Accueil > Financement et politiques publiques > Rémi Droller (Kurma Partners) : “Notre approche entrepreneuriale fait notre spécificité” Rémi Droller (Kurma Partners) : “Notre approche entrepreneuriale fait notre spécificité” Né en 2009, Kurma Partners est passé en 2021 sous le contrôle d'Eurazeo. La stratégie de ce fonds d'investissement, fondée sur la création d'entreprise, des liens forts avec l'industrie et une très forte expertise scientifique, reste cependant singulière. L'un de ses cofondateurs et Managing Partners, Rémi Droller, en dévoile les spécificités pour mind Health. Par Romain Bonfillon. Publié le 12 novembre 2024 à 15h18 - Mis à jour le 13 novembre 2024 à 11h23 Ressources Comment est né Kurma Partners ? En 2009, j’ai quitté la société de gestion Idinvest, au moment où elle a pris son indépendance vis-à-vis du groupe Allianz, pour lancer, avec mon associé Thierry Laugel, Kurma Partners. Nous avions l’idée de créer une plateforme d’investissement dans la santé, en se positionnant sur la partie early stage, avec une culture très entrepreneuriale. Quel était alors votre positionnement ? Le premier fonds de Kurma était doté de 50 M€ et s’intéressait à la fois aux solutions thérapeutiques, aux medtech et au diagnostic. Nous nous sommes rendu compte que si nous voulions avoir une stratégie de création d’entreprise et apporter aux entrepreneurs une véritable expertise, il nous fallait créer une franchise entièrement dédiée au médicament et une autre dédiée à la healthtech. C’est ainsi que sont nées, entre 2012 et 2015, Kurma Biofund et Kurma Diagnostics (KDx). Historiquement, Kurma a longtemps été un fonds étiqueté “early stage”, mais a récemment revu sa stratégie d’investissement… Après avoir soutenu une soixantaine d’entreprises, nous avons voulu associer à nos deux franchises early stage une stratégie late stage/growth. C’est ainsi qu’est né en 2022 le fonds Kurma Growth opportunities. L’objectif est de continuer à aider les entrepreneurs que l’on accompagne, avec des tours de financement plus gros. Ce fonds est géré par une équipe dédiée, qui investit pour moitié dans des entreprises issues de nos fonds Biofund et KDx. Amolyt Pharma a par exemple été financée par Kurma Biofund III, en janvier 2023, lors d’un tour de 130 M€. Le fonds Growth a pu accompagner Amolyt dans son développement et la société a été vendue cette année à AstraZeneca pour 1Md $. Le fonds Growth représente aujourd’hui une petite dizaine d’entreprises. Kurma Partners lance son nouveau fonds Biofund IV Kurma a aussi la spécificité de créer des sociétés… En effet, parmi la soixantaine d’entreprises financées par Kurma, une vingtaine ont été créées par nous. Notre approche entrepreneuriale fait notre spécificité. Lorsque nous créons des entreprises, nous ne concevons pas l’accompagnement des entrepreneurs de la même manière qu’un asset manager. Nous savons combien il peut être difficile pour un entrepreneur de recruter des talents, d’affronter le risque de R&D. Aussi, contrairement à beaucoup d’acteurs early stage, qui sont souvent des acteurs régionaux avec des fonds de petite taille, nous avons le réseau et les capacités d’accompagnement d’un gros acteur international. Nous sommes capables d’attirer des investisseurs européens, américains et asiatiques sur nos sociétés. Les sociétés financées par Kurma ont levé au total environ 3 Mds €. Quels liens entretenez-vous avec les industriels ? Nous avons un réseau d’entrepreneurs important puisque nous faisons ce métier depuis 25 ans. Un certain nombre d’entrepreneurs que nous avons soutenus par le passé reviennent pour créer de nouvelles sociétés avec nous. Leur expérience est structurante. Cet accès à l’expertise industrielle, mais aussi académique, marque aussi notre différence par rapport à beaucoup d’acteurs du early stage. Comment ce réseau influence-t-il votre stratégie d’investissement ? Ce dont on a le plus besoin lorsqu’on crée une société n’est pas tellement l’argent. Ce qui fait le plus défaut à une entreprise à ses tout débuts est l’expertise de personnes qui vont décider