Accueil > Industrie > Alexandre Malouvier (ICON plc) : “La prochaine révolution concerne l’e-sourcing” Alexandre Malouvier (ICON plc) : “La prochaine révolution concerne l’e-sourcing” Fort d’une expérience de 25 ans dans les essais cliniques, Alexandre Malouvier est aujourd’hui Directeur dans l’unité Partenariats et Innovation médicale chez ICON, l’une des principales CRO mondiales. À ce titre, il suit de près les nouveaux usages et les promesses que représentent les essais cliniques décentralisés ou les biomarqueurs digitaux. Pour mind Health, il analyse les tendances du marché de la recherche et leurs enjeux. Par Sandrine Cochard. Publié le 03 mai 2022 à 23h26 - Mis à jour le 12 mars 2024 à 17h07 Ressources Comment ont évolué les méthodologies sur les données de santé en vie réelle, qui sont aujourd’hui présentes partout dans la recherche clinique ? Selon moi, la prochaine révolution concerne l’e-sourcing, c’est-à-dire la capacité à aller chercher l’information dans les dossiers électroniques des patients, dans les hôpitaux et chez les médecins. Avec un impact sur le Source Data Verification (SDV) : si vous faites du e-sourcing, vous n’avez plus besoin de faire du SDV ! L’autre voie, ce que l’on appelle le remote-SDV, est la possibilité d’aller vérifier les données des patients dans les dossiers électroniques des hôpitaux. Cette pratique soulève la question de l’accès aux données : comment autoriser l’accès au dossier médical d’un patient à distance, sans ouvrir les portes à tout le monde et à tous les patients ? Techniquement, c’est très compliqué. Pour permettre la portabilité des données, l’interopérabilité est un enjeu-clé. L’e-sourcing peut-il résoudre ce problème d’accès ? C’est encore plus compliqué ! En France en particulier, nous avons un éparpillement des différents types de dossiers électroniques, avec un empilement de solutions différentes, ce qui complique les choses. A l’inverse, les Etats-Unis ont imposé une méthode de codage uniforme (le codage FIHR) à l’ensemble des solutions de dossier électronique patient hospitalier et des médecins. Tant que l’on n’aura pas imposé un tel standard en France, recourir à l’e-sourcing ou au remote SVD sera compliqué. Je pense que cela va mettre une dizaine d’années à se mettre en place. Niveau interopérabilité, nous sommes encore très loin d’une solution satisfaisante pour tous. La dernière solution proposée par le gouvernement est fortement critiquée. [Étude exclusive mind Health] Quels industriels se sont le plus emparés des technologies numériques dans leurs essais cliniques ?[Étude exclusive mind Health] Quels acteurs français ont le plus adopté le numérique dans leurs essais cliniques ? L’an dernier, vous aviez détaillé pour mind Health l’essor des essais cliniques décentralisés. Une autre tendance émerge actuellement : celle des biomarqueurs digitaux… Lorsque les premières études décentralisées ont démarré il y a 2-3 ans, personne n’avait d’expérience réelle. Aujourd’hui, j’en suis à la trentième entreprise qui me propose une solution intégrée d’essai clinique décentralisé ! Le marché est en train d’exploser, mais très peu d’entreprises font les choses correctement. Les biomarqueurs digitaux suivent la même courbe, parce qu’il y a un intérêt énorme. La FDA n’est pas contre ces biomarqueurs, à condition qu’on démontre qu’ils sont valables (elle a d’ailleurs publié en décembre 2021 un guide sur le sujet des essais cliniques à distance, ndlr). Pour l’instant, on observe que dans certaines pathologies, neurologiques notamment, les biomarqueurs digitaux ne sont pas reconnus comme critères d’évaluation primaires. Les professionnels veulent conserver les endpoints qui étaient utilisés de manière classique – comme le test de marche de 6 minutes fait à l’hôpital – mais acceptent les biomarqueurs digitaux en critère d’évaluation secondaire. Matthieu Lamy (Ad Scientiam) : “Les biomarqueurs digitaux révolutionnent la recherche clinique et la prise en charge des patients” “Il y a des stratégies marketing de paiement à mettre en place avec les biomarqueurs digitaux.” Comment articuler ces deux biomarqueurs dans une étude clinique ? Pendant le développement clinique, on peut valider des biomarqueurs simples en phase 2 ou 3, comme par exemple l’activité d’une personne, et sélectionner en parallèle un biomarqueur numérique recueilli en vie réelle, par une montre connectée par exemple. Imaginons un produit qui facilite la mobilité sur des personnes atteintes d’hémophilie, qui sont assez peu actives de peur de se prendre un coup ou une blessure et de saigner. L’actigraphie utilisée comme endpoint secondaire peut