Accueil > Parcours de soins > Dr Guillaume Marchand (AP-HP) : “Les formations en e-santé sont un galop d’essai, mais un bon début” Dr Guillaume Marchand (AP-HP) : “Les formations en e-santé sont un galop d’essai, mais un bon début” Psychiatre et médecin du sommeil, le Dr Guillaume Marchand va enseigner dès la rentrée aux étudiants de deuxième année de santé de l’Université Paris-Cité, toutes spécialités confondues, les fondements des dispositifs médicaux et autres objets connectés utilisés à vocation de télésurveillance, de télésuivi ou de télémédecine au sens large. Ces formations ont un double objectif : donner aux étudiants des clés de compréhension sur les promesses concrètes de la e-santé, et préparer les prochains professionnels de santé à travailler dans un environnement clinique et réglementaire en profonde mutation. Par Clarisse Treilles. Publié le 10 septembre 2024 à 15h31 - Mis à jour le 10 septembre 2024 à 15h31 Ressources En cette rentrée, vous allez proposer un cours sur les dispositifs médicaux et objets connectés pour les étudiants de deuxième année en santé (médecine, pharmacie, infirmier-e-s, dentaires, maïeuticien-ne-s), dans le cadre d’un nouveau programme consacré à la e-santé. Comment préparez-vous cette matière qui fait son entrée à l’université ? Cette année, je suis l’un des enseignants du nouveau module e-santé à l’Université Paris-Cité, désormais obligatoire pour les externes de toutes les professions en santé. Je vais animer un cours consacré aux dispositifs médicaux et aux objets connectés en santé. Si le contenu du programme tel qu’il a été pensé pour l’année 2024-2025 peut être encore amélioré dans ses thèmes et leurs répartitions, je trouve que le projet de transmettre les bases socles qui constituent les problématiques de la e-santé, allant du logiciel métier aux offres grand public en passant par la e-ordonnance et la télémédecine, est une excellente idée. Ce galop d’essai est un bon début. Les cours écrits seront doublés par des cours vidéo d’une trentaine de minutes que les étudiants pourront voir autant de fois qu’ils le souhaitent. Le volume horaire atteint 28 heures au total, ce qui semble être plutôt un bon signal. Un bilan annuel jugera la pertinence et le format des cours. Nous allons aussi interroger les étudiants pour recueillir leurs ressentis, les sujets qui les ont intéressés et les éventuelles lacunes identifiées. Comment votre expérience sera-t-elle mise à contribution pour cette formation inédite ? Cela fait plus de dix ans que j’explore la santé numérique, en ayant vécu les cycles d’engouement et de sédimentation des innovations. En qualité de psychiatre spécialisé dans le sommeil, mon profil a toujours oscillé entre les projets entrepreneuriaux et la pratique médicale. Fin octobre, je vais d’ailleurs entamer une nouvelle étape. Je quitterai mon poste à temps plein au centre du sommeil, où je continuerai néanmoins d’exercer à temps partiel des fonctions de recherche et d’enseignement de la santé numérique, pour commencer en parallèle une expérience libérale. Je me suis proposé en tant qu’enseignant sur un thème où je me sentais le plus légitime à intervenir après mon expérience dans l’évaluation des applications et objets connectés en France et aux États-Unis, DM ou non. J’ai aussi la chance que mes deux principales spécialités, la santé mentale et le sommeil, se prêtent très bien au numérique. Le domaine du sommeil est en effet très numérisé, en particulier en raison du syndrome de l’apnée du sommeil, dont nous télésuivons depuis longtemps les machines à pression positive continue (PPC). Quant aux innovations liées aux nouveaux objets connectés et à l’intelligence artificielle, j’observe que les professionnels se questionnent sur leur pertinence, leur responsabilité vis-à-vis des patients, sur la faisabilité clinique à court terme, ainsi que sur le remboursement de ces dispositifs disponibles sur le marché. Toutes ces questions pratiques, qui permettent de balayer les champs médicaux, réglementaires et de l’accès au marché, seront adressées dans les cours. Quels sont les principaux enseignements sur les DM à transmettre à de futurs praticiens ou entrepreneurs en santé ? Aux futurs soignants, je souhaite transmettre de façon claire et simple la réglementation qui entoure les DM. Le but des cours, qui s’adressent à un public âgé d’une vingtaine d’années, est de balayer les fausses croyances sur les niveaux de preuve : Quelles sont les contraintes qui pèsent sur le développement et la diffusion de DM, notamment en Europe ? Quelles sont les évaluations cliniques exigées ? Puis-je librement les utiliser dans la