Accueil > Parcours de soins > Comment l’IA est en train de transformer la filière dentaire Comment l’IA est en train de transformer la filière dentaire Ces 20 dernières années, le marché de la dentisterie a fait, grâce au numérique, sa révolution. D’abord grâce aux capteurs numériques appliqués à la radiologie, puis avec les empreintes optiques utilisées désormais en routine pour la reconstitution prothétique. La dernière grande avancée technique a été permise par l'arrivée, depuis 2 ou 3 ans, de l'intelligence artificielle dans des solutions qui rendent la prise en charge du patient plus sécurisée, plus précise, plus personnalisée. Focus sur ces dernières mutations du secteur, avec 3 start-up françaises : ASISPO, Allisone et LOVIS. Par Romain Bonfillon. Publié le 15 novembre 2022 à 22h23 - Mis à jour le 03 janvier 2023 à 14h40 Ressources Particulièrement touché par le phénomène du renoncement aux soins (lié aux restes à charge importants et à la peur des traitements) le marché de la dentisterie s’est démocratisé ces dernières années, grâce à l’émergence des centres dentaires “low cost” et à la création du dispositif “100 % Santé” (cf. notre encadré). Les activités d’implantologie, de soins prothétiques et d’orthopédie dento-faciale (branche de l’orthodontie qui s’intéresse en particulier aux os de la mâchoire) alimentent le dynamisme du secteur : le marché français, nous apprend le cabinet d’études sectorielles Businesscoot, a progressé de 15% entre 2010 et 2019 et de 2,5% entre 2018 et 2019. En améliorant la précision des diagnostics, la compréhension du patient et son adhésion au plan de traitement, l’intelligence artificielle veut élargir encore plus les soins dentaires. Pour le professionnel, qui a la particularité d’exercer à la fois le rôle de clinicien et de radiologue, il s’agit de lui faire gagner du temps et d’améliorer son expertise. Gagner du temps, réduire les litiges Thomas Gouritin, CEO de la start-up ASISPO Expert chatbot et intelligence artificielle, Thomas Gouritin conseille depuis une dizaine d’années des grands comptes en santé. Il est également le co-fondateur et CEO de la start-up ASISPO (prononcer A6P-0, référence à peine voilée à la saga Star Wars), qui propose un robot conversationnel. “Lors de discussions avec des acteurs du secteur comme la MACSF ou l’UFSBD, nous avons identifié avec le Dr Jean-David Wolfeler (chirurgien oral et co-fondateur d’ASISPO) deux problématiques : un temps administratif très long associé à des difficultés de recrutement d’assistant(e) dentaire, ce qui nécessite de faire gagner au chirurgien du temps médical ; un besoin de réduire les risques post-opératoires et les litiges. Toutes spécialités confondues, 43% des patients opérés en ambulatoire ne sont pas recontactés” (source : E-satis 2021 de la HAS), rappelle Thomas Gouritin. “L’immense majorité des litiges concerne un manque de communication entre le patient et le médecin” Dr Jean-David Wolfeler, chirurgien oral et co-fondateur de ASISPO “Les seuls heurts que j’ai connus en 22 ans de carrière concernent des situations où les patients n’arrivaient pas à me joindre et l’immense majorité des litiges concerne un manque de communication entre le patient et le médecin”, témoigne le Dr Wolfeler. Pour construire la solution ASISPO, le Dr Wolfeler s’est appuyé sur l’analyse data de toutes les réclamations patients faites par mail, pendant 4 ans. Le chatbot qui en découle permettrait, selon Thomas Gouritin, de faire gagner 5 à 6 heures de temps médical par semaine. Car, “dans 96% des cas, explique le Dr Wolfeler, il s’agit simplement de rappeler au patient les consignes post-opératoires. Pour des petits saignements ou un fil qui met du temps à se résorber, le robot parvient à rassurer le patient et lui évite de passer 5 heures aux urgences pour repartir avec une boîte de paracétamol”, observe le Dr Wolfeler, pointant du doigt le rôle délétère joué par la consultation d’internet, qui conduit souvent le patient à des états de panique. En cas de véritable urgence, assez rare, le robot envoie par SMS une alerte au médecin. L’écueil des applications pour les patients Détail qui a son importance : ASISPO n’est pas une application mais une solution SaaS ne nécessitant aucune installation. Cette contrainte technique (il est beaucoup plus simple de créer une application, confie le Dr Wolfeler) est pourtant apparue comme une nécessité pour faire adopter très largement la solution. “Je travaille dans un groupe de cliniques, qui avait décidé de créer une application que le patient pouvait télécharger pour récupérer une facturation, rappeler ses rendez-vous, envoyer des notifications, etc. Le taux d’adoption était inférieur à 5%, là où ASISPO atteint 92%. Personne, ou presque, ne télécharge sur son smartphone une application pour une simple intervention, fait remarquer le Dr Wolfeler. Créée il y a deux ans, ASISPO est aujourd’hui présente dans plusieurs réseaux