Florence Favrel Feuillade (CHU de Brest) : “Nous devons intégrer l’innovation dans notre modèle économique”

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Florence Favrel Feuillade, directrice générale du CHU de Brest, préside la  Commission Recherche et Innovation de la Conférence des DG de CHRU. mind Health l’a rencontrée le 2 décembre dernier, à l’occasion du CHU Healthtech Connexion Day, pour évoquer le rôle joué par les hôpitaux universitaires dans l’innovation en santé. 
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Quelle part prennent aujourd’hui les 32 CHU français dans la promotion de l’innovation en santé ?

La plupart des innovations viennent du terreau académique. Aussi, nous mettons à la disposition des entreprises notre expertise en matière d’essais cliniques (évaluation clinique, médico-économique, problématiques technico-réglementaires). Notre dispositif d’accompagnement des entreprises est le même que celui de France Biotech auprès de ses adhérents. Notre approche se fait sur le terrain. Cela permet un double maillage. 

La Conférence des DG de CHU rappelait le 21 novembre dernier dans un communiqué que le déficit des CHU double chaque année depuis 2021, au point que 18 CHU sur 32 se retrouvent aujourd’hui en insuffisance nette de financement…Comment sortir de cette situation de crise ?

Nous sommes en effet dans une situation de grande difficulté budgétaire car aujourd’hui, les modèles de financement ne correspondent pas aux charges de nos établissements. Pour autant, l’innovation reste pour nous un facteur d’accélération des parcours patients et de transformation globale de nos organisations, qu’il nous faut fluidifier. Nous devons intégrer l’innovation dans notre modèle économique. 

Le PLFSS 2025, dans sa dernière version avant son rejet, ne risquait-il pas de créer un environnement encore plus contraignant pour les hôpitaux ?

Oui, mais nous pouvons aussi le voir comme une incitation à encore plus innover. La question omniprésente qui se pose aujourd’hui à nous, vis-à-vis de l’innovation, est celle-ci : quel retour sur investissement peut-elle permettre ? Cela revient à se demander en permanence pourquoi choisir telle innovation plutôt que telle autre et comment je peux l’intégrer à mon processus de transformation.

EXERGUE : Ce dont nous manquons aujourd’hui le plus, c’est du temps. Nos professionnels ne peuvent pas, compte tenu de leurs activités de routine, se rendre suffisamment disponibles pour participer au codéveloppement des innovations

Presque tous les CHU français disposent aujourd’hui d’une direction de la recherche et de l’innovation. Quel bilan tirez-vous de leur apport ?

Nous avons les compétences, et les Tiers-lieux d’expérimentation ont permis de financer des compétences nouvelles. La question de la pérennisation de ces Tiers-lieux se posera, de la même façon que celle de la pérennisation des pôles universitaires d’innovation.

Ce dont nous manquons aujourd’hui le plus, c’est du temps. Nos professionnels ne peuvent pas, compte tenu de leurs activités de routine, se rendre suffisamment disponibles pour participer au codéveloppement des innovations.Il ne faudrait pas que, dans un souci d’efficience, les contraintes budgétaires se traduisent à nouveau par des suppressions de postes. Tout le monde a en tête les cinq années de pression budgétaire qui ont précédé la crise sanitaire, et qui s’étaient traduites par des plans de retour à l’équilibre. 

L’un des enjeux de l’accélération de l’innovation passe, comme le rappelle le Pr Karim Asehnoune (cf. encadré) par une simplification de la recherche clinique en France. Où en sommes-nous ?

Le projet de loi de simplification est attendu pour 2025. Nous espérons que vont être simplifiés les sujets qui concernent la digitalisation des essais cliniques (le e-consentement, le e-monitoring). Ce sont des dispositifs qui ont été dérogatoires pendant la crise Covid. L’idée est de changer la loi et le réglementaire pour permettre de les utiliser en routine. Cela nous éviterait d’envoyer nos attachés de recherche clinique à l’autre bout de la France et nous permettrait d’utiliser les outils numériques pour accélérer les processus.

Comment travaillez-vous à cette évolution ?

Nous travaillons beaucoup avec l’Agence de l’innovation en santé, qui pousse aussi cette simplification. Mais cela suppose des modifications de textes de loi, comme pour la convention académique unique qui doit permettre de simplifier, avec des contrats communs, la contractualisation entre nos établissements. La simplification a l’avantage de permettre d’accélérer l’innovation, sans que cela demande forcément des moyens financiers supplémentaires.

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Il est aussi question de simplifier la prise de participation des hôpitaux dans les start-up…

La loi Macron (2015) a permis aux établissements hospitalo-universitaires de rentrer dans le capital des start-up, mais sous conditions de dette et de niveau de déficit. Comme la situation des établissements s’est dégradée, même pour des petits montants (une prise de participation de quelques milliers d’euros), c’est un processus décisionnel qui est très long et que l’on voudrait simplifier pour le rendre plus accessible. Cela signifie concrètement à la fois simplifier les instances de gouvernances qui vont être associées à la prise de participation, mais aussi se dire qu’il faut baisser les conditions financières. En fonction de la nature du montant que l’on investit dans la start-up, on pourrait bénéficier d’un dispositif simplifié. Nous espérons que cela va bouger en 2025 dans le cadre de la loi de simplification, portée notamment par le ministère de l’Industrie.

Beaucoup d’hôpitaux ont créé leur propre entrepôt de données de santé (EDS). Se pose aujourd’hui la question de l’harmonisation de ces entrepôts, afin qu’ils puissent entrer en synergie…

C’est pour cela que l’on a bâti, à l’échelle de la Conférence des directeurs généraux de CHU, le projet “Fédé Data CHU”. Ce projet a aujourd’hui une gouvernance scientifique structurée, qui implique aussi les directeurs généraux. Notre idée est de créer un réseau des EDS de CHU. Nous sommes déjà structurés en interrégion, mais l’idée est de pouvoir fédérer plus largement les établissements de santé. Nous l’avons déjà fait pour les centres de ressources biologiques (CRB) grâce à un accompagnement dans le cadre de France 2030, sur l’AAP Biobanques. Tous les CRB s’étaient fédérés avec des règles d’harmonisation, des normes de qualité communes. Nous proposons de faire la même chose pour les EDS et de structurer un réseau, qui soit financé et qui puisse tous nous aider à faire progresser la qualité des données. 

Quelle est, selon vous, la tendance marquante qui va marquer 2025 dans le monde hospitalier ?

Les CHU veulent être acteurs de la prévention, grâce notamment à tous les dispositifs pour mieux mailler les territoires et avoir des interactions ville/hôpital plus renforcées. C’est une tendance lourde qui a été initiée par les pouvoirs publics, avec une stratégie d’accélération dédiée. C’est pour nous un virage à 180° par rapport à la position antérieure, où l’on considérait que la prévention n’était pas notre rôle. Aujourd’hui, on considère qu’il faut inscrire la prévention dans la manière de prendre en charge nos patients, à chaque épisode de soin.

…Avec une logique de parcours et de forfaits ?

L’IGAS a récemment fait un rapport sur la prévention, qui propose la mise en place d’un financement des actions de prévention primaire des établissements de santé, cela reste à se traduire par des faits. Nous ne pouvons plus nous désintéresser de ces aspects de prévention parce que la meilleure façon de traiter la santé de demain est d’éviter la maladie. Le vieillissement de la population fait que nous avons de plus en plus de patients lourds à traiter. Aussi, toutes les maladies chroniques qui peuvent bénéficier de ces dispositifs de prévention peuvent nous décharger d’une partie des soins, en les basculant sur le volet ambulatoire.

Cette prévention demande cependant des moyens et du temps…

Oui, mais c’est notre responsabilité populationnelle. Comme l’a rappelé Frédéric Boiron [directeur du CHU de Lille, ndlr], l’excellence ne sert à rien si tout le monde n’y a pas accès. La prévention consiste à aller chercher les publics les plus fragiles pour les faire entrer dans les dispositifs de soins. Nous côtoyons ces publics au quotidien. Il nous faut les amener à devenir acteurs de leur propre santé. 

Florence Favrel Feuillade

Depuis 2020 : Directrice générale du CHU de Brest, présidente du fonds de dotation Innoveo et présidente du bureau de la Commission Recherche et Innovation de la Conférence des directeurs généraux de CHU

2015 – 2020 : Directrice de la recherche clinique et de l’innovation à l’AP-HP

2010 – 2014 : Directrice du CHU Bicêtre et du pôle finances et recherche des Hôpitaux universitaires de Paris-Sud

2007 – 2010 : Directrice de la stratégie , des affaires médicales et de la qualité du CHU de Beaujon

1998 – 2000 : Formation “Directeur d’hôpital” à l’EHESP (École des hautes études en santé publique)

Accélérer la recherche clinique: un besoin de simplification

Pr Karim Asehnoune, président du CNCR

Un deuxième verrou à faire sauter concerne les entrepreneurs, qui ne savent souvent pas à qui s’adresser pour mettre en place un partenariat public/privé. “Un entrepreneur qui vient dans l’écosystème d’innovation médicale à Nantes ne sait pas s’il faut d’abord frapper à la porte de l’Inserm, au CHU, à l’Université, etc. Nous essayons de mettre en place un décret qui avait déjà été proposé en 2019 et qui propose à l’entrepreneur un guichet unique par territoire de recherche”, affirme le président du CNCR.

“Enfin, poursuit Karim Asehnoune, au niveau national – ministère de la Santé, de l’Enseignement et de la Recherche, DGOS – nous avons besoin d’un portage politique pour faire évoluer les pratiques. La décentralisation et la dématérialisation des essais cliniques, grâce au e-consent et au e-monitoring, sont par exemple une injonction européenne, mais la France n’a pas encore fait sauter les verrous réglementaires pour permettre la digitalisation des essais. Résultat : aujourd’hui, 30% de mon budget passe dans les voyages de nos ARC (les attaché(s)s de recherche clinique, ndlr), ce n’est pas un modèle supportable. Or, la Cnil n’est pas opposée à rendre les essais décentralisés possibles, dès lors que le politique donne son aval”.

À noter que le ministère de la santé, la DGOS, l’ANSM et la CNIL ont lancé en juin dernier une phase pilote pour accompagner, via un guichet unique, les promoteurs dans la conception de leurs projets de recherches cliniques décentralisés.

Le Pr Karim Asehnoune est président du CNCR (Comité national de coordination de la recherche), qui a pour mission de piloter les missions de recherche et d’innovation des établissements publics de santé en France. Beaucoup de freins sont, selon lui, encore à lever, pour accélérer la recherche clinique. L’un des premiers est lié au fonctionnement même de l’écosystème de la recherche publique. “En tant que praticien hospitalo-universitaire, directeur d’un laboratoire de recherche et membre d’une unité Inserm, j’ai déjà trois interlocuteurs différents si je cherche à valoriser une invention. À ce stade, je n’ai même pas encore rencontré d’entrepreneur et il me faut ajouter un quatrième acteur, les sociétés d’accélération du transfert de technologies (SATT)”, explique le Pr Asehnoune, qui porte avec le CNCR, et en concertation avec l’Agence de l’Innovation en Santé, un projet de réforme consistant à mettre en place un guichet unique permettant aux chercheurs qui dépendent de plusieurs structures (c’est la majorité des cas) d’avoir un seul interlocuteur institutionnel, les mettant si besoin en contact avec des industriels. 

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