Accueil > Services bancaires > Éric Barbier (Triple-A) : “Beaucoup de banques vont émettre des stablecoins” Éric Barbier (Triple-A) : “Beaucoup de banques vont émettre des stablecoins” À l’occasion du salon Money20/20 qui s’est déroulé début juin à Amsterdam, mind Fintech a rencontré Éric Barbier, fondateur et ex-CEO du spécialiste des paiements internationaux Thunes, désormais CEO de l’entreprise Triple-A, positionnée sur un segment similaire en s’appuyant sur les cryptoactifs. Alors que les annonces autour des stablecoins se multiplient chez les acteurs historiquement tournés vers la monnaie fiat, Éric Barbier présente sa start-up singapourienne ainsi que sa vision du marché des stablecoins. Par Caroline Soutarson. Publié le 19 juin 2025 à 6h05 - Mis à jour le 18 juin 2025 à 17h29 Ressources Que propose la start-up singapourienne Triple-A, que vous avez fondée en 2017 ? Notre produit phare est l’ajout d’une option de paiement en crypto pour les e-commerçants, en marque blanche. Concrètement, lorsqu’un client veut payer en ligne, il a le choix entre Visa, Mastercard, PayPal, Alipay, etc. et notre solution, qui permet de payer en stablecoins ou avec d’autres actifs numériques. Au moment de l’encaissement, nous figeons le taux de change [crypto-fiat] pour le client final qui dispose de 20 minutes pour payer, puis nous convertissons immédiatement les actifs reçus en euros ou en dollars pour payer le marchand sur son compte bancaire. Quels sont les avantages liés à cette solution pour les e-commerçants ? Le principal avantage réside dans notre couverture des risques. Grâce au taux de change bloqué, nous éliminons le risque de volatilité pour le marchand. Le commerçant n’a pas non plus à sa charge le risque de conservation ni le risque de conformité, car nous assurons toutes les vérifications [de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, Ndlr] à sa place, en garantissant que les crypto ne proviennent pas de sources illégales ou n’ont pas fait l’objet de sanctions. [Triple-A s’appuie notamment sur les plateformes d’analyse des transactions crypto Scorechain et Elliptic, Ndlr] Il n’y a pas non plus de risque de contestation. Grâce à la blockchain, il est impossible de revenir en arrière sur une transaction, ce qui veut dire que nos clients ont la garantie d’être payés, ce qui n’est pas le cas avec un paiement Visa ou Mastercard. Par ailleurs, notre solution de paiement est peu chère [la tarification est évoquée plus tard dans l’entretien, Ndlr] et souvent plus rapide qu’un paiement fiat [notamment pour les paiements qui transitent par un système de correspondant banking, Ndlr]. Elle résout aussi les problèmes d’accès au dollar. En Afrique, l’accès aux stablecoins est souvent plus facile que celui au dollar, par exemple. Quels actifs de règlement proposez-vous ? Concernant les stablecoins, qui représentent 80 % des paiements via notre solution, nous acceptons l’USDT, qui est le plus important en termes de volume, émis par Tether, l’USDC, émis par Circle et davantage régulé, ainsi que le PYUSD de PayPal. Pour les recevoir, nous sommes compatibles avec trois grandes blockchains : Ethereum, la plus connue, Solana, qui dispose de frais particulièrement faibles, et Arbitrum [un layer 2 de la blockchain Ethereum, Ndlr]. Les clients finaux peuvent aussi payer en bitcoins et en ethers. Nous avons également des connexions directes avec plusieurs grandes plateformes d’échange comme Binance, Coinbase et Crypto.com. Un client qui a un compte chez eux bénéficie d’une expérience utilisateur plus pratique. Qui sont vos clients ? Nous travaillons principalement avec des grands marchands e-commerce et des marketplaces situés dans des pays développés, qui vendent à l’international, notamment dans les pays émergents. Nous sommes aussi présents chez quelques marchands physiques, ainsi que chez des prestataires de services de paiement (PSP), en marque blanche. Parmi nos grands clients : la plateforme e-commerce de luxe Farfetch [acteur britannique passé sous pavillon sud-coréen dans le cadre de sa cession par Richemont à Coupang, en 2024, Ndlr], Razer [fournisseur de matériel informatique dans le secteur des jeux vidéo, présent au capital de Triple-A, Ndlr], Grab (le Uber d’Asie du Sud-Est), Ferrari, le Chinois NetEase, qui évolue dans le gaming également… Côté PSP, nous en avons plutôt en Asie pour l’instant, avec [le Singapourien] 2C2P et [l’Indonésien] Xendit. Comment Grab veut devenir un géant des services financiers sud-asiatique Pourquoi viser les marchés émergents en particulier ? Nous visons ces pays car les paiements crypto peuvent y résoudre des problèmes. Si vous venez du Kenya, par exemple, et que vous essayez de réaliser un paiement, il y a de fortes chances pour que votre carte de crédit soit refusée par Stripe, Adyen ou Checkout.com, pour éviter les risques de chargeback [procédures de rétrofacturation, en français, Ndlr]. Les stablecoins deviennent ainsi une solution pour les paiements à l’international. Quand vous vous lancez sur le segment du paiement en cryptoactifs en 2020, tout est encore à faire en termes d’argumentation et de pédagogie auprès des marchands. L’acquisition client est-elle plus facile aujourd’hui ? L’acquisition est en effet facilitée aujourd’hui, plus encore depuis la réélection de Donald Trump, qui a rendu l’univers des actifs numériques plus ouvert. Il a congédié tous les anti-cryptoactifs dans son administration. Il faut reconnaître que l’administration précédente était particulièrement hostile, avec la fermeture de trois banques crypto-friendly [Silvergate Bank, Silicon Valley Bank et Signature Bank, Ndlr]. La chute de Silicon Valley Bank ouvre des opportunités aux fintech D’autres nouvelles, comme le rachat de Bridge par Stripe pour plus d’un milliard de dollars et le Genius Act [Guiding and establishing national innovation for US stablecoins, législation états-unienne en cours d’adoption pour encadrer le marché des stablecoins, Ndlr] sont des signaux très positifs. En parallèle, l’adoption a cru. Désormais, plus de 550 millions de personnes dans le monde détiennent des cryptoactifs [selon une étude menée par Triple-A parue en mai 2024, Ndlr]. C’est plus que les utilisateurs de PayPal [au 31 mars 2025, PayPal dénombre 436 millions de comptes actifs sur sa plateforme, soit des comptes sur lesquels au moins une transaction a été effectuée durant les 12 derniers mois, Ndlr]. Les États-Unis deviennent-ils par conséquent un marché intéressant pour Triple-A ? Oui, bien sûr. À ce titre, nous avons entamé une procédure d’obtention de money transmitter license dans chaque État. Basé à Singapour, Triple-A opère historiquement en Asie, ainsi qu’en Europe, à partir de la France. Actuellement, 40 % de notre chiffre d’affaires est réalisé auprès de nos clients asiatiques, principalement basés à Singapour et Hong Kong, 40 % en Europe et 20 % dans le reste du monde. Nous souhaitons désormais que les États-Unis prennent une part significative de notre activité. Concernant les clients de nos clients, ils sont à 60 % basés dans des pays émergents et 40 % dans des pays développés. Hormis l’expansion aux États-Unis, quels sont vos axes de développement stratégique ces prochains mois ? Nous sommes concentrés sur le développement commercial de Triple-A. Nous avons beaucoup parlé du paiement CtoB mais nous portons aussi un intérêt grandissant au BtoB. Nous nous intéressons aux entreprises qui travaillent en BtoB, dans l’import-export de biens physiques par exemple. L’un de nos clients exporte des téléphones mobiles à Hong Kong, d’autres se servent de notre solution pour du commerce d’acier ou le transport maritime… Avec son acquisition de Bridge, le PSP Stripe vient-il marcher sur les plates-bandes de Triple-A ? Oui, en effet. Nous avons encore de l’avance car Stripe n’a pas encore intégré la solution de Bridge et celle-ci ne dispose pas d’un système de paiement comme le nôtre [Bridge visait, via un ensemble d’API, à faciliter le transfert, le stockage, la conversion, l’acceptation et l’émission de stablecoins, notamment pour des transactions internationales BtoB, Ndlr]. Mais indépendamment de cette opération, Stripe commençait déjà à travailler sur le sujet [Dès 2014, Stripe avait autorisé les paiements en bitcoins sur sa plateforme, avant de revenir sur cette décision en 2018. En 2024, la société a annoncé autoriser ses clients marchands à recevoir des paiements en ligne en USDC. Une semaine après cet entretien, Stripe a aussi annoncé le rachat du fournisseur de wallets crypto Privy, Ndlr]. Stripe accélère sur les stablecoins avec des comptes crypto pour les entreprises Stripe n’est que l’un des multiples acteurs fiat à se lancer sur le marché des stablecoins (Meta, MoneyGram…). Vous attendez-vous à un remplacement total des moyens de paiement traditionnels au profit des stablecoins ? Actuellement, lorsqu’on lit la presse ou LinkedIn, on peut avoir l’impression que les stablecoins vont tout résoudre, mais ce n’est pas vrai. Si vous avez besoin de faire un paiement instantané en Europe, cela fonctionne très bien [avec de la monnaie fiat, Ndlr]. Il n’y a pas de valeur ajoutée des stablecoins dans ce cas-là. Le grand avantage réside essentiellement dans les paiements internationaux, ainsi que dans l’instantanéité – qui n’est pas possible pour les paiements en dollar, même intra-États-Unis, dès lors qu’il y a des week-ends ou des jours fériés. Cela peut être un inconvénient pour les entreprises qui ont des besoins en fonds de roulement serrés. Dernier cas d’usage : les très petits paiements, pour une plateforme de création de contenus et/ou un réseau social qui voudrait faire gagner quelques dollars ou quelques euros à ses créateurs, par exemple. Dans ce cas, alors qu’il n’était pas intéressant d’opérer le service de rémunération en monnaie fiat, le paiement en stablecoins est si peu cher qu’il permet d’envoyer deux dollars à quelqu’un à l’autre bout du monde. Promesses et réalités du paiement en cryptoactifs Les stablecoins sont suffisamment intéressants pour que Société Générale et JPMorgan s’y lancent. À terme, je pense que beaucoup de banques vont émettre des stablecoins – je ne crois en revanche pas une seconde que les banques centrales vont émettre des monnaies numériques, qui auront un impact négatif sur les banques [commerciales]. Peut-on imaginer que, dans le futur, les stablecoins de Société Générale-Forge (l’EURCV ou son futur stablecoin dollar) intègreront votre solution de paiement ? Oui, bien sûr. Nous sommes d’ailleurs en discussion avec eux. Votre but est-il d’intégrer un maximum de stablecoins ? Notre but n’est pas d’accepter les paiements dans tous les stablecoins mais de les intégrer lorsqu’ils atteignent une certaine taille. Si personne ne l’utilise, cela prend juste de l’espace inutilement sur l’écran. Combien coûte l’envoi de deux dollars en stablecoins ? Des fractions de centimes. Moins d’un centime. À titre de comparaison, l’envoi de 2 dollars via Visa ou Mastercard coûte environ 2 dollars, plus 3 % du montant. Comment Triple-A gagne de l’argent avec des fractions de centimes ? Sur le volume. Nous facturons des frais de transactions moins chers que lors d’un paiement par carte. Le coût d’acceptation pour le commerçant est donc beaucoup plus faible qu’avec les moyens de paiement traditionnels. Passer par Visa et Mastercard est particulièrement onéreux. Quel est votre chiffre d’affaires ? Le volume de transactions qui passe par votre plateforme ? Nous ne communiquons pas sur ces indicateurs. Plusieurs milliards de dollars passent par notre plateforme par an. Combien de collaborateurs compte Triple-A ? Nous sommes 80 [contre 70 en octobre 2023, selon TechCrunch, Ndlr], dont une quinzaine en France. En France, vous opérez grâce à l’acquisition, en 2022, de Paytop, fintech créée par la société de capital-risque Truffle Capital. Via cette entité, vous avez obtenu un enregistrement de prestataire de services sur actifs numériques (PSAN) qui deviendra caduc le 30 juin 2026, après la période transitoire vers le règlement européen MiCA. Où en êtes-vous dans cette procédure ? Nous avons candidaté à l’agrément MiCA en France. Paytop était spécialisée dans le transfert d’argent fiat en BtoB et en BtoBtoC. En 2023, la société a enregistré un chiffre d’affaires de 882 000 euros pour une perte supérieure à un million d’euros. Son site est toujours actif, qu’en est-il de son activité ? L’offre de transfert d’argent fiat en marque blanche de Paytop est toujours active. Nous avons gardé son site, car il dispose d’un assez bon SEO, Paytop étant une marque ancienne avec une bonne réputation. À quel montant avez-vous racheté Paytop ? Et quel exit a connu Truffle Capital dans le cadre de cette cession ? Nous ne communiquons pas sur le montant mais Truffle n’a pas effectué un exit positif. [Entré au capital de Paytop en 2021 via son fonds Fireca, Crédit Agricole en est sorti en 2022, Ndlr] Caroline Soutarson cryptoactifpaiement en lignepaiement en magasinpaiements internationauxstablecointransfert d'argent Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Dossier Comment les fintech spécialistes du transfert d’argent fidélisent leurs clients Notes de synthèse Promesses et réalités du paiement en cryptoactifs E-commerce : Shopify s’appuie sur Stripe et Coinbase pour pousser les paiements en USDC Stripe poursuit sa stratégie crypto avec le rachat de Privy L'EBA confirme la double nature des stablecoins Uber envisage de recourir à des stablecoins pour ses transferts internationaux Circle vise une valorisation de 6,7 milliards de dollars pour son IPO MiCA : l’AMF appelle les sociétés qui ne passeront pas le cap réglementaire à cesser leurs activités