pratique voire en recommander à mes patients ? J’ai choisi de présenter des cas d’étude concrets aux étudiants pour illustrer ces idées, à travers le télésuivi du diabète, du sommeil ou l’installation dans les Ehpad de bornes de télémédecine. Les entrepreneurs en santé disposent dorénavant de nombreux contenus en ligne, produits par la puissance publique, les associations et le privé. Les fonds d’investissement ont aussi développé pour certains de réelles capacités en interne sur la santé numérique. Le mentorat s’est aussi bien déployé. Pour ces deux publics, je crois beaucoup à l’apprentissage par la réalisation et nous allons proposer au Diplôme Universitaire de e-santé de l’Hôtel-Dieu un nouveau format qui suit les étapes de développement d’une solution à partir de l’an prochain. HelloBetter vient de se voir refuser la PECAN… Est-ce important de s’intéresser aux thérapies digitales dès l’université ? La grande majorité des thérapies digitales ciblent aujourd’hui le domaine neuro-cérébral, traitant notamment la douleur, l’insomnie, la dépression ou les dysfonctions érectiles. Il faut tout de même bien comprendre ce qui distingue les DTx d’applications numériques classiques, que l’on retrouve dans les magasins d’applications mobiles, ainsi que les différences entre les thérapies numériques et la télésurveillance, ce qui n’est pas encore très clair pour tout le monde. Je rencontre trop de médecins qui pensent que les DTx vont alerter en continu sur l’évolution de leurs patients. C’est un frein psychologique et professionnel évident qu’il faut dissiper clairement. Nous attendions le remboursement du premier DTx dans l’insomnie, HelloBetter. La compréhension ou le processus d’évaluation n’est peut-être pas encore optimal pour ce type de solution. Je ne pense pas que ce soit le produit en tant que tel ou le besoin auquel il répond qui soit rejeté, car il y a aujourd’hui près de 10 millions d’insomniaques en France. Si certains ne sont pas chroniques, ils sont malheureusement souvent traités par voie médicamenteuse avec des benzodiazépines ou apparentées. Or, cela n’est pas efficace dans le temps, avec des dépendances importantes et des troubles neuro-cognitifs à long terme. De plus, on sait maintenant que les troubles du sommeil sont hautement comorbides, liés aux douleurs, cancers, facteurs de risques cardio-vasculaires et pathologies psychologiques. Aller vers ce type de solutions permet d’offrir aux patients une prise en charge étiologique pertinente et accessible sur tout le territoire. Comme l’intelligence artificielle doit-elle être enseignée selon vous ? Je pense qu’il faut prendre en compte trois aspects de l’IA. La première couche doit être purement informationnelle et servir les usages. Il faut expliquer ce qui fonctionne, ce qui est légal et pertinent sur le plan à la fois clinique et organisationnel. Par exemple, je peux témoigner de l’efficacité de l’IA vocale pour réaliser des synthèses de comptes rendus et de courriers. C’est un domaine qui monte, et qui serait intéressant de présenter tôt aux étudiants, d’autant que des outils similaires permettent de synthétiser les cours magistraux. Le deuxième point à enseigner relève de l’utilisation initiale et continue des données. Un praticien qui disposerait de dix ans de données dans ses dossiers médicaux peut être amené à se demander dans quelle mesure l’IA peut servir à mettre en lumière des biomarqueurs à partir de ces données non exploitées. Beaucoup de confrères pensent actuellement qu’il suffit de brancher une API d’un LLM type ChatGPT pour faire émerger la future start-up. C’est une méconnaissance à la fois des réglementations et de la portée réelle de ces outils d’IA générative. En recherche clinique, c’est aussi une thématique qui va être développée l’an prochain dans le cadre du DU en e-santé à l’Hôtel-Dieu. Il est, par exemple, important de faire comprendre à ceux qui souhaitent entreprendre que les projets qu’ils développent s’installent sur un temps long, et qu’un prototype doit passer des validations cliniques et réglementaires avant d’arriver sur le marché. Le troisième sujet qui concerne l’IA porte sur des questions plus techniques, pour les professionnels de santé qui s’intéressent au data engineering au sens large. Cela concerne une très petite partie seulement des médecins. Je pense qu’il faut adresser ces questions dans des formations spécialisées hors du tronc commun pour comprendre le fonctionnement des inférences, des modèles d’entraînement et des bases de données. Vous mentionnez l’IA vocale. Est-ce une innovation technologique capitale pour vous ? À défaut d’être un blast