de soins. La start-up, qui vient de signer un partenariat avec Juxta, entend stratégiquement s’appuyer sur les éditeurs et distributeurs de logiciels pour se déployer rapidement. “Lorsqu’elle sera largement utilisée, la solution pourra être connectée à un outil de téléconsultation”, projette Thomas Gouritin. La jeune histoire du dentaire et du numérique Dr Jean-David Wolfeler, chirurgien oral et co-fondateur de ASISPO Le Dr Jean-David Wolfeler, qui est également administrateur de la Société française de chirurgie orale (SFCO) est devenu dentiste en 2000 et a vu le numérique changer le visage de sa profession. “Cela a commencé lorsqu’on nous a demandé d’arrêter nos dossiers papiers et de commencer à utiliser des dossiers numériques, comme le faisaient déjà les systèmes CRM des grosses entreprises. Trois grandes avancées technologiques ont suivi. D’abord les capteurs numériques en radiologie, qui ont changé la donne, aussi bien en termes de qualité d’image que de qualité des soins. Les doses d’irradiation des patients pu être considérablement diminuées, car les capteurs numériques permettent d’amplifier le signal. La deuxième grande avancée, poursuit-il, concerne les empreintes optiques. Finie la grosse pâte épaisse que l’on mettait dans la bouche du patient. Désormais nous utilisons des scanners qui permettent de faire de la reconstitution prothétique en full numérique, sans passer par des empreintes physiques. Enfin, la dernière révolution technologique, apparue il y a 2 ou 3 ans, est l’application de l’intelligence artificielle à la radiologie. Deux start-up françaises sont à la pointe de ce secteur, note le Dr Wolfeler, Allison et Dental monitoring. À noter que cette dernière a réalisé en octobre 2021 une levée de fonds record de 150 M$. Télémédecine et dentaire “Au premier abord, concède le Dr Wolfeler, on s’interroge sur l’intérêt de la télémédecine appliquée à une discipline qui nécessite un examen approfondi. A distance, impossible de faire un plan de traitement ou un diagnostic”. Certaines solutions technologiques permettent cependant de faire du télésuivi ou de la télésurveillance. Fondée en 2015, la société Dental Monitoring a été la première à intégrer la télémédecine au parcours de soins dentaires et orthodontiques. La société a créé une IA permettant de lire la position des dents pour pouvoir générer des gouttières invisibles (orthodontie sans bague) et calculer à distance (cf. vidéo) les mouvements dentaires. Créée il y a 3 ans, la start-up bisontine LOVIS (à ne pas confondre avec l’assurtech Lovys) s’est également positionnée sur le secteur de la télémédecine appliquée au dentaire, avec l’ambition de proposer “une plateforme qui permet à n’importe qui de réaliser des bilans bucco-dentaires gratuitement en ligne”. Lauréate du prix Silver Valley 2022, dans la catégorie médico-social et sanitaire, la société a d’abord pensé sa solution pour les personnes âgées et dépendantes. Fondateur et directeur médical de la société, le Dr Charles Faroche a, à ses débuts, été dentiste conseil auprès d’une ARS et pu constater, dans le cadre d’opérations de dépistages, “le scandale sanitaire” que représentaient les soins dentaires – ou plutôt leur inexistence – dans les EHPAD. “Il m’est apparu que l’on avait besoin d’un outil pour éduquer les patients, et en particulier les personnes âgées, mais aussi plus largement pour tous les patients, afin de créer du lien avec les professionnels”, explique-t-il. “Nous allons permettre au patient d’exprimer ses sensations au travers de mots bien précis, que notre version pour les praticiens va traduire dans un langage médical”. DR Charles Faroche, fondateur et directeur médical de LOVIS Revendiquant un usage aussi bien en téléexpertise qu’en télésurveillance, la solution est aujourd’hui surtout utilisée dans la phase de pré-diagnostic. Alimentée par des questionnaires et des photos. LOVIS accompagne également le patient en l’aidant, par exemple, à localiser précisément une douleur. “Nous allons lui permettre d’exprimer ses sensations au travers de mots bien précis, que notre version pour les praticiens va traduire dans un langage médical. Le professionnel bénéficie donc de la pré-qualification faite avec le patient via la plateforme, c’est une façon d’optimiser son temps. Dans son tableau de bord, il voit une succession de bilans qui ont été pré-analysés par nos algorithmes qui génèrent des alertes s’il y a des éléments qui doivent attirer l’œil du praticien”, explique Charles Faroche. La start-up LOVIS travaille aujourd’hui avec environ 300 praticiens sur le volet du handicap et de la dépendance. “Nous sommes en train de signer un partenariat avec deux réseaux de cliniques dentaires qui ont 800 praticiens, pour déployer l’outil auprès du grand public”, ajoute-t-il. À noter que la télémédecine appliquée au domaine dentaire ne fait pas encore l’objet d’un remboursement par l’Assurance-maladie. “L’une des raisons