Accueil > Médias & Audiovisuel > Comment les fonds d’investissement analysent le secteur de la publicité en ligne Comment les fonds d’investissement analysent le secteur de la publicité en ligne L'avènement de la publicité en ligne et surtout du mode d’achat programmatique a favorisé l’émergence de nombreuses nouvelles sociétés qui ont rapidement attiré les fonds d’investissement. La position hégémonique de Google et Facebook, la crise sanitaire et le contexte réglementaire, de plus en plus complexe, ont rebattu les cartes sur le marché, amenant les fonds à changer de stratégie. Par Paul Roy. Publié le 16 septembre 2020 à 19h04 - Mis à jour le 19 mars 2021 à 13h18 Ressources À l’image de Criteo, StickyAds ou Teads entre 2010 et 2015, une période de développement de la publicité en ligne grâce au programmatique, de nombreuses adtechs françaises ont attiré les fonds d’investissements français et étrangers. “Cela correspondait à l’âge d’or de la publicité en ligne. Le modèle publicitaire des sociétés émergentes reposait alors beaucoup sur l’adserving internalisé ou externalisé, spécialisé par format et sur des modes de vente sophistiqués autour du RTB, mais avec un sujet de manque de transparence et de complexité croissante”, explique Thibaut Revel, managing partner de Clipperton, banque d’affaires dont les sociétés du secteur de la publicité et du marketing en ligne représentent 20 % des opérations. “Le gros avantage des modèles adtech classiques, c’est qu’il y a besoin très peu de capital pour démarrer. Cela peut mener à de très belles histoires en termes de multiples : StickyAds (dans lequel Isai avait des parts ndlr), a commencé avec 3-4 million de capital et a été revendu 100 millions de dollars à Comcast”, ajoute Jean-David Chamboredon, président exécutif d’Isai Capital. Un marché saturé par les intermédiaires et dominé par le duopole À partir de 2015, le durcissement de la réglementation sur les données personnelles et la concurrence du duopole ont commencé à questionner les investisseurs sur la capacité de ces sociétés à se réinventer et s’adapter à ces nouvelles contraintes. Depuis quelques années, certaines adtechs – à l’image de Teads – se positionnent en effet comme alternatives technologiques au duopole, et s’attaquent aux mêmes marchés. “Il y a eu une prise de conscience des investisseurs : la course à l’alternative au duopole ne convainc plus. Le marché (les investisseurs, ndlr) n’aime pas la dépendance à ce type d’acteurs mais nous sommes conscients qu’on ne peut pas vraiment les concurrencer. On va aller plus naturellement vers des solutions complémentaires”, explique Gil Doukhan, associé du fonds Iris Capital, en citant l’exemple de Scibids, société d’optimisation des campagnes programmatiques à modèle SaaS. S’ajoute à cela une démutliplication des intermédiaires qui rend le marché obscur aux yeux des investisseurs, qui ont besoin d’indicateurs précis. Dans une étude récente, l’ISBA a montré au printemps 2020 que 15 % des investissements programmatiques des annonceurs n’étaient attribués à aucun intermédiaire connu. Un grand nombre de sociétés se sont d’ailleurs positionnées sur l’assainissement de la chaine de valeur programmatique (désintermédiation, brand safety, adverification, etc.) et ont attiré les investisseurs. Le basculement d’un modèle transactionnel vers celui de la récurrence Selon le JDN, en France, le secteur adtech / martech / publishers était encore le plus ciblé par les fonds d’investissements en 2019 avec 16 % du montant des levées, mais de moins en moins pour des adtechs classiques comme l’ont été les deux “pépites françaises” : Criteo avec 30 millions levés en 2012, et Teads avec 43 millions en 2016. En effet, si l’on examine les dernières levées de fonds majeures dans le secteur, la plupart concernent des martechs dont le modèle économique est récurrent : la société spécialisée dans la résolution de l’identité en ligne Zeotap a ainsi levé 45 