté lancé sur la prévoyance et l’assurance emprunteur en utilisant des technologies open-source. Mais les plus gros assureurs sont encore peu nombreux à faire confiance à ces nouveaux acteurs. “Ils craignent de choisir une petite structure car avec Solvabilité 2, cela entre dans l’analyse de risque de l’assureur, indique Béatrice Honnoré, de Deloitte. Confier une activité majeure à une société dont on a pas une très grande confiance dans la pérennité est un risque de perte d’activité.” Il y a quelques années, hésitant entre l’éditeur Zags, créé par Olivier Jaillon (PDG de La Parisienne Assurances), et ITN, Groupama avait par exemple finalement tranché pour le progiciel plus traditionnel… dont la solution date de 1985 (une refonte, d’un budget de 20 millions d’euros, est cependant en cours). IA, RPA…… Lors des appels d’offres, plusieurs critères entrent en compte dans le choix des assureurs. La part des bénéfices réinvestie en R&D tous les ans dans le produit, notamment, mais aussi la capacité à se connecter à des outils externes de RPA, à intégrer des techniques d’intelligence artificielle sur des modèles prédictifs… Les éditeurs agrègent au fur et à mesure les nouvelles technologies dans les suites applicatives et certains cabinets de conseil, dont Capgemini, interviennent également pour compléter les déploiements de progiciels par des outils de RPA, d’IA ou encore le développement de parcours digitaux. “Les assureurs ont désormais besoin de systèmes de plus en plus flexibles, entièrement digitaux, capables d’embarquer de l’intelligence artificielle et de personnaliser l’expérience pour chaque client”, commente Laurent Fontaine, directeur du développement chez Guidewire. Pour se renforcer sur ces sujets, l’éditeur a racheté plusieurs start-up, dont Cyence, fin 2017, spécialisée dans l’analyse de risque. Guidewire propose aussi à des partenaires spécialisés (détection de la fraude, télématique, signature électronique…) de se connecter à sa plateforme. “En dehors des aspects de couverture fonctionnelle et d’architecture, d’autres critères doivent être considérés pour choisir un progiciel, résume Béatrice Honnoré, de Deloitte. Premièrement, la visibilité à 3 ans de la R&D de l’éditeur. Ensuite, la question de la gouvernance du club utilisateur : existe-t-il, comment est-il géré, quel est son poids dans la prise de décision de l’éditeur… [Coopengo, par exemple, a créé un club utilisateur pour échanger sur le logiciel, ndlr]. Enfin, il faut s’intéresser aux démarches UX, à la capacité à réaliser des livraisons souvent et à fonctionner avec des modèles agiles, aux outils développés pour faciliter les montées de version…” Etat des lieux Actuellement, “les plus grands assureurs français ont encore majoritairement des développements spécifiques à base de mainframe mais la vague de plateformisation (adoption de solutions applicatives métier) progresse avec leur transformation digitale”, décrit Thierry Loras, de Capgemini. Chez Generali, par exemple, seule la prévoyance ainsi que quelques briques spécifiques (la gestion des rentes et la gestion dédiée pour l’épargne, le calcul des commissions et rétrocessions pour les distributeurs sur la gestion d’actifs) sont basés sur des progiciels, mais tout le reste est développé en interne. Le concurrent principal des progiciels lors des appels d’offres des assureurs reste bel et bien le développement interne. “C’est le choix qui est fait dans au moins 60% des cas”, assure Béatrice Honnoré. Notamment parce que les DSI des assureurs comptent encore de larges équipes de spécialistes du legacy. Si une partie peut potentiellement être formée aux nouvelles solutions et outils, recourir à un progiciel peut poser question de l’allocation des développeurs restants. Enfin, certains produits d’assurance complexes et sur-mesure comme l’assurance pour les entreprises ou l’épargne patrimoniale, par exemple, rendent compliqué le déploiement d’un progiciel. “Sur ces activités, le taux de progiciels de gestion de contrats installés reste encore faible”, indique la partner de Deloitte. Ceci étant, les consultants s’accordent pour décrire une dynamique vers le progiciel en IARD et en santé. Béatrice Honnoré décrit ainsi : “en santé et prévoyance, avec l’ANI [l’accord national prévoyant la généralisation de la couverture complémentaire santé à tous les salariés, ndlr], nous observons depuis 2015 un élan vers le progiciel d’assurance de personnes, sur la gestion de contrats mais aussi les prestations, qui peuvent facilement être déléguées.” Les assureurs estiment que la différenciation reposera dans la conception des produits et des contrats, et non sur leur gestion. Groupama a par exemple choisi avec la solution Cleva, d’ITN. CNP Assurances est passé sur I.C.O.D, de Prima, en 2016 pour la prévention individuelle. En IARD, où “les marges sur les contrats sont moins importantes donc la question d’une refonte complète du SI est moins évidente”, selon Béatrice Honnoré, plusieurs gros acteurs ont aussi franchi le pas : dès 2011, AXA France annonçait l’intégration de Guidewire pour la gestion de sinistres. Et Natixis Assurances a adopté la même stratégie en janvier 2018. Pour consulter le tableau, cliquez sur l’image (PDF) Aude Fredouelle Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Entretien Rodolphe Henry (Coopengo) : "Notre logiciel est basé sur un ERP open-source" Entretien Nick Sühr : "Avec Kasko, un assureur peut lancer un produit en 2 à 4 semaines”