Accueil > Médias & Audiovisuel > Pourquoi les associations publicitaires françaises saisissent l’Autorité de la concurrence contre Apple Pourquoi les associations publicitaires françaises saisissent l’Autorité de la concurrence contre Apple L'IAB France, la MMAF, le SRI et l'UDECAM, soit tous les organismes représentant les intérêts des professionnels de la publicité en ligne, estiment qu'Apple veut entraver délibérément la concurrence avec les restrictions au tracking utilisateur prévues prochainement dans iOS 14. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 28 octobre 2020 à 15h35 - Mis à jour le 28 mai 2021 à 17h33 Ressources Les quatre associations professionnelles françaises de la publicité en ligne, l’IAB France, la MMAF, le SRI et l’UDECAM, ont annoncé mercredi 28 octobre dans une conférence en ligne avoir saisi l’Autorité de la concurrence à propos du comportement d’Apple. Elles lui reprochent un abus de position dominante et une manoeuvre anticoncurrentielle, via des modifications dans le fonctionnement de son système d’exploitation (iOS14) : prévues début 2021, elles viseraient toute l’activité des professionnels de la publicité mobile. Cela fait plusieurs années qu’Apple met progressivement en place des restrictions au tracking des utilisateurs dans son écosystème. Le groupe a ainsi plusieurs fois réduit son dispositif de tracking – Intelligent Tracking Prevention (ITP) – pour son navigateur Safari. Mais sa dernière annonce, au début de l’été 2020, ne passe pas. En juin, Apple a en effet annoncé que dans son nouvel OS, les développeurs d’applications souhaitant accéder à l’identifiant de l’appareil pour les annonceurs (“IDFA”) et le tracking de l’utilisateur, devront au préalable obtenir l’autorisation opt-in du mobinaute uniquement via une fenêtre contextuelle conçue et fournie par Apple. Le module d’Apple contraire au RGPD ? L’interprofession publicitaire estime que le module envisagé n’est pas un dispositif conforme au RGPD, qu’ils doivent respecter pour recueillir et utiliser valablement le consentement internaute au dépôt de traceurs et cookies : la fenêtre d’Apple ne fournirait pas suffisamment d’informations pour que le consentement de l’utilisateur soit considéré comme valide. Ce qui nécessiterait pour eux, selon les éditeurs applications, de faire apparaître une deuxième fenêtre contextuelle au sein de l’Union européenne, la leur en plus de celle d’Apple. Les associations affirment que cela conduira à un taux d’activation du consentement par les utilisateurs très faible – principalement en raison du langage jugé anxiogène déployé dans la fenêtre proposée par Apple, que les développeurs n’auront pas la possibilité de personnaliser. Pour régler ce dilemme, une large partie des associations publicitaires européennes avait demandé en juillet, dans une lettre ouverte à Tim Cook, le CEO d’Apple, que le groupe adopte les standards de marché pour le recueil du consentement utilisateur au tracking, via notamment le TCF de l’IAB. Une demande refusée par Apple. Lors de deux réunions ces derniers mois, pour lesquelles le groupe avait missioné Gary Davis, son global director of privacy & law enforcement requests (sa fiche LinkedIn), aucune ouverture n’a eu lieu, ni la moindre discussion constructive. Les organisations américaines et internationales ont également demandé une concertation en septembre. Des mesures provisoires sont réclamées Le dossier devant l’Autorité de la concurrence est instruit au nom de l’interprofession par Damien Geradin, avocat et fondateur du cabinet Geradin Partners (sa fiche LinkedIn). Les quatre associations demandent à l’Autorité de la concurrence des mesures provisoires “pour empêcher Apple d’infliger un préjudice grave à l’industrie”, en contraignant Apple à ouvrir un dialogue de bonne foi avec le marché publicitaire et à suspendre les modifications prévues début 2021 du fonctionnement d’iOS14 sur le tracking. Si certains acteurs du marché interrogés en juillet par mind Media se voulaient rassurants, relativisant la portée d’une telle initiative, les associations estiment dans un communiqué qu’elle affectera négativement et durablement le marché publicitaire : “L’IDFA est un nombre aléatoire unique pour chaque appareil iOS, introduit en 2012 par Apple lui-même pour permettre une publicité soucieuse d’une bonne confidentialité. L’IDFA est la principale méthode de pseudonymisation des utilisateurs d’iOS, ce qui est crucial pour un certain nombre d’utilisations légitimes de la publicité, telles que la personnalisation des annonces, la mesure de l’efficacité des campagnes et le capping publicitaire. En l’absence de l’IDFA ou d’une alternative valide, la capacité à remplir ces fonctions essentielles sera sévèrement limitée. Les effets seront dévastateurs : les éditeurs verront leurs revenus publicitaires baisser jusqu’à 50 %, les spécialistes du marketing seront incapables de mesurer et d’optimiser leurs campagnes, tandis que de nombreux fournisseurs de technologies publicitaires pourraient cesser leurs activités.” L’impact prévisible est tel que Facebook, qui a annoncé fin août qu’il ne collecterait plus l’IDFA dans ses applications, anticipe lui aussi une baisse de 50 % du revenu des éditeurs sur son réseau Audience Network. Contacté par mind Media, Apple affirme que son dispositif lui permet de respecter le RGPD. Le groupe se limite cependant