Accueil > Services bancaires > Les BATX freinent des quatre fers dans les services financiers Les BATX freinent des quatre fers dans les services financiers Après avoir multiplié les initiatives dans les services financiers, les géants du numérique chinois Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi et Ant Group ont levé le pied. Réglementations, sanctions, nouveaux champs d’actions… mind Fintech analyse les raisons de cette baisse d’engouement. Par Caroline Soutarson avec Aymeric Marolleau. Publié le 11 juillet 2024 à 6h04 - Mis à jour le 23 octobre 2024 à 10h01 Ressources Les points clés Après une période d’expansion rapide entre 2015 et 2021, les initiatives financières des BATX ont chuté en 2023 en raison de régulations plus strictes imposées par les autorités chinoises, affectant directement leurs opérations financières et leur position monopolistique. Face aux restrictions légales, les BATX ont délaissé une partie de leurs investissements financiers au profit de l’intelligence artificielle. Des géants comme Ant Group ont investi massivement dans l’IA générative, développant des outils financiers innovants tels que le chatbot Zhixiaobao. En parallèle de l’IA, les BATX se tournent vers la blockchain, mais hors de Chine continentale, à cause des réglementations locales. Des projets de paiements transfrontaliers basés sur la blockchain sont lancés, notamment à Singapour, démontrant leur volonté de rester à la pointe de l’innovation dans le secteur financier. Face à l’afflux d’initiatives financières lancées par les Big Tech chinoises Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi et Ant Group (BATX), mind Fintech avait décidé en 2020 de les recenser pour analyser leur stratégie en la matière. Entamée avec parcimonie à partir de la moitié des années 2000, leur incursion dans les services financiers s’est accélérée dix ans plus tard, jusqu’à atteindre des sommets sur la période 2015-2021, avec près de 33 opérations dans le secteur annoncées annuellement. Au maximum, nous en avions repéré 42 en 2019. Depuis, les annonces se raréfient. En 2023, nous n’en avons trouvé que 9, soit presque cinq fois moins que l’année du pic. Les initiatives des BATX dans la finance Une législation de plus en plus stricte Pour Yassine Regragui, spécialiste des fintech en Chine, qui a notamment travaillé chez Alipay, la solution de paiement en ligne du géant du e-commerce Alibaba, cette baisse est essentiellement contextuelle. Une large part est imputable au législatif.. “Des réglementations très denses, ainsi que des sanctions pour positions monopolistiques, ont fragilisé les géants du numérique chinois et ont eu un impact sur le développement de l’innovation liée aux services financiers”, explique l’expert. La banque centrale chinoise (PBoC) écrivait à l’été 2023 dans un communiqué : “depuis novembre 2020 [date de la suspension de l’IPO d’Ant Group, Ndlr], les régulateurs financiers ont exhorté et guidé les grandes entreprises de plateforme telles qu’Ant Group et Tencent Group pour qu’elles rectifient de fond en comble les violations de leurs activités financières”. Deux ans et demi après le début de ce tour de vis, la PBoC estime que “la plupart des problèmes majeurs” ont été résolus. Malgré les réglementations antitrust, les BATX poursuivent leurs projets dans la finance Cette phase s’est soldée par plusieurs amendes infligées en juillet 2023, dont une de 7,12 milliards de yuans (environ 1 milliard de dollars) concerne “Ant Group et ses filiales pour leurs violations dans des domaines tels que la gouvernance d’entreprise, la protection des consommateurs de produits financiers, la participation à des activités bancaires et d’assurance, l’engagement dans des activités de paiement et de règlement, le respect des obligations en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et les activités de vente de fonds”. La sanction pécuniaire allait par ailleurs de pair avec un ordre de fermeture de la plateforme de mutualisation des frais de santé Xiang Hu Bao. La PBoC a aussi prononcé, à la même période, une amende de 2,99 milliards de yuans (soit 410 millions d’euros) à l’encontre de Tenpay, solution de paiement en ligne de Tencent, pour “ses manquements passés à la réglementation concernant la fourniture de services de paiement en Chine continentale”, selon un communiqué de la Big Tech. Coupes dans les investissements externes Le contexte politico-législatif n’a donc pas épargné les BATX. Au même titre que l’environnement macroéconomique. L’année 2023, caractérisée par un ralentissement de l’économie et des tensions géopolitiques qui ont affecté l’ensemble du marché du capital-risque, a vu les BATX battre en retraite sur les investissements externes, qui représentent d’habitude la majorité de leurs actions dans la finance (plus de la moitié des initiatives que nous avons recensées). Selon le South China Morning Post (SCMP), “le total des opérations d’investissement réalisées par Alibaba, Tencent et Baidu a plongé d’environ 40 % à 102 en 2023”, d’après des données d’ITJuzi, un fournisseur de services de données sur le capital-investissement en Chine. Tencent en particulier, qui gère traditionnellement une importante activité de corporate venture, n’a conclu “que 39 contrats d’investissement” cette année-là, contre 95 en 2022 et 299 en 2021, rappelle le SCMP qui est, depuis 2015, la propriété d’Alibaba. Sur cette base moindre, nous n’avons recensé, pour le secteur financier, qu’un investissement externe en 2023. Il s’agit de celui d’Alibaba dans BlackPanda, un spécialiste de la cybersécurité pour les entreprises qui travaille aussi avec des assureurs dans la gestion du risque cyber. Les investissements se tournent vers l’IA Les BATX auront de toute évidence préféré les investissements internes dans l’intelligence artificielle générative (GenAI) aux investissements externes. En effet, les Big Tech chinoises sont entrées dans la course à l’IA, à l’instar de leurs homologues occidentales. “Les géants du numérique chinois ont massivement investi dans l’IA et le cloud computing, au détriment des services financiers”, observe Yassine Regragui. Alibaba a annoncé sa nouvelle stratégie 1+6+N fin mars 2023, rappelle le spécialiste des fintech en Chine. “1 pour la holding Alibaba Group, 6 pour les grandes activités du groupe (cloud, e-commerce, etc.) et N pour les nouvelles initiatives (Alibaba Health, les supermarchés Freshippo, etc.)”, développe Yassine Regragui. Cette revue des priorisations a été menée sur fond d’évolution de la gouvernance, avec la démission du CEO Daniel Zhang, annoncée le 20 juin 2023, au profit d’Eddie Wu, ex-président des plateformes e-commerce Taobao et Tmall pour la Chine. Elle s’inscrit par ailleurs dans un contexte d’adoption massive de l’IA générative, dans laquelle Alibaba investit beaucoup. Un des cofondateurs d’Alibaba, Joe Tsai, qui a remplacé Daniel Zhang à la présidence du conseil d’administration du groupe, a souligné en mai 2024 au J.P. Morgan Global China Summit à Shanghaï à quel point la Big Tech croyait en l’IA générative, pour “l’innovation technologique” elle-même, mais surtout pour ses impacts en termes de croissance. “Quiconque utilise notre IA devra recourir à de la puissance de calcul informatique. […] C’est ainsi que nous pourrons augmenter nos revenus liés au cloud computing”, a déclaré le dirigeant. Bien que rattachée à l’unité cloud d’Alibaba, la GenAI a toutefois vocation à irriguer l’ensemble des activités du groupe. “Il est important pour nous de pouvoir appliquer l’IA à de nombreuses applications verticales”, a complété Joe Tsai. Ce dernier point explique pourquoi les investissements dans l’IA et dans la finance ne sont pas nécessairement en concurrence chez les BATX. La fintech Ant Group, ex-filiale d’Alibaba dédiée aux services financiers, a par exemple dévoilé en juin 2024 avoir atteint un niveau de R&D record à 21,19 milliards de yuans (environ 2,92 milliards de dollars). Propriétaire de son propre grand modèle de langage (large language model, LLM) financier BaiLing, approuvé par Pékin, la fintech a ainsi développé plusieurs cas d’usage basés sur l’IA dans la finance. L’un des premiers est dévoilé en septembre 2023 : le chatbot Zhixiaobao, spécialisé dans la gestion de patrimoine et la compréhension des polices d’assurance. Début juillet 2024, le groupe révélait lors de la conférence WAIC 2024 que ce chatbot avait “servi 43 millions de personnes via les plateformes Ant Fortune et Ant Insurance dans l’application Alipay”, selon The Asian Banker. Zhixiaozhu, le pendant de Zhixiaobao du côté des professionnels, avait également été annoncé en test en septembre 2023. Un assistant virtuel similaire à un service de conciergerie a aussi été implanté dans l’application de paiement Alipay. Un regain d’intérêt pour la blockchain… Si les innovations en termes d’intelligence artificielle ont beaucoup pris la lumière ces derniers mois, ce n’est pas la seule technologie à avoir retenu l’attention des Big Tech chinoises. 2023 a marqué le retour de la technologie de registre distribué (ou DLT), avec trois nouvelles initiatives dans le domaine. Tencent participe au projet hongkongais mBridge, qui vise à créer une solution de paiement transfrontalier avec une monnaie numérique de banque centrale (MNBC). Tencent opère comme un validateur dans cette expérimentation basée sur une DLT. De son côté, Ant Group, via sa filiale Ant International, a lancé un projet expérimental de plateforme de services de gestion de trésorerie pour la compensation et le règlement multidevise en temps réel, basée sur la blockchain. HSBC et Banking Circle ont testé la plateforme. L’initiative s’inscrit dans le cadre du projet Guardian mis en place par l’Autorité monétaire de Singapour (MAS), qui vise “à améliorer la liquidité et l’efficacité des marchés financiers grâce à la tokenisation des actifs”. Toujours sous l’égide du MAS, Ant Group explore aussi la “purpose bound money” (PBM, ou “monnaie dirigée”). “C’est un projet de monnaie numérique programmé, qui permet à son détenteur de ne l’utiliser que pour un seul objectif, généralement pour une durée et dans un périmètre limités. Un concept que l’on retrouve notamment dans les smart contracts du e-yuan, précise Yassine Regragui. Il y a plein de cas d’usage : fidélité/marketing, subventions du gouvernement, prêts, etc.” Ant, qui s’est associé à la société de VTC Grab, qui s’est diversifiée dans les services financiers, et à l’infrastructure de paiement crypto et émetteur de stablecoins StraitsX, s’en sert pour du transfert d’argent. Dans le cadre de ce test, les commerçants clients du wallet GrabPay pourront accepter les paiements compatibles PBM à l’aide des solutions Alipay+ d’Ant. XSGD, le stablecoin adossé au dollar singapourien émis par StraitsX, sera la monnaie numérique sous-jacente. … mais en dehors de la Chine continentale Si la blockchain avait attisé la curiosité des Big Tech chinoises sur la période 2015-2020, le durcissement de ton des autorités chinoises à propos des cryptoactifs en 2021 semblait les avoir refroidies. En 2023, les géants du numérique ont trouvé la solution : travailler sur la blockchain hors de Chine continentale. Ant Group a par exemple lancé, en solitaire, une suite de produits pour le développement d’applications blockchain pour les institutionnels et les développeurs du Web3 à Singapour, nommé ZAN, pour les territoires à l’étranger, notamment Singapour et Hong Kong. En collaborant avec des régulateurs financiers sur des projets expérimentaux de MNBC, les Big Tech se mettent aussi à l’abri de potentielles représailles gouvernementales, tout en capitalisant sur leur travail autour du yuan numérique réalisé avec le gouvernement chinois ces dernières années. “L’e-yuan ne s’appuie pas sur la technologie blockchain”, rappelle Yassine Regragui. À noter également que si les annonces d’initiatives ne se sont pas multipliées, “Ant Group est l’entreprise disposant du plus grand nombre de brevets au monde en matière de blockchain”, indique le spécialiste des fintech chinoises. Preuve de son engouement pour la DLT, Ant a significativement augmenté le capital social de deux de ses unités qui lui sont dédiées : Ant Blockchain Technology (Shangai) Co. et Ant Chain (Shanghai) Digital Technology Co., filiales d’Ant Digital Technologies, a révélé The Block en juin 2024. Paiements physiques, en ligne et en VR En outre, “ce n’est pas parce que les Big Tech s’intéressent moins aux cryptoactifs à cause des réglementations qu’elles délaissent le Web3. Au contraire, des cas d’usage se développent via les NFT et le métavers par exemple, avec la possibilité de réaliser des achats via des casques de réalité virtuelle”, illustre Yassine Regragui. L’innovation dans les paiements reste l’un des domaines les plus explorés par les géants du numérique dans les services financiers. En 2023, Tencent a introduit plus largement le paiement palmaire dans le métro pékinois, via son service WeChat Pay (Weixin Pay en Chine). Un projet également d’actualité pour Alipay. En attendant, la solution de paiement d’Ant Group a réalisé un partenariat avec la société de BNPL en marque blanche Splitit Payments afin de proposer l'option Pay After Delivery sur la marketplace AliExpress, qui appartient à Alibaba. Comme son nom l’indique, elle permet à l’acheteur de payer après la livraison. L’option de paiement a fait ses débuts en France, en Espagne et en Allemagne mais à vocation à s’étendre sur les autres marchés. Avec le robo-advisor Zhixiaobao 2.0, Pay After Delivery est une des deux opérations réalisées en 2023 dont la clientèle cible est celle des particuliers. Si les initiatives opérationnelles (comprendre hors investissements) des BATX se tournent généralement davantage vers le BtoB, le BtoC prend historiquement plus de place dans ce ratio parmi l’ensemble de leurs initiatives dans la finance que nous avons recensées. Baidu et Xiaomi délaissent la finance La plus grande place du BtoB peut être imputable à l’absence d’opérations réalisées par Baidu et Xiaomi ces dernières années. Sur les cinq Big Tech étudiées, ils étaient les plus enclins à cibler les particuliers (exclusivement pour le fabricant de produits électroniques et dans les mêmes proportions pour le moteur de recherche). Alors que Baidu s’est lancé à corps perdu dans les véhicules autonomes, Xiaomi a commencé à diminuer son empreinte fintech. En 2022, l’industriel aurait notamment mis fin à ses services financiers en Inde, selon TechCrunch. Le média notait que les applications de paiement mobile Mi Pay et de crédit en ligne pour les particuliers Mi Credit avaient disparu des stores indiens. La NPCI (National Payments Corporation of India) et le système de paiement instantané national UPI (Unified Payments Interface) avaient également retiré Mi Pay de leur liste des services agréés. Comment le système de paiement UPI s’est imposé en Inde Yassine Regragui se veut rassurant sur la place de la fintech en Chine. Selon lui, si les stratégies de Xiaomi et Baidu ont pu changer, notamment en conséquence des réglementations, les services financiers intéressent toujours d’autres acteurs. Les Big Tech ne se résument plus aux “BATX, avec l'arrivée d'autres plateformes innovantes telles que ByteDance [la société-mère de TikTok, Ndlr], JD.com ou Pinduoduo [côté e-commerce, Ndlr]”. Méthodologie mind Fintech a recensé, à l'été 2024, 281 partenariats, investissements, associations de Alibaba, Tencent, Baidu, Xiaomi et Ant Group (les BATX) relatifs aux services financiers qu’ils ont rendus publics depuis 2004 et dont nous avons pu retrouver la trace. Leur liste complète est disponible dans notre espace Data. Ant Group (ex-Ant Financial) a obtenu une place à part entière dans notre base de données du fait de son indépendance et de son ampleur face à Alibaba, et de sa taille (plus grande fintech au monde, elle était valorisée 150 milliards de dollars en mai 2018). Une particularité que Yassine Regragui explique par sa “longueur d’avance” (Alipay a été créée en 2004, WeChat Pay en 2014) et la stratégie d’investissement “très agressive” d’Alibaba. Cette attitude lui a notamment permis de faire croître ses activités financières très rapidement et Ant Group poursuit dans la même lignée. Nous avons exclu certains services du périmètre de notre étude. Par exemple, WeChat Pay et Alipay étant devenues des “super-applications” aux fonctionnalités en évolution permanente, il aurait été peu pertinent d’inscrire dans ce tableau la totalité des services qu’elles offrent et des partenariats noués pour développer leur usage à l’étranger. De même, en ce qui concerne les services généralistes (cloud, infrastructure, etc), nous n’avons conservé que ceux dont il a été possible de vérifier qu’ils ont au moins une application dans le domaine financier, ou des clients dans les secteurs de la banque ou de l’assurance. Concernant les investissements, notre base ne mentionne que la première prise de participation d’un BATX et non les opérations ultérieures, qui relèvent plus de l’opération financière - suivre ou renforcer sa mise de départ - que d’une nouvelle initiative à proprement parler. Vous avez repéré une erreur ? Un commentaire, une question ? Contactez-nous : datalab@mind.eu.com Crédits Mathilde Saliou a constitué la base de données à l’origine de ce dossier. Caroline Soutarson a poursuivi son travail et a rédigé l’article en collaboration avec Aymeric Marolleau, rédacteur en chef de la cellule Data du Groupe mind, qui est intervenu sur la vérification et l’analyse des données et la réalisation des datavisualisations. Caroline Soutarson avec Aymeric Marolleau BATXbig techblockchainintelligence artificiellerégulation Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Alipay simplifie le paiement mobile en magasin Ant veut trouver un second souffle grâce à Alipay+ Ant Group s’offre le PSP néerlandais MultiSafepay Ant recourt à l’IA générative pour améliorer ses services financiers Entretien Alice Zhan : “Avec Alipay+, nous voulons répondre à la fragmentation du paiement mobile” Fin de la restructuration pour Ant Group ?