Accueil > Parcours de soins > E-consentement : enjeux et défis d’un marché naissant E-consentement : enjeux et défis d’un marché naissant Boosté par la crise du Covid pendant laquelle il a permis de recueillir à distance le consentement des patients, le “e-consent” est peu à peu en train de se structurer en marché. Un an après avoir expliqué ses objectifs et les conditions de sa mise en œuvre, mind Health dresse un premier bilan du déploiement de ces solutions, confrontées au double enjeu de l'acculturation des professionnels et de la compréhension des patients. Par Romain Bonfillon. Publié le 29 novembre 2022 à 23h01 - Mis à jour le 01 décembre 2022 à 12h28 Ressources “Comme pour toute la santé numérique, le Covid a permis une prise de conscience pour essayer de travailler à distance et limiter les activités chronophages, qui nécessitent la présence du patient. Aujourd’hui, nous pouvons réellement parler d’un marché du e-consentement”. Ce constat, dressé par Nesrine Benyahia, fondatrice et CEO de DrData, est en train d’être fait par de nombreux autres acteurs. E-consentement : pour une meilleure information du patient Frédéric Suant, directeur produit e-consentement chez Docaposte. À l’image de Docaposte, qui après avoir promu sa solution de “e-consentement RGPD” et racheté la solution easy consent de Calimed Santé, vient de lancer une offre globale intégrant le consentement éclairé aux soins. Dès 2021, la filiale du groupe La Poste affichait ses ambitions : faire adopter sa solution par 440 établissements d’ici 2024 (soit 20% des établissements publics et privés à but non lucratif en France). Aujourd’hui, sa solution dédiée au “e-consentement RGPD” est déployée au CHU de Lille et dans 35 établissements du Nord de la France. “Certains d’entre eux vont en 2023 également adopter la partie “consentement médical éclairé”, confie Frédéric Suant, directeur produit e-consentement chez Docaposte. Pour l’heure, à l’échelle nationale, “plusieurs établissements de santé ont déjà adopté la solution easy-consent, d’autres sont actuellement en cours de discussion”, ajoute Frédéric Suant, sans en préciser le nombre. Comment le CHU de Lille s’est appuyé sur Docaposte pour dématérialiser le recueil et la gestion du consentement patient “Nous allons passer rapidement d’un rapport 90-10, comme actuellement, à un rapport 10-90, en termes de répartition entre le papier et l’électronique.” Dr Hubert Méchin, président de l’AFCROs Du côté de la recherche clinique, où le consentement du patient est également requis (voir encadré), le “e-consent” présente de nombreux avantages. Ainsi, rappelle le Dr Hubert Méchin, président de l’AFCROs, “le consentement électronique permet d’informer le patient de manière beaucoup plus ergonomique. Quand vous avez un consentement à un essai clinique, cela représente une dizaine de pages, parfois beaucoup plus, écrites en caractère 8. En le dématérialisant, il est possible de créer des onglets, d’insérer des schémas explicatifs ou de petites vidéos. Vous pouvez aussi permettre au patient de revenir plus tard sur le document pour prendre un temps de réflexion, puis de vérifier qu’il a bien compris”. Cependant, le Dr Hubert Méchin ne plaide pas pour l’abandon total du papier. “Il nous faut garder un système hybride, car des personnes n’ont pas encore accès à des systèmes dématérialisés. Mais nous allons passer rapidement d’un rapport 90-10, comme actuellement, à un rapport 10-90, en termes de répartition entre le papier et l’électronique. L’enjeu de la compréhension Pour rappel, le RGPD précise que le consentement doit être spécifique, univoque, libre et éclairé. “L’aspect le plus complexe est de s’assurer de l’aspect “éclairé” du consentement”, estime Nesrine Benyahia. “En cas de litige avec le professionnel, explique-t-elle, l’un des moyens de me défendre juridiquement est de dire, par exemple, que je n’avais pas compris les complications possibles de l’intervention et que si elles avaient été bien expliquées, je n’aurais pas fait cette opération”. Aussi, parce que la question de la gestion des risques est primordiale, les éditeurs ne peuvent