Accueil > Parcours de soins > Robert Chu (Embleema) : “Un essai clinique totalement virtuel est cent fois plus rapide qu’une étude classique” Robert Chu (Embleema) : “Un essai clinique totalement virtuel est cent fois plus rapide qu’une étude classique” Les données de vie réelle connaissent actuellement un essor sans précédent. Pour preuve, l'Alliance française des données de vie réelle a vu le jour mi-juillet. Quelle est leur valeur ajoutée ? Comment les sécuriser ? Les explications de Robert Chu, CEO d'Embleema, accordées à mind Health. Par Camille Boivigny. Publié le 18 octobre 2021 à 14h59 - Mis à jour le 28 mars 2022 à 10h40 Ressources Vous avez été les premiers vous lancer sur le marché des données de santé en vie réelle combinées à la blockchain. Comment conserver cette avance ? Robert Chu : Nous avons été les premiers en 2018 à lancer en production un système basé sur la blockchain. J’ignore si d’autres sociétés possèdent des blockchains en production. Nombre de preuves de concept ont été réalisées mais c’est une technologie qui demeure émergente. Il manque encore tous les outils d’administration de système, de gestion de performance et de services, de planification de la capacité. Nous en avons développé toutes les couches afin que notre technologie soit robuste. Il existe plusieurs types de registres distribués, comme la blockchain. Lequel utilisez-vous ? R. C. : Nous utilisons Fabric. La souche technique est hyperledger, selon nous la plus robuste et scalable. Les autres blockchains ne nous paraissent pas aptes pour élaborer des systèmes d’information en entreprises. Notre blockchain est privée, nous gérons tous les nœuds. Aucun tiers n’y a accès. Nous considérons que tout ce qui est dessus peut être vu par l’extérieur et qu’il n’y a pas de réelle confidentialité des données. Même si elles sont encryptées, nous considérons qu’elles demeurent visibles. Il ne faut pas mettre de données sensibles, de santé ou personnelles. On ne met jamais une donnée identifiante ou “sensible” au sens où l’entend la Cnil. Comment le garantir ? R. C. : Nous ne mettons que des données “hachées” sur notre blockchain, c’est-à-dire les résultats d’algorithmes de hachage de données sources, provenant d’un dossier médical par exemple. C’est un processus irréversible : on ne peut pas dériver la donnée source à partir de la donnée hachée. Il ne s’agit pas d’un chiffrement que l’on peut renverser ou reconstituer. Sur la blockchain, les identifiants sont anonymes comme dans les essais cliniques. Pour les patients, on utilise des numéros et des lettres. Tout faire virtuellement coûte 100 fois moins cher qu’un essai clinique classique Pourquoi l’écosystème ne découvre qu’aujourd’hui les données de vie réelle ? R. C. : Parce qu’elles ont été révélées par la crise sanitaire. Le standard, pour les autorités ou les médecins, ce sont les essais cliniques, parce que c’est le niveau de qualité le plus élevé. Cela présuppose que la collecte de la donnée ait lieu à l’hôpital durant une visite pour l’essai clinique. Ce qui est devenu quasi impossible avec la pandémie de covid car les patients ne s’y rendaient plus ou parce que l’hôpital en avait stoppé l’activité. Aux États-Unis, tous les médecins non impliqués dans la gestion de la crise covid ne travaillaient plus à l’hôpital. Or, si on ne peut plus faire d’essais cliniques, on ne peut plus collecter de données. On ne peut qu’utiliser une alternative comme Embleema. Votre activité a donc été boostée par cette crise ? R. C. : Pour la collecte de données de vie réelle à distance, sans que le patient se déplace, oui très clairement. Il faut agir ainsi désormais, ne pas demander à des patients de faire 200 km pour participer à un essai alors que des données existent déjà. Il y a moins de chute du taux d’adhésion. Toutes les métriques montrent que c’est la bonne méthode. Tout faire virtuellement (recrutement du patient, partage de ses données de vie réelle etc.), coûte 100 fois moins cher qu’un essai clinique. On a réalisé plusieurs études, comme un essai clinique digital, on a pris des patients envoyés chez un médecin qui doit les screener et recruter, puis on a fait la même chose de manière virtuelle. Le bras virtuel est allé 100 fois plus vite que le classique. Bras synthétique, jumeau numérique ou virtuel, données recyclées, quelles différences ? R. C. : C’est la même notion. Le bras synthétique est né de la difficulté nouvelle de voir des patients en présentiel. Dans un essai clinique classique, la moitié des patients prend le produit actif, et l’autre un placebo ou