Accueil > Industrie > RSNA 2023 : pas de grande révolution de l’IA, mais un marché qui se structure RSNA 2023 : pas de grande révolution de l’IA, mais un marché qui se structure L’intelligence artificielle était dans toutes les discussions au RSNA 2023. Mais entre le buzz et les réelles applications cliniques, qu’est-ce que les radiologues peuvent attendre de cette technologie ? mind Health passe en revue les principales tendances de l’IA lors de la 109e assemblée scientifique et réunion annuelle de la Radiological Society of North America (RSNA), qui s’est déroulée du 26 au 30 novembre 2023 à Chicago. Par Clarisse Treilles. Publié le 05 décembre 2023 à 23h15 - Mis à jour le 06 décembre 2023 à 11h05 Ressources La grand-messe annuelle des radiologues a dédié cette année toute une partie de son espace d’exposants à l’IA. Historiquement, la radiologie a toujours été le secteur médical le plus tôt imprégné par l’IA, comme en témoigne la liste mise à jour des dispositifs médicaux intégrant de l’IA publiée par la Food and Drug Administration (FDA) le 19 octobre dernier. Sur les 17 domaines de santé représentés, la radiologie est de loin celui où cette technologie est la plus appliquée (couvrant 77% des autorisations), devant les troubles cardiovasculaires. Selon les estimations de Maximize Market Research, la taille du marché de l’IA dans l’imagerie médicale devrait passer de 1,72 milliard de dollars en 2022 à 14,9 milliards de dollars d’ici 2029. Des algorithmes et des techniques d’IA sont intégrés dans les systèmes d’imagerie médicale, tels que les rayons X, l’IRM, la tomodensitométrie et l’échographie. Ces solutions basées sur l’IA sont conçues pour améliorer la précision, l’efficacité et les capacités de diagnostic et combler les besoins en médecine plus personnalisée et prédictive. Les outils d’IA peuvent permettre, par exemple, de détecter et caractériser précocement des lésions difficiles à voir à l’oeil nu, accompagner les radiologues dans l’interprétation de mammographies ou encore améliorer la qualité des images en réduisant les bruits et en visant des scanners de plus en plus “low dose”. L’IA omniprésente en façade Mark Phillips, Head of Research and Medical Affairs chez Annalise.ai, une société spécialisée dans les solutions d’IA de triage, a fait le voyage depuis l’Australie pour suivre ce congrès. Sur la base de son expérience, Mark Phillips a pu constater trois vagues d’IA successives appliquées à l’imagerie médicale jusqu’à aujourd’hui. La première vague, dit-il, est “une IA qui cherche des problèmes à résoudre. A l’origine, l’IA a été poussée dans la pratique de la radiologie sans être véritablement centrée sur un cas clinique précis.” La deuxième vague a tenté de corriger ce travers : “Nous avons regardé les bons résultats de l’IA pour appliquer la technologie sur un problème bien défini. Par exemple, une IA dont le but est de détecter un nodule pulmonaire ne va rien faire d’autre, mais va le faire très bien.” Pourtant, ce travail centré sur une seule tâche à la fois ne constitue pas à proprement parler “un travail de radiologue” souligne Mark Phillips, qui, selon lui, aussi “s’intéresse par exemple au thorax ou aux fractures des côtes dans la même journée”. La troisième vague de l’IA, plus générale, dans laquelle Annalise.ai se démarque aujourd’hui se veut donc plus calquée sur les compétences réelles du radiologue : “Nous effectuons plus de 120 résultats pour la radiographie pulmonaire et autant pour les scanners du cerveau, afin de bien couvrir tout ce qu’il s’y passe” explique Mark Phillips. Le Pr Jean-Paul Beregi, chef du service de Radiologie et Imagerie Médicale au CHU Nîmes et Président du Collège des Enseignants en Radiologie de France (CERF), voit très clairement quatre applications où l’IA a fait des progrès en radiologie : l’intégration de l’IA dans le workflow du radiologue ; la reconstitution d’images : “Cela existait déjà sur le scanner depuis un moment et cela arrive également sur l’IRM, pour permettre de réduire le temps d’acquisition ou augmenter la résolution spatiale notamment. C’est une révolution” ; La détection de lésions difficiles à voir à l’oeil nu ; Un certain nombre d’applications cliniques, comme la segmentation d’organes pour la radiothérapie, la segmentation pour une cartographie préopératoire et le triage. “Toutefois, ces applications cliniques butent aujourd’hui sur l’absence de remboursement” constate le Pr Jean-Paul Beregi. Pour Romain