Accueil > Financement et politiques publiques > PLFSS 2024 : quel potentiel impact pour les biotech et industriels du médicament ? PLFSS 2024 : quel potentiel impact pour les biotech et industriels du médicament ? Suite à la remise, en août dernier, du rapport issu de la mission Borne, le PLFSS 2024 entend proposer un “nouveau pacte pour le financement et l’accès aux produits de santé”. Les termes de cet accord - quelques avancées législatives au prix de demandes de remise importantes - ne convainquent pas les associations représentatives des biotech et des industriels du médicament. Décryptage. Par Romain Bonfillon. Publié le 24 octobre 2023 à 22h50 - Mis à jour le 03 novembre 2023 à 17h45 Ressources Parce que les montants et les modalités de financement des médicaments pèsent directement sur leur disponibilité, le Gouvernement, dans un contexte marqué par des tensions sur les approvisionnements, a décidé de consentir à quelques efforts budgétaires. Ainsi, la croissance prévisionnelle des dépenses de médicaments et de dispositifs médicaux devrait être de 4,9 % pour les médicaments (contre 2,7% en 2023). En outre, le Gouvernement s’engage à stabiliser la contribution du secteur des produits de santé aux économies. Le montant de la “clause de sauvegarde” pour les médicaments est ainsi maintenu constant à 1,6 Md€ en 2023 et en 2024. Mais au prix de contreparties que les acteurs du secteur jugent draconiennes. Clause de sauvegarde : “une victoire en demi-teinte” Me Eléonore Scaramozzino, avocate spécialisée en droit de la santé auprès du cabinet Constellation La clause de sauvegarde consiste dans le versement d’une contribution à l’assurance maladie par les industriels de santé lorsque leur chiffre d’affaires hors taxes (CAHT) réalisé en France au titre des spécialités remboursables a crû plus vite qu’un taux de progression défini par la LFSS. Cette clause, précise Me Eléonore Scaramozzino, avocate spécialisée en droit de la santé auprès du cabinet Constellation, s’active en dernier ressort lorsque toutes les régulations en amont n’ont pas fonctionné pour réguler les produits de santé et concerne à la fois les médicaments (clause M) et les DM (clause Z)”. Rappelons que si cette clause concerne en premier lieu les laboratoires pharmaceutiques, représentés par Les entreprises du médicament (Leem), elle s’applique également aux entreprises de la healthtech que représente France Biotech. “La moitié des entreprises que nous représentons commercialisent un produit, surtout des DM. Elles sont pour la plupart à un stade précoce de commercialisation. Or, dès que vous vendez un produit, vous êtes concernés par la clause de sauvegarde. Même le CA généré au travers des accès dérogatoires est concerné”, souligne Frédéric Girard, vice-président de France Biotech. PLFSS 2024 : le Snitem appelle à une réévaluation du “montant Z” Afin de remettre l’article 11 du PLFSS 2024 dans son contexte, Me Eléonore Scaramozzino rappelle que “la mission sur le financement et la régulation des produits de santé a remis un rapport appelant à un New Deal garantissant un accès égal et durable des patients à tous les produits de santé. Cette mission a en particulier demandé de revoir le montant M. En accord avec ces recommandations de cette mission, le mode de calcul de la clause de sauvegarde va être progressivement simplifié et harmonisé. La base de calcul du montant versé au titre de la clause de sauvegarde n’est plus indexée sur le CA annuel, mais sur le montant annuel remboursé par l’Assurance maladie, minoré des remises, de la marge du pharmacien, des honoraires de dispensation. Ce changement se traduit par la suppression des déclarations annuelles. Le calcul de la rétribution est modifié et sera égal à 90% des différences entre le montant remboursé par l’Assurance maladie et le montant M. Le montant de la contribution due par chaque entreprise redevable ne peut excéder 12% du montant total remboursé par l’Assurance maladie au titre des médicaments qu’elle exploite, importe ou distribue. Cette mesure entrera en vigueur le 1er janvier 2026”. Concernant le seuil de déclenchement de la clause de sauvegarde (montant M) il a été fixé à 24,9 Mds d’euros pour 2023 (vs les 24,6 Mds d’euros initialement prévus dans la LFSS 2023). “L’article 4 du PLFSS, explique Me Eléonore Scaramozzino, fait une rectification à la hausse