Accueil > Financement et politiques publiques > Les TechBio françaises : le défi du financement Les TechBio françaises : le défi du financement La filière française de la TechBio dispose désormais de sa propre commission au sein de France Biotech. Même si l’écosystème gagne en visibilité, la marche reste haute pour ces start-up en quête de financement, face à la concurrence mondiale. Les investisseurs européens semblent, en effet, plus frileux que leurs homologues américains pour miser sur les deeptech du médicament. Par Clarisse Treilles avec Aymeric Marolleau. Publié le 18 février 2025 à 22h47 - Mis à jour le 15 juillet 2025 à 15h13 Ressources Le paysage des TechBio en France est composé de vingt-deux start-up spécialisées dans l’intelligence artificielle pour la découverte de médicaments, selon la première cartographie réalisée par France Biotech. Ces entreprises technologiques sont positionnées sur les phases de découverte et précliniques. Certaines aspirent à accompagner leurs molécules jusqu’en clinique pour créer les médicaments de demain, à l’instar d’Owkin et bientôt d’Aqemia. Source : Cartographie de France Biotech (2024) Pour répondre aux besoins de vélocité des acteurs pharmaceutiques et biotechnologiques avec qui elles s’engagent, les TechBio déploient des plateformes technologiques innovantes, souvent ancrées dans un réseau académique. Pour parvenir à développer leur R&D et acquérir des données, ces start-up cherchent des investisseurs à même de les suivre sur la durée. En France, elles semblent encore, pour l’essentiel, au stade des levées d’amorçage. Seules 30% d’entre elles ont levé des fonds l’an passé, selon France Biotech. Selon notre veille des levées de fonds des sociétés françaises de la e-santé, 15 des 22 TechBio françaises ont levé depuis 2016, pour un montant total de 581,9 millions d’euros. Avec 226,7 millions réunis en sept tours de tables, Owkin compte pour près de 40 % du total. Il devance Aqemia (97 millions en quatre levées), Mnemo Therapeutics (75 millions en une fois) et Bioptimus (71,5 millions en deux fois). Au cours des 13 derniers mois, mind Health a comptabilisé six levées dans cette filière émergente en France, qui oscillent chacune entre 5 et 40 millions d’euros : Cure51 a levé 15 M€ en mars 2024 en amorçage, auprès de Sofinnova Partners, avec des participations d’Hitachi Ventures GmbH, Life Extension Ventures, Xavier Niel et Olivier Pomet (Datalog). Generare a annoncé le 8 octobre 2024 avoir levé 5 M€. Cette levée d’amorçage a été réalisée auprès de Teampact.ventures, Galion.exe et VIVES Partners, avec la participation de Synbioven, Saras Capital et Better Angle. Orakl Oncology a réalisé une levée de fonds de 11 M€ le 3 décembre 2024 menée par Singular, à la suite d’un tour de préamorçage de 3 M€ en octobre 2023. Aqemia a bouclé un cycle de financement le 10 décembre 2024 de 38 M$, portant son financement total à 100 M$ (soit 96 M€). Ce tour de table est mené par Cathay Innovation, aux côtés des investisseurs historiques Bpifrance (le fonds Large Venture), Wendel, Eurazeo et Elaia. DeepLife a annoncé le 11 décembre 2024 avoir levé 10 M$ (soit 15,6 M€) en série A, complétant son précédent cycle de financement de 6 M€ en 2022. Les principaux investisseurs YZR Capital et Turenne Groupe ont participé à ce tour de table, aux côtés de Beiersdorf et Groupe Prunay. Bioptimus a annoncé le 14 janvier 2025 avoir clôturé une nouvelle levée de fonds de 41 M$, moins d’un an après son premier tour de table, pour un total de 76 M$ (73 M€) de financement en série A. Ce deuxième tour de table a été mené par Cathay Innovation, avec la participation de Sofinnova, Bpifrance, Andera Partners, Hitachi, Noom Capital Ventures, Pommier Capital, Felix Capital et de business angels. D’autres levées sont attendues pour 2025, à commencer par WhiteLab Genomics, l’un des seuls acteurs à travailler dans le domaine de l’IA dédiée à la médecine génomique, comme l’a confirmé David Del Bourgo à mind Health. Le montant devrait être cette fois-ci supérieur aux 10 M€ levés en 2022 car la start-up a de grandes ambitions pour développer son activité outre-Atlantique, où se situe son marché principal. Pour s’assurer une visibilité permanente et développer des liens avec les acteurs locaux, WhiteLab Genomics a rejoint l’an passé l’incubateur de Bayer à Cambridge, où se trouvent trois de ses salariés. Une concurrence internationale