Cazavan, CEO de Medexprim, l’IA n’a pas montré de prouesses révolutionnaires cette année au RSNA. “L’IA continue sur sa lancée dans un marché qui se structure. Le temps est plus à la consolidation des grands constructeurs qu’à une profusion, comme c’était le cas il y a quelques années dans l’ère pré-covid” déclare ce dernier. L’IA pour optimiser les workflow La prudence des grands constructeurs se fait l’écho de barrières d’adoption encore fortes et de modèles de remboursement à définir. Pour Roy Jakobs, CEO de Philips, “il faut faire en sorte que les outils d’IA soient simples à utiliser et que leur intégration apporte de la valeur”. L’un des bénéfices qui se dessine clairement au RSNA 2023 est l’optimisation du workflow. En analysant rapidement d’énormes quantités de données médicales, l’IA a le potentiel de rationaliser les procédures de flux de travail des établissements dans lesquels opèrent les radiologues. “Le workflow est sans doute l’un des seuls retours sur investissement de l’IA qui soit mesurable, même s’il n’a pas d’impact réel sur le patient, puisque c’est une affaire de productivité” constate le Pr Jean-Paul Beregi. Simon Rost, Chief Marketing Officer chez GE Healthcare, est aussi de cet avis. Parmi les 40 solutions innovantes de GE Healthcare que l’on trouve sur le stand de la société, un orchestrateur de flux de travail retient notre attention. Destiné à augmenter la productivité et fluidifier la rotation des équipes, il fonctionne de la manière suivante : “Le logiciel attribue chaque examen à un radiologue en fonction de son emploi du temps, de son expérience et de sa spécialité” explique Simon Rost. Le logiciel de la société sud-coréenne Lunit est proposée sur la plateforme d’orchestration de GE Healthcare GE Healthcare propose aussi un orchestrateur d’applications tierces, une tendance que l’on retrouve aussi chez d’autres constructeurs qui ont fait le déplacement au RSNA. Cet “App orchestrator” de GE Healthcare centralise des algorithmes d’IA en provenance d’autres entreprises au sein d’une seule et même plateforme. “25 algorithmes provenant de sept sociétés différentes sont aujourd’hui présents sur la plateforme. Les établissements de santé disposent ainsi d’une source fiable pour choisir les applications sur lesquelles ils s’appuient, sans consacrer plus de ressources IT et de temps à la partie gestion” précise Simon Rost. Les solutions d’IA sont présentée sur le stand de Philips Philips met en œuvre une stratégie d’orchestration un peu similaire. L’entreprise néerlandaise travaille à l’élaboration d’un “cockpit” du radiologue, en intégrant notamment dans ses services un “AI Manager”, qui se trouve être une sorte de “marketplace d’algorithmes” décrit Shez Partovi, chief Innovation & Strategy Officer de Philips. “Les radiologues veulent implémenter des algorithmes d’IA d’autres entreprises certifiées par la FDA et le marquage CE, et il faut qu’on fasse en sorte de ne pas donner l’impression d’un système fermé”. A titre d’exemple, dans la sous-catégorie de la mammographie, les solutions d’IA marquées CE de Claripi (ClariSigmam), d’iCAD (ProFound AI), de Densitas (DENSITAS IntelliMammo), de Lunit (INSIGHT MMG) et de Transpara (Transpara) sont prises en charge au sein de la plateforme de Philips, qui devient ici un vendeur neutre. Cette tendance pourrait-elle résoudre l’épineuse question de l’accès au marché ? Selon Thomas Bonnefont, chief operating officer et chief commercial officer chez Median, “la concentration du marché sera de plus en plus forte d’ici quelques années, pour ne garder que les acteurs avec les bons produits et la meilleure stratégie d’accès au marché.” L’IA en cancérologie, une voie qui se dessine Les solutions d’imagerie intégrant de l’IA sont également très exploitées en cancérologie. Au RSNA 2023, Median Technologies s’inscrit notamment dans cette tendance. “De congrès en congrès, on observe un vrai soutien des radiologues à l’adoption de l’IA. Ils attendent l’IA de deuxième génération, pour la caractérisation des nodules après la détection. Je suis vraiment impressionné par l’adoption de la technologie. Même si elle est encore naissante, les radiologues ont bien compris qu’ils vont devoir l’utiliser. On voit aujourd’hui que toutes les sociétés savantes ont constitué des groupes de travail autour de l’IA en radiologie” a déclaré Antoine Disset, Global Market Access Director chez Median Technologies. Median opérait jusqu’à présent sur le versant