Accueil > Assurance > Tanguy Touffut (Descartes) : “Aujourd’hui, le marché de l’assurance n’arrive pas à rattraper le défi climatique” Tanguy Touffut (Descartes) : “Aujourd’hui, le marché de l’assurance n’arrive pas à rattraper le défi climatique” Acteur mondial de l’assurance paramétrique, Descartes affine sa compréhension des risques climatiques grâce à l’intelligence artificielle et à l’analyse de données. Dotée d’une double structure - agence de souscription (MGA) et assureur agréé -, l’insurtech élargit son champ d’action jusqu’au cyber. Son cofondateur et CEO, Tanguy Touffut, en expose les priorités stratégiques et les leviers de croissance. Par Antoine Duroyon. Publié le 12 mai 2025 à 10h33 - Mis à jour le 13 mai 2025 à 9h41 Ressources Quelles pressions exercent les risques climatiques sur le marché de l’assurance ? Nous observons une explosion des pertes assurées liées aux catastrophes naturelles. Ce ne sont pas seulement les cyclones qui entraînent des pertes importantes, mais aussi les périls secondaires : les orages de grêle, les tornades ou encore les “straight-line winds” [vents violents générés par des orages, qui se déplacent en ligne droite, par opposition aux vents tourbillonnants des tornades, Ndlr], qui sévissent notamment dans le Midwest américain. Rien qu’aux États-Unis, ces phénomènes ont représenté plus de 50 milliards de dollars de pertes assurées en 2024, sur un total de pertes assurées liées aux catastrophes naturelles de près de 140 milliards de dollars à l’échelle mondiale. Si les indemnisations augmentent [à un taux de croissance annuel moyen de 5 % à 7 % selon Swiss Re, Ndlr], le taux de pénétration de l’assurance, lui, reste insuffisant : les sinistres non assurés progressent plus vite que les sinistres assurés. Le marché n’arrive pas, aujourd’hui, à rattraper le défi climatique. Quel a été l’impact des incendies à Los Angeles début 2025 sur Descartes ? Nous avons été exposés aux feux de forêt en Californie, mais nos pertes sont restées limitées grâce à une bonne souscription. Le marché californien est très réglementé, avec des mécanismes comme le “FAIR Plan” [un dispositif de secours mis en place par l’État de Californie pour offrir une assurance habitation aux propriétaires qui ne peuvent pas obtenir de couverture auprès des assureurs privés, Ndlr], qui faussent la concurrence. Nous opérons donc surtout en “excess and surplus” pour plus de flexibilité [ce type d’assurance désigne des polices proposées par des assureurs non agréés localement, mais autorisés à opérer pour couvrir des risques spécifiques que le marché standard refuse ou ne sait pas couvrir, Ndlr]. Comme nous avons un degré de confiance élevé dans nos modèles, ce qui s’est passé en Californie ne nous a pas surpris. Plusieurs facteurs se sont conjugués : des pluies abondantes ces dernières années ont favorisé une végétation florissante, suivies d’une sécheresse importante ; les vents de Santa Ana ont empêché l’intervention des canadairs et des hélicoptères ; enfin, la gestion locale de l’eau reste complexe. Nous ne sur-réagissons donc pas à un tel événement. Je dirais même que, potentiellement, compte tenu de l’augmentation de la demande et d’une concurrence plus faible, nous allons être plus actifs. Comment Descartes adapte sa stratégie pour répondre à l’ampleur croissante des risques ? Avec notre équipe de modélisation des catastrophes naturelles de 220 collaborateurs, alliant profils technologiques et experts en assurance, nous pouvons approfondir notre compréhension des risques climatiques, à mesure que les catastrophes naturelles se multiplient. Nous poursuivons nos investissements pour analyser les phénomènes tels que les inondations, les sécheresses, les feux de forêt ou encore les tempêtes convectives. Nous utilisons l’intelligence artificielle, notamment la computer vision [vision par ordinateur, Ndlr], pour analyser des images satellites et radars – par exemple pour identifier les nuages responsables de la grêle ou distinguer des forêts naturelles de plantations. Nous intégrons également des capteurs pour mesurer certains paramètres localement, lorsque l’observation satellitaire ne suffit pas. C’est le cas, par exemple, en Australie, pour un produit d’assurance inondation à la localisation. Quel est le rôle de la donnée et de l’intelligence artificielle dans l’évolution du secteur de l’assurance ? L’innovation repose sur la disponibilité des données et d’algorithmes robustes. En cyber, par exemple, la déclaration obligatoire des incidents constitue une base exploitable pour concevoir des produits paramétriques, avec des déclenchements transparents et des paiements rapides. Désormais, l’IA générative permet d’exploiter des jeux de données non structurées afin d’améliorer la prévisibilité à court terme, notamment pour des phénomènes comme El Niño et La Niña [deux phénomènes climatiques opposés qui affectent périodiquement l’océan Pacifique et ont des répercussions sur le climat mondial, Ndlr], qui touchent fortement certains pays. En termes de produits et de couverture, comment évolue votre offre ? Nous avons lancé une couverture paramétrique cyber en février 2024 en France, puis en Allemagne au dernier trimestre 2024. Ce produit – Cyber Shutdown – est aussi disponible en Espagne depuis mars 2025. Nous venons de déployer une deuxième version pour intégrer un volet facultatif de responsabilité civile, à la suite de demandes de clients et de partenaires courtiers. Le contrat fixe de manière transparente et claire la date de déclenchement en cas d’intrusion malveillante, ainsi que le montant des indemnités versées. En situation de crise, pouvoir débloquer rapidement une indemnisation financière, en complément des mesures d’assistance habituelles, est un atout majeur pour les directions générales et financières de nos clients. Quels sont les autres axes de développement ? Nous poursuivons notre développement sur tous les produits climatiques possibles. Nous avons renforcé notre couverture des fermes solaires aux États-Unis contre le risque de tornade. Nous les couvrons également contre les orages de grêle, enjeu majeur au Texas ou dans le Colorado. Notre offre sur les feux de forêt évolue également. Historiquement centrée sur de grandes plantations, notamment pour la production de papier, elle répond désormais à une demande évolutive. Par exemple, en Californie, nous couvrons davantage de biens immobiliers de haute valeur – musées, usines, voire propriétés de particuliers fortunés. D’autres nouveautés sont attendues. Nous anticipons prochainement un feu vert pour une extension de branche [Descartes Insurance dispose de cinq branches d’agrément : corps de véhicules terrestres, marchandises transportées, incendie et éléments naturels, autres dommages aux biens et pertes pécuniaires diverses, Ndlr]. Sur le trade credit, par exemple, il existe un gisement de données non structurées encore sous-exploité. Des opportunités sont à saisir, notamment en lien avec l’impact des tarifs douaniers sur la chaîne d’approvisionnement. C’est un axe sur lequel on réfléchit. Sur le plan des capacités, quelles actions sont mises en place pour les sécuriser ? Nous avons récemment lancé, avec Generali Global Corporate & Commercial, Lumyna (Generali Investments) et Twelve Capital, un fonds ILS [insurance-linked securities, Ndlr] paramétrique associant des obligations catastrophes (“cat bonds”) et des polices titrisées d’assurance paramétrique de couverture des risques naturels. Ce dispositif nous permet de bénéficier de la profondeur des marchés financiers. Grâce à ces partenariats, nous pouvons déployer jusqu’à 110 millions de dollars par contrat pour les risques cycloniques aux États-Unis, et jusqu’à 200 millions de dollars pour d’autres périls. Cette approche nous permet de répondre à des besoins de couverture très élevés, qu’ils viennent d’acteurs privés ou gouvernementaux, tout en accélérant l’innovation produit. Quelles sont les perspectives de croissance pour Descartes ? Notre rentabilité technique est globalement alignée, voire légèrement supérieure à celle du marché, grâce à la diversification géographique de notre portefeuille, qui en réduit la volatilité. La croissance de Descartes Insurance – notre entité régulée ciblant principalement les ETI en Europe – s’accélère [16,6 millions d’euros de primes émises en 2024 et un résultat net de 621 000 euros, Ndlr]. Au total, nous avons dépassé les 200 millions d’euros de primes en 2024 et nous visons une croissance de 30 % à 50 % cette année, malgré un contexte économique incertain. Un mouvement récent que nous observons est la réassurance paramétrique. Face au durcissement du marché de la réassurance et à la hausse des prix qui a suivi, les assureurs ont augmenté leurs rétentions. En cas de sinistre important, ils absorbent davantage de pertes. Cette situation a créé un réel appétit pour la réassurance paramétrique, que ce soit pour couvrir des lignes très hautes, c’est-à-dire des événements extrêmes, ou une partie de la rétention. Antoine Duroyon assurance dommagesassurance paramétriqueIA générativeintelligence artificiellerisques climatiques Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Assurance paramétrique : Descartes décline sa solution sur le risque cyber L’assurance paramétrique, un complément à une assurance récolte toujours plus subventionnée La réassurance, un socle essentiel face aux périls climatiques AXA veut tirer parti de l’IA pour améliorer la gestion des risques BtoB