Accueil > Financement et politiques publiques > Conquête de l’Ouest : (bref) mode d’emploi Conquête de l’Ouest : (bref) mode d’emploi Faut-il aller s’attaquer au marché américain ? La question s’est forcément un jour posée aux acteurs français de la healthtech ayant acquis une taille critique. La réponse n’est pourtant pas évidente. Car, outre le prix du "ticket d’entrée", le principal marché au monde de la santé est aussi celui où la concurrence est la plus rude. Par Romain Bonfillon. Publié le 25 avril 2023 à 22h55 - Mis à jour le 25 avril 2023 à 16h47 Ressources Pour une start-up française, attaquer le marché d’un pays comme les États-Unis ne s’improvise pas, tant les systèmes de santé (modes de remboursement, législations sur les données, certifications, etc.), les mentalités, les volumes de financement diffèrent. C’est précisément le but de l’organisme public Business France (qui exerce sous la double tutelle du ministère de l’Économie et des Finances et du ministère des Affaires étrangères) “d’aider les entreprises françaises à s’internationaliser et de faire la promotion de la France auprès des comptes étrangers pour qu’ils aillent développer leurs activités et créer de la valeur sur notre territoire”, explique Jérôme Revole qui, depuis septembre 2022, occupe le poste de directeur de la filière santé de Business France pour l’Amérique du Nord. “Environ 90 % des start-up que nous rencontrons ne connaissent pas ce marché et n’ont donc pas encore conscience des freins. Or, lorsqu’on atteint une certaine taille, c’est un marché incontournable”, souligne-t-il. Marie-Astrid Sevilla, qui travaille à ses côtés à Boston comme cheffe du pôle export, a rejoint l’équipe santé de Business France il y a deux ans. Pharmacienne de formation et diplômée d’une école de commerce, sa double formation médicale et business (commune à tous les experts travaillant dans le hub santé de Business France) lui permet d’appréhender les différents enjeux des entreprises qu’elle accompagne. “De tous les pays que nous couvrons, précise-t-elle, l’Amérique du Nord est la seule zone à avoir une équipe entièrement dédiée à la santé” (12 personnes au total, réparties entre Montréal, Boston, New-York et bientôt San Francisco). “Cette spécificité découle de la taille du marché, explique Jérôme Revole. Pour schématiser, les États-Unis représentent la moitié du marché mondial de la santé, que ce soit en volume d’investissement ou en chiffre d’affaires. L’autre revers de la médaille est que c’est un marché très concurrentiel, complexe, et très cher d’accès. Les opportunités sont énormes, mais le ticket d’entrée – montant des salaires et des loyers en particulier – est important. “Autant notre savoir-faire est indéniable, autant nous avons encore des progrès à réaliser sur le faire savoir”. Marie-Astrid Sevilla, cheffe du pôle export pour le hub santé de Business France en Amérique du Nord Forces et faiblesses des entreprises françaises Au travers de ses différents programmes d’accompagnement (cf. encadré), Business France accompagne les entreprises sur des sujets stratégiques, “notamment sur le côté réglementaire, avec la question de l’agrément FDA, et sur l’accès au marché, qui pose les questions du remboursement et du pricing, précise Jérôme Revole. Le monde des payeurs est ici très complexe et bien différent de notre sécurité sociale française”, résume-t-il. “Nous préparons également nos entreprises au pitch à l’américaine, ajoute Marie-Astrid Sevilla. Notre pays a une excellente réputation dans les domaines scientifique et technique, mais autant notre savoir-faire est indéniable, autant nous avons encore des progrès à réaliser sur le faire savoir.” Autre point d’amélioration pour les jeunes pousses françaises : le transfert de technologies. “Nous le voyons très clairement au travers du montant des investissements qui y sont consacrés. L’exemple de toutes les spin-off qui viennent du MIT est parlant.” “Nous avons une recherche de très bon