un médicament existant si c’est une étude comparative. Dans le cadre d’une étude avec un groupe sous placebo, comme le groupe placebo ne prend rien, il n’est pas utile ni éthique, de faire venir les patients. Si on peut disposer d’un jumeau numérique, en sachant que tel patient prend tel médicament, pour telle maladie, lui peut faire partie du bras comparateur : c’est un bras comparateur placebo synthétique. La caractérisation du patient synthétique basée sur ses données de vie réelle est simplement une représentation numérique. Quelle est la typologie de vos clients ? R. C. : Pour l’instant, ils sont uniquement américains. Des projets démarreront bientôt en France. Nous travaillons avec des hôpitaux, équivalents de CHU (Mayo Clinic, l’université de San Francisco, New York Langone…), de grands centres réputés en recherche clinique et académique. Ce sont plutôt des partenaires que des clients, dans le sens où ils vont recruter les patients, récolter les données de vie réelle et cliniques. Nous travaillons aussi beaucoup avec des associations de patients puisque notre blockchain protège leur identité et leur confidentialité. Ils sont en contrôle de leurs données. Les associations nous fournissent le contenu descriptif des maladies dont nous ne sommes pas experts. Par exemple l’épilepsie, l’asthme, l’eczéma etc. Quant à nos clients “payeurs”, il s’agit des laboratoires pharmaceutiques et biotech qui ont besoin de données en vie réelle. Qu’en est-il de la FDA (Food and Drug Administration) ? R. C. : C’est notre plus grand client. Leur cas d’usage avec notre technologie consiste à rendre la donnée de qualité réglementaire. Afin d’asseoir une décision réglementaire sur un nouveau produit en s’assurant que tout ce qui relève de la datascience est solide, scientifiquement robuste et auditable. Ils utilisent nos technologies pour faire tout ce travail de ré-analyse de données très complexes. Le dernier contrat passé avec eux est de 6 M$ sur trois ans. En quoi consiste-t-il ? R. C. : Il s’agit de constituer une base de données de recherche comprenant toutes les informations génomiques annotées des variants du covid-19 et d’une manière générale, de tous les variants des pathogènes (influenza, grippe, HIV, hépatite B, salmonelle). À travers la plateforme Embleema, la FDA partagera ces données avec l’ensemble des chercheurs dans le monde. Lorsqu’un laboratoire pharmaceutique utilise une donnée de référence sur notre plateforme, la FDA sait qu’elle est de qualité réglementaire et qu’elle répond à des critères de qualité élevés qui comprennent la provenance, l’auditabilité de tous les traitements réalisés dessus. Tout le pipeline de traitement de la donnée doit se conformer au maximum aux standards internationaux. Nos algorithmes permettent de garantir une véracité dans l’analyse. En plus d’éviter les fraudes ou la falsification, notre système accélère l’approbation réglementaire des produits de santé relatifs à tous ces pathogènes et leur mise à disposition aux patients. Les CRO ne font pas partie de votre clientèle ? R. C. : Non, on pourrait travailler avec elles mais elles nous considèrent comme des concurrents. Le fondement de leur activité est de mobiliser nombre de collaborateurs au sein des hôpitaux pour missionner les médecins de recruter tels patients. C’est une activité par essence basée sur de la main-d’ œuvre. Leur modèle de facturation est à la journée. Plus l’essai clinique dure, plus leur business modèle, historique, est alimenté. C’est le contraire pour nous. Nous pouvons accélérer les essais cliniques par cent, sans main d’œuvre. La monétisation des données, même en recherche, est compliquée. Quel est votre modèle économique ? R. C. : Notre facturation se base sur du software, avec des contrats généralement pluriannuels. Pour x patients sur un essai clinique, on facture une licence logiciel par patient et par mois. Concernant la monétisation des données, le patient est généralement rémunéré dans un essai clinique, même en France. L’action d’un essai clinique est de collecter de la donnée. Vous autorisez un sponsor, une CRO, à utiliser vos données et recevez une rémunération. Ce modèle existe déjà. De manière générale, la donnée possède de la valeur uniquement lorsqu’elle est de qualité. Collectée en vrac, cette valeur est nulle, même en grande quantité. Plus la donnée est complexe et complète, un profil génomique avec des informations médicales par exemple, plus elle possède de la valeur. Cela dépend du type de données, de son cas d’usage. Techniquement, les données ne sont pas stockées, sur