Accueil > Médias & Audiovisuel > Comment L’Est Républicain a expérimenté ChatGPT pour améliorer les articles de ses correspondants locaux Comment L’Est Républicain a expérimenté ChatGPT pour améliorer les articles de ses correspondants locaux Le groupe EBRA a utilisé durant trois mois l’intelligence artificielle générative pour corriger la syntaxe, la grammaire et la titraille des contenus hyperlocaux. Le résultat paraît en demi-teinte. La direction veut positiver et en dresse un bilan “prometteur”, le SNJ se montre plus critique. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 05 avril 2024 à 16h28 - Mis à jour le 08 avril 2024 à 11h20 Ressources Le contexte Comme l’ensemble des groupes médias, EBRA veut utiliser l’intelligence artificielle générative au sein de ses différents titres (Le Dauphiné Libéré, Le Progrès, Le Républicain Lorrain, L’Est Républicain, Les Dernières Nouvelles d’Alsace…) pour améliorer l’efficacité et la productivité de certains métiers et pour proposer de nouvelles fonctionnalités et offres à ses lecteurs. Le groupe veut procéder par des expérimentations in situ et un premier cas d’usage a été identifié en 2023 : la correction et l’amélioration automatisées de l’édition des articles des correspondants locaux de presse. L’Est Républicain a été choisi parmi les titres du groupe pour réaliser ce test. “L’IA est appelée à jouer un rôle important dans l’information. Il ne faut pas avoir peur de l’innovation, mais au contraire tester les outils et les opportunités qui s’offrent pour comprendre comment cela fonctionne et en garder la maîtrise. Ce n’est pas contre les rédactions. L’objectif est de valoriser le travail éditorial et examiner si cela peut libérer du temps”, souligne Sébastien Georges, son rédacteur en chef, interrogé par mind Media. Il y a également une difficulté croissante chez les groupes de presse locaux et régionaux à recruter et fidéliser des correspondants locaux de presse, et parfois à améliorer le rendu de leurs articles, même si l’enjeu affiché par le EBRA n’est pas de remplacer ses correspondants. Le dispositif Le projet a été présenté en octobre aux journalistes, de façon orale puis au CSE. La mise en place de l’expérimentation n’a pas été sans heurt, puisqu’avant même son déploiement, le SNJ s’est opposé au bien fondé du test et à sa méthode. Les syndicats ont d’ailleurs demandé une expertise indépendante sur cette expérimentation. Elle a été réalisée par le cabinet Isast, dont un représentant est venu observer le dispositif de visu dans les locaux du journal pendant toute la durée du test. Cela témoigne des doutes et tensions sociales que l’IA peut parfois susciter en interne auprès d’une partie des salariés et leurs représentants, et avec lesquels les éditeurs doivent composer, à EBRA comme dans d’autres structures. Pour autant, “il n’y a pas eu de blocage et les équipes ont été curieuses et mobilisées par l’expérience”, relativise Sébastien Georges. La direction a choisi de lancer un appel à volontaires auprès des éditeurs. “Nous n’avons pas voulu confier ce projet à une cellule dédiée dans une volonté de fédérer et d’embarquer toute la rédaction, de façon transparente”, affirme Sébastien Georges. Neuf éditeurs se sont portés volontaires pour participer au test. Selon la direction, c’est deux fois plus que ce qu’elle espérait initialement, signe d’un certain intérêt des équipes. Le test a finalement été appliqué sur une édition locale de L’Est Républicain – celle de Meurthe-et-Moselle – pendant trois mois, du 22 novembre au 22 février. Soit 15 à 20 articles environ par jour, destinés à l’édition papier et au numérique, sur les 600 publiés quotidiennement par le journal. Cela représente 4 à 5 pages du journal. L’outil ChatGPT-3.5 d’Open AI a été utilisé durant les deux tiers de la durée du test, faute de pouvoir acheter des licences pour ChatGPT-4 en raison de la crise de gouvernance survenue au sein d’OpenAI en novembre. ChatGPT-4 a finalement pu être utilisé durant les trois dernières semaines du test et a offert de meilleurs résultats. Gemini, l’outil de Google, a également été testé mais n’a pas offert de résultats probants. L’objet du test a porté sur la correction orthographique, grammaticale et syntaxique des articles des correspondants locaux. Il a également été demandé à l’outil d’optimiser les titres et chapôs en vue d’améliorer le référencement