Les dernières avancées en matière de thérapies ciblées et les enjeux d’accélération de la recherche

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L’essor de la médecine de précision en oncologie se traduit par des traitements de plus en plus ciblés et personnalisés. Pour pouvoir les développer, les industriels du médicament déploient de nouvelles techniques, notamment l’IA, et des méthodologies qui transforment profondément la façon de mener la recherche clinique. Le 5 juin dernier, une table ronde était consacrée à ces métamorphoses, lors de la deuxième édition du mind Health Day.
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État des lieux de la recherche

Le 5 juin dernier, lors du mind Health Day, la table ronde dédiée aux nouvelles thérapies ciblées a réuni (de gauche à droite) Franck Mouthon, Claire Biot, Pr Christophe Le Tourneau et Yoanni Matsakis / Photo François Le Guen

“Les chimiothérapies ont été développées de manière complètement empiriques, en évaluant des substances sur des lignées cellulaires et en voyant si cela a un effet antitumoral ou non”, rappelle en introduction le Pr Christophe Le Tourneau, Chef du département de développement et d’innovation des médicaments (D3i) de l’Institut Curie.  “Les thérapies ciblées, poursuit-il, relèvent d’une meilleure connaissance de la biologie, qui va permettre de créer un nouveau médicament à partir de l’identification d’une cible précise”. Ces thérapies ciblées constituent aujourd’hui une grande famille dans laquelle figurent les petites molécules, les immunothérapies, les anticorps (qui peuvent être conjugués à des médicaments – les ADC – et bispécifiques), la vaccination thérapeutique, etc. Ces médicaments sont extrêmement complexes à produire et c’est grâce à l’arrivée de l’intelligence artificielle que certains d’entre eux ont pu voir le jour. “Pour les vaccins personnalisés, avons besoin de l’IA afin d’identifier pour chaque patient individuellement les mutations à partir desquelles le vaccin va être créé,des algorithmes sont utilisés pour sélectionner les 30 mutations les plus pertinentes”, illustre le Pr Le Tourneau qui vient de présenter à l’Asco 2025 des résultats prometteurs pour le tout premier vaccin individualisé dans les cancers ORL. Selon lui, “l’étape suivante pour l’IA est d’arriver un jour à identifier un traitement pour chaque patient. C’est ce que l’on entend par « médecine de précision », à la différence de la médecine stratifiée – qui est la réalité d’aujourd’hui en oncologie – consistant à identifier des sous-groupes de patients éligibles à un traitement”.

En tant que directeur exécutif de l’Agence de programmes pour la recherche en santé de l’Inserm, Franck Mouthon participe à la définition des grands programmes nationaux qui sont actuellement menés en oncologie. “L’Inserm est en train de propulser un grand programme de recherche national en prévention, qui s’inscrit dans la stratégie d’accélération « prévention » portée par l’Agence de l’innovation en santé”, explique-t-il, rappelant que la priorité actuelle de la recherche publique consiste à “travailler sur les déterminants individuels d’entrée dans le cancer et de la maladie résiduelle” (le risque de rechute). Cette approche est assez éloignée du modèle actuel, axé sur le curatif, et invite à le repenser pour imaginer inclure dans les parcours de soins des personnes à risque des médicaments utilisés à titre préventif. 

Des changements majeurs induits par la médecine de précision

La découverte de nouveaux candidats médicaments a connu un saut majeur grâce au modèle d’IA AlfaFold qui a donné aux chercheurs la capacité de trouver jusqu’à 10 fois plus de cibles moléculaires. “Avant, on estimait qu’il y avait environ 1000 cibles moléculaires atteignables parce qu’il était difficile de comprendre la forme de la serrure pour trouver la clé”, explique Claire Biot, vice-présidente en charge de l’lndustrie de la Santé chez Dassault Systèmes, qui, donne aux chercheurs accès à ces algorithmes, en les complétant avec une approche basée sur la physique et la compréhension des phénomènes d’interaction clé/serrure (cette dernière n’est pas fixe). “Nous assistons en parallèle à l’essor d’un certain nombre d’outils d’IA générative qui permettent de générer une molécule capable de se fixer sur la cible”, ajoute Claire Biot. 

Les méthodologies de recherche (essais baskets, essais adaptatifs, bras de contrôle externes) ont aussi été amenées à évoluer avec l’essor de la médecine de précision. À titre d’exemple, Claire Biot a révélé lors du mind Health Day que l’EMA venait d’accorder une AMM conditionnelle à une thérapie CAR-T dans les leucémies sur la base d’un bras de contrôle externe que Medidata (qui appartient à Dassault Systèmes) a appuyé. Pour rappel, un bras de contrôle externe utilise des données historiques issues d’essais cliniques précédents ou des données de vie réelle.

Enfin, avec la médecine de précision, la production même des (bio)médicaments utilisés en oncologie a été profondément transformée ces dernières années. Les industriels disposent aujourd’hui de portefeuilles de médicaments plus importants, mais fabriquent plus de petites séries. En conséquence, les lignes de fabrication ont évolué devenant plus modulables, avec une approche par brique pour pouvoir être rapidement reconfigurées. 

OpenFold et Meditwin : deux consortiums pour accélérer la recherche

Membre de OpenFold et Meditwin, Dassault Systèmes veut au travers de ces deux consortiums accélérer la découverte de candidats médicaments et permettre aux praticiens de prendre les décisions les mieux éclairées. 

Accessible aux académiques et aux structures commerciales, OpenFold est un consortium qui développe des algorithmes open source permettant la modélisation moléculaire de cibles thérapeutiques. MEDITWIN est quant à lui un consortium qui vise sur 5 ans à élaborer 7 jumeaux numériques dans 3 aires thérapeutiques, dont l’oncologie. “En oncologie, précise Claire Biot, nous avons retenu deux cas d’usage : dans les métastases de cancers colorectaux, il s’agit d’éclairer les réunions de concertation pluridisciplinaires avec un jumeau numérique des métastases dans le foie et les ganglions lymphatiques ; le second cas d’usage porte sur les organoïdes : il s’agit de mettre en culture des cellules du patient dans ces organoïdes pour cribler un certain nombre de traitements et voir ceux pour lesquels le patient serait susceptible de répondre.” Dassault Système, au travers de sa plateforme 3DEXPERIENCE va créer les jumeaux numériques de ces organoïdes “pour améliorer la compréhension de la maladie et permettre aux professionnels de santé de prendre les meilleures décisions de traitement, le plus en amont possible”, explique Claire Biot. 

Entre freins réglementaires, besoin de standards et de gouvernance, le difficile accès à la donnée

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“Dans le contexte actuel de la recherche clinique, l’accès à des données de masse qui soient sémantiquement comparables pour être exploitables, devient crucial”, fait remarquer Yoanni Matsakis, président de l’AFCROs. L’association française des CRO et, au niveau européen, l’EUCROF, sont engagés dans la mise en place de standards permettant de favoriser les innovations. “Nous nous rapprochons aujourd’hui d’une situation où l’on va pouvoir numériser l’intégralité du flux de données de la recherche et c’est tout l’enjeu du projet xShare, porté notamment par l’EUCROF. Nous nous rapprochons aujourd’hui d’une situation où l’on va pouvoir numériser l’intégralité du flux de données de la recherche. À la suite du RGPD, qui était une première brique, l’Espace européen des données de santé (EEDS) doit permettre de rendre les données des patients accessibles, y compris dans une perspective d’usage secondaire pour la recherche. Cela signifie qu’elles vont répondre à des standards européens, qui sont actuellement en train d’être finalisés et devraient voir le jour d’ici la fin de l’année”, détaille Yoanni Matsakis qui relève qu’en France “beaucoup d’entrepôts de données de santé sont aujourd’hui construits, notamment dans les hôpitaux, mais avec des qualités très hétérogènes”. 

Franck Mouthon dresse le même constat d’une “fragmentation » entre les différents EDS” et dit avoir “hâte que l’Etat se positionne pour mettre en place une gouvernance assez forte”.

À cet enjeu d’harmonisation et d’accessibilité de la donnée de santé, s’ajoute, pour lui,celui du coût des nouvelles thérapies ciblées, difficilement soutenable dans le cadre d’un contexte économique contraint. “Tout ce qui va permettre de réduire, le temps, le coût et les risques de production des médicaments va contribuer à permettre une prise en charge. Déterminer si un traitement a une probabilité non nulle d’arriver sur le marché et démontrer sa valeur est aujourd’hui impératif”, analyse Franck Mouthon qui appelle de ses vœux un renforcement du lien entre recherche, innovation et système de santé.

Mais l’accès des nouvelles thérapies ciblées au plus grand nombre de patients ne relève pas toujours d’une problématique économique. Les freins peuvent parfois provenir des agences de régulation du médicament (l’EMA pour la mise sur le marché européen et la HAS pour le remboursement en France) qui ont, par nature, “un temps de retard par rapport à la science”, constate le Pr Christophe Le Tourneau. Et de citer en exemple certains traitements efficaces autorisés aux États-Unis pour le traitement de cancers rares (dus à la translocation du gène NTRK) mais qui ne le sont pas en France. “Pour ces patients, un essai randomisé classique est inenvisageable et demanderait 10 ans. Il nous faut donc considérer que c’est un nouveau groupe de patients, pour lequel il n’y a pas de standard, et mettre en place des essais baskets (qui incluent des patients dont la tumeur présente le même type d’anomalie moléculaire, quel que soit leur cancer : poumon, pancréas, côlon…NDLR). Mais aujourd’hui les méthodologies pour évaluer l’efficacité de ces essais baskets ne sont pas mises en place”, regrette-t-il.

Exception faite de certains de ces freins réglementaires, bien réels, l’essor de la médecine de précision passera surtout par la réduction du coût des traitements, quand bien même “on peut admettre de payer un prix élevé si ces traitements améliorent véritablement l’état de santé et la qualité de vie du patient”, estime Claire Biot. L’enjeu est donc aujourd’hui selon elle d’être “capable de mesurer les résultats de santé en vie réelle de manière fiable, robuste et facile d’accès. Nous pourrons alors accéder à un financement des soins fondé sur la valeur (le value-based care) qui peut être un moyen de résoudre l’équation entre le coût et le bénéfice de ces nouveaux traitements.”

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