la blockchain. Est-ce un moyen d’en sécuriser la traçabilité ? R. C. : Effectivement, nous ne stockons aucune donnée de santé sur la blockchain, mais ces fameux hachages. Ils ont deux objectifs : renforcer le consentement du patient et renforcer la traçabilité. A chaque fois qu’un traitement est réalisé sur une donnée, c’est tracé par un hachage. C’est un outil d’auditabilité, ce qui est très utile pour le RGPD. On garantit technologiquement le respect du consentement Lors de votre lancement en Europe vos process seront déjà prêts, sans obstacle réglementaire supplémentaire ? R. C. : C’est une protection technologique de la confidentialité des patients. Une des plus grandes problématiques actuelles est le consentement du patient, qui n’est pas forcément éclairé. Deuxièmement, ce qu’on appelle le reconsentement : dans un essai clinique, le premier consentement est bien fait. Mais lorsqu’un effet indésirable survient six mois après, vous devez encore informer le patient et recueillir à nouveau son consentement pour poursuivre. Ce n’est jamais fait à 100 %. Il y a des cas où les données du patient sont utilisées sans son consentement. En codant le consentement du patient dans la blockchain et en faisant en sorte qu’aucun partage ou analyse d’une donnée ne soit réalisée sans vérifier auprès de la blockchain que c’est conforme au consentement, on garantit technologiquement le respect du consentement. Faites-vous le choix de vous concentrer sur les USA ? R. C. : Pour l’instant c’est un choix de marché. Ce dernier est plus grand, évolue plus vite. Nous disposons de cette relation privilégiée avec la FDA. Nous sommes dans certains domaines la référence du marché. Le choix est donc de se développer au maximum aux États-Unis. On peut fonctionner ainsi durant encore plusieurs années. Dans vos objectifs à moyen et long termes, privilégieriez-vous plutôt le marché européen ou asiatique ? R. C. : Nous pouvons nous lancer sur les deux dans les années à venir, cela fait partie de notre stratégie. La Chine s’est récemment dotée d’un RGPD. Cela ouvre-t-il des perspectives ? R. C. : Tout à fait. Tous les grands pays comme la Chine, la Corée du sud, le Japon ou l’Australie ont désormais des protections qui commencent à ressembler au RGPD. Notre système devient par conséquent très pertinent. L’intérêt des marchés des autres pays asiatiques est le nombre de patients : 250 millions de personnes, dotées d’une grande diversité génétique, ce qui en fait un terrain très favorable pour recruter des patients pour des essais cliniques car ce sera moins coûteux. Robert CHU Co-fondateur & CEO d’Embleema Senior Vice President, Global Technology, IQVIA (2015) Président Chine- Asie Pacifique, IQVIA (2013) Président, IQVIA France (2011) Les chiffres-clés d’Embleema en 2021 Fondée en 2017 +30 clients dans les sciences de la vie, les hôpitaux et associations de patients Seule plateforme de bio-informatique agréée par la FDA pour les évaluations réglementaires DATA L’équipe Data de mind Health a mené ces dernières semaines une vaste étude sur les essais cliniques, à partir de l’analyse de la base ClinicalTrials. 1 – Quelles technologies innovantes ont été les plus adoptées dans les essais cliniques depuis 2000 ? 2- Quels industriels se sont le plus emparés des technologies dans leurs essais cliniques ? 3- Quels acteurs français incluent le plus le numérique dans leurs essais cliniques ? Camille Boivigny AlgorithmesblockchainCOVID-19CybersécuritéDonnées cliniquesDonnées de santédonnées de vie réelleDonnées privéesEssais cliniquesHôpitalIntelligence Artificiellejumeau numériquemédecinPatientRechercheRessources humainesRGPDSystème d'information Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire DIGITALEUROPE se dote d'un conseil exécutif Dossier [Étude exclusive mind Health] Quels acteurs français ont le plus adopté le numérique dans leurs essais cliniques ? Données de vie réelle : Aetion et Cegedim Health Data reconduisent leur partenariat Comment la crise sanitaire a accéléré la valorisation des données de santé en vie réelle aux États-Unis Dossier [Étude exclusive mind Health] Comment les technologies numériques ont révolutionné les essais cliniques depuis 20 ans Comment a émergé un standard GS1 Datamatrix pour les produits d’investigation clinique Partenariat entre Alira Health et Embleema Déploiement d'une blockchain pour un essai clinique de Transgene COVID-19 : mise à disposition d'une appli blockchain pour recueillir les résultats des tests de dépistage IA et big data, technologies les plus disruptives en 2021