Accueil > Industrie > Catherine Boule (Karista): “En santé digitale, les projets doivent avoir au moins un rayonnement européen pour se valoriser très cher” Catherine Boule (Karista): “En santé digitale, les projets doivent avoir au moins un rayonnement européen pour se valoriser très cher” La société française de capital-investissement Karista investit depuis 20 ans dans les DeepTech et prépare un nouveau fonds en santé pour 2022. Analyse d’un marché dynamique avec Catherine Boule, Directrice générale de Karista et spécialiste du secteur de la santé. Par Sandrine Cochard. Publié le 18 janvier 2022 à 19h00 - Mis à jour le 17 août 2023 à 11h31 Ressources En mars 2021, Karista dévoilait un recensement des 84 fonds impliqués dans l’e-santé en Europe de l’Ouest. Ce mapping révélait que la France était le pays européen le mieux doté en fonds d’investissement en e-santé. Est-ce toujours le cas ? Nous actualiserons ce mapping en mars prochain. Je pense qu’il y aura davantage de fonds actifs en santé digitale qu’il y a un an : le secteur a explosé avec la crise Covid. Il sera intéressant d’observer si la typologie des fonds a évolué. Notre mapping sur l’année 2020 avait révélé beaucoup de fonds dédiés early-stage par comparaison avec des fonds plus généralistes. On pourra regarder si cette tendance s’est maintenue en 2021. Quant à la France, il est encore trop tôt pour en parler. Si les financements existent, pourquoi avons-nous peu de licornes en santé digitale en France ? Ce n’est pas parce qu’il y a des financements qu’il y a forcément des licornes. Ce n’est pas un principe linéaire. C’est principalement dû au fait que le secteur de la santé digitale est très jeune. Même si les sociétés peuvent croître et se développer plus rapidement que dans la BioTech ou la MedTech, elles restent inscrites dans des cycles du domaine de la santé qui sont longs par nature. Travailler sur des sujets médicaux et vendre aux hôpitaux est un processus qui met plus de temps que dans le digital “pur”. C’est la principale raison à l’absence de licornes actuellement ou de très grosses valorisations en santé digitale en France. Mais il n’y a aucune raison que cela n’arrive pas dans les années qui viennent. Travailler sur des sujets médicaux et vendre aux hôpitaux est un processus qui met plus de temps que dans le digital “pur”. Lors de Deeptech connect, en décembre dernier, vous aviez dit : “Ce qui nous manque dans l’écosystème en santé, ce sont les serial investisseurs”. Pouvez-vous développer ? Dans le secteur du digital “pur”, sans lien avec la santé, on voit des entrepreneurs créer une première société, avoir du succès puis créer une deuxième voire une troisième société en mettant à profit l’expérience gagnée sur la première… On a un vivier de personnes expérimentées et susceptibles de fonder de nouvelles sociétés qui est beaucoup plus important qu’en santé. On a besoin de ces profils-là. Cela s’explique aussi parce que les cycles de réinvestissement sont beaucoup plus longs en santé. Il faut 15 ans minimum, contre 4-5 ans dans le digital. ENTRETIEN – Amaury Martin (Institut Curie) : “Les start-up issues de l’Institut Curie ont levé 148 M€ en 2021” Justement, y a t-il un moyen de réduire ces cycles et le ROI en santé ? La tendance actuelle du marché est de paralléliser les développements, notamment dans les biotechs. L’idée est d’investir sur des plateformes pouvant produire différents types de drogues. Au lieu d’attendre que le développement d’un actif soit entièrement terminé pour passer au suivant, on en développe plusieurs en même temps. Cela permet d’arriver sur des phases cliniques en parallèle plutôt qu’en série, donc d’aller plus vite et d’avoir plus de succès en clinique. C’est notamment pour cela que les tours sont très importants, avec des séries A à 60 voire 80 millions et des séries B à 200 millions. Ces montants permettent de paralléliser les développements et d’assurer le financement des différentes phases de développement le plus longtemps possible. Pour autant, il y a en santé des délais réglementaires incompressibles. Sur la MedTech et la santé digitale, la seule façon de réduire le temps est d’avoir des équipes expérimentées et expertes sur des sujets très spécifiques. Par exemple, pour un dispositif implantable, il faut être très bon sur les développements, le réglementaire, la clinique… Avoir des personnes expérimentées sur le sujet, qui l’ont déjà fait, permet d’aller plus vite. En santé digitale, cela dépend des projets. Sommes-nous sur un développement de type dispositif médical, avec des délais cliniques incompressibles, de négociations du prix etc., ou sur un projet où l’exécution commerciale et opérationnelle sont clées ? Car là oui, une équipe expérimentée fera une grosse différence en termes de timing. Sur la MedTech et la santé digitale, la seule façon de réduire le temps est d’avoir des équipes expérimentées et expertes sur des sujets très spécifiques. Avons-nous les compétences et les profils en France aujourd’hui sur ces domaines ? Oui nous sommes bien dotés en France, avec des formations informatiques pointues et un vivier de gens susceptibles d’intéresser nos entreprises. Les sociétés de notre portefeuille qui essayent de s’implanter sur le marché américain laissent souvent leur centre de R&D ou leur pôle de data scientists à Paris ou en France, pour des raisons de compétences et de coûts. En revanche, les profils de data scientists notamment deviennent difficiles à recruter car ils sont rares et qu’il y a beaucoup de compétition pour les avoir. Dans