Réutilisation des données de santé : la France peut faire (beaucoup) mieux

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Le 17 mai dernier, l’ancien ministre de la Santé, François Braun annonçait qu’il confiait au conseiller d’État Jérôme Marchand-Arvier, la mission de préfigurer la feuille de route dédiée à la réutilisation des  données de santé (mind Health avait alors pu obtenir sa lettre de mission). Attendus pour septembre 2023, les résultats de ces travaux ont été rendus publics le 18 janvier 2024, dans un rapport de 150 pages intitulé “Fédérer les acteurs de l’écosystème pour libérer l’utilisation secondaire des données de santé”. Un rapport plutôt sévère qui recommande de nombreux ajustements politiques. Décryptage.
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L’utilisation secondaire des bases de données en santé est un enjeu stratégique important pour la France. À titre d’exemple, précisent les auteurs du rapport “l’utilisation de données de vie réelle constitue un potentiel important pour l’évaluation des produits de santé” et notent que “dans ce contexte, le positionnement de la France apparaît relativement en retrait par rapport à d’autres pays étrangers, un certain nombre d’entreprises et de chercheurs français privilégiant l’utilisation de données à l’étranger, auprès de pays très compétitifs dans ce domaine (notamment les États-Unis, Israël et le Royaume-Uni). 

D’où l’ambition de la mission conduite par Jérôme Marchand-Arvier, Stéphanie Allassonnière, Anne-Sophie Jannot et Aymeril Hoang : émettre des recommandations destinées à “alimenter une stratégie ambitieuse d’utilisation secondaire des données de santé”, pour “améliorer la compétitivité française en matière de recherche et d’innovation”.

Un patrimoine sous-exploité

Si la France dispose d’un patrimoine de données de santé très riche, ce dernier est, relève le rapport “encore cloisonné et peu interopérable”et “son potentiel d’exploitation (-) peut encore être décuplé par des appariements plus fréquents et plus rapides avec des données médicales ou avec des données d’autres champs sectoriels (données socio-fiscales, environnementales, etc.)”.

Plus d’EDS mais encore insuffisamment structurés

Aussi, s’agissant des EDS (entrepôts de données de santé) dont les pouvoirs publics ont cherché à accroître le développement via des financements dédiés, leur nombre croissant “constitue un progrès récent et important” mais les auteurs du rapport regrettent que l’accompagnement financier pour les soutenir ne soit pas pérenne. Ils constatent également “un manque d’harmonisation de leur structuration et l’absence d’utilisation de standards de données partagés”. Une telle interopérabilité permettrait de croiser ces bases entre elles pour enrichir leur contenu. 

Des bases “éparpillées”

Pour les acteurs de la mission, “l’éparpillement des bases de données, leur contenu hétérogène et leur documentation insuffisante constituent un premier frein à la réutilisation des données par les acteurs économiques comme par les chercheurs”. Il manque selon eux une cartographie des bases de données qui permettrait, de manière transverse, de renvoyer vers une description homogène de leur contenu et de leurs métadonnées. 

Des démarches réglementaires trop longues et complexes

Aussi, “la complexité et la longueur des démarches réglementaires constituent un second frein pour l’accès aux données”, notent les auteurs du rapport qui font le constat que “la France est un des rares pays, au niveau européen, à avoir maintenu un régime d’autorisation préalable par une agence de protection des données pour la recherche et les études nécessitant un accès aux données de santé, obligatoire en cas d’appariement entre plusieurs bases”. Et d’énumérer les différents jalons nécessaires au lancement d’un projet de recherche (CESREES, Cnil…). En dépit de l’accompagnement du HDH, qui joue le rôle de guichet unique, “la procédure reste perçue comme longue et complexe”.

Le RGPD (qui pose le principe d’une réinformation individuelle des patients à chaque réutilisation de leurs données) peut également constituer un frein, de même que l’étape de contractualisation qui “constitue une difficulté majeure pour l’accès aux données de santé”. Aujourd’hui, précise le rapport, le délai de contractualisation et de mise à disposition des données par la Cnam est de 10 à 12 mois et a augmenté (+ 56 % du délai médian entre 2020 et 2022).

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Le Health Data Hub en première ligne

S’il est prévu que le Health Data Hub (HDH) prenne le relai de la Cnam pour la mise à disposition des données du SNDS, “cette transition n’a toujours pas été opérée en raison du blocage du transfert des données de la base principale du SNDS, lié au choix de la solution logicielle Azure de Microsoft pour la plateforme technologique du HDH”, rappellent les auteurs du rapport. Même si l’action du HDH “a permis de premières réalisations encourageantes” et si “ses capacités techniques sont également reconnues”, la mise en œuvre du catalogue du SNDS par le HDH (c’est-à-dire les bases de données du SNDS qui, en dehors de la base principale, ne couvrent pas l’ensemble de la population) suscite des crispations. Ainsi, note le rapport, “cette perspective de centralisation systématique a été mal accueillie par une large part des producteurs de bases de données, et se traduit par un mouvement de défiance d’un certain nombre d’acteurs vis-à-vis du Health Data Hub”. D’où cette recommandation, en forme de mise en garde : “la réplication de chacune des bases sur la plateforme technologique du HDH ne saurait continuer à conditionner leur inscription au catalogue du SNDS, car c’est un frein à l’enrichissement de ce catalogue”.

