Le bien-être mental préoccupe les nouveaux acteurs de l’assurance santé

La pandémie de Covid-19, accompagnée de ses confinements successifs, a jeté une lumière crue sur le sujet de la santé mentale, notamment au sein du monde professionnel. Alors que se déroulent du 9 au 22 octobre les semaines d’information sur la santé mentale, il reste un long chemin à parcourir pour une meilleure prise en compte de cette problématique. 

Selon l’enquête CoviPrev menée par Santé publique France, la situation reste toujours dégradée en 2023, en particulier chez les jeunes adultes. Ces derniers témoignent en outre d’une certaine impuissance face à cette question. “En 2022, 35 % des 18-24 ans avaient l’impression de ne pas prendre soin de leur santé mentale ou de leur bien-être. Parmi ces jeunes, 32 % déclaraient ne pas savoir comment faire, 29 % indiquaient ne pas avoir le temps et 25 % ne s’en sentaient pas capables”. 

Des freins à l’usage

Parmi les principaux obstacles à l’action figurent le coût de la prise en charge, la difficulté à se confier et le fait de ne pas savoir à qui s’adresser. Et plus fondamentalement, une stigmatisation, réelle ou perçue, perdure. Parmi les personnes souffrant d’un état anxieux ou dépressif, près d’une sur cinq considère qu’il est honteux d’aller voir un psychologue ou de parler de ses problèmes psychologiques à son médecin. 

Face à ces freins, l’État a mis en place certaines mesures. C’est notamment le cas de “Mon soutien psy” (initialement dénommé “Mon psy”, puis “Mon parcours psy”) , un dispositif du ministère de la Santé qui organise un parcours de soin pris en charge par l’Assurance Maladie (à 60 %) et les complémentaires santé (à 40 %). Jusqu’à 8 séances par an chez un psychologue partenaire peuvent être remboursées. 

Lancée en avril 2022, l’initiative n’a pas remporté un franc succès. 93 % des professionnels libéraux conventionnés s’en détournent, notamment en raison d’un tarif de consultation jugé très faible (40 euros pour la séance d’évaluation, puis 30 euros pour les suivantes). Résultat : 0,13 % seulement de la population serait prise en charge. En juin 2023, 161 000 patients distincts avaient bénéficié de quelque 760 000 séances. “Contrairement à ce que j’ai pu lire ici ou là, les chiffres ne sont donc pas du tout en demi-teinte”, assurait pourtant à AEF info la directrice déléguée de la Cnam, Marguerite Cazeneuve. 

Les insurtech en première ligne

En parallèle de ce dispositif public, les complémentaires santé ont aussi formalisé un socle minimal pour la prise en charge des consultations de psychologues. Depuis mars 2021, la Mutualité Française et deux autres fédérations de complémentaires santé remboursent au moins quatre séances chez le psychologue par an, dans la limite de 60 euros par consultation. Les conditions sont moins strictes que dans le cadre de “Mon soutien psy” puisque l’adressage par un médecin n’est pas nécessaire, même s’il est recommandé.

Si de nombreuses applications spécialisées ont vu le jour et visent spécifiquement les ressources humaines, les insurtech en santé collective se tiennent aussi en première ligne sur ce sujet du bien-être et de la santé mentale. Certaines complémentaires santé en font un même cheval de bataille et le perçoivent comme un levier d’amélioration de la satisfaction client. C’est le cas d’Alan, qui a lancé en septembre 2021 un service dédié au bien-être mental des collaborateurs en entreprise. Baptisé Alan Mind, il s’est appuyé sur l’acquisition, pour un montant de 20 millions de dollars, de la start-up de thérapie digitale Jour. 

Meilleur investissement RH

Associant des contenus pédagogiques, des outils basés sur des techniques fondées sur les thérapies comportementales et cognitives (TCC) et la mise en relation avec des psychologues, l’approche se veut holistique et proactive. En outre, elle se met aussi au service des entreprises en apportant aux équipes de ressources humaines des reportings anonymes et des suivis réguliers. Objectif : répondre à des situations d’urgence, mais aussi accompagner les salariés dans la durée. Si Alan Mind a été lancé en tant que service optionnel et vendu séparément, l’assureur en ligne, qui couvre 435 000 personnes en France, Belgique et Espagne, a décidé fin 2022 de l’intégrer à l’ensemble de ses offres d’assurance. 