pas, “se contenter d’un PDF numérisé avec des cases à cocher. Cela ne sert absolument à rien, sauf à se créer de nouveaux problèmes, estime Nesrine Benyahia, considérant cette pratique comme la pire des solutions. “Avec le formulaire papier, lorsqu’il est rempli en direct face au médecin, ce dernier a pu apporter des explications au patient (et avoir le bénéfice du doute en cas de litige). Avec un PDF envoyé par mail, on ne cherche pas à faire comprendre quoi que ce soit au patient”, juge Nesrine Benyahia. “Dans plus d’un tiers des procédures judiciaires, le défaut d’informations est recherché, c’est ce que l’on appelle le préjudice d’impréparation”, rappelle Frédéric Suant. Un baromètre pour mesurer les connaissances des Français sur les données de santé Une offre hétérogène Arthur Dauphin, Chargé de mission “Numérique en santé” pour France Assos Santé Si la plupart des éditeurs de solutions de e-consentement mettent en avant la supériorité de la forme dématérialisée sur la version papier, elle ne coule pas de source pour Arthur Dauphin, Chargé de mission “Numérique en santé” pour l’organisation représentative des patients France Assos Santé, ndlr). “Aujourd’hui, nous ne sommes pas en mesure de dire que le e-consentement améliore de manière générale la compréhension des usagers. Beaucoup de solutions existent pour vulgariser des informations liées aux soins, mais il y a une hétérogénéité dans ce qui est proposé. Parfois la priorité est de l’éditeur est mise sur l’aspect contractuel – sécuriser la responsabilité du professionnel pour attester qu’une information a été transmise – mais toutes les solutions ne s’intéressent malheureusement pas à la bonne compréhension de cette information”. Cette compréhension repose en particulier sur l’échange avec le médecin, qui peut expliquer et dissiper éventuellement les craintes du patient quant aux risques d’une intervention. “Autant dans le soin que dans la recherche, le lien avec l’humain doit perdurer”, estime Arthur Dauphin, craignant que l’outil numérique ne serve de prétexte pour fournir une information très standardisée . “Le e-consentement ne doit pas être un raccourci, poursuit-il. Des solutions l’ont bien compris et proposent automatiquement au patient des rendez-vous en téléconsultation ou en en présentiel pour savoir où il en est de sa compréhension. Il faut prendre en compte l’ hétérogénéité des publics. Si l’on veut que le consentement soit libre et éclairé, l’information doit être loyale, c’est-à-dire adaptée à la personne qui va la recevoir, conclut-il. L’importance de la preuve Nesrine Benyahia, fondatrice et CEO de DrData Née il y a bientôt 5 ans, la société DrData intervient dans le domaine de la protection des données de santé. “Notre premier métier est DPO”, affirme Nesrine Benyahia. Docteure en droit, et spécialisée dans la santé et les nouvelles technologies, cette juriste passe du temps à “décortiquer les textes et l’esprit de la loi pour les acteurs de terrain”. Comme une suite logique à son métier de DPO, DrData a lancé en avril dernier une solution de e-consent baptisée isalid, qui couvre à la fois le domaine du soin et de la recherche. Cette solution est aujourd’hui déployée dans une trentaine d’établissements, publics comme privés (CH, CHU, cliniques, biobanques). “Nous avons réfléchi à une solution qui réponde d’abord aux enjeux métiers – c’est la condition pour qu’elle soit réellement adoptée – et l’avons intégré avec une technologie qui permette de gérer la preuve, explique Nesrine Benyahia. Cette technologie dite de “smart contracts” repose sur la blockchain et rend le consentement infalsifiable. Dr Data l’a codée et brevetée et est aujourd’hui la seule entreprise à l’utiliser. “L’hôpital ne peut pas changer la décision du patient ; de même, le patient ne peut pas démentir l’hôpital, explique la CEO de DrData qui définit ainsi sa société comme un tiers de confiance. “Le but du consentement électronique n’est pas d’éviter le papier et le consentement en face à face avec le patient. Nous essayons justement de reproduire au travers de notre solution le colloque singulier avec le