des articles en ligne. Plusieurs prompts ont été testés avant de trouver des formules satisfaisantes. Les résultats En trois mois, l’IA générative a été appliquée sur environ 700 articles de l’Est Républicain. Direction et SNJ font une lecture différente des résultats du test. “Nos craintes se sont confirmées, estime Eric Barbier, délégué du SNJ interrogé par mind Media, avec un gain de temps qui n’a pas été constaté du fait de nombreuses manipulations à faire, et beaucoup de contenus automatiquement générés qui n’étaient pas au niveau éditorial et qui demandaient à être retravaillés. Les résultats ne sont pas fiables.” La direction reconnaît des “imperfections et des hallucinations” dans certains résultats observés, mais elle évoque “un premier bilan prometteur” et “des premiers résultats encourageants”. “Il y a certes eu parfois une certaine lourdeur dans le processus mis en place pour récupérer le texte et y appliquer le prompt, le relire, corriger quand c’était nécessaire, puis le valider”, admet le rédacteur en chef de l’Est Républicain. Les titres proposés étaient également parfois hors de propos. Le groupe évoque notamment l’importance de la rédaction du prompt utilisé et le paramétrage du robot. Deux aspects qui nécessitent des tests et un apprentissage en continu. “On gagne en compétences avec le temps. L’outil est efficace pour la concordance des temps ou pour réduire le texte quand il est trop long, à condition de bien paramétrer le prompt en amont, par exemple en l’obligeant à conserver les citations car il a tendance dans cette situation à les supprimer. Et le prompt doit rester vivant, il faut le faire évoluer.” Le gain de temps sur ces premiers tests n’a pas été manifeste. Du fait de balbutiements et d’une première étape dans une courbe d’apprentissage qui ne peut que progresser, selon la direction ; du fait des limites inhérentes à l’IA générative et du rôle incontournable du journaliste éditeur, selon le SNJ. Deux logiques opposées s’affrontent. Pour Eric Barbier (SNJ), “il est hors de question de remplacer l’éditeur”, ni même souhaitable d’”interférer avec ce qui constitue son cœur de métier, d’autant plus s’il s’agit d’utiliser de nouveaux outils qui s’ajoutent à d’autres”. Pour Sébastien Georges (L’Est Républicain) au contraire, ce type d’outil “va nécessairement faire évoluer le métier d’éditeur et libérer du temps pour pouvoir effectuer d’autres tâches au service de l’information. Il faut approfondir les pistes qui s’ouvrent.” “Nous ne sommes pas opposés par principe à l’IA générative, mais son usage doit être strictement limité à ce que le journaliste ne peut pas faire, par exemple le compte rendu immédiat des résultats locaux dans les communes le soir des élections”, répond le représentant syndical, qui met par ailleurs en avant les résultats de l’expertise commandée au cabinet. Celle-ci “émet beaucoup de réserves sur les gains de temps espérés et sur la fiabilité éditoriale, et pointe des risques sociaux générés par l’automatisation accrue des tâches et la perte de sens du métier”, affirme-t-il. Et après Le CSE rendra prochainement son avis. Le groupe reste évasif sur la suite qui sera donnée à ce test, mais confirme qu’il poursuit ses réflexions et qu’il effectuera d’autres tests autour de l’IA générative au sein de ses différents titres. “Un comité IA” a été mis en place au niveau des directions éditoriales à cette fin. Une charte éditoriale dédiée à l’IA a par ailleurs été élaborée pour encadrer son usage en interne et faire acte de transparence vis-à-vis des lecteurs. Le SNJ regrette que les journalistes ou leurs représentants n’aient pas été associés à ces réflexions et projets. La direction se veut rassurante. “Le journalisme est d’abord un travail humain, mais nous avons toujours utilisé des outils. L’IA générative restera un outil utilisé de façon raisonnée et au service des journalistes, qui doivent garder la maîtrise éditoriale et rester responsables de la validation du contenu et de sa publication. Le groupe est très clair à ce sujet : la volonté est de compléter et aider le travail des journalistes, pas de s’y substituer”, affirme Sébastien Georges. Jean-Michel De Marchi Etude de casIA générativeInformation localeInnovationsSites d'actualitéTechnologiesTransformation des médias Besoin d’informations complémentaires ? 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