intense Les opérations de financement peuvent atteindre jusqu’à plusieurs centaines de millions de dollars aux États-Unis, au Canada ou encore en Chine, en témoigne notre panorama sur les opérations de financement et de partenariats réalisées en 2023 par les sociétés spécialisées dans l’usage de l’IA pour la découverte de médicaments. En haut du classement figure notamment la TechBio américaine Generates Biomedicines, qui a levé 273 M$ en série C auprès de NVentures, le fonds d’investissement de NVIDIA, et d’Amgen Ventures. Cette année-là, près de 2,3 Mds $ ont été levés à travers le monde sur ce marché. Face à la concurrence internationale, la marche est haute pour les start-up françaises, qui cherchent à convaincre les laboratoires et les investisseurs de la supériorité de leurs assets technologiques. Certaines ont connu les premiers déboires, comme Vidium Solutions, liquidée en octobre dernier. La société lyonnaise créée en 2019 espérait boucler une levée pour dissiper ses problèmes de trésorerie. Le projet scientifique a néanmoins été récupéré au sein du pôle de biologie computationnelle du Centre de Recherche en Cancérologie de Lyon, dirigé par son cofondateur Arnaud Bonnaffoux. Nicolas Wolikow, CEO de Cure51 Vidium Solutions avait opté pour un modèle d’affaires mixte, porté à la fois sur la prestation de service et le développement d’une pipeline de targets. C’est d’ailleurs la particularité de beaucoup de TechBio, à l’instar de Cure51, qui a défendu deux modèles dans sa thèse d’investissement : avec d’un côté, la capacité de développer de nouveaux médicaments en collaboration avec des groupes pharmaceutiques et de l’autre, dans un horizon plus proche, celle d’utiliser la base de données comme un outil de scoring pour les assets des laboratoires pharmaceutiques. Ce double business model permet à la start-up de “générer plus vite des revenus en mode SaaS et d’entamer des relations pérennes avec les laboratoires”, a détaillé son CEO et cofondateur, Nicolas Wolikow, à mind Health. Ce modèle propre aux TechBio donne du fil à retordre aux investisseurs qui ont du mal à les comparer aux biotech classiques. “La manière de valoriser les opportunités d’exit est très différente entre une TechBio et une biotech. L’expertise que l’on retrouve chez les TechBio est plus empreinte de créativité pour être en mesure de saisir toutes les opportunités qui se présentent d’un point de vue business” constate Simon Turner, Partner chez Sofinnova. “Beaucoup de sociétés que nous avons rencontrées ne savent pas distinguer ce qui constitue le cœur de leur valeur et ce qui gravite autour et peut être assimilé à du “bruit”, ajoute-t-il. C’est important pour une Techbio d’être alignée sur ses objectifs prioritaires”. Source : France Biotech Dénicher le potentiel Pour dénicher les talents, les équipes du fonds “Digital Medicine” de Sofinnova opèrent un tri conséquent parmi les 800 dossiers qu’ils reçoivent chaque année. “Notre métier est de clore des dossiers le plus rapidement possible, afin de pouvoir se focaliser sur les entreprises qui ont le plus fort potentiel de succès” témoigne Simon Turner. Ils se concentrent sur l’essentiel, à savoir la valeur ajoutée du produit ou du service vendu. “La technologie et les données sont les deux aspects clés que nous regardons de près dans les thèses d’investissement : les sociétés peuvent avoir un accès unique à certaines bases de données ou être en mesure de les monétiser directement en les transformant pour en faire des insights”. Simon Turner, Partner chez Sofinnova “C’est un domaine qui est sans cesse en évolution. Classiquement, chez Sofinnova, nous étions plutôt tournés vers les biotech, mais les TechBio sont aujourd’hui un domaine très exploré au sein de notre fonds “Digital Medicine”, déclare Simon Turner. L’oncologie figure parmi les grands axes que nous explorons, de même que le champ inflammatoire. Nous serions par exemple très intéressés de découvrir un projet sur l’inflammatoire avec le même niveau d’ambition qu’un Cure51 en oncologie ou qu’un Bioptimus [qui fait aussi partie du portefeuille de Sofinnova, ndlr] dans le domaine de la biologie fondamentale”. À noter que Sofinnova Partner a codirigé la récente levée de 40 M$ de Latent Labs, concurrent direct de Bioptimus basé à Londres. Dans le portefeuille de Sofinnova, Cure51 est considérée comme un projet “moonshot” à très fort potentiel. “Le projet de Cure51 