montrer une diminution ou une augmentation de la mobilité avec le traitement. Concrètement, si un patient prend un traitement et se met à augmenter son activité, vous allez le voir. Avec un marqueur simple comme le nombre de pas réalisés dans la journée, que vous aurez mesuré et validé avec un appareil de qualité clinique et que vous pourrez utiliser après avec un appareil plus simple, vous pourrez faire valoir auprès des autorités un remboursement de votre produit, son bénéfice étant démontré par l’actigraphie. Il y a des stratégies marketing de paiement à mettre en place et qui doivent être réfléchies en amont. Donc oui, je vois un potentiel énorme pour les biomarqueurs digitaux. Peuvent-ils devenir un nouveau standard d’évaluation dans les études cliniques ces prochaines années ? Nous n’en sommes qu’au début. Il existe plusieurs initiatives de standardisation, de fabrication de bases et d’outils pour que tout le monde se mette d’accord et partage les données. Il n’y a pas un leadership qui a été pris par une autorité de santé comme l’EMA ou la FDA. Aujourd’hui, on voit surtout des initiatives issues principalement de l’industrie, à l’image du laboratoire Janssen qui, avec son initiative DEEP, est en avance sur le sujet. Les choses démarrent mais ce sujet sera absolument incontournable ces prochaines années, notamment pour les études qui peinent à recruter des patients. Par exemple, pour une étude clinique sur la stéatohépatite non alcoolique (NASH) – qui nécessite trois biopsies hépatiques – le taux de conversion des patients est inférieur à 1 %. Dans ce cas, les biomarqueurs digitaux sont une alternative intéressante. La société anglaise Perspectum a développé une technique d’analyse d’images sur IRM avec des biomarqueurs de l’inflammation, correspondant à la stéatose et à la fibrose, qui commencent à être acceptés. “Les essais cliniques décentralisés ne sont pas applicables à l’ensemble des aires thérapeutiques. En revanche, dans la quasi-totalité des études, il y aura des éléments de décentralisation.” Les CRO doivent-elles revoir leur modèle économique avec l’émergence des essais cliniques virtuels, décrits comme plus rapides et moins chers ? Les essais cliniques décentralisés ne sont pas applicables à l’ensemble des aires thérapeutiques. Pour de la chirurgie cardiaque par exemple, l’intervention principale et certaines évaluations ne peuvent être faites que dans des centres. En revanche, dans la quasi-totalité des études, il y aura des éléments de décentralisation : de la téléconsultation lorsqu’il ne sera pas utile de faire venir le patient dans un centre, des visites à domicile par des infirmières de recherche clinique équipées d’outils de télémédecine qui pourront aussi faire un prélèvement… On peut aussi s’interroger sur le besoin d’obliger le patient à passer à la pharmacie hospitalière si on peut envoyer son traitement directement chez lui. On pourra aussi utiliser le smartphone pour interagir avec le patient… Bref, les études vont être “patient centric” : elles seront bâties autour du patient, afin de lui faciliter la vie pour qu’il ait envie de rester dans l’étude. Les CRO qui ne sauront pas gérer cette évolution sont condamnées. On commence d’ailleurs à voir de plus en plus d’entreprises aux Etats-Unis qui développent des solutions de portabilité des données, comme Pluto Health, pour qu’un patient l’autorise à récupérer ses données auprès de ses assureurs, des hôpitaux, etc. C’est un des enjeux majeurs de santé publique dans les 10 ans. Robert Chu (Embleema) : “Un essai clinique totalement virtuel est cent fois plus rapide qu’une étude classique” Quelles nouvelles compétences cette évolution vers plus de décentralisation suppose-t-elle pour une CRO ? Il y a un enjeu fort autour de l’intégration des flux de données. Les CRO devront savoir intégrer ces flux de données, assurer leur intégrité et leur sécurité. Toutes n’ont pas cette maîtrise. Certaines petites CRO spécialisées, qui travaillent sur une niche thérapeutique particulière, pourront peut-être s’en tirer, mais aucune grosse CRO qui ambitionne d’avoir une mission globale ne pourra pas survivre sans intégrer cette décentralisation. Dans ce contexte, les quelques CRO qui seront capables de faire des essais totalement décentralisés auront un avantage majeur. Depuis le rachat de PRA Health Sciences par ICON, comment vous êtes-vous réorganisés pour suivre cette évolution ? Nous avons créé deux unités : un département DCT Ops et un autre consacré à la R&D. Nous avons repris un peu l’articulation qu’avait PRA en séparant la R&D – qui se concentre sur la création de notre propre solution – des “opérations”, qui travaillent sur l’utilisation de ces outils, les nôtres et ceux d’autres acteurs. Cela s’est fait facilement. Nous avons basculé une partie des personnes qui travaillaient dans le département des real world data de PRA, et qui avaient l’habitude de ces méthodologies, vers le département DCT. Aujourd’hui, elles sont une centaine. Quel sera le périmètre de la solution sur laquelle vous travaillez ? Nous travaillons actuellement sur les différents modules que l’on peut décentraliser, listés dans son livre blanc par l’ACROV (Association of Clinical Research Organisation), en les prenant les uns après les autres. Une fois de plus, nous faisons ceci non pas parce que nos essais seront 100% décentralisés, mais parce qu’ils pourront intégrer des éléments décentralisés. Notre solution n’exclut pas le centre et peut être utilisée dans l’ensemble des essais cliniques, décentralisés ou non. Elle permet donc de suivre le patient qui va à l’hôpital. Avec cette nouvelle masse de données, en vie réelle notamment, la recherche clinique peut-elle demain être envisagée comme une option thérapeutique ? Le CRAACO (Clinical Research as a Care Option) est effectivement l’étape suivante. Mais comme pour les essais cliniques décentralisés, tout le monde ne pourra pas faire du CRAACO. De nombreuses études sont possibles comme le suivi des vaccins, de la pharmacologie de sécurité, le suivi de pathologies chez des médecins généralistes ou spécialistes et non à l’hôpital… Par exemple, qu’un patient qui va chez son cardiologue peut se voir prescrire son traitement habituel contre l’hypertension ou la participation à une étude de phase 3 ou 4. Le cabinet du cardiologue devient un centre et vous avez accès à la recherche comme une option thérapeutique. Pour que cela fonctionne, il faut que le citoyen ait confiance dans la gestion de ses données de santé. Comment lui donner ces garanties ? La discussion avec le médecin est fondamentale pour que les gens s’orientent vers une étude clinique. Ce n’est pas parce que vous avez de la donnée que vous avez des patients dans vos essais cliniques. Chez ICON, nous avons accès aux données de 280 millions d’Américains. Nous travaillons également avec d’autres entreprises qui ont accès à de la donnée de patient identifiables, ce qui n’est pas notre cas, et nous avons un partenariat avec CVS, un des plus gros réseaux de pharmacie américain. Mais ce n’est pas parce que vous avez des millions de patients dans votre base de données que vous allez réussir à identifier ceux qui sont éligibles à votre étude et à les “convertir”, c’est-à-dire à les recruter dans votre étude. La clé de l’entrée dans une étude clinique, c’est la confiance. Cette relation existe avec son médecin, parce que vous avez confiance dans le traitement qu’il va choisir pour vous. Ensuite, la question de la protection, de la sécurité et de l’intégrité des données est essentielle. Quelles sont vos attentes au sujet de Darwin EU, ce “réseau européen d’analyse de données et d’interrogation du monde réel” ? En tant que citoyen, je suis ravi car c’est une étape majeure dans la santé publique. En tant qu’épidémiologiste, je suis fou de joie parce que je vois des choses sublimes, avec enfin de la pharmacovigilance qui tient la route. Mais en tant que CRO, c’est la fin ! Darwin EU va permettre une évaluation des produits de santé en vie réelle, à grande échelle. Cela aura un impact sur les laboratoires puisque tout ce qui concerne la sécurité et l’efficacité d’un produit sera comparé aux autres et pourra être exposé, à l’image des études sur l’efficacité des vaccins contre le Covid. Nous allons obtenir un niveau de transparence et de granularité inédit. Alexandre Malouvier Depuis novembre 2021 : Directeur dans l’unité Partenariats et Innovation médicale chez ICON Juillet 2021 – novembre 2021 : Senior Director Commercial & Strategic Healthcare and Technology Partnerships, Digital Health chez ICON Janvier 2021 – juin 2021 : Director Commercial & Strategic Healthcare and Technology Partnerships, Digital Health chez PRA Health Sciences Octobre 2019 – janvier 2021 : Director Global Data Strategy, Digital Health chez PRA Health Sciences Septembre 2015 – octobre 2019 : Director of Scientific Affairs, Real World Solutions (RWS) chez PRA Health Sciences Sandrine Cochard Biomarqueurs digitauxDCTDonnées cliniquesDonnées de santédonnées de vie réelleEssais cliniquesLaboratoiresRechercheStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Le nouvel enjeu des données de vie réelle analyses Quels usages pour la blockchain en santé ? 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