millions de dollars en septembre, les DMP Permutive et mediarithmics ont levé 18,5 millions de dollars en juillet et 6 millions d’euros en juin, la CDP MParticle a levé 45 millions de dollars en mars. surmonter la crise mind media lance un nouveau “hub” pour comprendre les nouveaux enjeux de la crise économique et publicitaire, présenter les chiffres clés du marché et les initiatives des acteurs afin de surmonter leurs difficultés : lire notre synthèse Et sur notre site : #Surmonter la crise Assiste-t-on donc à un basculement des investissements de la adtech à la martech ? Selon les données de TechCrunch, les flux d’investissements mondiaux vers les sociétés adtech ont diminué de 10 % sur les cinq dernières années, quand ceux vers les martech ont reculé de 3,5 % sur la même période. Pour Thibaut Revel, ce n’est pas tant la différenciation adtech / martech qui est centrale pour les investisseurs, mais le modèle économique sur lequel repose la société. “Les modèles transactionnels (performance au flux, au nombre de clics) sont risqués car liés aux changement de règles des GAFA et instables, les investisseurs s’attendent donc à un rendement rapide. Au contraire, les sociétés adtech / martech reposant sur un modèle SaaS présentent moins de risques sur le court terme. De plus, ces dernières peuvent attirer des fonds spécialisés dans le software dans d’autres secteurs”, explique Thibaut Revel (Clipperton). Ce changement implique nécessairement une différence dans la structure même des sociétés visées, qui s’apparentent davantage à des plateformes technologiques à part entière qu’à des simples “traders”. “Grâce à ces outils on est de plus en plus en capacité d’être en one to one et de la connaissance client, pour aller plus loin dans le suivi du consommateur, du branding à l’acte d’achat. Le sous-jacent de tout cela, c’est une technologie robuste”, explique Bertrand Folliet, directeur général d’Entrepreneur Invest, société de gestion qui a accentué sa présence sur le secteur adtech / martech ces dernières années (Entrepreneur Invest est par ailleurs actionnaire minoritaire de Frontline Media, société éditrice de mind Media). Pour Gil Doukhan, trop de sociétés répondent cependant à une problématique ponctuelle liée à des évolutions conjoncturelles : le cookie-less ou la publicité contextuelle, par exemple. “Il ne faut pas que la solution proposée par la société soit temporaire et réponde à un besoin de manière trop verticale, unique. Cela fera de bonnes PME, mais pas des sociétés sur lesquelles les investisseurs veulent miser”, explique-t-il. La crise sanitaire accélérateur des tendances déjà en cours Le contexte mouvant et incertain de ces dernières années favorise les stratégies de rapprochement entre les entreprises du secteur de la publicité en ligne. “Dans le secteur de l’adtech, il ne faut pas se tromper dans la fenêtre de sortie. Une fois que les mouvements de consolidation ont eu lieu, c’est souvent trop tard”, affirme Claire Houry (Ventech). “C’est un secteur qui bouge beaucoup, ce qui veut dire des opportunités de consolidation se situent à des moments clés pour l’industrie : la vente de StickyAds s’est faite à l’arrivée de la vidéo et Storetail (vendue à Criteo), c’était le e-commerce”, explique Jean-David Chamboredon (Isai) La tendance à la consolidation déjà en cours depuis quelques années dans le secteur, avec les rachats de DMP par les grands groupes du cloud marketing, l’acquisition d’Appnexus par AT&T, et plus récemment la fusion des SSP Telaria et Rubicon Project pourrait s’accélérer avec la crise économique et sanitaire. “La période actuelle n’est pas propice aux levées de fonds, sauf dans une logique de consolidation. C’est un secteur où on verra des groupes consolidateurs auxquels des entreprises moins stables s’adossent”, ajoute Bertrand Folliet (Entrepreuneur Invest). Il est difficile de déterminer si les fonds ont adopté un comportement spécifique pendant la crise sanitaire pour les sociétés adtechs / martechs dans lesquelles ils sont actifs. Pour toutes les sociétés opérant sur un secteur directement affecté, le réflexe est de vérifier qu’aucune n’a de problème de trésorerie et de les accompagner directement pour envisager la stratégie future – le fonds Ventech participait ainsi à au moins un board de chaque société toutes les six semaines. “Les budgets grands comptes sur lesquels se développent beaucoup de startup vont peut-être voir leurs budgets baisser. Seules les sociétés dont le ROI est très facilement identifiable pourront leur vendre des solutions. Aujourd’hui, pour un investisseur dans une startup, l’acquisition de nouveaux clients quel qu’en soit le coût marketing, n’est plus à l’ordre du jour, la première préoccupation, c’est de garder ses clients et d’avoir une croissance moins forte mais rentable”, explique Claire Houry (Ventech). Les grands comptes sur lesquels se développent beaucoup de startup vont peut-être voir leurs budgets baisser. Seules les sociétés dont le ROI est très facilement identifiable pourront leur vendre des solutions. Claire Houry general partner chez Ventech Tous les investisseurs interrogés s’accordent à le dire, les mesures de soutien adoptées rapidement par plusieurs Etats européens – dont la France – et la banque centrale européenne, ont permis de limiter les problèmes de trésorerie des entreprises. Elles pourraient cependant biaiser la réelle valorisation des acteurs, la viabilité de certains modèles et in fine la santé du marché. “Le risque de cette crise sanitaire pour le secteur est que des entreprises “zombies” restent. Des sociétés qui arrivent à perdurer avec les fonds levés et les aides liées à la crise sanitaire (notamment le PGE, ndlr), mais qui à terme parasitent le marché et détruisent de la valeur”, explique Bertrand Folliet (Entrepreneur Invest). “La dette, ce n’est pas de l’equity, ça va donc prendre plus de temps pour savoir quelles entreprises ont réellement un business sain”, ajoute Claire Houry (Ventech). Du côté d’Iris Capital, on souligne également que le fait que les sociétés martechs et adtechs aient souvent une dimension internationale a permis de lisser les effets de la crise, sur un secteur très touché (voir notre baromètre du programmatique publié pendant la crise sanitaire). “Le tempo de la crise a été très différent selon les pays : la Chine est sortie du moment le plus critique de la crise quand la France entrait en confinement, tandis que les États-Unis sont entrés en crise plus tardivement. Ça a permis aux entreprises présentes sur plusieurs marchés ou continents de ne pas se retrouver à court de paiement – notamment celles ayant des modèles transactionnels”, explique Gil Doukhan (Iris Capital). Les 12 prochains mois sont incertains, mais des analystes se montrent optimistes : la consommation des contenus en ligne a explosé, créant des opportunités autour du marketing et de la publicité en ligne. “Même s’il y a aujourd’hui un appétit réduit des investisseurs pour l’adtech, l’impact de la crise sera positif pour le secteur à moyen terme. La crise digitalise encore plus vite l‘économie, avec une grosse accélération du e-commerce et de la SVOD, qui sont de grands consommateurs de publicité en ligne”, observe Thibaut Revel (Clipperton). “Ce qui est certain, c’est que l’espace sur le marché publicitaire pour les modèles adtech classiques ne grossit pas. C’est un marché qui n’est pas très résilient et où les sociétés dépendent énormément de la santé économique de leurs clients, dont certains sont très touchés par la crise sanitaire”, nuance Jean-David Chamboredon (Isai). TÉLÉCHARGEZ NOTRE PANORAMA DES FONDS D’INVESTISSEMENT FRANÇAISACTIFS DANS L’ADTECH ET LA MARTECH Paul Roy Achat programmatiqueAdtechCovid-19FinancementFonds d'investissementPublicité programmatiqueSurmonter la crise Besoin d’informations complémentaires ? 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