Accueil > Marques & Agences > Achat média > Les annonceurs bientôt responsables juridiquement du contexte de diffusion de leurs campagnes ? Les annonceurs bientôt responsables juridiquement du contexte de diffusion de leurs campagnes ? Dans la cadre de la proposition de loi contre les sites haineux ("Loi Avia"), les sénateurs ont adopté mi-décembre un amendement imposant aux marques de connaître les sites de diffusion de leurs campagnes publicitaires en ligne et d'en tenir une liste publique. Le texte de loi définitif doit encore être arrêté ces prochains jours puis voté, mais la pression du législateur sur les annonceurs s'accentue. L'usage actuel de la publicité programmatique pourrait être impacté. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 19 décembre 2019 à 17h15 - Mis à jour le 19 décembre 2019 à 17h15 Ressources Mardi 17 décembre, les sénateurs ont adopté, en la modifiant, la proposition de loi “contre la haine sur internet” de la députée LRM Laëtitia Avia. Cette loi, dite “loi Avia”, vise à responsabiliser davantage les plateformes concernant les contenus qu’elles diffusent (en les contraignant à retirer rapidement les contenus illicites) et à tarir le financement des sites diffusant des fausses informations. Plusieurs initiatives précédentes Une première version de cette proposition de loi avait été votée en juillet par l’Assemblée nationale. A ce moment déjà, lors des débats parlementaires, des discussions ont eu lieu sur la façon de responsabiliser les acteurs de la publicité en ligne, notamment les marques et leurs agences, dans le financement des contenus illicites. Un amendement du député Eric Bothorel, finalement retiré, prévoyait par exemple des sanctions allant jusqu’à un an de prison et 250 000 euros d’amende contre les marques annonceurs, leurs représentants agences et les prestataires publicitaires si leurs publicités sont affichées sur des sites dont le caractère haineux a été déterminé comme tel par une décision de justice (notre décryptage). Si ces initiatives issues de députés n’avaient pas été retenues dans la proposition de loi Avia adoptée en juillet par l’Assemblée nationale, le Sénat, auquel était soumis ce texte, vient d’en reprendre l’esprit mardi 17 décembre en adoptant une version modifiée de la proposition de loi. Le nouveau texte prévoit notamment que “les annonceurs publient en ligne et tiennent à jour au minimum mensuellement les informations relatives aux emplacements de diffusion de leurs annonces qui leur sont communiquées par les vendeurs d’espace publicitaire sur internet, en application de l’article 23 de la loi n° 93 122 du 29 janvier 1993” (dite Loi Sapin, ndlr). Une traçabilité obligatoire pour les marques Si la loi de 1993 donnait droit aux annonceurs à une plus grande clarté de l’achat média et posait des contraintes essentiellement à leurs partenaires agences et régies, le nouveau texte adopté par le Sénat est plus coercitif pour les marques, puisqu’il leur impose de connaître les sites de diffusion de leurs campagnes et de diffuser publiquement les informations qui leur ont été en théorie été transmises par leurs prestataires, agences et, surtout, régies publicitaires. La proposition de texte législatif voté par les sénateurs prévoient donc que les annonceurs soient proactifs et fassent en sorte de savoir où leurs publicités sont affichées et en tiennent un registre en ligne. Les sénateurs ont prévu une amende de 30 000 euros pour l’annonceur qui n’appliquerait pas ce dispositif, sous le contrôle des services de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). “Avec cette règle de transparence, il sera plus facile d’observer les progrès réalisés par toute la chaîne des acteurs dans cet effort en faveur de financements publicitaires responsables. Ces efforts doivent notamment permettre de limiter la capacité de sites proposant des contenus haineux de se financer par le biais de la publicité”, expliquaient les sénateurs à l’origine de cet amendement. Une commission mixte paritaire (“CMP”) réunissant les représentants de l’Assemblée nationale et ceux du Sénat a eu lieu mercredi 8 janvier (sa composition) pour trouver un consensus sur le texte de loi final. Aucun accord n’ayant été trouvé, le texte du Sénat sera réexaminer par la commission des lois de l’Assemblée ces prochains jours puis reviendra pour une nouvelle lecture lundi 20 janvier en seance à l’Assemblée nationale. Celle-ci pourra encore modifier le texte, avant un dernier examen par le Sénat mercredi 30 janvier : si le Sénat ne vote pas la dernière version du texte qui aura été adoptée par l’Assemblée nationale, c’est cette dernière qui aura le dernier mot sur le contenu de la Loi Avia via un vote définitif – dont la date reste à définir. Le lobbying des acheteurs La proposition de Loi Avia peut donc encore prendre un visage différent. Le sort de l’amendement voté par le Sénat pour responsabiliser les marques s’avère incertain. Majoritaire à l’Assemblée nationale (mais pas au Sénat), la position du gouvernement sera cruciale à la fois pour peser sur le contenu du texte définitif, puis pour sa consigne de vote donnée à la majorité parlementaire. La disposition avait initialement été soutenue par le gouvernement en la personne du secrétaire d’État chargé du Numérique, Cédric O. Son rôle sera clé ces prochains jours. Car tout en se déclarant en accord avec les objectifs défendus par ce type de réglementation, les marques et les agences médias exercent ces derniers mois un fort lobbying auprès de parlementaires et du gouvernement, directement et indirectement, pour ne pas être considérées comme