niveau en France et en Europe, et plus de difficultés en revanche pour transformer cette recherche en solutions industrialisées et complètement accessibles, reconnaît à son tour Antoine Tesnière, le directeur de PariSanté Campus. Des pays comme les États-Unis et Israël ont une capacité tout à fait exceptionnelle pour faire ce passage à l’échelle, C’est donc là dessus qu’il faut que l’on travaille.” Dernier frein : celui du financement. “Nous avons des moyens de financement qui sont très solides en France, grâce notamment à Bpifrance qui est très présent auprès des start-up de la healthtech, analyse Marie-Astrid Sevilla. Seul petit bémol lorsqu’on s’exporte sur le marché américain : nous ne parlons pas du tout du même volume de financements.” Les start-up en santé numérique américaines ont levé 3,4 Mds $ au T1 2023Les start-up françaises de la e-santé ont levé 69 millions d’euros au premier trimestre 2023 Une success story à la française Rencontré l’an dernier dans le cadre du salon HIMSS, Clément Goehrs, le cofondateur et CEO de la start-up bordelaise Synapse Medicine, s’est depuis installé à New-York pour mieux conquérir le marché américain. “Nous avons depuis un an travaillé avec de très gros acteurs industriels. Notre philosophie, rappelle-t-il, est de venir plugger notre solution sur des interfaces déjà en place, à toutes les étapes de la vie du médicament (prescription, optimisation d’une ordonnance, délivrance par le pharmacien, conseil auprès du patient).” Iatrogénie et conciliation médicamenteuse, une course de fond pour l’innovation L’équipe de Synapse Medicine lors du congrès HIMSS 2023 (Clément Goehrs au centre) Arrivé aux États-Unis en pleine période post-Covid, au moment où le financement des entreprises de la santé et de la tech a commencé à se contracter, Clément Goehrs n’a pourtant pas souffert de la conjoncture économique. “Cela a plutôt été une chance pour nous. Il y a deux ans, le marché de la santé numérique était fou furieux. Le secteur était très bien financé et recruter quelqu’un coûtait cher. Les choses se sont rationalisées, ce qui nous a permis de recruter des talents que nous n’aurions pas pu recruter il y a deux ans.” Notons que la jeune pousse française a connu en un an, grâce notamment au marché américain, une croissance exponentielle, passant de 45 collaborateurs à plus de 100 aujourd’hui. Sur l’édition 2023 de HIMSS, le stand de Synapse Medicine ne désemplit pas. “Nous avons beaucoup investi sur le marché américain et avons fait beaucoup d’efforts sur le marketing. Logiquement, beaucoup plus de gens nous connaissent aux États-Unis, cette année” reconnaît-il. À noter que des partenariats prestigieux, comme avec l’Université d’Harvard et avec l’Université Vanderbilt, ont également participé à la réputation de la jeune pousse française. “J’ai dû adapter mon discours au système américain, qui est beaucoup plus piloté par l’argent” Clément Goehrs, cofondateur et CEO de Synapse Medicine Un système piloté par l’argent Le fait que le système de santé américain soit centré sur l’argent, ne sera pas véritablement, pour les start-upper aventureux, une découverte (datant de 2007, le documentaire Sicko de Michael Moore, qui compare notamment le système français et le système américain, est à ce titre éloquent). L’expérience d’un expatrié français exerçant dans le domaine de la santé numérique, reste cependant instructive. “L’utilisation de la donnée est ici encore plus importante, explique Clément Goehrs. Pour des cas d’usage clairement définis, elle permet de révéler des gains d’efficience : soit l’on gagne du temps, soit on prend des décisions plus éclairées, soit on prouve un bénéfice médico-économique comme la diminution des réhospitalisations”, résume-t-il, avant d’ajouter : “J’ai dû adapter mon discours au système américain, qui est beaucoup plus piloté par l’argent. Ce n’est pas ma philosophie de médecin, mais les décisions de santé aux États-Unis sont prises en premier lieu en prenant