Accueil > Services bancaires > Banque au quotidien > Guillaume Sarthoulet : “L’optimisation de factures et le changement de compte bancaire représentent 40 % du chiffre d’affaires de Bankin’” Guillaume Sarthoulet : “L’optimisation de factures et le changement de compte bancaire représentent 40 % du chiffre d’affaires de Bankin’” L’application de gestion de budget Bankin’, lancée en 2011, a connu un tournant en mars 2022 lors de la scission avec Bridge, qui opère l’activité BtoB d’open banking. Le groupe Casino a ainsi racheté la totalité de l’activité de Bankin’, tandis que Truffle Capital et le groupe BPCE sont entrés au capital de Bridge. Guillaume Sarthoulet, directeur général, analyse les conséquences de ce mouvement et dévoile les ambitions de Bankin’. Par Aude Fredouelle. Publié le 15 janvier 2025 à 17h45 - Mis à jour le 27 janvier 2025 à 17h51 Ressources Combien d’utilisateurs comptez-vous ? Bankin’ est uniquement disponible sur les stores français [notée 4,2 sur 5 sur Android et 4,7 sur iOS, Ndlr], même si l’application permet aussi d’agréger des comptes de banques espagnoles, anglaises, allemandes, italiennes… Nous avons dépassé les 10 millions de téléchargements de l’application, et plus d’un million de comptes y sont connectés par les utilisateurs. Chaque jour, nous recensons plusieurs centaines de milliers de visites. En termes de base d’utilisateurs, nous avons atteint une certaine stabilité depuis trois ans. En revanche, nous enregistrons une croissance significative en termes de revenus. Nous dépensons au grand maximum 10 euros (et souvent moins) pour recruter un utilisateur avec un compte synchronisé, ce qui nous permet de rentabiliser nos utilisateurs en moins de deux mois. Notre principal canal d’acquisition est le bouche-à-oreille. Nous faisons aussi un peu de parrainage, ainsi que des campagnes sur les réseaux sociaux. Nous avons même un studio interne pour la création de vidéos, et nous misons sur des “shorts” tournés en interne par des comédiens pour promouvoir divers services de l’application (épargne, crédit, gestion de budget, gestion de factures, cashback…). Nous externalisons également certains contenus auprès de prestataires externes. Pensez-vous atteindre un plafond en France ? Non, et c’est l’un des objectifs de notre stratégie de diversification : attirer de plus en plus d’utilisateurs – nous visons tous les Français qui possèdent un smartphone et ont une banque. Nous avons progressivement construit et intégré des briques additionnelles à la gestion de budget. Nous proposons aujourd’hui cinq produits basés sur le socle de la donnée bancaire : la gestion de budget, l’optimisation de factures, le cashback, et enfin le crédit et l’épargne. En interne, nous avons des équipes “squads” dédiées à chacun des services, pour travailler dans une logique de super-app. En 2024, nous avons aussi amélioré la phase d’onboarding pour que les utilisateurs synchronisent plus facilement leur compte, ce qui nous a permis de baisser de 20 % le coût d’acquisition et d’être de nouveau en conquête. Nous allons dépenser davantage en 2025 et, couplé avec la baisse du coût d’acquisition, cela nous permettra d’acquérir davantage d’utilisateurs, avec une potentielle accélération en 2026 et 2027 puisque 2025 sera une année charnière pour absorber les développements. Comment fonctionne votre service d’optimisation des factures et comment en tirez-vous des revenus ? Entre 2019 et 2021, nous opérions cette activité en direct avec une cellule d’une quinzaine de coachs qui aidaient nos utilisateurs à économiser. Nous avons arrêté en 2021 pour des raisons de modèle économique : cela n’était plus rentable à cause de la crise sur le marché de l’énergie, qui générait jusque-là 50 % du chiffre d’affaires de cette business unit. Nous avons alors noué un partenariat d’affiliation avec Papernest, entre 2022 et 2024. Puis depuis 2024, nous avons mis en place un nouveau partenariat beaucoup plus intégré, avec une équipe de coachs externalisés auprès de ce partenaire – ils sont une dizaine aujourd’hui. Concrètement, l’utilisateur peut visualiser dans l’application si certains contrats sont labellisés comme “non optimisés”. Si c’est le cas, il peut suivre une logique “en silo” et suivre un parcours en ligne pour changer un contrat donné (et si besoin, échanger avec un coach par téléphone). Comment papernest optimise la gestion des abonnements grâce à l’open banking Sinon, il peut réaliser un bilan complet de toutes ses factures par téléphone avec un coach Bankin’. Ce coach va ensuite se charger de toutes les démarches, qu’il s’agisse de changer de contrat de fourniture d’énergie ou d’assurance emprunteur… Deux tiers