technologique, cela devient une vraie commodité d’usage. Il faut bien comprendre que les technologies vocales ne sont pas nouvelles, puisqu’elles existaient déjà avec les solutions Dragon de Nuance et l’assistant Siri d’Apple. À la différence près que Siri n’était pas en mesure de comprendre les références à la fluoxétine par exemple, là où les technologies plus récentes ont entraîné leurs bases de données spécifiquement sur ces termes médicaux. On voit d’ailleurs aujourd’hui que beaucoup d’entreprises se positionnent sur ce secteur, à l’instar de Nabla, Doctolib et bientôt Docaposte. Le public a besoin de cette étape de réassurance pour ensuite se confronter à des usages plus structurants, certains médecins ayant peur d’être “vassalisés” par l’IA à court terme. Il reste tout de même deux points d’immaturité à souligner. Le premier est lié à la façon dont est organisé le système hospitalier. J’observe une très faible interopérabilité de tous ces outils d’IA avec les DPI. Sur le volet lié à l’expérience utilisateur, il faudrait aussi que ces outils d’IA, qu’il s’agisse de reconnaissance vocale ou écrite, puissent aller vers la pré-consultation. En médecine du sommeil, ces outils de triage se révèleraient précieux pour pré-qualifier notamment les troubles du sommeil rencontrés chez les patients. Au-delà de l’orientation des patients et du dépistage, l’étape qu’il manque aujourd’hui est aussi l’étape administrative. Je suis obligé bien souvent de réécrire les informations sur les patients. On pourrait imaginer un système où les patients dictent certaines informations, comme leur IMC ou les traitements qui leur sont prescrits, par téléphone ou en prenant des photos, avant de se rendre chez un nouveau médecin. Quels sont les grands chantiers de la rentrée au Centre du Sommeil ? Nous allons mener une grande étude, baptisée “Night Connect”, dans laquelle nous allons analyser la pertinence des montres et bagues connectées versus le gold standard qu’est la polysomnographie et le port d’un actimètre DM. Oura, Apple, Samsung et d’autres sortent actuellement leurs nouveaux modèles à coup de communication centrée sur l’activité, le sommeil et les scores de risques. Il me paraît vital de compléter les études existantes par un enrôlement important de patients et de pouvoir répondre enfin à la question “puis-je utiliser de manière fiable ces outils ?” en tant que médecin mais aussi patient. Le recrutement débute fin septembre jusqu’à la mi-décembre. L’étude est menée sur fonds publics indépendamment des fabricants. Comment a évolué l’usage des outils numériques dans votre pratique ? Le sommeil est une spécialité investie de longue date dans la télésurveillance. Sur mes dashboards, j’ai un contrôle sur toutes les machines de mes patients atteints d’apnée du sommeil. Je peux voir qui a une bonne observance avec une bonne efficacité, ainsi que celles et ceux que je vais revoir précisément pour faire le point. C’est un gain de temps et d’efficacité considérable lorsqu’on prend le temps d’en faire un outil de pilotage au service de ses patients. En psychiatrie, en revanche, pas grand-chose ne décolle dans les soins à ma connaissance, en dehors des outils d’addictions au tabac peut-être, mais nous voyons ce que donneront le grand plan national sur la santé mentale et le projet prévention piloté par l’AIS. Ici aussi nous attendons avec impatience de pouvoir prescrire des DTx et de faire évoluer nos pratiques le cas échéant. Mais il ne faut pas nier la réticence des psychiatres eux-mêmes à être connectés. Même s’il y a demain de bons produits validés cliniquement et un bassin de population en souffrance très large, sans la prescription des médecins rien ne passera. Cela rejoint les enjeux de la formation, initiale et continue, pour assurer une équité d’accès à ces solutions sur le territoire demain. Je reste persuadé que nous allons collectivement y arriver. CV de Guillaume Marchand Depuis novembre 2022 : Psychiatre, Médecin du sommeil, Chef de Clinique au Centre du Sommeil et de la Vigilance – Hôtel-Dieu (AP-HP)Août 2020 – juillet 2022 : Psychiatre, Chef de Service – Unité Universitaire HéliosMars 2019 – janvier 2020 : Président de France Digitale HealthSeptembre 2015 – mars 2019 : Président cofondateur de France eHealth Tech2011 – février 2019 : P-DG et cofondateur de DMD Santé2009 – 2014 : Résident en psychiatrie et responsable du déploiement de l’informatisation des soins entre 2012 et 2013 au CHU de Rouen Clarisse Treilles Dispositif médicalDonnées de santéFormationHôpitalIntelligence ArtificiellePsychiatrieRecherchesanté numérique Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind