Les abonnements numériques aux sites d’actualités progressent fortement en 2020

L’année 2020 a fortement éprouvé l’économie des médias. La crise sanitaire et économique a asséché le marché publicitaire entre mars et juillet, mis à l’arrêt ou réduit les activités événementielles, et provoqué durant plusieurs semaines des difficultés de distribution de la presse. S’y ajoute la liquidation de Presstalis, qui a entrainé 120 millions d’euros de pertes de créances.

Bilan : jusqu’à plusieurs dizaines de millions d’euros perdus cette année pour certains groupes médias. Cette séquence aura des effets sur la durée : les prévisions publicitaires ne prévoient pas un retour au niveau d’investissements publicitaires d’avant crise avant le deuxième semestre 2021.

Les éditeurs nationaux et régionaux proposant des offres numériques payantes ont cependant une bonne raison de se réjouir, notamment ceux disposant déjà d’une courbe d’apprentissage : ils bénéficient d’une hausse massive des abonnements en ligne en 2020.

Une première étude réalisée en juillet mettait déjà en lumière une nette progression des souscriptions au premier semestre. A partir de chiffres collectés auprès d’un panel d’éditeurs, mind Media publie une deuxième étude sur le deuxième semestre qui confirme cette tendance, certes dans une moindre mesure.

 
Les progressions sont en effet importantes sur les 11 premiers mois de l’année. A fin novembre 2020, Le Figaro avoisine 205 000 abonnés en ligne et Mediapart 200 000, tandis que Ouest-France a dépassé 130 000. 

Le Monde, qui a débuté son virage vers le payant il y a une dizaine d’années, accélère nettement avec désormais 350 000 abonnés numériques, contre 226 000 en 2019. Dans un contexte sociétal incertain qui favorise le besoin d’informations, le titre, dont plus de 60 % de ses contenus sont réservés aux abonnés, profite pleinement de la richesse de ses contenus, de son expérience marketing, et de la segmentation plus fine de son offre tarifaire couplée à la baisse de son offre standard (à 9,99 euros).

Le Monde s’appuie aussi sur le partenariat conclu depuis 2019 avec Facebook pour identifier et recruter de nouveaux abonnés, et depuis le premier trimestre 2020 avec Google pour utiliser sur ses interfaces web et mobiles le dispositif Subscribe, qui vise à faciliter la souscription d’abonnement en ligne : il permet aux titulaires d’un compte mail de Google – Gmail par exemple – de s’abonner facilement à un site d’information via le remplissage automatique de leurs données de facturation, dont la carte bancaire si elle a été enregistrée préalablement par Google. Le dispositif permet de souscrire un abonnement en quelques clics, là où un parcours classique est souvent plus long et décourage une partie des prospects.

“Sur la période, l’ARPU (le revenu moyen par client, ndlr) et la lifetime value (“valeur vie client”, soit le chiffre d’affaires moyen généré par un client tout au long de sa présence comme abonné, ndlr) sont restés au vert, souligne Julien Laroche-Joubert, directeur du numérique du Monde. Les évolutions récentes de nore politique et ces nouveaux abonnés n’ont pas généré de changement majeur ; il n’y a pas d’effet volume qui impacterait négativement le chiffre d’affaires des activités payantes en ligne.”

A ce rythme, le titre dirigé par Louis Dreyfus et Jérôme Fenoglio pourrait atteindre son objectif d’un million d’abonnés numériques avant la date annoncée ; 2025.  

Nous avions déjà relevé une progression sensible des souscriptions en 2019, mais elle se concentrait souvent sur une partie des médias les plus en avance dans leur transformation numérique (Le Monde, Le Figaro, Ouest-France, Les Echos) ou nativement en ligne (Mediapart).

La tendance se généralise désormais aux médias qui ont amorcé leur transition vers le numérique payant plus tardivement : Le Parisien/Aujourd’hui-en-France atteind 40 800 abonnés en ligne (+ 72 %), Le Point 29 000 (+ 40 % en un an) et l’Obs 20 400 (+ 30 %).

Parmi eux, Courrier International affiche l’une des progressions les plus importantes avec 59 % d’abonnés numériques supplémentaires prévus en 2020 (environ 57 000 abonnés visés au 31 décembre). “Il y a eu un effet important des élections américaines sur la hausse de nos abonnés en ligne, souligne Arnaud Aubron, président du directoire de Courrier International. Et depuis un an, Modern Love, la rubrique du New York Times qui met en avant des récits sur l’amour, qui est traduite et reprise chaque semaine sur notre site, est également un très bon vecteur de recrutement.” 