des premières étapes à franchir. C’est cela qui va faire la solidité du projet, à un stade où il est hyper risqué. Faire venir le CEO d’une grande société au board d’une start-up, essayer de recruter le Kylian Mbappé de la biotech dans ses phases très précoces est quasiment impossible. Aussi, nous essayons de mettre le maximum d’expertise au tout début de la vie de l’entreprise en allant piocher dans le vivier de milliers de chercheurs que nous connaissons ou avec un LP qui est généralement une grosse société pharmaceutique qui vient non seulement pour investir dans le fonds, mais qui collabore aussi à notre activité de création d’entreprise en faisant participer ses chercheurs, ses équipes marketing. En tant qu’investisseurs, nous avons assez peu accès aux personnes qui peuvent évaluer les challenges réglementaires, le potentiel de marché de certains produits. Lorsqu’on travaille avec CSL (une pharma australienne qui soutient le fonds Biofund IV), nous avons accès à beaucoup de ressources pour nos projets, même pour les phases très early stage. Quelle est votre méthode de sourcing et de création d’entreprise ? Kurma est aujourd’hui constitué de 25 personnes. La création d’une entreprise nécessite beaucoup de ressources. Nous découvrons les projets scientifiques qui vont faire naître nos entreprises en allant visiter les laboratoires académiques, en passant du temps dans les centres de recherche. Toutes les semaines, il y a au moins un partner de Kurma qui va dans un laboratoire académique. Nous avons tous dans l’équipe travaillé dans des laboratoires de recherche, en tant que doctorant ou chercheur. Nous connaissons donc ce réseau, nous savons comment leur parler. Mais ce modèle de sourcing et de création d’entreprise est difficilement extensible, il nécessite trop de temps et de ressources. Nous sommes à chaque fois deux partners seniors pour chaque projet de création. Or, un fonds comme Kurma Biofund IV va représenter environ 20 entreprises, cela signifie 10 sociétés que l’on va créer. L’un des relais que nous avons trouvé il y a 10 ans est le start-up studio Argobio, qui est doté de 50 M€, avec 20 personnes qui y travaillent. Où en sont vos investissements sur la partie healthtech ? Cette stratégie est chez nous assurée par Kurma Diagnostics, mais elle concerne aujourd’hui un champ plus large de sociétés en santé numérique que les seules entreprises du diagnostic. Cette équipe, composée aujourd’hui de trois partners, a tout de suite compris, dès 2015, que l’IA et tous les outils d’analyse des données de patients allaient devenir un segment fort de la santé de demain. Ils ont orienté la stratégie du fonds vers de nouveaux outils de patient management, par exemple Cardiologs. Aujourd’hui, Kurma Diagnostics compte une vingtaine d’entreprises en portefeuille, auxquelles nous apportons la compétence d’un investisseur spécialisé dans la santé. Très souvent, les sociétés du secteur peuvent n’être financées que par des fonds tech, qui n’ont aucune idée des problématiques liées aux challenge réglementaires et de l’expertise clinique qu’il faut avoir pour valider ce type d’outils. Nous avons été pionniers sur ce secteur et l’équipe est aujourd’hui éminemment reconnue dans ce segment healthtech/santé digitale. Notre dernier fonds en healthtech, Kurma Diagnostics II, est une franchise récente. Son closing final, à hauteur de 83 M€, date de décembre 2021. Le ticket moyen se situe autour de 6 à 7 M€ par entreprise. Y a -t-il eu des sorties sur cette stratégie ? Oui, on peut citer par exemple la société Bioserenity qui faisait de l’analyse de données pour les maladies neurodégénératives et qui a eu ensuite une vie un peu plus compliquée. Nous avons fait une très belle sortie avec Cardiologs, dont nous étions les premiers investisseurs et qui a été cédé à Philips. Nous sommes également sortis lors du second tour de financement de DNA Script que nous avions accompagné au tout début. Quels sont les aires thérapeutiques auxquelles vous vous intéressez sur votre stratégie dédiée aux biotech ? Nous sommes agnostiques, mais nous regardons beaucoup les maladies auto-immunes inflammatoires, l’oncologie, mais aussi des maladies un peu plus “niche”. Sur la transplantation, par exemple, il y a des besoins cliniques très forts. Ce sont des indications plus petites mais sur lesquelles nous pouvons vraiment avoir un impact très fort sur les patients, avec des traitements ciblés qui permettent de diminuer les rejets des greffes. Nous sommes aussi très présents sur les maladies cardiométaboliques, qui constituent un immense enjeu de santé publique. Quelle est la répartition géographique de vos deux principaux portefeuilles early stage ? Pour le fonds biotech, nous investissons quasi exclusivement en Europe, à hauteur de 90 % environ et entre 40 et 50% des sociétés du portefeuille sont françaises. Le fonds healthtech est constitué quant à lui de plus de 80% d’entreprises françaises. La franchise Kurma Biofund, dont vous êtes Managing Partner, a enchaîné les succès ces dernières années… Au total, sur la biotech, nous devons être à 13 exits, soit par IPO, soit par M&A. Les deux sorties les plus récentes de notre Biofund ont en effet été de beaux succès. Amolyt Pharma est historiquement la plus grosse sortie d’une biotech française et Emergence, qui a été rachetée par Eli Lilly pour 600 M$, est la plus grosse sortie d’une biotech européenne avant qu’elle atteigne le stade clinique. Quel est in fine le taux de rendement interne (TRI) de vos différents fonds ? C’est une information qui appartient à nos investisseurs et qu’on ne partage pas, mais nous sommes sur des objectifs de retour sur investissement qui correspondent à des multiples au-dessus de 2 x. Après une année 2023 particulièrement difficile en termes de volume d’investissement, certains spécialistes tablent sur une reprise pour les mois à venir. Faites-vous le même constat ? Rien que sur cette dernière semaine, nous avons assisté à cinq IPO en santé aux Etats-Unis, avec un cours post introduction en bourse qui se maintient à un bon niveau. Ce sont des bons signaux. Même s’ils sont très sélectifs, les investisseurs ont de l’argent, ce qui permet de faire de belles levées de fonds sur des projets ambitieux, bien positionnés et avec de bonnes équipes de management. L’Europe est un écosystème capable de tenir tête aux Américains et aux Asiatiques. Nos laboratoires de recherche font de la très bonne science, nous avons des entrepreneurs qui ont des expériences répétées de succès et nous avons des investisseurs privés qui ont les poches profondes, qui sont donc capables d’accompagner les entreprises dans leur développement. Je suis fondamentalement optimiste. Les périodes difficiles ont souvent le mérite de tamiser l’écosystème. Après les trois années compliquées que nous venons de vivre, les sociétés qui restent sont très fortes, très bien structurées, avec de bons investisseurs et de bonnes équipes de management. Nous avons besoin en Europe de voir naître cette nouvelle vague de sociétés, si l’on veut garder une médecine innovante. Rémi Droller Depuis 2010 : Managing Partner chez Kurma Partners 2003 – 2009 : Directeur d’investissement chez AGF Private Equity 2000 – 2003 : Analyste et directeur d’investissement chez CDC Innovation (devenu en 2012 Bpifrance) 2000 – 2001 : Master en management de l’innovation (AgroParis Tech) Romain Bonfillon biotechfinancementFonds d'investissementHealthTechIndustrieStratégie Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Entretien Catherine Boule (Karista) : “Il y a aujourd’hui beaucoup de bonnes fées penchées sur le même berceau” Le nouveau panorama des HealthTech de France Biotech confirme une année 2023 “compliquée” Arnaud Vincent (Eurazeo) : “Nous intervenons sur toute la chaîne de valeur en santé” Nicolas Gremy (Bpifrance) : “La santé numérique est à la fin d’un cycle…et c'est une bonne chose ” Entretien Alain Godard (ETCI) : “Nous sommes en train de bâtir le socle d'un marché de l'equity en Europe” Fonds durables : les VCs en santé poussés à devenir verts François Véron : "le fonds HEKA explore les nouveautés scientifiques de la BrainTech"