est qu’il n’était pas possible jusqu’à maintenant possible d’avoir un exercice digne de ce nom”, estime Charles Faroche, ajoutant qu’”aujourd’hui, on peut permettre une prise en charge cohérente de ces actes-là et garantir aux praticiens d’avoir un produit pertinent pour eux et leurs patients”. Un avis largement partagé par l’UFSBD, qui détaille les différents cas d’usage de la télémédecine dans les soins bucco-dentaires. Autorisée depuis 2010, la télémédecine appliquée au dentaire pourrait donc, selon le fondateur de LOVIS, obtenir très prochainement un droit au remboursement. L’enjeu de l’adhésion au traitement Avec une solution très différente, mais fonctionnant aussi grâce à l’IA, la start-up Allisone (qui a récemment levé 10 M€) entend également augmenter le faible taux d’adhésion aux traitements dentaires, qui constitue une difficulté pour la profession. “Au fil des années, je me suis aperçu que l’on passe beaucoup de temps à expliquer à nos patients ce que montre une radio. Ils ne comprennent pas toujours ou, lorsqu’ils comprennent et qu’ils reviennent deux semaines plus tard, ils ont oublié”, observe Lionel Elbaz fondateur et CEO d’Allisone. Lionel Elbaz fondateur et CEO d’Allisone Faisant le constat qu’en France, 35% seulement des patients en France décident de se soigner après une consultation chez le dentiste, la start-up a décidé de trouver un moyen de combattre ce renoncement massif aux soins, en proposant une solution de visualisation facile des radios dentaires, accessible au patient. Grâce à des algorithmes de deep learning qui ont appris d’images radiologiques annotées par un comité scientifique composé de dentistes, le logiciel Allisone analyse ces radios et met en exergue certains éléments, grâce à un code couleur. Cette analyse donne aux praticiens une deuxième “opinion” sur leur diagnostic, permet de réduire le temps de conception du plan de traitement et augmente l’adhésion du patient à ce plan, en facilitant la communication patient/médecin. Ce dernier enjeu, celui de la confiance, est de taille et la marge de progrès encore importante. La start-up Allisone relève que 61% des patients ont déjà demandé une seconde opinion après leur visite chez leur dentiste. Le logiciel Allisone analyse les radios dentaires et met en exergue certains éléments, grâce à un code couleur. L’offre « 100 % Santé » dentaire Depuis le 1er janvier 2020, l’offre 100 % Santé dentaire permet d’être entièrement remboursé par l’Assurance Maladie et sa mutuelle ou complémentaire santé sur les bridges et les couronnes dentaires. Cette offre avec reste à charge zéro a été élargie le 1er janvier 2021 aux dentiers (prothèses amovibles). D’autre part, la nouvelle convention, explique le Ministère de la Santé, vise en priorité à réorienter l’activité des chirurgiens-dentistes vers davantage de prévention et de soins courants dit conservateurs. L’objectif est de “favoriser un recours plus fréquent à ces soins, plus respectueux des dents et des tissus dentaires, en revalorisant leurs tarifs ou en les prenant nouvellement en charge”. Les chiffres du secteur La profession de médecin dentiste est marquée par une tradition libérale, qui est le mode d’exercice le plus représenté : plus de 80% des 43135 chirurgiens-dentistes. En 2021, le secteur dentaire a généré 2,35 Mds € de CA. Les entreprises du secteur sont majoritairement des PME. Celles de 20 salariés et plus génèrent près des 2/3 du chiffre d’affaires alors qu’elles représentent moins de 15% du nombre total d’entreprises du secteur (Source : Comident). 95% des patients s’accordent à dire qu’ils obtiennent de meilleurs soins avec des solutions numériques et 2 patients sur 3 envisagent de passer à un dentiste équipé en numérique (étude Digital Dentistry Difference : Global Consumer survey, CSD, novembre 2019) La dernière vaste enquête sur les renoncements aux soins (Statistiques sur les ressources et les conditions de vie (SRCV), Insee, 2007) révèle que près de 7% des personnes de 16 ans et plus ont renoncé au moins une fois, au cours des douze derniers mois, à consulter un dentiste. L’obstacle financier est le motif de renoncement le plus fréquemment cité, juste devant la peur des soins. – Les affections bucco-dentaires touchent plus 3,5 milliards de personnes dans le monde selon l’OMS et engendrent des coûts directs et indirects de près 545 milliards de dollars. Romain Bonfillon Application mobileAssurance MaladiechatbotdentaireDispositif médicalImagerie médicaleIntelligence ArtificielleMarchémédecinPatienttéléconsultationTélémédecinetélésuiviTélésurveillance Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Biotech Dental collabore avec deux start-up françaises spécialisées en IA La start-up française DentalMonitoring lève 150 millions de dollars Le droit français doit désormais autoriser la publicité aux médecins et dentistes Téléconsultation : Comment SantéClair a intégré l’offre naissante de MesDocteurs