à une communication générale, sans entrer dans les détails : “Les données d’un utilisateur lui appartiennent et il doit décider s’il souhaite partager ses données et avec qui. Avec iOS 14 , nous donnons aux utilisateurs le choix d’autoriser ou non les applications à les suivre en associant leurs informations à des données de tiers à des fins publicitaires ou en partageant leurs informations avec des courtiers en données.” Une position jugée ambivalente Les professionnels du secteur estiment qu’Apple tient un double discours, avec des propos publics favorables à la vie privée en ligne, mais utilisant lui même le tracking. L’interprofession souligne qu’Apple peut proposer des publicités personnalisées aux utilisateurs iOS sans le consentement affirmatif de l’utilisateur – car son paramètre par défaut est opt-in – et de nombreuses applications financées actuellement par la publicité “peuvent éventuellement passer à un modèle de paiement par l’utilisateur, dans lequel Apple reçoit une commission de 30 %”. Un niveau de commission prélevé par Apple critiqué d’ailleurs par des éditeurs de jeux vidéo comme Epic et par les éditeurs de presse. L’Autorité de la concurrence devrait se prononcer dans les trois à quatre mois maximum – soit en janvier ou février 2021 – sur le rejet de la saisie ou au contraire sur l’ouverture d’une instruction avec éventuellement des mesures conservatoires. Vers une régulation plus stricte Les relations entre les acteurs locaux et les GAFA se tendent, donc, à mesure que les restrictions réglementaires augmentent et que les modèles industriels vacillent. Cette nouvelle action judiciaire survient ainsi après celles intentées ces dernières années en Europe contre Google pour abus de position dominante, et celle intentée contre Google par les principaux médias français au sujet des droits voisins. Ces tensions posent en creux deux enjeux : les alternatives crédibles aux cookies pour le tracking des internautes, et la question de la régulation des plateformes, de plus en plus fermées. Des acteurs de la publicité proposent ainsi de partager au marché les identifiants des applications mobiles utilisés par Google et Apple comme identifiants publicitaires ré-initialisables. Les pouvoirs publics de chaque côté de l’Atlantique se sont emparés du sujet. Aux Etats-Unis, plusieurs enquêtes touchent les GAFA et un procès anti-trust vient d’être annoncé contre Google par le gouvernement fédéral. Une séparation structurelle de ses activités a été évoquée. En Europe également, la Commission européenne réfléchit à durcir son cadre de régulation après une série d’amendes ces dernières années dont les effets sont jugés insuffisants. Le commissaire européen au marché intérieur, le Français Thierry Breton, a confirmé en septembre dans une interview au Financial Times que le projet de texte européen Digital act services, qui vise notamment à mieux réguler les grandes plateformes numériques, serait publié d’ici la fin d’année. Il devrait comprendre une échelle de sanctions, dont l’une pourrait consister, en dernier recours, en la possibilité de contraindre un grand groupe numérique à céder une partie de ses activités dans l’hypothèse où une position dominante est constatée et si celle-ci menace les intérêts des consommateurs européens et/ou des entreprises concurrentes locales. LE MARCHÉ PUBLICITAIRE FACE À LA FIN DES COOKIES TIERS mind media lance un nouveau “hub” pour comprendre les enjeux de la disparition du cookie tiers pour les acteurs de la publicité en ligne et les éditeurs. : lire notre synthèse Et sur notre site : #L’après-cookie Jean-Michel De Marchi Alliance DigitaleCiblage publicitaireConcurrenceGAFAMMobilePublicité mobileSRIUdecam Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Les organisations interprofessionnelles américaines demandent à Apple une réflexion commune sur l’IDFA Tribunes gratuit Jérôme Colin (Fifty-Five) : "Apple défend davantage ses intérêts particuliers que la vie privée des internautes" 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur IDFA : Facebook anticipe une baisse de 50 % du revenu des éditeurs sur Audience Network essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché Les mutations du search à l'ère de l'IA générative L'application inaboutie de la loi sur les droits voisins Google vs DOJ : tout ce qu'il faut savoir sur le procès qui pourrait redéfinir l'adtech L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : pourquoi la Commission européenne sanctionne Google de près de 3 milliards d’euros Retail media : une consolidation indispensable des régies pour répondre aux attentes des acheteurs publicitaires IA et monétisation des contenus : comment l’IAB Tech Lab veut contrôler les robots crawlers Droits voisins : l’Apig veut introduire une plainte contre Meta devant l'Autorité de la concurrence Paul Boulangé (Starcom France) : "Nous sommes en train de déployer Captiv8 en France, notre solution d'automatisation du marketing d'influence" Claire Léost devient DG de CMA Média, WPP Media promeut Stéphanie Robelus… Comment les SSP généralistes investissent le secteur du retail media Bénédicte Wautelet (Le Figaro) : “Toute solution qui utilise de l’IA en rapport avec nos contenus doit y être autorisée et nous rémunérer” Aides à la presse : combien les éditeurs ont-ils perçu en 2024 ? 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