iCRO (imaging CRO) de la recherche clinique. L’entreprise se diversifie aujourd’hui avec la structuration de sa branche diagnostique intitulée Eyonis, qui va se spécialiser dans un premier temps dans le cancer du poumon et le cancer du foie. L’entreprise souhaite développer des dispositifs médicaux numériques embarquant de l’IA afin de détecter de façon précoce ces pathologies. Mais l’entreprise a encore fort à faire avant de gagner les marchés américains et européens, comme l’ont expliqué ses dirigeants français rencontrés au RSNA. “Nous ciblons principalement les programmes de dépistage et les procédures de scanner. En Europe, il existe encore très peu de programmes de dépistage, à l’exception de quelques pays comme la Croatie, la Pologne et l’Angleterre. Il y a toute une éducation à faire sur le dépistage, qui est un élément majeur de santé publique. L’IA va pouvoir aider l’ensemble des médecins à cartographier et détecter les nodules dans le cancer du foie et du poumon” souligne Antoine Disset. Une étude pivot est actuellement en cours avant l’obtention de la certification 510(k) de la FDA et du marquage CE. “L’objectif est de démontrer une meilleure performance du radiologue qui utilisera notre produit” note Thomas Bonnefont, chief operating officer et chief commercial officer chez Median. Median Technologies couvre le marché ambulatoire, or “ce marché nécessite un code de remboursement pour que les radiologistes privés puissent faire du dépistage. Et là on tombe sur un os, et notamment en France”, évoque Antoine Disset. Pas d’adoption sans contrôle Les acteurs de l’imagerie ont bien en tête aussi les défis sur le plan éthique qu’il va falloir surmonter pour intégrer l’IA dans les solutions en routine. Tout le monde semble en avoir conscience et s’impliquent à son niveau, à l’instar de Philips qui a pris part à l’initiative lancée par l’Académie américaine de médecine portant sur un code de conduite pour l’usage de l’IA en santé. Ce code de conduite va fournir un cadre directeur à suivre afin que les algorithmes d’IA et leurs applications dans la santé fonctionnent de manière sûre, fiable et éthique. “Nous sommes très impliqués sur les questions d’éthique. Nous sommes conscients que l’IA a besoin d’être guidée. C’est un travail qui doit être collectif, partagé entre les hôpitaux, les sociétés savantes et les régulateurs”, a déclaré Roy Jakobs. Pour Shez Partovi, cette chasse aux biais de l’IA doit commencer dès l’entraînement des données : “Quand on construit un algorithme, le volume, la vélocité et la variété sont les trois éléments nécessaires à respecter pour que l’algorithme soit le moins biaisé possible. Toutes les équipes d’IA devraient entraîner régulièrement leurs algorithmes”. Benoit Huet, Artificial Intelligence & Data Science director chez Median, constate que les biais sont inévitables. Le but est de bien les contrôler : “Nous essayons d’avoir des cohortes d’entraînement qui sont les plus diverses possibles et les plus représentatives possibles, même si nous disposons de moins de données sur les nodules malins que sur les nodules bénins. Malgré ces biais présents dans les données d’entraînement, nous faisons en sorte de connaître et contrôler leur impact en réalisant un travail statistique sur des bases de données classées en sous-catégories.” Quid de l’IA générative ? Il n’y a pas encore d’applications d’IA générative, mais les premières expérimentations commencent à se mettre en place, comme en témoigne Roy Jakobs qui assure que “l’IA générative sera la prochaine évolution chez Philips”. GE Healthcare montre la voie avec son projet de recherche collaboratif lancé cette année avec Nuance Communications et Microsoft, visant à rassembler automatiquement toutes les études antérieures pertinentes sur un sujet donné et en faire un résumé au radiologue dans le flux de travail d’imagerie. Le radiologue pourrait aussi vérifier la source des informations fournies. Ce programme, qui est pour l’heure au stade expérimental, travaille sur l’application de documentation clinique DAX Express de Nuance, combinée au grand modèle de langage GPT-4. Pour l’heure, aucun calendrier n’est arrêté. GE Healthcare veut d’abord profiter du RSNA pour tester l’appétence des visiteurs pour cette expérimentation autour de l’IA générative. Clarisse Treilles Dispositif médicalImagerie médicaleIntelligence ArtificiellePartenariatRecherchestart-upStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind