Accueil > Investissement > Structures d'investissement > Les fonds d’investissement des banques veulent se faire une place dans l’univers du capital-risque Les fonds d’investissement des banques veulent se faire une place dans l’univers du capital-risque Si les potentielles synergies avec les métiers du groupe demeurent un axe fort pour les fonds de corporate venture des banques, ces structures d’investissement imitent de plus en plus les VC classiques, en recrutant des ténors du secteur et en mettant l’accent sur l’indépendance des start-up au portefeuille. Par Aude Fredouelle. Publié le 10 avril 2025 à 6h05 - Mis à jour le 10 avril 2025 à 12h55 Ressources Les points clés Les fonds de corporate venture sont utilisés par certaines grandes banques françaises pour mettre en place des synergies entre les métiers du groupe et les start-up au portefeuille. SG Ventures, qui n’avait pas d’objectif de performance financière et visait avant tout les partenariats et la création de valeur pour le groupe Société Générale, est en sommeil depuis 2023, sous l’influence de son directeur général Slawomir Krupa. Opera Tech Ventures (BNP Paribas) et 115K (La Banque Postale) poursuivent une double stratégie, avec des pratiques et objectifs de performances de VC classiques mais un accent mis sur les potentielles synergies avec leurs groupes respectifs. À mesure que les fintech sont montées en puissance, les banques traditionnelles ont vu dans les fonds de corporate venture (CVC) un levier pour accélérer leur transformation numérique mais aussi pour miser financièrement sur ce segment en pleine expansion. En plus de leurs investissements en tant que limited partner (LP) dans des fonds de capital-risque, plusieurs grandes banques françaises ont donc lancé à partir de la fin des années 2010 leur fonds de corporate venture pour investir en fonds propres dans des start-up. Quelques années plus tard, si certaines ont réalisé de belles opérations financières, les synergies à grande échelle demeurent encore marginales. Un investissement purement financier Certaines banques ont préféré se contenter d’un investissement purement financier et dans ce cas, le périmètre ciblé est souvent le secteur tech au sens large. Crédit Mutuel Innovation – qui n’a pas répondu à nos demandes d’interview – se donne ainsi pour mission de “détecter et de soutenir les start-up utiles économiquement, sociétalement et responsables écologiquement, mais également de diffuser une culture d’innovation au sein des PME et ETI de notre portefeuille”, selon Émilie Lidome, présidente. Et si le fonds, qui gère 500 millions d’euros et revendique plus de 40 participations dans la tech (digital, santé, deeptech), les fintech et insurtech ne font pas partie des cibles. De son côté, BPCE dispose plutôt de fonds locaux. Le groupe est aussi à la tête de la société de gestion Seventure (filiale de Natixis Investment Managers), qui investit dans la tech et les sciences de la vie. Parmi ses participations figurent quelques fintech, à l’image d’Algoan, Medius (Expensya), Flexvelop, IDnow (dont Corsair a pris le contrôle en mars 2025), Karmen, SumUp ou TransferGo. BNP Paribas Développement, société de capital risque (SCR) détenue à 100 % par le groupe BNP Paribas, investit aussi, de manière minoritaire, en capital-risque, comme l’explique Clotilde Quilichini, directrice de la clientèle entreprises de la banque commerciale en France. “BNP Paribas Développement a pour vocation d’adresser les besoins en fonds propres des entreprises pour financer leur développement, et le venture représente environ 5 % de son activité.” Le fonds investit “sur du temps long”, “plutôt en seed et Série A”, grâce à une équipe venture de 7 personnes. Parmi les segments ciblés : “la medtech, qui recueille 30 % des investissements”, décrit Philippe Molas, directeur de BNP Paribas Développement. 65 start-up sont au portefeuille actuellement. “Nous investissons entre 10 et 20 millions d’euros chaque année en venture”, ajoute-t-il. Le Crédit Agricole a aussi créé des fonds, notamment via les caisses régionales (26 fonds destinés à financer les start-up locales). “Le groupe détient en direct près de 50 participations dans des fintech via CASA innovation & nouvelles activités, les fonds régionaux et les filiales, portées sur les fonds propres du groupe”, indique Quentin Bizeau, responsable capital innovation du groupe. Parmi elles, la plateforme d’investissement Ramify. En 2017, le groupe a également annoncé la création de deux fonds thématiques nationaux : CA Innovation et Territoires, orienté vers l’accompagnement des entreprises sur les territoires, mais aussi F/I Ventures, doté initialement de 50 millions d’euros et ciblant les fintech, insurtech, proptech et regtech. Sa gestion a été déléguée à Breega Capital – société de capital-risque spécialisée sur ces segments. Parmi sa trentaine de participations : Moneybox, Curve, Dattak, Mila, Fipto… “Nous avons délégué le fonds à une société de gestion pour assurer son indépendance et un deal flow qualifié, avance Laurent Darmon, directeur de l’innovation du groupe. Du fait de son lien avec le groupe, nous pouvons réaliser des synergies, mais ce n’est pas une obligation.” Synergies avec le groupe D’autres ont préféré, au contraire, mettre le développement de synergies avec les start-up en portefeuille au cœur de leur stratégie, délaissant même parfois les objectifs financiers. C’est le cas de Société Générale Ventures, fonds de CVC créé fin 2018 et alors rattaché à la direction innovation du groupe. “Puisque nous ne sommes pas un VC financier, le but n’est pas de sortir un multiple, mais une valeur supplémentaire en faisant travailler les start-up du portefeuille avec le plus de métiers du groupe pour maximiser la création de valeur”, expliquait ainsi en octobre 2021 à mind Fintech Didier Lallemand, dirigeant de la structure d’investissement. Certains investissements sont par ailleurs majoritaires, comme Shine (racheté par Ageras) ou Treezor (qui serait actuellement en vente). D’autres sont en fait des start-up internes, à l’image de Kwiper, Moonshot ou SG-Forge. Didier Lallemand : “La mobilité, la RBF et le BNPL sont au coeur des priorités de Société Générale Ventures” (octobre 2021) En 2021, Didier Lallemand assurait avoir toujours réussi à mettre en place des synergies, “à une ou deux exceptions près”. Ainsi, la banque est apporteur d’affaires de la plateforme d’open banking Fintecture. Mais parfois, les synergies annoncées ont eu du mal à se mettre en place, à l’image du plan d’intégration prévu avec la plateforme de crowdlending Lumo. SG Ventures, qui n’a pas répondu à nos sollicitations pour une interview, semble cependant avoir mis sur pause ses investissements : sur son site, le dernier indiqué est celui dans namR, en 2023. La nomination de Slawomir Krupa à la tête du groupe Société Générale en mai 2023 a en effet fait basculer la banque de la Défense dans une nouvelle ère et l’innovation a été mise au pas. Le véhicule de corporate venture jusqu’alors rattaché à la direction de l’innovation et à la direction générale a été placé sous la tutelle de la direction de la stratégie. L’équipe a connu plusieurs départs, dont celui de la responsable du deal flow. Seuls demeurent Didier Lallemand et Nicolas Vesval, principal. Si SG Ventures est parvenu à revendre Shine à Ageras en 2024, tandis que London Stock Exchange Group a acquis Acadia en 2022, la structure a aussi déjà connu plusieurs échecs : les fermetures de Reezocar, Mutumutu, Liquidshare, Prismea ou encore we.trade. Au Crédit Agricole, Fireca porte les investissements stratégiques Pour financer l’innovation du groupe, le Crédit Agricole a de son côté créé en 2001 Fireca, un fonds pouvant également investir dans des sociétés destinées à des synergies avec la banque. Outre le financement de projets comme le Village by CA ou la Fabrique by CA (start-up studio du groupe), le fonds investit parfois dans des start-up “stratégiques”, explique Laurent Darmon. “C’est par exemple le cas pour notre premier investissement minoritaire dans Linxo, puisque cet agrégateur était appelé à servir plusieurs métiers. Dans ce cas, Fireca est un bon moyen pour mutualiser le risque au niveau groupe. Ce fonds est au cœur du dispositif d’innovation du groupe.” À La Banque Postale et chez BNP Paribas, une stratégie double D’autres, enfin, ont préféré une stratégie double, à l’image d’Opera Tech Ventures (OTV), le fonds de corporate venture de BNP Paribas créé en 2018 pour investir dans la transformation des services financiers au sens large, à l’international. “Nous sommes vraiment régis par des principes de discipline financière, avec des attentes similaires à celles des autres VC, mais en même temps notre valeur ajoutée sur le marché est de pouvoir ouvrir les portes du groupe BNP Paribas aux entrepreneurs, expliquait en mars 2025 Marinus Oosterbeek, fraîchement nommé managing partner aux côtés de Vincent Baillin, à mind Fintech. Nous cherchons donc principalement des sociétés que cela peut intéresser.” Résultat : 60 % des sociétés en portefeuille ont noué une relation commerciale avec le groupe (hors pilotes ou PoC). Marinus Oosterbeek et Vincent Baillin nommés à la tête d’Opera Tech Ventures La stratégie est similaire chez 115K, fondé en 2022 à la Banque Postale, qui cible des fintech, insurtech, et sociétés IA ou data “dès lors qu’elles présentent un angle financier”, expose Damien Launoy, partner et general manager. “115K a été construit avec la conviction qu’il fallait lui donner une double vocation financière et stratégique, car nous gérons les fonds propres de la banque et il est essentiel de veiller à cette double équation, poursuit-il. Par ailleurs, la perspective des synergies avec le groupe La Banque Postale est un prérequis. Elles peuvent n’être opérantes qu’à moyen ou long terme mais il faut que les pistes existent, en lien avec notre plan stratégique”. Ensuite, si les opportunités de synergies ne peuvent finalement pas voir le jour, “alors nous avons pour objectif d’au moins réaliser une performance financière”. Pour assurer l’orientation stratégique, un operating partner, Nizar Dahmane, est d’ailleurs arrivé en janvier 2025 chez 115K. Ex-directeur de la BU tech de la banque d’investissement de La Banque Postale, il a désormais pour mission d’aider 115K à “accélérer les synergies entre le groupe et ses participations, d’autant que le portefeuille devient mature et qu’il faut attendre ce stade pour commencer les discussions avec un grand corporate”, assure Damien Launoy. “Pendant trois ans, nous avons construit un portefeuille en investissant dans les meilleures start-up et en construisant des equity story solides, avec des pratiques d’investissement aux meilleurs standards.” Des partenariats ont déjà vu le jour. Depuis 2023, La Banque Postale propose à ses clients particuliers de mesurer l’impact environnemental de leurs dépenses via Carbo. En 2024, un an après l’investissement de 115K dans Garantme, la solution de caution pour les locataires a annoncé un partenariat avec CNP Caution. Enfin, Zaion, dans laquelle 115K a investi fin 2024, équipe Lucy, l’assistante virtuelle vocale du service client de La Banque Postale. OTV agréé par l’AMF Les deux fonds fonctionnent selon les règles classiques des VC. OTV est même “un fonds agréé par l’AMF, au sein de la société de gestion BNP Paribas Asset Management (BNPP AM), décrit Vincent Baillin. Cela nous distingue d’autres fonds de corporate venture qui n’opèrent pas sous licence et cela signifie que nous devons nous conformer à des règles de gouvernance propres au capital-risque. Nous ne sommes pas un véhicule de pré-M&A : nous investissons en minoritaire, à l’instar des autres fonds de venture”. 115K, de son côté, est comme beaucoup d’autres fonds de CVC une SAS, filiale à 100 % de La Banque Postale, une “structure autonome permettant d’avoir l’agilité d’un VC classique”. Mais la stratégie de fonctionnement rejoint toutefois celle d’OTV : “nous investissons avec des pratiques standards de marché, qu’un VC classique pourrait proposer – en d’autres termes, nous ne faisons pas de pré-M&A avec des exigences spécifiques en prévision de la sortie pour que le process d’exit soit équitable et nous n’interdisons jamais à nos participations de travailler avec d’autres groupes bancaires, au contraire”, assure Damien Launoy. Le general manager glisse tout de même que si l’objectif premier n’est pas de racheter les participations, “des acquisitions pourront être réalisées si cela a du sens”. Chez 115K, pour assurer la vocation financière, des professionnels du capital-investissement ont été recrutés, à l’image d’Armelle de Tinguy, ex-partner d’Elaia, arrivée début 2025 pour co-gérer le fonds. L’équipe compte six collaborateurs à plein temps, dont cinq investisseurs (OTV compte de son côté cinq collaborateurs). Chez 115K, les investissements sont principalement concentrés sur la France, “marché que l’on connaît le mieux”, même si le mandat est européen, détaille Damien Launoy. Le dirigeant indique cependant que le périmètre devrait progressivement être élargi. OTV, lui, a un mandat international. 30 % du portefeuille est basé en France et le reste se trouve principalement en Europe continentale et au Royaume-Uni. 115K investit dans 4 à 5 sociétés par an et a réalisé douze opérations depuis sa création en 2022 : Continiuity, Sesam IT, Garantme, Zaion, Numalis, Valueco, Seclab, Climateview, Cosmian, Cashbee, Pono et Carbo. Opera Tech Ventures est de son côté entré au capital de 17 sociétés et a réalisé 3 sorties : la plateforme d’open banking Tink (rachetée par Visa en 2021 pour 1,8 milliard d’euros), la néobanque américaine Chime (dont OTV est sorti lors d’une opération secondaire fin 2020) et Rewire, une société israélienne de paiements internationaux (rachetée par Remitly en janvier 2023 pour 80 millions de dollars). Aude Fredouelle corporate venturefonds d'investissementlevée de fondstransformation digitale Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Confidentiel [Info mind Fintech] Marinus Oosterbeek et Vincent Baillin nommés à la tête d’Opera Tech Ventures