en compte les enjeux économiques. Le système est, pour une large part, privé, rappelle-t-il. À l’arrivée, il y a un payeur qui, s’il ne comprend pas l’intérêt économique d’une solution, ne payera pas”. L’avenir économique : la fin des incertitudes ? Se lancer dans l’aventure américaine peut aussi être une question de timing. Aussi, le net ralentissement des investissements en santé en 2022 peut logiquement inviter les acteurs à la prudence. “La faillite de la Silicon Valley Bank a également remué le monde de la pharma et de la biotech”, note également Marie-Astrid Sevilla. “Mais le secteur de la pharma a toujours eu ce côté cyclique, nous y sommes habitués. Entre 2019 et 2021, nous avons eu des levées de fonds presque démentielles en termes de volume, très au-dessus de la valorisation des entreprises qui, après cela, se retrouvent logiquement dans un creux de la vague”, analyse-t-elle. Et de prédire : “Je pense qu’en 2024, il va y avoir un regain au niveau du financement de l’innovation.” “Concernant le marché du travail, il reste plus favorable aux employés qu’aux employeurs, ajoute Jérôme Revole. “Même s’il y a eu rééquilibrage, nuance-t-il, mais il n’est jamais très sain d’avoir quelqu’un qui au bout de quelques mois vous dit qu’il part chez un concurrent parce qu’on lui propose 30% de plus.” Dernière tendance du marché, identifiée par Marie-Astrid Sevilla : “la baisse de la valorisation des start-up, qui permet aux Big Pharma, dont les budgets sont pour l’instant gelés, de capitaliser pour de futurs rachats. En un sens, cela fait aussi partie du business model des start-up de se faire racheter et cela contribue à dynamiser le marché.” Avant de conclure : “Pas d’inquiétude de notre côté, le marché a connu un ralentissement, mais le secteur de la santé fonctionne avec des processus longs de développement des structures. La tendance s’inversera.” Les programmes d’accompagnement de Business France Business France accompagne aujourd’hui 4 grands événements dans l’année : un en janvier dédié entièrement au financement du monde de la santé (J.P. Morgan), BioTrinity dédié aux pharmas et aux biotech (en avril), le congrès HIMSS (dont l’organisation a été déléguée cette année au cabinet de conseil Care Insight) et le “Prix Galien Startup”. Parallèlement à l’organisation de délégations françaises sur les principaux salons de l’écosystème de la santé, Business France propose un accompagnement personnalisé. “Notre travail consiste à mener des missions de business development, à faire de la recherche de partenariats avec des big pharmas, à donner accès à des acteurs du capital-risque pour le financement, mais nous avons aussi un côté plus académique avec la recherche de KOL (key opinion leaders)”, détaille Marie-Astrid Sevilla. Concrètement, l’accompagnement personnalisé consiste à la fois en des actions d’études de marché (sur la réglementation, le remboursement, le pricing des médicaments, par exemple), de l’analyse concurrentielle, de l’intervention d’experts pour comprendre les parcours patients propres à certains pays. Ce programme, tarifé 10 000 euros et qui s’étale sur un an, vise à “catalyser le développement d’entreprises qu’on considère comme trop précoces pour faire de l’accompagnement commercial direct. Ce sont typiquement des entreprises qui n’ont pas encore bien compris l’enjeu de leur solution sur tel ou tel marché”, explique Jérôme Revole. Chaque année, une promotion d’une dizaine d’entreprises, principalement issues de de la medtech et de la santé digitale, rejoignent ce programme spécifique. Parmi les 300 entreprises françaises que Business France accompagne sur le marché américain au travers de ses différents programmes, citons TreeFrog, Wefight, Withings, Therapixel, Smart Immune, Archeon Medical, Lattice Medical, WhiteLab Genomics,…. Romain Bonfillon Fonds d'investissementHIMSSLevée de fondsMarchéMédicamentMinistèreRèglementairestart-upStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind