Accueil > Industrie > Stratégie > Comment l’industrie du médicament et des DM s’est approprié le télétravail Comment l’industrie du médicament et des DM s’est approprié le télétravail Si les industriels de la santé ont été touchés, comme tous les autres secteurs, par la succession des confinements et des protocoles sanitaires gouvernementaux, ils n’ont eu d’autres choix que de continuer leur activité. En première ligne face à la COVID-19, ils ont généralisé le télétravail pour éviter les pénuries de médicaments et de matériels médicaux, et développer des vaccins et des traitements pour endiguer l’épidémie. Par Fabrice Mateo. Publié le 30 mars 2021 à 16h47 - Mis à jour le 30 mars 2021 à 16h59 Ressources La crise sanitaire a accéléré la transformation digitale de l’industrie pharmaceutique et celle des dispositifs médicaux avec l’approfondissement des solutions de télétravail. Si les entreprises interrogées se sont gardées de communiquer le montant des investissements réalisés pour permettre aux employés de continuer à travailler depuis chez eux, ils ont accéléré la mise en œuvre de cette forme de travail. Chez UCB, la décision de passer de Skype à Teams était prévue pour fin 2020. Elle s’est concrétisée beaucoup plus tôt, lors du premier confinement de mars 2020. Idem chez Novartis, “où le déploiement de Teams devait se faire progressivement sur neuf mois et a été réalisé en deux semaines”, informe Philippe Maure, DSI de Novartis France. L’équipement des salariés L’industrie ne partait pas de zéro, loin de là. Cinq des six entreprises interrogées (voir tableau) avaient déjà mis en place avant la pandémie une politique de télétravail et les solutions qui vont avec. “Tout nouvel arrivant reçoit chez UCB un ordinateur portable et un téléphone avec Wi-Fi illimité. Avec la crise nous avons octroyé en plus une contribution de 50 euros par mois et un chèque de 150 euros pour l’achat d’ameublement adapté au télétravail”, précise Catherine Rives, présidente d’UCB France. “Chez Johnson & Johnson, une collaboration avec le transporteur DHL a permis la collecte ou fourniture de matériel informatique afin de minimiser le déplacement des collaborateurs”, annonce, Claudine Chaibelaine, DSI. Du côté de Siemens Healthineers, “nous avons fourni des écrans plus grands, des souris, des claviers Bluetooth afin que le confort du travail à la maison se rapproche de celui du bureau. Nous avons aussi permis à nos collaborateurs d’emmener chez eux leur chaise du bureau», affirme Thierry Huchet, DRH, ou quand le système D s’invite dans une multinationale. GSK n’est pas en reste avec “un ordinateur ou un ipad, un casque et un clavier”, selon Christina Gliott, directrice IT, et “150 € par salarié de GSK, remboursable en note de frais pour obtenir, par exemple, un fauteuil plus ergonomique ou un écran déporté”, selon Jean-Charles Rebours, DRH de l’entreprise. Pour Novartis, c’est la configuration même du siège qui a préparé les salariés au travail à distance. “Selon ses besoins (concentration, grande ou petite réunion, temps de pause), le collaborateur peut changer de bureau : c’est l’Activity Based Working”, explique Philippe Maure. Des différences selon les métiers Toutefois, tous les salariés ne sont pas logés à la même enseigne. Pour assurer la continuation de l’activité, livrer les médicaments ou les dispositifs médicaux, les employés des sites de production et des forces de vente ont continué à assurer du présentiel tout en se réinventant. Ces fonctions, cruciales pour éviter la pénurie, se sont adaptées à la crise et les mentalités ont changé : “Pour la production, la croyance était qu’il était nécessaire d’être présent à l’usine quasiment tous les jours pour que le travail se réalise. Nous nous sommes rendu compte que non. Pour ce qui concerne les visites des responsables commerciaux et des délégués hospitaliers, elles ont, certes, été restreintes, mais la relation avec les clients a été maintenue en phygital (ndlr : solution de travail qui intègre à la fois le physique et le digital)”, reconnaît Virginie Nobilet, directrice des ressources humaines de B. Braun France. Quitte, chez Siemens Healthineers, à “être plus strict que les mesures gouvernementales sur les gestes barrières et la distanciation sociale pour les visites commerciales. Très rapidement, après avoir stoppé complètement les visites lors du premier confinement, nous avons rendu le masque obligatoire, autorisé qu’une seule personne par voiture et décidé une distance minimum de deux mètres avec les clients”, assurent de concert Isabelle Attia, responsable du département IT de la branche française de l’entreprise, et Thierry Huchet. S’agissant des activités de recherche qui nécessitent du présentiel pour réaliser les expérimentations, les maîtres mots sont l’adaptation et la sécurité. “Les chercheurs ne se rendent sur site que lorsqu’ils ont besoin de réaliser leurs expériences”, note Catherine Rives. Et lorsqu’ils viennent sur site, “les mesures de sécurité sanitaire ont été renforcées chez B. Braun”, assure Virginie Nobilet. Des investissements dans l’infrastructure Pour assurer un télétravail devenu la règle, toutes les entreprises contactées insistent sur l’augmentation des ressources informatiques car les salariés en télétravail peuvent travailler à toutes heures et de n’importe où. Pour ce faire Johnson & Johnson a, par exemple, “étendu le monitoring (ndlr : la surveillance et la mesure de l’activité informatique) de toutes ses infrastructures 24h sur 24 et 7 jours sur 7”, selon Claudine Chaibelaine. “Chez Novartis, nous avons multiplié par trois le nombre d’accès simultanés à notre VPN”, constate Philippe Maure, passant ainsi de 20 000 connexions simultanées à 60 000 pour l’ensemble des salariés de l’hémisphère nord. La sécurité du matériel informatique s’est également renforcée. Sans être exhaustif, voici certaines mesures prises ou renforcées par les entreprises interrogées : certificats et réseau VPN chez B. Braun ; disques cryptés et code de l’ordinateur connu seulement par chacun des collaborateurs chez Siemens Healthineers ; postes de travail protégés par chiffrement et connexion à distance via un VPN chez Johnson & Johnson. Chez Novartis, un groupe d’experts a été mis en place pour monitorer l’ensemble du réseau et lutter contre les agressions. Des tests de spam, des diffusions de films avec des scénarios alternatifs sur les bonnes pratiques à adopter ont aussi été réalisés. Du côté de GSK, un groupe central gère la sécurité avec un serveur dédié et, comme chez toutes les autres entreprises, des campagnes de sensibilisation ont été menées auprès des salariés pour expliquer les risques informatiques car, comme le souligne Christina Gliott, “toute l’industrie pharmaceutique a été particulièrement ciblée depuis le début de la crise, aussi nous avons recruté bon nombre de spécialistes de cybersécurité au niveau global de GSK”. Panorama de solutions numériques utilisées par des industriels du médicament et du DM Nombre de salariés en FranceNombre de sites en FranceActivités (R&D, production, commerciale...)Nombre de jours de télétravail avant la criseFournisseurs de solutions de télétravailNovartis30006Recherche, producion, innovation digitale, accès au marché1,5 jours par semaineMicrosoft (Teams), British Telecom, Wipro, Miro, GlobalMeetB. Braun20007 + 18 établissements de soinsRecherche, production, logistique, service et prise en charge de l'insuffisance rénale chronique1 à 8 jours par moisMicrosoft (Teams, OneDrive, SharePoint, Forms, Onenote, Planners)Johnson & Johnson30006Recherche, production, logistique, administratif, commercialpas d'accord de télétravail avant la criseMicrosoft (Teams, OneDrive, SharePoint, Yammer) Zoom (Meetings, Webinar)UCB1601Administratives, commerciales2 jours par semaineMicrosoft Teams, Veeva Engage, Corp AcademySiemens Healthineers8571 siège +15 sites ou agences pour les commerciaux et les techniciensCommercial, services1 jour par semaine pour la moitié des salariésMicrosoft 365 (Teams, Yammer, SharePoint)GSK36004Production d'antibiotiques, de médicaments respiratoires, de vaccins et développement cliniquejusqu'à 2 jours par semaineMicrosoft (Teams), Cisco (Webex), Facebook (Workplace), Veeva Engage L’accompagnement des salariés Quant à la formation, désormais à distance dans la grande majorité des cas, elle n’a pas été délaissée et parfois même amplifiée, notamment pour l’utilisation des nouveaux outils qui est devenue prioritaire. Ainsi, Johnson & Johnson, dans l’urgence de mars 2020, a élaboré et déployé des lignes directrices et des formations sur les différents logiciels permettant le travail à distance. Plus tard, l’entreprise américaine a peaufiné son offre de formation : “Nous avons mis en place une initiative, Mydigitaltips, diffusée sur notre réseau social Yammer, pour partager des trucs et astuces concernant les outils digitaux. Cela nous permet de découvrir ou d’approfondir des fonctionnalités de, notamment, Teams, Zoom, OneDrive, Outlook, mais aussi de travailler sur les bonnes pratiques en matière de vigilance informatique et de cybersécurité”, relate Claudine Chaibelaine. Le tout en adoptant chez Johnson & Johnson une démarche écoresponsable visant à réduire la pollution numérique, par exemple, en n’activant sa caméra que lorsqu’on prend la parole lors des visioconférences. Il s’avère aussi nécessaire d’accompagner les nécessaires retours en présentiel, souvent à la demande des salariés qui souhaitent maintenir un lien