Martin Sorrell (S4 Capital Group) : “L’intelligence artificielle générative va bouleverser les relations dans l’entreprise”

Il y a un engouement important autour de l’IA générative depuis que ChatGPT est devenu accessible au grand public à l’automne 2022. Comment S4 Capital se positionne sur ces solutions et quels usages en avez-vous au sein de vos agences ?

Nous utilisons des outils d’IA dans l’ensemble de notre organisation pour stimuler la créativité, l’analyse et la capacité d’exécution de nos talents. Nous travaillons avec une gamme d’outils d’IA développés par les leaders de l’industrie, mais nous les sélectionnons avec le plus grand soin car nous voulons assurer la qualité des prestations pour nos clients. Il y a d’ailleurs des enjeux internes sur lesquels il faut être vigilant. Dans cette optique, nous travaillons activement à la résolution de problèmes clés auxquels d’autres entreprises sont déjà confrontées, par exemple les problématiques de sécurité des données avec ChatGPT, que nous avons résolues en lançant notre outil interne, MonkGPT, permettant à toutes nos équipes d’utiliser la technologie de manière plus sécurisée.

L’IA, le métaverse, la blockchain… le secteur ne risque-t-il pas de passer de buzzword en buzzword dans une vision systématiquement court-termiste ? Quel regard portez-vous sur ces nouvelles technologies outils technologiques et leur impact réel ? 

Les NFT et le bitcoin sont deux développements technologiques qui ont effectivement perdu leur élan, mais le métavers a fait l’objet de nombreuses critiques que je trouve injustes. Je pense que les trois technologies les plus importantes pour la communication et le marketing et plus largement pour les entreprises sont la blockchain, le métavers et l’IA générative. La blockchain est essentielle parce qu’elle élimine les intermédiaires et crée des relations plus directes dans la chaîne d’approvisionnement. Le métaverse est à mon sens également une technologie importante. Elle est très critiquée en raison du positionnement  pris par Mark Zuckerberg pour Meta, mais nous y voyons d’énormes applications dans les soins de santé, dans les domaines de la formation, du sport, du divertissement, de la musique, du travail à domicile et de la flexibilité au travail. Metaverse et blockchain sont des technologies d’avenir.

Quels sont les usages les plus efficaces de l’intelligence artificielle générative pour la communication et le marketing ?

Nous commençons déjà à voir son impact sur les enjeux de visualisation et de rédaction, mais aussi  sur la planification et l’achat médias, ainsi que sur l’hyperpersonnalisation à grande échelle. L’intelligence artificielle générative va permettre de répondre à l’objectif marketing de l’hyper-personnalisation du marketing, qui est la promesse initiale d’internet. Par exemple, dans le cas de Netflix, au lieu de créer un million d’exécutions créatives différentes, nous pourrons combiner de multiples exécutions et créer plus d’actifs à l’échelle dans des lieux centralisés prenant en compte les variations par pays. Le argument, jusqu’à présent, était que les consommateurs sont différents en France, en Allemagne, en Italie, en Espagne ou au Royaume-Uni et que nous devons donc adopter des approches différentes dans chaque pays. Ce n’est plus le cas aujourd’hui avec les progrès de l’IA. Il est possible de former un pôle central au sein de l’entreprise, de produire ce que nous pouvons appeler des actifs atomiques et de distribuer ces actifs à grande échelle de façon automatique et immédiate sur chacun des marchés. 

Cela implique un changement culturel et organisationnel au sein des entreprises… 

Oui, c’est un processus très difficile sur le plan politique au sein des entreprises, car cela signifie que les pays perdent du pouvoir et que le centre, l’Europe par exemple, gagne en influence et en contrôle. L’Intelligence artificielle générative va bouleverser les relations dans l’entreprise. Il y aura donc des batailles pour le contrôle et la prise de décision. Mais du point de vue de l’efficacité, c’est énorme. Un autre point très important est que l’IA générative permettra à chaque personne au sein de l’entreprise de partager des informations d’une manière beaucoup plus efficace. L’IA générative va aplatir l’organisation autant qu’elle permettra aux collaborateurs d’avoir facilement accès à l’information. La division verticale au sein des entreprises sera moindre. D’après mon expérience, tout le monde au sein des organisations souhaite partager des informations et cette technologie nous permettra de le faire. ChatGPT Monks, que nous utilisons déjà en interne, nous permet déjà d’assurer la coordination et l’intégration au sein de l’organisation.

L’IA générative soulève aussi des questions réglementaires, juridiques et éthiques pour les entreprises. Avez-vous fixé un cadre interne à S4 Capital ? Et plus globalement quelles lignes directrices faut-il établir dans la société et les activités des entreprises ?

Nous avons effectivement formé un groupe interne, dirigé par Michael Balarezo, notre directeur des solutions automatisées, qui a mis au point des protocoles sur la manière dont nous devons utiliser ces outils. Je pense que la réponse à ces problèmes ne peut être que l’autorégulation, car les régulateurs ne seront pas en mesure de suivre le rythme des innovations. Un exemple : l’une des autorités de régulation aux Etats-Unis, le DOJ, poursuit Google pour l’acquisition de DoubleClick réalisée il y a dix ans. Ils regardent donc dix ans en arrière ! Il faut plutôt regarder dix ans en avant. Il n’y a aucune chance que les autorités réglementaires et politiques puissent suivre le rythme des avancées autour de l’intelligence artificielle générative. La seule course qui compte est donc la course à l’autorégulation au sein du secteur. Des entreprises comme Google, qui sont à l’avant-garde dans ce domaine, le savent bien. 

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Retrouvez le 28 juin en ligne et le 3 juillet dans notre édition hebdomadaire numérique la deuxième partie de notre entretien avec Martin Sorrell, sur la transformation en cours du marketing, et les résultats et projets de S4 Capital.