Accueil > Investissement > Johann Kerbrat : “Nous avons l’ambition de recréer tout Robinhood sur la blockchain” Johann Kerbrat : “Nous avons l’ambition de recréer tout Robinhood sur la blockchain” Le 30 juin 2025, sur les hauteurs de Cannes, le néocourtier états-unien Robinhood a dévoilé sa feuille de route crypto : actions et ETF tokenisés, développement de son propre layer 2, staking, stablecoin USDG, etc. À cette occasion, mind Fintech s’est entretenu avec le responsable de l’entité Robinhood Crypto, Johann Kerbrat, pour décrypter la stratégie mise en œuvre. Par Caroline Soutarson. Publié le 10 juillet 2025 à 6h00 - Mis à jour le 15 juillet 2025 à 14h24 Ressources Robinhood a organisé son premier événement en Europe, entièrement dédié à son entité Robinhood Crypto. L’accent a été mis sur la tokenisation. Est-ce que le futur de Robinhood reposera avant tout sur cette activité ? Nous avons en effet l’ambition de recréer tout Robinhood sur la blockchain, pour améliorer notre produit et le rendre plus efficace. Nous y voyons tellement d’avantages, comme les opérations 24h/24 et en instantané, les transferts d’actifs, ainsi que la possibilité de proposer plus de types d’actifs… Nous venons par exemple d’annoncer l’arrivée d’actions et ETF américains tokenisés [pour les résidents de l’UE, Ndlr]. Le private equity [tokenisé lui aussi, qui prend par conséquent davantage la forme de produits dérivés, voir le débat plus bas, Ndlr] suivra. Cela ouvre des opportunités nouvelles, notamment grâce aux stablecoins comme l’USDC. Si nos utilisateurs apprécient cette nouvelle manière de concevoir notre produit, il n’y aura aucune raison de continuer avec la méthode traditionnelle, à la fois plus longue, plus lente et plus chère. Vous évoquez l’USDC mais Robinhood participe à un consortium, le Global Dollar Network (GDN) qui a lancé son stablecoin, l’USDG (Global Dollar), émis par Paxos et conforme au règlement européen crypto MiCA. À quoi va-t-il servir ? Nous imaginons un futur avec une multitude de stablecoins. Il y en a déjà plusieurs dizaines aujourd’hui et probablement davantage demain. Désormais, ce ne sont plus tant les cas d’usage qui nous préoccupent, mais les connexions entre les différents systèmes permettant de les utiliser pour réaliser des transferts instantanés. C’est pourquoi nous avons choisi de ne pas lancer notre propre stablecoin et de devenir un partenaire fondateur de l’USDG. Lorsque nous avons accepté de rejoindre le consortium, Kraken, Bullish et Anchorage avaient déjà signé, et OKX était en train de le faire [parmi la trentaine de membres du GDN figurent aussi WorldPay, DBS, Standard Chartered, Nuvei, Zodia Custody ou encore SwissBorg, Ndlr]. Lancer un stablecoin à plusieurs, avec de grands acteurs notamment, permet de créer un effet de réseau et de garantir un certain niveau d’utilisation à terme, car il est accepté sur plusieurs plateformes. L’objectif sous-jacent est de partager les revenus entre les contributeurs au réseau [pour ce faire, Paxos accepte de distribuer une partie de ses revenus, Ndlr]. La liste des stablecoins conformes au règlement européen MiCA Quel mécanisme se cache derrière l’achat d’une action tokenisée ? Sur le principe, l’utilisateur n’est pas censé percevoir de différence entre une transaction sur la blockchain et une autre via le système traditionnel. Dans cette optique, nous avons par exemple supprimé les “gas fees” [frais de transaction sur la blockchain, Ndlr]. La seule différence réside dans la présence d’un bouton permettant d’obtenir de plus amples informations sur le nouveau mécanisme, ce qui n’existe pas dans le parcours d’investissement traditionnel sur la version américaine de l’application. [D’après une démonstration du responsable produit de Robinhood Crypto, Seong Lee, le 30 juin, un tag “token” apparaît à côté du nom du titre acheté, Ndlr] En coulisses, comme dans le schéma classique, Robinhood achète l’action et la garde en tant que courtier, ce qui permet de reverser les dividendes ou d’effectuer des splits d’actions. L’utilisateur possède un jeton qui représente l’exposition à l’action, mais il ne possède pas l’action directement. Pour l’instant, l’offre est limitée à 200 actions et ETF américains, mais nous avons vocation à l’élargir durant les prochains mois et années, en prenant en compte les retours des utilisateurs. En parallèle, nous développons un service de self-custody [conservation auto-hébergée, Ndlr] qui permettra aux utilisateurs qui le souhaitent de transférer leurs actifs tokenisés sur leur wallet. L’un des avantages de la tokenisation souvent avancé est la possibilité d’investir 24h/24, 7j/7. Or le CEO Vlad Tenev a indiqué que, tant que vous passiez par le layer 2 Arbitrum pour votre système, le trading d’actions et ETF tokenisés ne serait disponible “que” 5j/7. Pourquoi ? Il faut qu’il y ait suffisamment de volume pour pouvoir ouvrir le service 24h/24 et 7j/7, ce qui n’est pas le cas au lancement. S’il n’y a pas assez de liquidité, le risque serait que, un dimanche, le prix sur la plateforme dévisse par rapport au vrai prix de l’action. Nous construisons encore cette partie, mais en effet, le déploiement d’une disponibilité en continu se fera lors d’une deuxième phase. Robinhood a déjà été victime de son succès sur certaines périodes, mettant à mal son système de courtage, comme lors de l’épisode des meme stocks début 2021. Le recours à la blockchain change-t-il la donne ? Nous avons en effet connu des périodes où nos réseaux [classiques] sont tombés. Nous avons instauré des back-up [avec la plateforme d’Investment-as-a-Service Alpaca par exemple, Ndlr] pour basculer sur un autre système lorsque l’un tombe. Comment les plateformes d’Investment-as-a-Service diffusent les nouvelles normes du trading Avec la blockchain, techniquement, il faudrait qu’il y ait énormément de monde pour que le système tombe à son tour. Bien que nous comptions 25,9 millions d’utilisateurs dans le monde, ils sont principalement aux États-Unis, où le service de trading d’actions tokenisées n’existe pas. Par conséquent, à l’heure actuelle, ce n’est pas un enjeu qui nous préoccupe, sachant que nous avons choisi le layer 2 [d’Ethereum] Arbitrum, notamment pour son nombre de transactions par secondes (TPS) particulièrement important [40 000 théoriquement, selon le comparateur de performances des blockchains Chainspect, contre 119 pour Ethereum. À l’heure où nous écrivons, Arbitrum gère une vingtaine de TPS, Ndlr]. Techniquement, cela nous semble donc difficile que la blockchain soit submergée. Le passage complet par Arbitrum pour la tokenisation n’est que temporaire. Vlad Tenev a évoqué trois étapes. Pouvez-vous revenir dessus et indiquer pour quelles autres raisons Arbitrum était la bonne blockchain pour arriver à vos fins ? Notre choix s’est porté sur Arbitrum car nous avions déjà travaillé avec les équipes pour élargir les services liés à notre Robinhood Wallet, disponible dans 140 pays. De plus la technologie nous parle. Les développeurs ont créé un système de priorités qui n’est pas agressif et plutôt juste. Ils ont aussi un concept, Stylus, qui permet d’importer d’autres codes que du Solidity [langage de programmation d’Ethereum, Ndlr], comme du Rust et du C++, qui permettent d’aller plus loin et de créer des choses à long terme. Enfin, nous souhaitions que la blockchain soit compatible avec une majorité d’écosystèmes en étant compatible EMV [Ethereum virtual machine, Ndlr]. Dans un second temps, nous développerons notre propre blockchain, basée sur Arbitrum. Nous pourrons davantage la personnaliser sur des points réglementaires spécifiques, des produits que nous voulons lancer, etc. Et nous nous sommes dit que, quitte à faire tout ce travail, autant le mettre sur une blockchain publique que dans un smart contract. La troisième phase consistera à recréer tout Robinhood sur la blockchain, d’une manière plus efficace. Pourquoi les actifs tokenisés ne sont disponibles que dans l’UE, si l’objectif de Robinhood est de devenir une plateforme basée sur la blockchain ? Aux États-Unis, l’enjeu est moindre car les systèmes d’investissement sont déjà construits et fonctionnent bien. Par ailleurs, la SEC [Securities and Exchange Commission, le régulateur financier états-unien, Ndlr] ne permet pas encore d’opérer ce genre de système sur son territoire bien qu’elle s’intéresse au sujet. Mais l’objectif à terme est bien d’amener ces produits aux États-Unis. Robinhood est arrivé en Europe fin 2023, mais n’a pas bouleversé le marché. Fin mars 2025, la société y revendiquait 150 000 utilisateurs, un nombre bien loin de ses plus de 25 millions d’utilisateurs aux États-Unis. L’événement tenu à Cannes est-il finalement le point de départ de votre stratégie d’acquisition clients sur le Vieux Continent ? Quand on s’est lancé en Europe il y a un an et demi, nous avions des licences en Lituanie [d’opérateur d’échanges de monnaie virtuelle et d’opérateur de wallet dépositaire de monnaie virtuelle, Ndlr]., Puis nous avons progressivement obtenu des autorisations pour pouvoir opérer au total dans quatre pays [des enregistrements crypto en Italie, en Espagne et en Pologne, en plus de la Lituanie, Ndlr]. Cela signifie que nous étions limités, que nous ne pouvions pas faire de publicité en France ou en Allemagne, par exemple. Nous souhaitions aussi comprendre ce nouveau marché, c’est-à-dire parler avec les prospects et les utilisateurs. Laurynas Spangevičius (Robinhood Europe) : “Notre priorité est d’obtenir un agrément MiCA” Pendant ce temps-là, nous travaillions également à l’obtention d’autres agréments, tels que MiFID 2 [Robinhood a reçu son agrément d’entreprise d’investissement auprès de la Banque de Lituanie en avril 2025, Ndlr], indispensable pour lancer notre service de trading d’actions tokenisées, et MiCA [auprès du même régulateur, en mai 2025, Ndlr], pour opérer dans tout l’Espace économique européen. La liste des prestataires de services sur cryptoactifs (CASP) agréés au niveau européen Mais en effet, l’événement à Cannes sonne comme le vrai point de départ de notre développement dans l’UE. Côté acquisition, nous serons agressifs sur les prix : les seuls frais que nous facturons pour l’achat d’actions tokenisées sont liés à la conversion, au tarif compétitif de 0,1 %. Combien d’utilisateurs comptez-vous désormais en Europe et plus spécifiquement, dans l’UE ? Et quel est le montant des dépôts ? Nous avons débuté la “quiet period” aux États-Unis, ce qui veut dire que nous n’avons pas le droit d’évoquer nos chiffres, passés ou futurs. Les prochains arriveront avec la publication de nos résultats financiers, fin juillet. D’après nos informations, seuls cinq salariés travaillent pour Robinhood dans l’UE. Votre volonté de croissance va-t-elle s’accompagner de recrutements dans les mois à venir ? En effet, cinq collaborateurs travaillent au sein de notre bureau lituanien. Mais nous avons racheté Bitstamp [pour 200 millions de dollars, en numéraire. Fin avril 2025, l’exchange comptait un demi-million de clients particuliers et 5 000 institutionnels. Il avait réalisé 95 millions de dollars de revenus les 12 mois précédents, Ndlr], qui compte 400 salariés – nous avons finalisé l’acquisition la première semaine de juin. En cumulé, notre présence européenne est finalement conséquente. Que va-t-il advenir de Bitstamp ? Le but de l’acquisition de Bitstamp est de l’intégrer avec Robinhood, pas de garder les deux entités séparées. Nous avons commencé tout dernièrement avec l’ajout des cryptoactifs pour notre service Robinhood Legend [outils d’analyse de données d’investissement avancés et en temps réel, Ndlr] . Les graphiques avancés dédiés aux crypto sont basés sur la technologie de Bitstamp. Les “perps” (les contrats perpétuels) que nous avons lancés aussi. Le but est de s’appuyer sur Bitstamp pour proposer une offre de services plus diversifiée. Robinhood complète son offre au Royaume-Uni avec des outils de trading avancés En plus de l’arrivée des contrats futures perpétuels crypto dans l’UE, vous avez également évoqué le déploiement de micro-futures… À la demande de nos utilisateurs aux États-Unis, où les “perps” ne sont pas encore autorisés, nous avons lancé il y a quelque temps des micro-futures sur Solana, XRP et Bitcoin. Les “perps” sont au secteur crypto ce que les futures sont à la finance traditionnelle. Nous envisageons de créer des “perps” avec nos actions tokenisées, mais cela serait compliqué avec des actions traditionnelles puisque les “preps” requièrent un règlement-livraison quasiment toutes les minutes. Nous échangeons avec la CFTC sur ce point. L’arrivée prochaine d’une forme de private equity tokenisé sur Robinhood a également été évoquée lors de l’événement. Vlad Tenev a réalisé une démonstration de don de tokens d’actions privées d’OpenAI et SpaceX à partir d’un cold wallet. En quoi cela consiste-t-il ? Avez-vous noué des partenariats avec ces entreprises ou bien une plateforme de crowdequity par exemple ? Avec cette démonstration, nous souhaitions montrer que notre système de tokenisation pouvait fonctionner avec plusieurs actifs, mais le service arrivera plus tard, tout comme nos explications sur le sujet. [La démonstration de Robinhood est toutefois remontée aux oreilles des dirigeants de ces entreprises. Le CEO d’OpenAI, Sam Altman, a fait entendre son mécontentement sur les réseaux sociaux, indiquant qu’il ne s’agissait pas d’un service de private equity mais de produits dérivés, Robinhood n’ayant pas conclu de partenariat avec sa société. Selon CNBC, la Banque de Lituanie interroge actuellement Robinhood sur le sujet afin que les investisseurs ne soient pas trompés, Ndlr] Outre le private equity et Robinhood Legend, vous prévoyez aussi de lancer une offre de banque privée à l’automne. L’ambition de départ de Robinhood de démocratiser l’investissement, qui