La croissance des abonnés en ligne en 2020 sera plus importante qu’en 2019 pour l’immense majorité des médias d’actualités.

Presque 100 000 abonnés supplémentaires au première semestre pour Le Monde 

La majorité de ces prises d’abonnement ont été effectuées entre mi-mars et fin mai, lors du premier confinement, période marquée par des actualités intenses qu’ont été les élections municipales et la crise sanitaire.  

Le Monde est ainsi passé de 226 000 abonnés numériques au 1er janvier 2020 à 321 000 au 30 juin, soit une progression de 42 % en seulement six mois (+ 95 000 abonnés). L’accélération est nette : sur l’ensemble de l’année 2019, son nombre d’abonnés en ligne n’avait progressé “que” de 25 % (+ 46 000 abonnés).

De son côté, avec + 27 % d’abonnés numériques au premier semestre (+ 35 000) pour atteindre le chiffre de 185 000, Le Figaro semble lui aussi avoir confirmé la validité de la segmentation de ses offres tarifaires, mise en place en juillet 2019. “Ce qui est d’autant plus intéressant, c’est que ces nouvelles souscriptions ne se concentrent pas uniquement sur notre offre tarifaire la moins élevée, à 9,90 euros. L’offre intermédiaire à 14,90 euros est largement souscrite et même l’offre multi-comptes complète à 19,90 euros est actionnée”, nous indiquait déjà cet été Bertrand Gié, directeur délégué du pôle news du Figaro.

Des nouveaux abonnés qui sont globalement fidèles

Une incertitude planait sur la capacité des éditeurs à fidéliser dans la durée ces nouveaux clients, attirés par la découverte des contenus dans un contexte de confinement le contexte sanitaire et parfois la quasi gratuité provoquée par ces offres promotionnelles – certains ayant profité d’un effet d’aubaine.

Le mois de juin a été l’objet d’un affaissement des souscriptions et parfois d’un recul – avec une exception : Les Echos, dont la progression des abonnés numériques n’a été que de 4 % entre début mars et fin mai, puis de 13 % en juin -, mais l’attrition, c’est-à-dire la perte d’abonnés déjà en portefeuille (le “churn”) a été moins importante que d’ordinaire au printemps, selon les éduteurs.

Six mois plus tard, les éditeurs ont quasiment tous réussi dans la fidélisation de leurs nouveaux abonnés, malgré une croissance au deuxième semestre inférieure à celle du premier semestre. 

Comment expliquer cette accélération des souscriptions payantes en 2020 ? La progression a été largement favorisée par le besoin d’information du public – du fait du premier tour des élections municipales mi-mars et aussitôt après de la crise sanitaire et du confinement : les médias d’actualités en ligne les plus réputés profitent systématiquement des événements d’actualités.

Par ailleurs, les stratégies marketing et commerciales sont de plus en plus soignées et efficaces. Les promotions du printemps ont convaincu les internautes hésitants. L’offre à un euro le premier mois a parfois été étendue à deux mois, de même que la mise en place d’un tarif réduit pendant plusieurs mois.

Malgré tout, la fidélisation des abonnés est un travail de longue haleine, d’autant plus quand ils ont été recrutés via une offre marketing agressive – et beaucoup de lecteurs renâclent à s’engager sur la durée. Mediapart, qui a gagné 50 000 abonnés au premier semestre pour atteindre fin juin 2020 le chiffre de 220 000 abonnés (contre 170 000 au 1er janvier), soit une hausse de 29 % en six mois, en a depuis perdu 20 000 et se voit dépasser par Le Figaro.

Avec 200 000 abonnés fin novembre, le site présidé par Edwy Plenel affiche encore une progression de 13 % de ses lecteurs payants sur les 11 premiers mois de l’année 2020.

Il s’agit certes de chiffres d’abonnés déclaratifs, mais les données de diffusion numérique des titres de presse qui sont certifiées par l’ACPM – c’est-à-dire le nombre de téléchargements de PDF sur leurs sites par des abonnés payants – confirment la tendance nettement à la hausse des abonnés en ligne indiquée par les éditeurs.

Cette évolution positive des abonnements en ligne ne compensera pas la chute des revenus publicitaires pour la plupart des éditeurs – le marché est attendu en baisse d’environ 20 % en 2020 – mais elle permettra de limiter les pertes. Elle a surtout le mérite d’accélérer la transformation des modèles et des efforts des médias.