“Selon notre dernier baromètre [sur le bien-être mental au travail et les aspirations des salariés et managers, Ndlr], 88 % des salariés considèrent que leur entreprise est responsable de leur bien-être mental. Cette décision d’inclure ce service dans toutes nos offres a donc été une évidence afin d’avoir un impact beaucoup plus rapide, souligne Fabrice Staad, general manager d’Alan en France. Nous voulons nous présenter auprès des entreprises comme leur meilleur investissement RH en quelque sorte, car nous pouvons les accompagner pour renforcer concrètement l’engagement des collaborateurs, agir sur les causes de l’absentéisme et diminuer la charge administrative des équipes RH pour leur permettre de se concentrer sur leur cœur de métier”. L’assureur permet ainsi aux entreprises de plus de 50 salariés d’établir un diagnostic autour des risques psychosociaux, de construire un plan de prévention individualisé, puis de mettre en œuvre un certain nombre d’actions.

À la fin du mois d’août 2023, Alan avait fait migrer la totalité de ses clients vers son offre de partenaire santé tout-en-un, en avance sur son objectif initial de décembre 2023. De ce fait, les inscriptions sur l’application Alan Mind ont été stoppées et tous les contenus accessibles aux membres (thérapies, masterclasses, programmes) ont été publiés dans l’application Alan. A l’occasion de la présentation des résultats du deuxième trimestre 2023, le CEO Jean-Charles Samuelian-Werve se félicitait de cette transition : “68 % des grands comptes ont réagi positivement ou très positivement à notre présentation et ont reconnu le besoin d’un soutien accru en matière de santé et plus particulièrement de bien-être mental”. 

Par ailleurs, au-delà même des garanties d’assurance (les 8 séances prises en charge dans le cadre du dispositif “Mon soutien psy”, ainsi que des séances, non prises en charge par la sécurité sociale, dans le cadre du forfait médecines douces), Alan offre 2 séances vidéo avec l’un des psychologues de sa clinique, présentée comme “une porte d’entrée dans le système de soins et un partenaire santé sur le long terme”.

Benefiz, une plateforme d’avantages sociaux pour les salariés, voit aussi dans le traitement du bien-être mental un axe d’importance. La start-up comprend dans son offre globale (titres restaurant, épargne salariale, prévoyance, cagnotte…) une mutuelle 100 % digitale, en partenariat avec des assureurs tels que Swiss Life et Aesio. Elle s’est récemment associée à Livi (dans le giron du groupe suédois Kry) pour proposer une offre de téléconsultation en santé mentale (psychologie et psychiatrie) depuis le mois de septembre 2023. 

L’enjeu de l’absentéisme

Un élargissement du service de téléconsultation lancé en mai 2023 qui a déjà bénéficié à 7 000 adhérents, avec un objectif de 20 000 utilisateurs d’ici la fin de l’année. “C’est une demande récurrente chez Benefiz où la population des adhérents est relativement jeune et appétente à la technologie”, explique Corentin Sannié, responsable du marketing et du développement chez Benefiz. Parmi ses références, Benefiz recense des acteurs comme Lydia, Lucca ou encore Sport Heroes. Comme chez Alan, l’accent est mis sur la prévention via du contenu sous forme de vidéos, d’articles et de podcasts qui abordent des problématiques liées à la santé mentale. 

“Si toutes les complémentaires santé ont pris conscience de cet enjeu, toutes ne sont pas passées à l’acte et il y a encore peu d’offres holistiques sur la prise en charge des assurés autour de la santé mentale”, pointe Félix Motosso, directeur du marché français chez Livi. Le responsable souligne pourtant un effet tangible sur l’absentéisme, alors que ce phénomène enfle. Selon le baromètre Absentéisme 2023 de Malakoff Humanis, les troubles psychologiques constituent le premier motif des arrêts longs, c’est-à-dire de plus de trente jours (31 % en 2023 contre 14 % en 2020). Les salariés interrogés dans le cadre de cette enquête soulignent que ces troubles trouvent principalement leur source dans l’environnement de travail et les pratiques managériales.