du montant M pour tenir compte du contexte de tension sur les approvisionnements. Mais cette révision a pour contrepartie l’engagement des industriels à conduire en 2024 des efforts de baisse de prix (1 Md €, dont 850 M€ sur les médicaments, ndlr) et des actions de régulation des volumes de vente sur le marché français. C’est donc une victoire en demi-teinte pour les industriels et nous comptons sur les débats parlementaires pour éclairer cet article 4”. À noter que pour les DM, le seuil de déclenchement de la clause de sauvegarde est fixé à 2,31 Mds € (vs 2,21 Mds € en 2023). Accès précoces : une fausse bonne nouvelle L’article 35 du PLFSS 2024 vise à prolonger (jusqu’à trois ans, à condition que l’industriel s’engage à recueillir des données) les accès dérogatoires (accès précoces et compassionnels) pour les produits innovants qui se retrouvent dans une impasse à cause d’une ASMR 5 (une amélioration du service médical rendu jugée inexistante, faute de données suffisantes). “Les médicaments concernés ne pouvaient pas accéder à la liste en sus. La logique est donc de prolonger le dispositif d’accès précoce, afin de continuer à collecter des données qui permettront d’alimenter des dossiers de demande de prix et de remboursement. En théorie, cette mesure répond donc a minima à la situation des médicaments qui sont éligibles à un usage hospitalier”, explique Frédéric Girard. Frédéric Girard, vice-président de France Biotech En théorie seulement, puisque une analyse de l’étude d’impact (cf. page 331) vient jeter un froid sur les conditions économiques de cette mesure. “Est rajouté une décote de prix de 20% par rapport au prix le plus bas des grands marchés européens. “L’un des risques est que tous les marchés s’alignent sur cette baisse et nous aurons donc une décote importante sur l’ensemble des prix européens”, observe Frédéric Girard. S’ajoute à cette décote, une remise annuelle fixée par arrêté, de 50% la première année, 65% la deuxième année et 80% la troisième année. “Je n’aime pas le terme confiscatoire, confie Frédéric Girard à mind Health, mais 80% de remise rend les choses très compliquées. Les entreprises que France Biotech représente sont souvent des petites structures, pour lesquelles le coût de fabrication des petites séries est extrêmement élevé. Or, nous savons qu’à cause des incertitudes économiques, les biotech françaises sont déjà sous-représentées dans les accès compassionnels et les accès précoces. Si l’article passe et que nous n’avons pas de garantie sur des conditions économiques acceptables, cela va définitivement les dissuader de s’engager dans ces accès dérogatoires”, note-t-il. Rappelons que dans le cadre des accès précoces, l’industriel est libre de fixer son prix. À la fin du dispositif, lorsque le prix définitif est fixé, l’industriel est tenu de rembourser le trop-perçu. C’est pour éviter que ce débouclage soit trop rude qu’il a été prévu des remises annuelles (concrètement, l’industriel doit reverser chaque année un pourcentage de son CA). Aussi, l’amendement que France Biotech entend déposer consiste à demander que les conditions économiques soient figées à la date à laquelle la HAS attribue une ASMR 5, afin qu’il n’y ait pas de détérioration des conditions de remboursement, sauf éventuellement l’application de la remise liée au CA. “Aussi, complète Frédéric Girard, nous aimerions que ce dispositif soit étendu à l’ensemble des médicaments, pas seulement ceux réservés à un usage hospitalier, parce qu’il peut y avoir des innovations majeures qui permettent de passer d’un traitement hospitalier à un traitement ambulatoire. La task force PLFSS de France Biotech va concentrer ses efforts sur ce sujet.” Accès précoce et compassionnel : “une séquence imposée“ “Aujourd’hui, explique Frédéric Girard, vice-président et coordinateur du groupe de travail “Accès au marché” de France Biotech, les industriels du médicament peuvent très tôt recourir à un accès compassionnel et ainsi mettre à disposition un médicament pour les patients. Cela permet de générer des revenus, et de collecter de la donnée. Au bout de 18 mois, l’industriel doit faire une demande d’accès précoce. Deux ans après ce dossier d’accès précoce, il doit déposer un dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM). Après cette AMM, il doit déposer une demande de prix de remboursement. Cette séquence est imposée et certains industriels se retrouvent dans la situation où l’AMM leur a été accordée parce que leur profil de bénéfice/risque est favorable – c’est particulièrement vrai pour les maladies rares, où les besoins médicaux sont les plus importants – mais les données recueillies sont insuffisantes pour construire un dossier HAS (de prix de remboursement, ndlr) solide. Comme ce dossier est insuffisamment robuste, la HAS n’a aujourd’hui pas d’autre solution que de donner un ASMR 5 et cette note prive l’industriel de l’accès à ce qu’on appelle la liste en sus. Elle prive donc l’industriel de la possibilité de commercialiser son médicament à l’hôpital. Dans l’éventualité où il pourrait l’être, l’ASMR 5 rend les discussions avec le CEPS extrêmement difficiles”. Sauver les médicaments matures Comme l’a relevé le Sénat, puis plus tard la mission Borne, l’abandon par les entreprises pharmaceutiques de l’exploitation des produits matures (au profit de nouveaux produits bénéficiant de prix élevés et d’une rentabilité plus importante) est l’une des causes de pénuries et de tensions d’approvisionnement en médicaments. Depuis 2018, souligne le PLFSS 2024, 400 arrêts de commercialisation par an ont été comptabilisés pour ces médicaments matures. Ces derniers, pour rappel, sont issus de procédés chimiques de fabrication (contrairement aux biothérapies) et ont généralement une AMM de plus de 10 ans. Leur faible rentabilité est indépendante de leur intérêt thérapeutique mais résulte du lancement de nouveaux médicaments et des médicaments génériques / biosimilaires. Aussi, l’article 36 du PLFSS “incite les entreprises détentrices ou exploitantes d’AMM arrêtant la commercialisation de médicaments matures à mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour trouver un repreneur, sous peine de pénalité financière”. “Lorsqu’un exploitant décidera de suspendre ou de cesser une commercialisation d’un médicament, il aura l’obligation de préciser dans sa déclaration à l’ANSM les incidences prévisibles de cette cessation ou suspension de commercialisation sur la couverture des besoins de la population française, explique Me Eléonore Scaramozzino. Si les alternatives disponibles ne permettent pas de couvrir le besoin de manière pérenne, l’ANSM informe le titulaire de l’AMM qui est tenu de trouver une entreprise assurant la reprise effective de l’exploitation du médicament. S’il ne retrouve pas de repreneur après un délai de 9 mois et si le besoin ne peut pas être couvert de manière pérenne et si l’ANSM le demande, le titulaire de l’AMM concède à titre grâcieux à un établissement pharmaceutique détenu par une personne morale de droit public une licence d’exploitation et de fabrication du médicament pour le marché français pour une durée de deux ans reconductibles. La concession peut prendre fin de manière anticipée sur décision de l’ANSM si une entreprise met sur le marché un médicament similaire dans des conditions permettant de couvrir le besoin de manière durable. En cas de manquements à ces obligations, l’exploitant peut être soumis à une sanction. C’est en somme un régime très contraignant pour les entreprises concernées”, conclut Me Eléonore Scaramozzino. Les pharmaciens et la télémédecine embarqués dans la lutte contre les pénuries de médicaments L’article 3 du PLFSS 2024 présente l’intérêt de donner une définition concrète de la rupture d’approvisionnement, expression qui était jusque-là interprétée différemment selon les acteurs. Ainsi, “la rupture d’approvisionnement se définit comme l’incapacité pour une pharmacie d’officine ou une pharmacie à usage intérieur définie à l’article L. 5126‑1, de dispenser un médicament à un patient dans un délai donné, qui peut être réduit à l’initiative du pharmacien lorsque la poursuite optimale du traitement l’impose. Ce délai, ainsi que les diligences que le pharmacien doit accomplir pour dispenser le médicament, sont définis par décret en Conseil d’État”. Aussi, pour les médicaments concernés par ces ruptures, en particulier les médicaments d’intérêt thérapeutique majeur (MITM), “cet article 33 permet d’activer un levier pharmacien et un levier télémédecine, analyse Me Eléonore Scaramozzino. Côté pharmacien, il devient possible de recourir à l’ordonnance dite de dispensation conditionnelle. Cette dispensation est conditionnée par la