est très vite sorti du lot car l’approche est totalement différente de ce qui se fait habituellement. Au lieu de centrer sa vision sur la maladie, la start-up se concentre sur les mécanismes de la survie. Il y a donc un storytelling intéressant derrière cette approche” témoigne Simon Turner. Près d’un an après avoir levé 15 millions d’euros, Cure51 est “en ligne avec sa feuille de route” a déclaré Nicolas Wolikow, à mind Health. “La phase qui nous occupe toujours est une phase opérationnelle d’identification des patients survivants, de contractualisation avec les hôpitaux et de collecte et de rapatriement de la donnée. Aujourd’hui, nous avons 160 tissus de patients exceptionnels qui sont stockés en biobanque et nous serons à 300 à la mi-mars. Nous espérons collecter l’intégralité de la base de données, c’est-à-dire 500 patients exceptionnels, d’ici le quatrième trimestre”. Il a fallu cinq rendez-vous pour que le deal soit scellé entre les deux entrepreneurs, Nicolas Wolikow et Simon Istolainen, et la société de capital-risque européenne. “La bascule s’est faite lors d’un déjeuner de 2h30, où nous sommes vraiment entrés au cœur du projet. C’est un test des deux côtés, car nous serons amenés à travailler ensemble pendant plusieurs années” souligne Simon Turner. Cure51 est sur le point d’obtenir la seconde tranche de son financement, avec laquelle la start-up peut tenir “une grosse année” estime Nicolas Wolikow. “Nous allons commencer les pitchs et le roadshow à la fin du deuxième trimestre” pour espérer boucler une série A “d’ici la fin d’année ou en début d’année prochaine” poursuit ce dernier. Nicolas Wolikow reconnaît avoir mis “la barre très haute” pour le tour en seed, à l’époque où les porteurs du projet ne disposaient que “de quelques contrats prénégociés avec des hôpitaux, d’un début de PoC scientifique sur un petit volume d’échantillons et d’un powerpoint” se remémore le CEO. “Le casting idéal pour nous était d’avoir un fonds européen, un fonds américain et un fonds asiatique pour nourrir nos ambitions mondiales. Plus de la moitié des fonds que nous avons rencontré n’arrivaient pas à comprendre la partie biologie et tech, ainsi que la différence fondamentale entre une TechBio et une biotech, car ils avaient un profil axé biotech ou, au contraire, très deeptech” analyse Nicolas Wolikow. La prochaine levée permettra à Cure51 de passer à l’étape suivante de son plan en construisant son “lab-in-the-loop”, un wet lab pour tester et valider les hypothèses scientifiques et identifier des targets. “Cela n’aurait pas été utile de constituer un tel laboratoire plus tôt, sans avoir d’abord acquis suffisamment de données” a souligné Nicolas Wolikow. Une filière qui attise l’appétit des VCs Pour défendre les atouts des deeptech françaises et attirer des investisseurs, la filière TechBio se rassemble au sein d’une nouvelle commission hébergée par France Biotech, sous l’impulsion de WhiteLab Genomics, aux côtés de Future4Care et de France Deeptech. “Nous avons en France un certain nombre d’entreprises particulièrement dynamiques et crédibles, qui commencent à compter sur la scène internationale des TechBio. Ce sont des entreprises dont le modèle d’affaires au niveau global évolue d’un modèle de prestation de service à un modèle de plus en plus axé sur le développement des molécules. Nous assistons à la création d’une typologie d’entreprises particulière, qui partagent certains points communs avec les biotech mais ont aussi des problématiques bien spécifiques” a souligné à mind Health Frédéric Girard, président de France Biotech. “L’Europe doit muscler son jeu sur la scène internationale si elle veut faire face aux stratégies américaine et chinoise. Ces derniers temps, on a vu émerger l’acteur d’IA chinois DeepSeek [modèle d’IA open source dévoilé en janvier dernier, ndlr], qui fait trembler le monde de la tech. Il faut que les financeurs européens – publics et privés – soutiennent les entreprises européennes” déclare David Del Bourgo. À la conférence J.P. Morgan 2025, WhiteLab Genomics a été très sollicité par des fonds américains. Ces derniers se montrent “convaincus par l’écosystème TechBio et savent que l’IA participe inexorablement au développement des médicaments, même si pour l’heure encore une minorité de molécules conçues par l’IA sont au stade clinique” analyse David Del Bourgo. David Del Bourgo, CEO de WhiteLab Genomics Depuis