« Les professionnels de la publicité doivent prendre des initiatives structurelles pour intégrer la contrainte écologique »

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Thierry Libaert, conseiller au Comité économique et social européen, a remis le 11 juin au Gouvernement un rapport sur "le modèle publicitaire français afin d’en évaluer ses impacts économiques, sociaux et environnementaux", après avoir interrogé les associations écologistes et les professionnels de la communication. 23 mesures concrètes y sont détaillées. Il souligne la prise de conscience que doit avoir le secteur et une autorégulation indispensable sous peine de nouvelles contraintes légales.
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La critique publicitaire est presque aussi ancienne que la naissance de la publicité au milieu du 19e siècle. Tout lui fut reproché : d’abêtir les individus, de manipuler les esprits, de polluer les paysages. Plus récemment avec la généralisation du numérique, la critique se focalise sur son caractère intrusif. Désormais, les professionnels de la publicité doivent aussi affronter de nouvelles attaques : leur métier irait à l’encontre des objectifs de lutte contre le dérèglement climatique.

Le déclic est apparu avec « l’affaire C-Discount » au début de l’année 2018. Parue au moment des soldes, cette publicité représentait un cerveau stylisé sur 3 affiches, chacune portait surt un produit (Hoverboard, téléviseur, ordinateur) associé à une pensée du personnage, par exemple « mon vieil ordinateur fonctionne toujours, mais un accident est si vite arrivé ». Elle fit l’objet d’une plainte par l’ADEME, qui considérait qu’un message construit sur l’idée d’un simple remplacement de produit en parfait état de marche ne pouvait être qu’une incitation à la surconsommation.

Mais le jury de déontologie de la publicité, l’une des trois instances de l’ARPP (Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité) jugea cette plainte infondée. Le débat rebondit fin 2019 avec la loi anti-gaspillage et économie circulaire qui fit l’objet d’un très grand nombre d’amendements à l’Assemblée nationale et au Sénat.

La pression écologique est de plus en plus forte sur la publicité  

La pression s’accentue et les propositions s’accumulent ces dernières semaines. Mardi 9 juin dernier a été publié un important rapport intitulé « Big Corpo. Encadrer la pub et l’influence des multinationales : un impératif écologique et démocratique « . Rédigé par un collectif de 25 associations dont Résistance à l’Agression Publicitaire, ce rapport énumère de manière précise toutes les critiques contre la sphère publicitaire et l’ensemble des arguments est souvent rigoureusement documenté. Une semaine plus tard, c’est un nouveau collectif associatif, mené par Greenpeace, qui a proposé une « loi Évin pour le Climat : interdire la publicité des industries fossiles » (lire le rapport).

La Convention Citoyenne sur le Climat, qui a terminé ses travaux le 21 juin, s’est prononcé de manière très radicale, notamment par la proposition  d’une obligation qui serait faite dans les publicités d’inclure la mention « En avez-vous vraiment besoin ? ». Il est en sorte demandé à la publicité d’inciter à l’achat de produits et, en même temps, d’en dissuader l’acquisition. La convention, dont les mesures relatives à la publicité ont été votés à 89 %, préconise l’interdiction de la publicité pour les produits les plus émetteurs de CO2 et des panneaux publicitaires dans l’espace public (lire les propositions). La critique est donc forte. Elle devrait d’ailleurs rebondir dès juillet avec une proposition de loi spécifique sur le sujet, préparée par le député Matthieu Orphelin. 

Les principales mesures semblent toutes converger vers les mêmes sujets : interdiction de publicités portant sur des produits à empreinte carbone élevée, alourdissement des mentions légales, suppression de la publicité extérieure dans l’espace public et des imprimés dans les boîtes aux lettres, remplacement de l’autorité de régulation actuelle (l’ARPP) par une autorité administrative dotée d’importants pouvoirs de sanctions.

C’est dans ce contexte que j’ai remis jeudi 11 juin un rapport à Madame Brune Poirson, secrétaire d’Etat auprès de la Ministre de la transition écologique et solidaire sur la « Publicité et transition écologique ». (lire le rapport ici) Publicité et transition écologique | Vie publique.fr L’objectif était de délimiter des points de progrès permettant à la publicité d’être davantage en phase avec les grands enjeux environnementaux, notamment climatiques. Ce rapport qui contient une vingtaine de propositions a été rédigé avec Géraud Guibert, Conseiller maître à la Cour des Comptes, à qui j’avais proposé de se joindre à moi pour ce travail. Nous avons préconisé des mesures qui permettent de faire évoluer le dispositif publicitaire sans remettre en cause ses fondements et notamment son apport à la croissance (lire le rapport).