médecin”, revendique Nesrine Benyahia. “Si les directions d’établissements se sont acculturées, mes présentations ressemblent encore souvent à des explications du droit français et européen…et c’est une nécessité !” Nesrine Benyahia, fondatrice et CEO de DrData Un marché encore en construction “Si les directions d’établissements se sont acculturées, poursuit la juriste, mes présentations ressemblent encore souvent à des explications du droit français et européen…et c’est une nécessité ! Ce fossé d’acculturation n’est pas toujours le même selon les établissements et selon les pays. Certains pays comme l’Estonie ou les Etats-Unis sont très avancés sur ces sujets, notamment sur la blockchain”. Aussi, selon elle, “le marché n’est pas encore totalement mature en France” mais la CEO de DrData “préfère prendre aujourd’hui plus de temps pour faire bien comprendre les enjeux, bien intégrer les usagers et faire les choses proprement, car une fois qu’une solution est implémentée dans un hôpital, si elle a été mal comprise, c’est une immense déception pour l’hôpital et pour les patients. On arrivera à un marché mature dès lors que la communauté aura davantage les idées au clair pour challenger des gens comme nous ou les autres”, conclut-elle. “Nous n’en sommes encore qu’au début du e-consentement et l’année 2023 devrait voir un véritable décollage des usages” Frédéric Suant, directeur produit e-consentement chez Docaposte Frédéric Suant dresse le même constat : “le marché est en train d’être créé. Les usages se mettent en place, car nous avons de plus en plus besoin de traçabilité. Aujourd’hui, le consentement papier ou simplement dématérialisé (envoi d’un document par mail, ndlr) sont encore les deux usages les plus importants. Nous n’en sommes encore qu’au début du e-consentement et l’année 2023 devrait voir un véritable décollage des usages”, prédit-il. Le cas particulier des essais cliniques Alors que le consentement électronique appliqué aux soins entre peu à peu dans les pratiques, il est encore balbutiant concernant les essais cliniques. Ces derniers doivent encore passer par le formulaire papier pour les essais interventionnels ou avec contraintes pour les patients (RIPH 1 et 2). “Bienvenue dans les années 70 !”, regrette le Dr Jean-Philippe Bertocchio, CEO de SKEZI. L’AFCROs, qui a sorti en octobre 2022 un livre blanc sur les essais cliniques décentralisés, ne voit pas dans ce maintien du formulaire papier un véritable frein réglementaire. “Aujourd’hui, ce consentement électronique n’est pas interdit, mais pour y recourir, il faut en formuler la demande auprès de la Cnil. Cette dernière s’assurera du respect d’un certain nombre de critères (de sécurité et de data privacy notamment) décrits dans ses méthodologies de référence (MR-001 et MR-002)”, explique le Dr Hubert Méchin, président de l’AFCROs, rappelant que “le e-consentement a été possible pendant la crise Covid. Nous étions tous convaincus à ce moment-là que la situation allait pouvoir perdurer”, regrette-t-il en précisant que le processus d’autorisation de la Cnil dure a minima deux mois. Un groupe piloté par la CNRIPH (Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine) et rassemblant notamment l’AFCROs, la Cnil, l’ANSM, le Leem et le Snitem travaille actuellement à la mise en place de critères pour faire définitivement accepter le e-consent dans les essais cliniques. Le groupe de travail se coordonne avec l’Agence européenne du médicament pour pouvoir aligner les guidelines de l’UE sur celles de la France. S’il n’existe pas de calendrier précis pour cette future autorisation, le Dr Hubert Méchin estime que les travaux actuels avancent bien et qu’elle devrait survenir “sûrement dans le courant de l’année 2023. C’est une grosse vague qui va arriver, conclut-il, et dans quelques années, nous nous souviendrons de l’époque où l’on faisait encore signer des consentements à la main”. Romain Bonfillon blockchainEssais cliniquesLogicielMarchémédecinOutils numériquesPatientPlateformesRGPDtéléconsultation Besoin d’informations complémentaires ? 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