Les insuffisances du comité stratégique des données de santé

Par ailleurs, “le foisonnement des initiatives à l’œuvre en matière de réutilisation des données de santé se traduit par un manque d’articulation et de coordination interministérielles”, source de confusion (le rôle du comité stratégique des données de santé est ici directement visé).  À titre d’exemple, “l’articulation entre la plateforme du Health Data Hub, l’outil France Cohortes et la plateforme de l’Institut national du cancer mériterait d’être clarifiée”. Ainsi, le constat des auteurs du rapport est sévère : “même si l’état d’esprit a progressé, persistent un déficit de confiance de la part des producteurs de données et des réticences au partage des données” qui se traduit par “un environnement globalement peu coopératif et qui peut décourager les porteurs de projets”. 

Des décisions politiques, à prendre en urgence

Pour réinstaurer la confiance et en préalable de toute autre mesure, le rapport recommande de refonder les missions et le positionnement du Health Data Hub et de renforcer le pilotage stratégique interministériel. Concrètement, le HDH “pourrait assumer de manière plus importante la mission d’accompagner les porteurs de projets dans leurs démarches réglementaires” et jouer un “rôle plus proche d’un régulateur sur plusieurs aspects, notamment dans la perspective du futur règlement européen EHDS”. La mission recommande en effet de désigner le HDH comme unique organisme responsable de l’accès aux données de santé (HDAB), tout en prévoyant le maintien d’un avis conforme de la Cnil pour l’octroi de certaines autorisations d’accès sensibles. L’exercice de ces nouvelles missions par le HDH, concluent les auteurs du rapport, suppose de “faire évoluer la gouvernance et les missions du comité stratégique des données de santé pour en faire une réelle instance d’impulsion de la politique de réutilisation des données de santé”. 

Les principales recommandations de la mission

La mission, parmi les 37 recommandations qu’elle formule, introduit un préalable consistant à “arbitrer la question de l’hébergement de la copie de la base principale du SNDS par le HDH”. Cet arbitrage se décline concrètement en trois recommandations : 

  • Programmer l’arrêt de l’hébergement sur Azure du HDH et lancer les travaux pour l’hébergement du HDH, y compris la copie de la base principale du SNDS, sur un cloud SecNumCloud, à horizon de 24 mois
  • Définir, dans les six mois, et sous pilotage du HDH, une solution transitoire pour accélérer notablement la mise à disposition des données, en particulier par la mise à disposition d’une copie de la base principale du SNDS
  • Procéder à un audit « flash » pour définir la solution transitoire souveraine la plus adaptée en l’état actuel, en incluant l’examen du centre d’accès sécurisé aux données (CASD) dans cet audit, afin de permettre le transfert d’une copie de la base principale du SNDS

Aussi, afin d’alléger les processus réglementaires, la mission recommande de : 

  • mobiliser les leviers de négociation disponibles pour que le projet de règlement EHDS préserve, lors de son examen par le Parlement européen, les mécanismes d’accès permanent et de procédures simplifiées ; 
  • changer le mode d’élaboration des méthodologies de référence afin que les projets de référentiels soient simplifiés et plus en phase avec les attentes de l’écosystème ; 
  • fixer un objectif quantifié de diminution du nombre de projets nécessitant une autorisation de la Cnil pour que, de manière effective, l’autorisation devienne l’exception par rapport aux procédures simplifiées ;
  • supprimer (par dérogation à l’obligation du RGPD) le besoin de réinformation individuelle du patient à chaque réutilisation de ses données de santé (ce dernier serait informé une seule fois, lors de la collecte de ses données, de la possibilité que ses données soient réutilisées) ; 
  • Dispenser les projets de recherche n’impliquant pas la personne humaine d’un avis du CESREES, dès lors qu’un comité scientifique et éthique local respectant un cahier des charges national a rendu un avis. 

Enfin, pour accélérer la mise à disposition des données du SNDS, le rapport recommande de : 

  • déléguer au porteur de projet “la responsabilité de la minimisation”, avec une mise à disposition temporaire d’une copie du SNDS
  • développer “à brève échéance” un indicateur de délai sur la mise à disposition des données du SNDS ; 
  • expérimenter pour les demandes d’appariement au SNDS la parallélisation de l’examen des demandes d’autorisation de traitement de données de santé par le CESREES et par la Cnil.
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