quelques années, l’écosystème TechBio n’est plus aussi mystérieux qu’avant. “Les investisseurs avec qui nous discutons ont une meilleure compréhension du marché sur lequel on évolue. C’est certainement un succès qu’il faut attribuer au vaccin contre la Covid. Le marché potentiel et sa croissance ne sont plus des sujets aujourd’hui, assure David Del Bourgo. Nous nous attachons à démontrer la valeur de notre modèle auprès des clients et des investisseurs, en quoi il surperforme par rapport aux capacités actuelles de l’industrie. Ils peuvent ainsi percevoir tous les débouchés potentiels de notre modèle et les hypothèses que nous sommes en capacité de générer sur la base de nos données propriétaires”. Nicolas Wolikow se dit lui aussi “très confiant” pour la suite : “Il y a un appétit très fort des VCs, qui investissent moins souvent quand ils le font, investissent de plus grands montants que par le passé”. “Après tout, ajoute-t-il, l’un des premiers secteurs d’application de l’IA est la santé et la TechBio en particulier. Les nouveaux modèles algorithmiques permettent d’aller très vite sur la partie découverte”. Du côté des industriels de la pharma, il ne fait plus de doute que “l’IA est clairement une révolution”, a défendu Frédéric Lavie, directeur Recherche Innovation Santé Publique du Leem, lors du Sommet pour l’IA le 11 février dernier. L’IA et le machine learning font déjà partie du paysage de la big pharma puisqu’en 2024, 67% des grandes entreprises biopharma avaient adopté cette technologie, rapporte Benchling. Quel est le profil des TechBio en France ? Les entreprises de TechBio françaises se concentrent principalement sur le développement d’actifs propriétaires. 70% d’entre elles ont été créées ces quatre dernières années, près de la moitié (46%) issue du monde académique. L’oncologie émerge comme le domaine thérapeutique principal. Alors que 62% des TechBio en France s’appuient sur des données publiques et 38% sur des données propriétaires, la plupart des entreprises du domaine envisagent de mettre au point un wet lab pour former des données in vitro (Source : France Biotech). La transition du dry lab au wet lab est une tendance forte du secteur, à laquelle Owkin, notamment, s’est déjà essayée. La société franco-américaine, qui monte un pipeline de programmes en interne, a ouvert son propre laboratoire pour mener des expérimentations in vitro. Conseils à destination des porteurs de projets : Simon Turner : “Collectionner des données pour collectionner des données, cela ne sert pas à grand-chose. Il faut bien identifier le besoin et faire en sorte que ces données puissent être utiles”. “Au-delà de la technologie, il faut aussi penser au product-market fit. C’est une chose sur laquelle les Anglo-saxons ont en général moins de difficultés. Toutefois, la France a fait énormément de progrès ces dernières années et accueille beaucoup de start-up ambitieuses. Pour preuve : les grands pontes de l’IA, autrefois partis aux États-Unis, sont en train de revenir en France et en Europe, certains d’ailleurs dans le secteur des TechBio”. “Les personnalités derrière les projets sont aussi très importantes, ainsi que le bureau de conseil scientifique adossé à un projet.” David Del Bourgo : “Nous sommes dans un domaine où il faut être ambitieux. Un point dont il faut absolument tenir compte est le product-market fit. Les investisseurs sont très regardants des collaborations et des contrats passés.” “Certains investisseurs peuvent également s’inquiéter du manque d’expérience à l’international des porteurs de projets dans un marché qui est aujourd’hui global.” Nicolas Wolikow : “Mon associé et moi avons beaucoup de points communs, nous sommes tous les deux entrepreneurs, ce qui est très rassurant pour des investisseurs. Lui et moi avions déjà fait des exits. Les investisseurs se disent que nous avons l’expérience et la compétence de développer un projet et de le valoriser. Nous sommes aussi tous les deux très internationaux et complémentaires”. Clarisse Treilles avec Aymeric Marolleau drug discoveryIntelligence ArtificielleLevée de fondsMédicamentRecherchestart-up Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Dataroom Drug Discovery et IA : tour d’horizon des principaux investissements et partenariats de 2023 IA et drug discovery : l’intelligence artificielle accélératrice de la recherche Le suivi des levées de fonds des start-up de l'e-santé