social et physique avec leurs collègues ou qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser les infrastructures du bureau, mais ces déplacements sont soumis à “l’approbation d’une cellule de crise chez Siemens Healthineers”, confie Isabelle Attia. Chez UCB, ceux qui le souhaitent ont la possibilité de revenir un jour par semaine avec une limite : “ne pas dépasser un quart de la capacité d’accueil du siège sachant que la plupart du temps ce sont les salariés qui demandent à venir”, prévient Catherine Rives. Ajoutons que l’enjeu du passage à un télétravail, devenu mantra, n’était pas uniquement technique. “L’organisation d’un télétravail à 100 % relevait aussi et sinon plus d’un accompagnement managérial et d’une acculturation digitale de nos salariés. C’est pourquoi nous avons essayé de gérer cette période avec flexibilité et bienveillance”, précise Claudine Chaibelaine, DSI de Johnson & Johnson. Même précaution chez UCB, où les réunions à distance sont interdites de 12h à 14h et après 18h. Rien ne sera donc plus comme avant. “On est en pleine réflexion chez GSK, même si se projeter sur un monde post-COVID est encore difficile pour toutes nos équipes. Dans l’état actuel de nos réflexions, il ne sera pas possible de revenir au monde d’avant car les employés se sont habitués à travailler depuis chez eux et à aller dans l’entreprise quand ils en ont besoin. La seule certitude est que le télétravail sera plus présent qu’il n’a été. La question est de savoir où on place le curseur entre temps en télétravail et sur site. C’est une question qui nous dépasse encore car les aspirations des collaborateurs sont des mouvements profonds. Nous y réfléchissons, nous sondons nos employés et d’ici la fin de l’année, nous saurons un peu plus où nous pouvons aller”, assure Jean-Charles Rebours. “Nous avons connu le télétravail avant la COVID-19, pendant la COVID-19 et, comme nous avons bon espoir d’en sortir, nous connaîtrons le télétravail après la COVID-19. Des groupes de travail planchent sur la question chez Siemens Healthineers”, commente Thierry Huchet. Lorsque la crise sera derrière nous, Catherine Rives prévoit déjà d’étendre de deux à trois jours de télétravail par semaine : “Les employés ne viendront au siège d’UCB France que pour un but précis, quand ils devront assister à une réunion ou qu’ils auront besoin de quelque chose en particulier”. Virginie Nobilet se veut, elle, philosophe : “Le travail à domicile n’est plus considéré comme une récompense, un privilège ou un droit, mais tout simplement comme un autre lieu de travail”. 3 questions à Pascal le Guyader (Leem) : “Le secteur s’en tire bien” Directeur général adjoint du Leem, Pascal le Guyader revient sur les mesures mises en place par l’industrie pharmaceutique pour la continuité d’activité dans le cadre de la crise sanitaire. Comment l’industrie pharmaceutique s’est adaptée à la crise ? L’industrie a organisé le maintien de ses opérations industrielles car il était vital de produire. Déjà, avant la crise, vous ne rentriez pas sur un site sans surchausse, masques, gants, blouses et lavage des mains. Nous avons négocié auprès du ministère de l’industrie pour que les employés des sites de production soient considérés comme des personnels essentiels, notamment pour circuler la nuit. Toutes les opérations de R&D se sont poursuivies en présentiel où les gestes barrières sont aussi inhérents à cette activité. Là où nous avons eu des difficultés, en mars 2020, ce sont pour toutes les activités promotionnelles. Est-ce que le télétravail est devenu la norme ? Très largement pour les sièges sociaux. Pour la production, non. Pour la R&D, oui. Pour l’activité promotionnelle, il existe un mixte entre approcher les médecins par la visioconférence et le face à face. Comment s’est déroulée la continuité de l’activité ? Nous n’avons connu que très peu d’activité partielle hormis pour des établissements qui connaissaient des cas de COVID-19 et qui fermaient pour quinze jours. Mais, les salariés se sont appropriés les logiciels Zoom & Co très rapidement. Cela ne veut pas dire qu’économiquement, le secteur soit homogène car vous avez des firmes spécialisées sur l’automédication, sur les maladies périodiques comme les gastroentérites ou les grippes et qui ont connu une baisse de leur activité. Mais, d’une manière macroéconomique, le secteur s’en tire bien. Fabrice Mateo Dispositif médicalIndustrieLaboratoiresRessources humaines Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Pour le Leem, le cabinet Kearney se penche sur les enseignements de la crise COVID-19 Étude de cas Quand Sanofi Pasteur partage les apprentissages de la mise en œuvre de sa stratégie multicanale Les réponses à la crise liée à la pandémie de COVID-19