des parcours sont initiés en self-service, mais la conversion est meilleure avec les appels téléphoniques. Dans la plupart des cas, l’utilisateur est de toute façon rappelé pour finaliser la souscription. Depuis 2024, le secteur de l’énergie repart puisque nous permettons de réaliser des économies très importantes en changeant de fournisseur, et cela représente une bonne moitié des revenus issus de ces coachs. Vous proposez à de nombreux utilisateurs de basculer sur une banque en ligne. Quelle part cela représente dans votre chiffre d’affaires ? Le compte bancaire n’est pas compris dans l’activité d’optimisation de factures que je viens de mentionner, car il est distribué uniquement en ligne, pas par téléphone. C’est une part importante de notre modèle économique puisque nos utilisateurs sont encore très majoritairement clients de banques traditionnelles et qu’il est très simple d’ouvrir un compte dans une banque en ligne depuis Bankin’. Pour donner un ordre de grandeur, l’équipement bancaire représente environ un cinquième de notre chiffre d’affaires. L’optimisation des factures (énergie, assurance, box internet, assurance emprunteur, renégociation de crédits…), un autre cinquième. Ensuite, un cinquième est lié à nos revenus de crédit, proposé via Floa, Cetelem et des comparateurs, qui fonctionne très bien. Un autre cinquième est lié au cashback, et le dernier cinquième, historique, est associé à la gestion de budget et aux fonctionnalités premium. Comment choisissez-vous quelle banque proposer ? Nous interrogeons notre base d’utilisateurs, qui peuvent noter leurs fournisseurs sur l’application, et nous observons aussi les frais bancaires payés dans chaque banque en analysant les données agrégées. Ensuite, nous contactons les banques qui arrivent en tête de ces deux critères pour leur proposer d’entrer en relation commerciale avec eux. Nous travaillons avec des acteurs, comme Fortuneo, mais aussi avec des comparateurs, comme Panorabanques, qui peuvent nous faire de l’apport d’affaires indirect – de même d’ailleurs pour l’assurance emprunteur, avec Meilleurtaux. La banque que nous proposons à un client donné peut varier en fonction des relations commerciales et des offres marketing en cours. L’optimisation de factures et le changement de banques représentent une partie importante de votre chiffre d’affaires. Comment gérez-vous le fait que ces deux produits présentent une faible récurrence ? Il y a en effet une vraie question de “repeat” autour de notre modèle. Nous devons construire une expérience qui permet d’aligner notre modèle de revenu avec la Lifespan [la durée de vie du client sur l’application, Ndlr] afin de maximiser la LTV [lifetime value, estimation du revenu moyen qu’un client générera au cours de la période où il utilisera un produit ou un service donné, Ndlr] sur le long terme. Une partie de nos actions sont très ponctuelles, et ne peuvent être réalisées qu’une fois par client. Et en parallèle, une partie de notre modèle ne repose pas sur des actions ponctuelles et présente au contraire un modèle de récurrence, comme le cashback ou le crédit renouvelable. De nouveaux besoins se créent chez les clients au cours de leur vie, par exemple lorsque les étudiants deviennent jeunes actifs et prennent un crédit. Nous ne sommes pas une application avec un très fort MRR [revenu mensuel récurrent, Ndlr] et nous avons en effet un sujet autour du “repeat” mais notre modèle économique ne doit pas être construit en opposition avec l’expérience utilisateur. Si un utilisateur nous rejoint pour deux mois, économise sur quelques produits puis cesse d’utiliser Bankin’, cela nous convient. Mais bien sûr, nous augmentons nos revenus lorsque les utilisateurs restent plus longtemps et reviennent pour d’autres services. Nous avons tout intérêt à poursuivre la construction d’un cercle vertueux avec nos partenaires pour améliorer la “lifespan” de nos utilisateurs. Vous avez mentionné l’activité de crédit. Que proposez-vous à vos utilisateurs ? Depuis un an, le service est orienté autour du crédit renouvelable, avec une réserve de 3 000 euros visible sur l’application Bankin’ et utilisable en plusieurs fois. Les données bancaires sont utilisées pour le scoring. Nous enregistrons une croissance très forte sur cette verticale. Aujourd’hui, près d’un tiers des utilisateurs de Bankin’ viennent sur une promesse de crédit et un autre tiers seulement nous rejoignent pour des sujets d’agrégation ou de gestion de budget. Cette seule fonctionnalité ne suffirait de toute façon pas à maintenir la base d’utilisateurs car, depuis 2018, les banques ont intégré des services similaires à leurs applications, même si nous espérons avoir un bien meilleur niveau qu’elles sur la catégorisation, l’alerting ou la construction de budget. Applis mobiles bancaires : les challengers perdent progressivement leur avance Qui sont vos partenaires pour le cashback ? Nous avions initialement pour objectif de nouer des accords en direct avec des commerçants, ce qui est le cas aujourd’hui avec toutes les marques du groupe Casino. Pour le reste, nous passons par Plebicom et Paylead. Que devient Bankin’ Pro ? Cette offre destinée aux petits professionnels et indépendants n’a pas évolué depuis quatre ans et elle est encore marginale au sein de notre activité. Lorsqu’un utilisateur connecte son compte bancaire personnel, s’il souhaite également agréger son compte professionnel, il peut souscrire à cette offre. Nous aurons des réflexions sur le sujet en 2025 et 2026 : comment adresser cette population sachant que le marché a beaucoup évolué ces dernières années ? Est-ce un segment que nous voulons viser et devons-nous y investir ? Vous proposez aussi une offre premium, Bankin’ Plus. Quelle part de vos utilisateurs y souscrivent ? Cela représente un cinquième de nos utilisateurs et 10 % des utilisateurs actifs. Bankin’ est un produit freemium, très majoritairement gratuit, donc c’est une proportion qui nous convient. Bankin’ Plus donne accès à des services supplémentaires, comme l’ajout des comptes d’épargne, le cashback boosté ou la création de catégorie de dépenses personnalisées. D’ailleurs, pour l’open banking, nous ne passons plus seulement par Bridge, mais aussi par Powens, pour la “long tail” de connecteurs autour de l’épargne (Mon petit placement, Trade Republic…). L’une des raisons de la scission en 2022 était que nos roadmaps n’étaient parfois pas totalement compatibles. Nous sommes toujours très satisfaits du service de Bridge, mais notre application est tellement liée à la partie open banking que nous ne pouvons être connecté qu’à un seul acteur. Nous devons être agnostiques sur ce sujet car nous devons limiter les dépendances aux potentiels changements stratégiques de nos partenaires. Quelles synergies ont été mises en place avec le groupe Casino ? Nous sommes alignés en termes de vision et nous atteignons nos objectifs. Les synergies évidentes autour du cashback ont été mises en place, même si ce n’est pas allé aussi loin que ce que l’on voulait puisque le groupe Casino s’est recentré en 2024 sur le commerce de proximité, et a donc cédé ses hyper et supermarchés [à Intermarché, Ndlr], entraînant ainsi la fin de l’application Casino Max. Êtes-vous rentables ? En 2022, nous nous sommes rapprochés du groupe Casino [passé en 2024 sous le giron d’un consortium dirigé par Daniel Kretinsky, Ndlr], et nous avons aussi atteint l’équilibre opérationnel, ce qui était une étape clé pour l’entreprise [la société a enregistré un chiffre d’affaires de 6,31 millions d’euros en 2022 pour une perte nette de 680 000 euros et un chiffre d’affaires de 6,27 millions en 2023 pour une perte nette de 2,04 millions d’euros, Ndlr]. L’équipe compte une quarantaine de collaborateurs. Depuis l’entrée du groupe Casino, nous avons investi et accéléré sur le modèle de diversification avec un modèle de super-app. Nous sommes parvenus à cibler nos persona avec des produits différents. En 2025, nous allons continuer cette approche et consolider l’existant. Ensuite, des questions stratégiques se poseront en 2026 et 2027. Nous pouvons tabler sur une croissance de 20 à 30 %, mais comment atteindre un niveau dix fois supérieur à l’horizon de cinq ans ? Faut-il ouvrir le capital pour réinjecter plus massivement du cash et accélérer la croissance ? Une option pourrait être l’internationalisation, mais cela pourrait également passer par un développement sur le web, ou de vraiment se lancer sur l’épargne. Quels sont vos chantiers court terme sur l’application ? L’un des sujets phares est la personnalisation. Notre objectif est de ne pas avoir la même application pour les étudiants, jeunes actifs, les familles, ceux qui souhaitent une logique patrimoniale… C’est un vrai chantier que nous avons à peine débuté et qui va nous occuper les six prochains mois. Tout le monde n’a pas la même utilisation de Bankin’. Nous voulons proposer des contenus et des fonctionnalités vraiment différents selon le profil. Par exemple, si l’utilisateur n’est pas intéressé par le crédit, ça ne sert à rien de lui en parler et de l’afficher sur son application. Nous allons à la fois nous appuyer sur du déclaratif, sur ce qu’on analyse de la navigation et sur ce que l’on voit des comptes des utilisateurs. Nous avons une dizaine de services différents et nous prioriserons un top 3 que les utilisateurs verront sur leur application. Cela commencera en janvier. Quel bilan tirez-vous de la mise en place de l’open banking depuis la DSP2 ? Aujourd’hui, les principaux acteurs touchés par les dysfonctionnements de l’open banking sont les éditeurs, comme Bankin’, Joko ou Finary. Mais nous ne gérons pas les relations avec les banques. C’est un vrai danger pour nous car nous sommes très loin des négociations DSP3, par exemple. Nous souhaitons voir comment nous, éditeurs, qui sommes directement impactés, pouvons être plus proches du régulateur et des acteurs du marché. Nous avons vécu trois phases : la première, idéale, pré-DSP2. Puis la seconde, lors de la mise en place de la DSP2, avec des problèmes de migration, l’ajout de l’authentification forte qui ne fonctionnait pas bien avec des expériences client farfelues et une destruction de valeur très forte. Depuis la scission avec Bridge, nous vivons une troisième phase. La qualité de service n’est parfois pas aussi optimale que si nous opérions nous-mêmes les connecteurs, mais c’est la tendance de marché. Les concurrents de Bankin’ passent aussi par des tiers. Désormais, on espère mobiliser le marché pour la DSP3 avec une qualité de service améliorée. Pensez-vous que la proposition Fida vous ouvrira de nouvelles perspectives en permettant aux acteurs financiers de proposer des API premium, au-delà du périmètre des comptes de paiement ? Pour l’épargne, cela peut être intéressant. Nous le proposons déjà en partie mais l’expérience client n’est pas toujours satisfaisante. Par exemple, le Crédit Mutuel CIC demande le renouvellement quotidien de tokens pour les comptes de crédit ou d’épargne… Mais plus qu’à Fida et des API payantes, nous croyons à la DSP3 qui couvre une partie des produits d’épargne gratuitement. Nous comprenons que les banques veuillent rentabiliser leurs investissements, mais il faut une vraie logique derrière. Et si l’on paye pour la même expérience que sur l’interface de la banque, ce n’est plus de l’open banking. Que représente aujourd’hui l’initiation de virements sur Bankin’ ? Au début, nous le proposions pour initier des virements internes et éviter à nos utilisateurs d’aller sur leur application bancaire. Nous voulions éviter qu’ils ne rebasculent sur leur banque. Mais aujourd’hui, il manque encore beaucoup de choses au virement DSP2 : il n’y a pas de virements instantanés (alors qu’une partie du marché le fournit), et l’on ne peut initier un virement que depuis le compte courant, ce qui n’a pas un intérêt très fort. Il faudrait pouvoir initier des virements entre comptes d’épargne et comptes courants, pour éviter de payer des frais de découvert quand on a de l’argent sur son livret A ou faire de l’épargne automatisée. La fonctionnalité est toujours disponible dans notre version premium, mais ce n’est pas du tout une fonctionnalité cœur de l’application. Vous aviez aussi lancé une offre “insights” pour les commerçants, basée sur l’analyse des données bancaires de vos utilisateurs. Est-elle encore commercialisée ? Cette offre n’existe plus. Notre partenaire Paylead le propose à ses commerçants partenaires grâce à l’analyse des données anonymisées d’une partie de nos utilisateurs, en opt in, mais nous ne l’opérons pas en direct. Pour les enseignes du groupe Casino, par contre, nous pouvons faire des analyses data. Bankin’ est de nature plutôt averse à la publicité. L’intérêt de l’utilisateur doit primer. Qui sont vos principaux concurrents ? Aujourd’hui, nous sommes concurrents de multiples acteurs : Finary, par exemple, mais la cible n’est pas la même. Finary est très patrimonial, avec une logique Web et réseaux sociaux en plus de l’application. Cela nous inspire : nous commençons à lancer aussi quelques services web, comme l’extension cashback sur Chrome de Bankin’. Mounir Laggoune : “Finary agrège 75 milliards d’euros d’actifs pour ses 250 000 utilisateurs” Notre concurrent le plus direct est bien souvent l’application des banques traditionnelles. Nous pouvons aussi être concurrent de Lydia sur une partie de ses services, des néobanques, des acteurs spécialisés sur le cashback comme Joko… Quelles sociétés portent des modèles similaires à l’étranger ? Je peux citer Fintonic en Espagne, et Cleo ou Albert aux États-Unis, ou encore True Bill, orienté vers l’optimisation des factures [True Bill a été rachetée fin 2021 par Rocket Companies pour 1,275 milliard de dollars. La société enregistrait alors un ARR de 100 millions de dollars et revendiquait 2,5 millions de membres, Ndlr]. Aude Fredouelle agrégateurapplication mobilePFM Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Truffle Capital place Anna Maj pour remplacer Olivier Binet à la tête de Bridge