Le secteur publicitaire doit s’emparer du sujet et agir 

Parmi ces 23 propositions figurent des mesures immédiatement opérationnelles. Notamment des engagements à prendre par la profession – par exemple pour atteindre la neutralité carbone -, mais aussi l’interdiction de certaines pratiques – la communication par voie aérienne ou pour des produits dont la disparition est programmée, l’affichage automatique la nuit… -, ainsi que des expérimentations, par exemple un dispositif d’opt-in obligatoire pour les imprimés publicitaires.

Mais Les professionnels de la publicité doivent prendre des initiatives structurelles pour intégrer la contrainte écologique ». Dans un esprit incitatif, nous proposons par exemple la création d’un fonds de soutien à la publicité responsable, qui serait alimenté par une contribution de 1 % sur les investissements publicitaires, d’un rendement d’environ 150 millions d’euros.

Ce fonds permettrait aux entreprises de taille moyenne, associations, start-up, coopératives, d’obtenir un abondement financier afin de faire connaître leurs produits ou actions écoresponsables.

Nous encourageons également l’organisation à brève échéance des “Etats Généraux de la publicité” qui a été envisagée par plusieurs voix de la profession en 2019 et qui après de longs mois d’attente viennent finalement d’être annoncés sous l’égide de l’Union des Marques et de la Filière communication. Ces Etats généraux ne doivent pas être une simple tentative d’autopromotion, mais bien une occasion des s’ouvrir aux nombreuses attentes. A défaut, c’est davantage vers un “Grenelle citoyen de la publicité et de la transition écologique”, plus large et surtout plus ouvert, qu’il conviendrait de s’orienter. Ce moment pourrait être une étape cruciale dans le passage à une publicité plus responsable.

Notre rapport recommande d’ailleurs au Gouvernement de s’appuyer sur la tenue de ces Etats Généraux de la communication ou ce Grenelle citoyen de la Publicité qui se concluerait par des engagements pris par les professionnels, avant l’élaboration préconisée d’un projet de loi discuté et voté au deuxième trimestre 2021.

« Il faut lever les freins et les réticences au sein du secteur. A défaut les changements se feront sans les professionnels »

J’ai constaté qu’un grand nombre de publicitaires n’ont pas réellement conscience de leur responsabilité. Selon eux, la publicité n’est que le reflet de son époque et évoluera avec elle. Elle ne serait qu’un outil au service des annonceurs et il faudrait éviter d’en faire le bouc émissaire de tous les maux de notre système économique.

Mais, en parallèle, la plupart des grandes associations de communication témoignent d’une prise de conscience et d’une volonté d’engagement : l’Union des Marques, notamment avec le programme FAIRe, l’AACC avec le label RSE et les dispositifs de formation, ou encore des organisations comme Entreprises pour l’Environnement autour du projet d’Alliance pour la publicité, et l’ARPP elle-même, avec la nouvelle recommandation Développement durable, publiée le 29 avril.

Pour la suite, la balle est entre les mains des pouvoirs publics. Ceux-ci doivent étudier les recommandations de notre rapport et préparer les réponses aux propositions de la Convention citoyenne.

Mais il est étonnant qu’alors qu’explosent toutes les critiques sur les impacts écologiques de la publicité, la profession, pourtant porteuse d’une mission de communication, reste aussi silencieuse. 

Espérons qu’il puisse y avoir un réel débat et que les enjeux ne se règlent pas dans les antichambres du pouvoir à coups  de lobbying. La publicité ne saurait être la seule activité à ne pas s’engager fortement envers les grands enjeux écologiques et notamment climatiques. 

A défaut d’une mobilisation réelle de la profession, les évolutions risquent forts d’être imposées par les pouvoirs publics. Et dans cette hypothèse, les mesures seront vraisemblablement très contraignantes. Par un sursaut de conscience sociale ou par intérêt économique bien compris, les professionnels seraient bien inspirés de renforcer et d’accélérer leur mutation vers une publicité plus responsable.

Thierry Libaert

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