réalisation d’un test rapide d’orientation diagnostique (TROG). Cette mesure a également sa place dans le combat contre l’antibiorésistance, qui est une priorité de santé publique”, rappelle Eléonore Scaramozzino. Cette mesure introduit également la possibilité, pour les pharmacies, de délivrer des médicaments à l’unité. “Dans le cadre des actes de télémédecine, complète Me Eléonore Scaramozzino, il devient possible de limiter la prescription de certains médicaments concernés par des ruptures d’approvisionnement” (la liste est fixée par arrêté). Un “malus”pour certains DM polluants Dans le cadre de la planification écologique portée par le Gouvernement, le PLFSS 2024 entend “encourager la sobriété dans l’utilisation du système de santé”. Principale cible : les dispositifs médicaux, parmi lesquels “les pompes avec des composants électroniques”. Soulignons que les dispositifs médicaux numériques (DMN) sont peu concernés par cette mesure. Ces derniers doivent déjà se soumettre à une évaluation de leur impact écologique, au travers d’un Ecoscore, s’ils souhaitent être référencés dans le catalogue de Mon espace santé. Écoscore des applications de santé : qui sont les bons et les mauvais élèves ? Dans les critères éthiques que l’outil Convergence impose, ajoute Me Eléonore Scaramozzino, l’ANS va également s’intéresser à l’empreinte carbone et plus largement à l’empreinte écologique. L’article 29 du PLFSS 2024 s’intéresse spécifiquement au “retraitement de certains dispositifs médicaux à usage unique” et autorise “leur mise à disposition sur le marché et leur utilisation”. Si cette proposition de mesure est adoptée, les établissements de santé seront autorisés à titre expérimental pour deux ans, à céder des dispositifs usagés et à acheter des dispositifs à usage unique retraités auprès de fabricants, en vue de leur réutilisation. “La liste des établissements hospitaliers participant à cette expérimentation sera fixée par arrêté, précise Me Eléonore Scaramozzino, et les hôpitaux concernés pourront acheter ou refaire traiter par une entreprise externe ces DM. Ils ne pourront pas les retraiter eux-mêmes, il y a donc ici la création d’un nouveau marché”. Un deuxième volet de cette mesure concerne la “remise” (une taxe, dans le jargon du PLFSS) dont devront s’acquitter les fabricants de produits “qui présentent un conditionnement inadapté ou dont l’utilisation est génératrice de déchets de soins supplémentaires ou de gaspillage par rapport à la prise en charge existante. Les avis de la CNEDiMTS doivent préciser dans quelle mesure les modèles de référence et les conditionnements sont adaptés aux conditions de prescription/modalités d’utilisation prévues”, détaille Eléonore Scaramozzino, ajoutant que “les niveaux de remise seront fixés par arrêté ministériel, après concertation avec les acteurs du secteur afin de fixer dans quelle mesure un produit avec un impact pourrait ne pas être intégré au mécanisme. Cette mesure marque un premier temps dans la lutte contre les impacts environnementaux négatifs, mais ce sont surtout les arrêtés qui vont déterminer la portée de cette mesure”, fait-elle remarquer. Pour Frédéric Girard, “cette mesure va dans le bon sens, mais il reste à en connaître les modalités d’application. Il faudra notamment veiller à ce que l’évaluation soit équilibrée et juste entre des produits qui seraient fabriqués en France et des produits fabriqués à l’étranger. Aujourd’hui, il est assez difficile d’avoir une compréhension objective de l’impact environnemental de produits fabriqués au bout du monde”, observe-t-il. Et de conclure : “le sujet de l’impact environnemental prend également de plus en plus de place dans les procédures d’achat public et pour les dossiers de réponse aux AMI (Appels à manifestation d’intérêt). C’est un sujet stratégique, même pour de petites entreprises”. Le PLFSS 2024 vu et expliqué par France Biotech PLFSS 2024 : ce qu’il pourrait changer pour les acteurs du numérique en santé Romain Bonfillon BiotechsDispositif médicalInnovationLaboratoiresMarchéMédicamentMinistèrePharmaciePLFSSRèglementaireRSEtéléconsultation Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Régulation et financement des produits de santé : le Snitem se prononce Le Leem soutient un “New Deal” de l’accès aux médicaments Ruptures d’approvisionnement : le Leem fait de nouvelles propositions