Des éditeurs de podcasts français testent les offres d’abonnement sur les plateformes

En 2021, Spotify en avril puis Apple en juin ont déployé des fonctionnalités permettant à leurs utilisateurs éditeurs de podcasts de proposer des formules d’abonnement payant pour écouter leurs contenus – en sus des éventuels abonnements payants à ces plateformes déjà souscrits par leurs auditeurs. Elles ont été disponibles en France en novembre pour Spotify et dès le lancement pour Apple.

Sur ce marché, le modèle payant dans le podcast avait déjà été testé, pour un résultat mitigé, les usages n’étant pas encore suffisamment matures : depuis 2017, un certain nombre de projets ont été stoppés (BoxSons), mis en pause (Elson) ou repositionné sur une autre activité (Tootak). Même l’application Sybel, dont les chiffres élevés téléchargements faisaient figure d’exception, a récemment complété son offre payante par une offre gratuite de podcasts monétisée par la publicité. 

L’adoption plus large du modèle payant sur le marché français du podcast pourrait-elle venir des plateformes ? “Comme dans le streaming vidéo, le développement du marché est retardé par la multiplication des offres, alors que les utilisateurs, qui sont déjà peu enclins à payer pour du contenu qui était jusque-là gratuit, ne peuvent pas s’abonner à toutes”, constate Cédric Begoc, directeur du contenu d’Acast. La centralisation d’offres payantes au sein de ces plateformes, environnements qui proposent déjà de l’abonnement, peut représenter un levier de démocratisation. 

Les plateformes veulent démocratiser l’abonnement aux podcasts

C’est en tout cas leur promesse : “l’objectif est d’abaisser la barrière à l’entrée de l’abonnement”, affirme Claire Hazan, head of studio France et Benelux de Spotify. Afin de proposer aux éditeurs différentes sources de revenus, en plus de la monétisation publicitaire – qui en 2021 a représenté une petite partie des 48 millions d’euros (+ 58 %) généré par le segment de l’audio numérique en France selon l’Observatoire de l’e-publicité -, sur un marché qui peine encore à trouver un modèle économique viable.

Pour cela, les fonctionnalités d’abonnement amènent les éditeurs à créer un flux RSS différencié pour l’épisode ou la série de podcasts payants. De l’autre côté, les auditeurs doivent se créer un compte et s’abonner via cette fonctionnalité, pour ensuite accéder au contenu sur la plateforme ou ailleurs. 

En effet, ce service permet, en principe, aux auditeurs d’écouter les contenus payants auxquels ils sont abonnés en différents endroits : site de l’éditeur, interface de l’hébergeur de podcast, service de streaming, application d’agrégation de podcasts… C’est le cas sur Spotify, qui utilise pour cela la solution de création, de publication et de monétisation de podcasts Anchor, acquise mi-2019. Spotify propose également une API, du nom de Spotify Open Access Platform (SOAP), pour autoriser la lecture de podcasts payants sur sa plateforme – en France, elle est déjà utilisée par Mediapart.

C’est aussi le cas d’Acast, dont la solution désormais disponible, après de longs mois de développement et de tests, Acast+, repose sur le même principe – mais “n’est pas supportée par certains acteurs comme les services de streaming musical type Spotify, Deezer et Amazon Music”, rapporte Cédric Begoc. Apple n’a pas souhaité répondre aux questions de mind Media. 

Des offres sans pub, d’épisodes bonus ou de contenus exclusifs

La société française Audiomeans édite une technologie similaire. Elle compte parmi ses clients Binge Audio, qui l’utilise pour diffuser depuis décembre 2020 son offre payante, la newsletter audio La Dose. Son contenu audio a été publié à partir de juin 2021, parmi les premiers, sur la chaîne du studio de podcasts sur Apple Podcasts, derrière la formule d’abonnement “Binge Audio Premium”. Elle donne également accès aux autres podcasts sans publicité.

“Le contenu payant doit découler à la fois d’une promesse éditoriale forte et inédite, tout en étant cohérent avec l’offre éditoriale disponible en accès gratuit”, justifie Jeanne Longhini, marketing et partners manager chez Binge Audio. Pour cela, l’éditeur travaille sur une refonte de son offre payante attendue à la fin du premier trimestre 2022, qui sera également diffusée sur Spotify à ce moment-là. Avec environ un millier d’abonnés à La Dose, tous canaux confondus, à fin 2021, Jeanne Longhini concède que “le marché français n’a pas encore suffisamment de recul pour savoir quel type de contenu plaît le plus aux abonnés payants”. 

D’après les observations de mind Media sur Apple Podcasts et Spotify, les offres existantes, encore relativement peu nombreuses, se répartissent entre des flux sans publicité (“Quelle histoire” d’Unique Heritage Media sur Spotify, la chaîne de Pénélope Boeuf sur Apple), parfois complétés par des nouveaux épisodes disponibles en avant-première (c’est le cas de Nouvelles Écoutes et BaBaBam sur Apple), et des contenus exclusifs (les podcasts de Paradiso Media “Diso” sur Spotify et “Les histoires de l’école des loisirs” sur Apple).

De son côté, à l’issue d’une phase de test en France sur les podcasts “Les P’tites Histoires de Taleming” de Mathieu Genelle et ​​”Papatriarcat” de Cédric Rostein, Cédric Begoc (Acast) constate que “la formule d’abonnement sans publicité est souscrite par moins d’un tiers des abonnés, là où celle qui propose des épisodes bonus ou en avant-première intéresse 70 % d’entre eux. Les propositions de podcasts exclusivement payants demeurent beaucoup plus rares, car il est plus difficile de transformer des auditeurs en abonnés”. 

La formule d’abonnement sans publicité est souscrite par moins d’un tiers des abonnés, là où celle qui propose des épisodes bonus ou en avant-première intéresse 70 % d’entre eux. Les propositions de podcasts exclusivement payants demeurent beaucoup plus rares

Cédric Begoc (Acast)

Éditeurs et plateformes réfléchissent également à des offres plus servicielles pour mieux valoriser l’abonnement. Exemple avec Europe 1, qui a créé sur Apple Podcasts une formule “Hondelatte premium” comprenant l’accès en avant-première aux nouveaux épisodes du podcast “Hondelatte raconte”, une sélection d’archives ainsi qu’un podcast exclusif “Les coulisses de Hondelatte raconte” lancé en décembre dernier. “Nous savions que nous ne pouvions pas amener nos auditeurs à payer pour l’ensemble des podcasts existants depuis longtemps en gratuit, comme l’ont fait d’autres producteurs par exemple aux Etats-Unis, c’est pourquoi nous avons réfléchi à une proposition éditoriale construite sur mesure autour de Christophe Hondelatte pour ses auditeurs les plus engagés”, explique la responsable d’Europe 1 Studio, Fannie Rascle. La radio n’indique pas le nombre d’abonnés à cette offre lancée en juin 2021 – “Hondelatte raconte” étant l’une des plus grosses audiences podcast en France, avec 11,2 millions de téléchargements en décembre 2021 selon Médiamétrie. 

Quel potentiel de revenus ?

L’offre est facturée 2,49 euros par mois, après une période d’essai d’une semaine. Actuellement, les prix fixés par les éditeurs de podcasts vont d’1,99 euros pour les flux sans publicité à 3 à 5 euros environ (et jusqu’à 7 euros sur Acast+) pour les contenus bonus ou exclusifs. À noter que certains podcasteurs possédaient déjà auparavant, en parallèle, des comptes Patreon ou Tipeee qui leur permettent de solliciter de manière plus ou moins régulière leurs abonnés. Des tarifs relativement proches de ceux pratiqués sur des marchés plus matures comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, mais qui pourraient être amenés à augmenter si les usages se démocratisent.

De l’autre côté, Apple prélève 30 % de ces montants la première année puis 15 % les suivantes, tandis que Spotify a mis en place d’une commission de 5 % qui ne sera effective qu’en 2023. Les éditeurs de podcasts français manquent encore de recul sur le potentiel de recrutement d’abonnés de ces offres et de nouveaux revenus. En attendant, ils s’inspirent des cas d’usage à l’étranger, comme le podcast d’affaires criminelles irlandais “The Tommy, Hector, and Laurita Show” qui, lors de la phase de bêta-test de trois mois d’Acast+, aurait converti 7 % de son audience régulière totale en abonnés payants et généré 46 % de revenus récurrents supplémentaires grâce à deux offres à 3 et 7 euros.