responsables des publicités placées sur des sites litigieux : elles font valoir qu’elles en confient la diffusion à des régies et des intermédiaires sur le web, notamment via le mécanisme du programmatique. Si la version du texte votée au Sénat est définitivement conservée, il s’agirait d’un tournant dans la responsabilisation des marques par la contrainte légale quant à la diffusion de leurs campagnes publicitaires en ligne. Nul doute que les annonceurs, qui ont déjà mis la pression sur le marché ces deux dernières années pour avoir de meilleurs reportings et mieux comprendre la chaîne publicitaire en ligne, redoubleraient alors d’efforts et d’exigences de leurs prestataires marketing. Particulièrement des agences et régies publicitaires, afin de bénéficier d’une plus grande transparence de l’achat média programmatique et s’éviter tout risque judirique. La difficulté est réelle : certains acteurs n’ont pas nécessairement intérêt à communiquer à l’acheteur l’ensemble des contextes de diffusion. De même, certaines marques priorisent la performance des campagnes – ou jugée telle – sans se soucier parfois des contextes utilisés. Ces publicités sont généralement peu on pas visibiles. Mais la menace de sanction judiciaire peut changer la donne, de même que la médiatisation des condamnations ou des amendes infligées, un temps envisagé (lire notre encadré). Un rapport parlementaire recommandait de stigmatiser les marques La volonté du législateur de responsabiliser davantage les annonceurs sur les contextes d’affichage de leurs campagnes publicitaires en ligne n’est pas nouvelle, avec un certain nombre de députés et sénateurs particulièrement actifs. Un rapport de l’Assemblée nationale rédigé au nom de la commission d’enquête pour ma lutte contre les groupuscules d’extrême droite en France, publié le 6 juin, proposait notamment de “mieux réguler le secteur de la publicité programmatique qui finance des sites de haine”, en pointant le rôle des régies – Google particulièrement – et les annonceurs. Ce rapport relevait que “sous la houlette du ministère de la culture et de la communication, a été signée en mars 2015 avec les acteurs de la publicité une charte dite ‘follow the money’ visant à assécher les revenus publicitaires des sites de piratage. On ne peut que s’étonner qu’une telle démarche n’ait pas été étendue aux sites de haine et souhaiter qu’elle le soit.” Ce rapport recommandait “d’imposer une plus grande transparence aux intermédiaires de la publicité, d’étendre la charte dite “follow the money” destinée à assécher les revenus publicitaires des sites de piratage aux sites haineux, de promouvoir et encourager les initiatives de type ‘name and shame’ (‘désigner et dénoncer publiquement’) visant à publier la liste des annonceurs dont les contenus sont visibles sur des sites diffusant des propos haineux.” Ce dernier levier (‘name and shame’) serait potentiellement explosif pour les annonceurs concernés, avec un réel risque pour leur image. Des efforts sont déjà réalisés par la plupart des marques pour ne communiquer que sur des environnements médias sûrs (listes blanches de sites, listes noires, outils technologiques de détection automatique des contextes problématques) mais sécuriser 100 % des campagnes publicitaires nécessite un coût supplémentaire : beaucoup d’annonceurs utilisent aujourd’hui la publicité programmatique en privilégiant la performance de leurs campagnes avec des budgets optimisés et réduits, en assumant le risque de voir une faible partie de leurs publicités affichées sur des sites non brand-safe. La médiatisation des marques dont les campagnes sont affichées sur des sites illégaux ou haineux ferait sans doute évoluer leur arbitrage. Jean-Michel De Marchi Achat programmatiqueBrand safetyFake newsLobbyingQualité médiaRéglementationStratégies annonceursTransition écologiqueTransparenceUnion des marques Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Sites haineux : la responsabilité économique des agences et annonceurs pour l’instant écartée Un rapport parlementaire recommande de stigmatiser les marques qui communiquent sur les sites haineux Dossiers Les premières expérimentations de Trust.ID pour apporter une meilleure traçabilité aux campagnes programmatiques Tribunes gratuit "Les annonceurs doivent comprendre et organiser leur chaine de partenaires marketing numérique" essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché Les mutations du search à l'ère de l'IA générative L'application inaboutie de la loi sur les droits voisins Google vs DOJ : tout ce qu'il faut savoir sur le procès qui pourrait redéfinir l'adtech L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : pourquoi la Commission européenne sanctionne Google de près de 3 milliards d’euros Retail media : une consolidation indispensable des régies pour répondre aux attentes des acheteurs publicitaires IA et monétisation des contenus : comment l’IAB Tech Lab veut contrôler les robots crawlers Droits voisins : l’Apig veut introduire une plainte contre Meta devant l'Autorité de la concurrence Paul Boulangé (Starcom France) : "Nous sommes en train de déployer Captiv8 en France, notre solution d'automatisation du marketing d'influence" Claire Léost devient DG de CMA Média, WPP Media promeut Stéphanie Robelus… Comment les SSP généralistes investissent le secteur du retail media Bénédicte Wautelet (Le Figaro) : “Toute solution qui utilise de l’IA en rapport avec nos contenus doit y être autorisée et nous rémunérer” Aides à la presse : combien les éditeurs ont-ils perçu en 2024 ? 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