les coulisses du développement de Dextrain, Deeptech développée par une SATT et un industriel Karista déploie un fonds d’amorçage de 50 M€ dédié à la santé digitale. Où en êtes-vous ? C’est un fonds dédié à la santé digitale que nous avons lancé il y a trois ans et qui investit principalement en France et en Europe de l’Ouest dans des tours de seed ou de Série A, entre 500 000 € et 5 M€. Il a déjà investi dans 8 sociétés : BabySafe, MyPL, Move Up, DEO Care et une société qui développe un dispositif implantable en cardiologie. À terme, il y aura une quinzaine de lignes dans le portefeuille. Dans ce fonds, on s’autorise à tout faire : bien-être, DTx, plateformes d’IA, solutions d’accompagnement du patient, de mise en relation avec le médecin, les aidants… On se concentre sur des solutions BtoB pensées pour rendre un parcours de soin plus efficace. Nous avons ainsi investi dans la plateforme d’IA en imagerie Incepto et la solution de télémonitoring de patients en cardiologie d’Implicity. Nous souhaitons encore investir dans 6 ou 7 sociétés. Puis nous relèverons un nouveau fonds pour lui succéder, courant 2022. La frontière entre Digital Health, HealthTech et MedTech est de plus en plus poreuse et cela va encore s’accentuer. Notre conviction est qu’à terme, il n’y aura plus aucun device développé, implantable ou non, qui n’aura pas une composante data pour pouvoir être personnalisable pour chaque patient. Y compris pour remonter les données de vie réelle du patient post-traitement et améliorer son suivi. La frontière entre Digital Health, HealthTech et MedTech est de plus en plus poreuse et cela va encore s’accentuer. Combien de start-up avez-vous financées en 2021 ? 2021 a été une année dense beaucoup plus dynamique que 2020 en matière de nouveaux deals. Nous avons réalisé 8 nouveaux investissements chez Karista sur l’année et plusieurs refinancements aussi. Nous avons réalisé deux IPO dans le portefeuille : Pherecydes en Février et Acticor Biotech en Novembre. En santé, nous avons réalisé 5 nouveaux deals (MoveUp, DEO Care, BabySafe, MyPL, HTC assistance) et 4 refinancements. Un signe qui ne trompe pas : lorsque nous avons lancé notre fonds santé digitale en 2018-2019, il a été accueilli plutôt mollement. En 2021 au contraire, la santé digitale est partout, c’est de la folie. Je suis un peu circonspecte sur les montants levés et les valorisations exponentielles… mais je suis contente de voir que de premières sorties arrivent. La crise Covid a montré que nous étions sous-équipés, et qu’il y avait un vrai besoin de développer des solutions numériques. A ce titre, le positionnement de Doctolib, cette plateforme privée sur laquelle la campagne de vaccination publique a été organisée, a permis de lever des barrières. Prévoyez-vous des investissements dans les DTx ? Nous avons investi dès 2006 dans Voluntis, la première DTx française et une des pionnières en Europe. Les thérapies digitales font partie des sociétés que l’on suit avec intérêt et qui sont dans nos cibles d’investissement. MoveUp, société belge du portefeuille dans la réhabilitation post-chirurgicale, est une DTx par exemple. Mais nous sommes encore au début de l’histoire je pense. Ce n’est pas facile de convaincre les médecins de prescrire des logiciels et des interrogations demeurent sur l’usage des DTx en routine par les patients et par les médecins. DTx : HypnoVR lève 4,5 millions d’euros À quel moment “sortir” d’une start-up ? Quand on peut ! Tout dépend du modèle de start-up. Certaines biotech ou medtech ont des actifs tellement stratégiques, même avant les phases cliniques, que les corporate s’y intéressent tôt. En santé digitale, la question est de savoir quels assets vont racheter les corporates : un nombre de sites hospitaliers implantés ? L’accès à de la donnée patient particulière, RWD ou pas ? Du chiffre d’affaires ? Je pense que c’est un mélange de tout cela, au cas par cas. Pour ces solutions, le passage à l’échelle est important. Comment faire de l’Europe une place forte de la e-santé face à la Chine et aux Etats-Unis ? Faut-il forcément monter des projets au niveau européen ? Nous sommes convaincus qu’en santé digitale, les projets doivent avoir au moins un rayonnement européen pour pouvoir se valoriser très cher, à 100 M€, 200 M€ ou 300 M€. Je ne crois pas qu’on puisse faire exploser des sujets de santé digitale, avec de très fortes valorisations, au niveau national. C’est pourquoi nous recherchons plutôt des projets à l’ambition européenne. Il faut également anticiper le développement d’un projet à l’international, notamment aux Etats-Unis. Dans nos choix, nous faisons attention à bien cibler des projets capables de s’adapter aux différents marchés français, européen et américain, en matière de compétences d’équipe et de produit dans le marché adressé. Catherine Boule Depuis 2019 : Directrice générale de Karista 2008 – 2018 : Associée chez Karista 2003-2007 : Directrice Investissements de Karista 2001-2003 : Chef de projet Santé Incubateur francilien 2001 : Chercheuse à l’Institut Curie Sandrine Cochard Dispositif médicalDonnées de santédonnées de vie réelleEuropeFinancementsFonds d'investissementstart-upThérapie digitale Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Entretien Amaury Martin (Institut Curie) : "Les start-up issues de l’Institut Curie ont levé 148 M€ en 2021" Amgen signe un accord de 1.9 Md$ avec Generate Biomedicines Withings acquiert Impeto Medical SNDS : le Health Data Hub retire "temporairement" sa demande d'autorisation Cnil Voluntis collabore avec AliveCor