a d’ailleurs inspiré son nom, est-elle toujours d’actualité ? Le but est toujours le même. Aux États-Unis, les Américains ayant un compte gratuit se voient facturés des frais élevés en parallèle : 25 dollars pour un virement, 50 dollars par an pour la carte de crédit, etc. Par contre, ceux qui ont davantage de moyens n’ont pas de frais, peuvent contacter un conseiller si besoin, etc. Notre idée avec le projet de banque privée est de de considérer tous nos clients comme des VIP, peu importe le montant sur leur compte. Les néocourtiers démocratisent l’investissement Toutefois, malgré cette ambition de surmonter des écueils de la finance traditionnelle, nous ne nous adressons plus seulement à des débutants, mais aussi à des utilisateurs plus avancés. La création de Robinhood date de 2013 et certains de nos clients ont grandi avec la plateforme et demandent désormais des services plus élaborés, comme Robinhood Legend. C’est aussi en ce sens que nous avons annoncé notre produit Smart Exchange Routing, qui introduit des frais minorés en fonction des volumes investis. Robinhood cherche à attirer des clients aux portefeuilles plus fournis Parmi les autres annonces, l’extension à venir de votre assistant virtuel basé sur l’intelligence artificielle, Cortex, au domaine crypto. Quand les Européens y auront-ils accès ? Nous avons déjà lancé Cortex aux États-Unis, mais seulement pour les actions. L’assistant virtuel envoie une notification à l’utilisateur quand un prix évolue significativement et lui apporte du contexte. Cortex s’appuie sur plusieurs dizaines de sources différentes pour en faire un résumé et les cite, au cas où l’utilisateur voudrait approfondir le sujet. Il n’émet aucune recommandation. L’ajout des analyses crypto aura lieu dans le courant de l’année. Quant à l’Europe, nous attendons de voir ce qu’il sera possible d’en faire, en fonction des réglementations sur l’intelligence artificielle. Avec l’AI Act, l’Europe équilibre innovation et protection des droits fondamentaux La feuille de route crypto évoquée à Cannes ne concerne que l’UE et les États-Unis. Or, vous avez ouvert le marché britannique en même temps que l’UE, avec une offre de trading d’actions. Demandez-vous un agrément crypto outre-Manche pour pouvoir y proposer des services dédiés ? Robinhood Crypto n’a pas vocation à être sur le marché britannique à court terme et nous ne demandons par conséquent pas de licence là-bas. Bitstamp en ayant déjà une, nous nous y lancerons plus tard en nous appuyant dessus. Robinhood déploie le prêt de titres au Royaume-Uni Et qu’en est-il du Canada, où Robinhood a annoncé en mai dernier sa volonté d’acquérir WonderFi pour 250 millions de dollars canadiens (soit 178 millions de dollars) ? L’acquisition est toujours soumise à l’approbation des actionnaires. Mais nous sommes très intéressés par [le fournisseur de services sur actifs numériques, Ndlr] WonderFi qui, en plus de détenir deux fortes marques, Bitbuy et Coinsquare, nous ouvrirait les portes du marché canadien. Cette acquisition doit nous amener davantage vers la DeFi. Vous avez enchaîné plusieurs acquisitions ces dernières années. Êtes-vous toujours à la recherche d’autres cibles de croissance externe ? Nous sommes en effet assez actifs. En plus de Bitstamp et WonderFi, nous avons récemment annoncé l’acquisition de TradePMR [en novembre 2024, pour 300 millions de dollars, Ndlr], une entreprise qui opère à la fois en Australie et aux États-Unis [en tant que plateforme de gestion de portefeuille et de services de conservation destinée aux conseillers en investissement autorisés (RIA), Ndlr]. Nous avons aussi mis la main sur Pluto Capital, une start-up qui évolue dans l’intelligence artificielle. Nous sommes toujours à l’affût et nous disposons d’une bonne trésorerie. Si une entreprise peut nous permettre d’accélérer notre feuille de route de 18 à 24 mois et que des synergies sont possibles, alors nous nous y intéressons. Caroline Soutarson blockchaincryptoactifnéocourtierstablecointokenisationtrading Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Robinhood déploie le trading d’actions tokenisées en Europe Robinhood complète son offre au Royaume-Uni avec des outils de trading avancés En plus de son offre de trading traditionnelle, Kraken va proposer des actions tokenisées Robinhood compte plus de 150 000 clients en Europe Entretien Laurynas Spangevičius (Robinhood Europe) : “Notre priorité est d’obtenir un agrément MiCA” Robinhood se prépare à lancer une offre de banque privée Dossier Comment les plateformes d’Investment-as-a-Service diffusent les nouvelles normes du trading