Pourquoi TF1 et ProSiebenSat.1 ont rompu leurs relations capitalistiques

Le secteur de l’audiovisuel est de plus en plus concurrentiel et la pénétration de nouveaux acteurs de la vidéo obligent les chaînes de télévision à s’allier pour gagner en taille. Mais déployer un partenariat ne garantit pas son efficacité, d’autant que les alliances se font et se défont au gré des intérêts. Le partenariat européen initié il y a presque cinq ans entre le groupe audiovisuel allemand ProSiebenSat.1, le français TF1 et l’italien Mediaset autour de Studio71, une offre de vidéos thématiques incarnées par des personnalités du web, avait ainsi été présenté comme stratégique et ambitieux. Selon nos informations, il a discrètement été rompu plus tôt en début d’année, faute de résultats probants.

Les objectifs initiaux, lors de la signature de cet accord en janvier 2017, étaient suffisamment importants pour que les trois partenaires fassent converger leurs intérêts en y incluant des prises de participations réciproques. TF1 était entré au capital de Studio71, la filiale du groupe allemand ProSiebenSat.1 éditrice d’un réseau européen de chaînes vidéo sur Youtube – un multi channel network, “MCN” -, à hauteur de 6,1 %, sur une valorisation de 400 millions d’euros. Soit un investissement d’environ 25 millions d’euros. Au même moment, le groupe italien Mediaset avait, lui, acquis 5,5 % du capital aux mêmes conditions.

Le groupe Studio71 était alors présenté comme le troisième MCN mondial, avec des filiales en Allemagne, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne proposant un total de 1100 chaînes vidéo, soit plus de 6 milliards de vidéos vues par mois.

L’accord prévoyait également la création de filiales, ce qui fut fait au cours du deuxième semestre 2017. Pour l’Hexagone, Studio71 France a été lancée, détenue à 51 % par TF1 et à 49 % par ProSiebenSat.1 – sur les bases du MCN préexistant Finder Studios dans lequel TF1 avait déjà des parts. Une filiale italienne, Studio 71 Italia, a également été créée, codétenue à 51 % par ProSiebenSat.1 et à 49 % par Mediaset.

Peser davantage à l’échelle européenne

Avec ce partenariat, l’objectif pour TF1 était multiple. D’abord surfer sur l’engouement des MCN et concurrencer en France les structures de Webedia (Talent Web), M6 (Golden Moustache) et Canal+ (Studio Bagel) pour toucher de nouvelles audiences, plus jeunes. Ces MCN assuraient de façon mutualisée la production, la monétisation publicitaire et le marketing de chaînes vidéo sur YouTube lancées et animées par des personnalités du web, très regardées par les jeunes et principalement dédiées à l’humour ou à des thématiques pour les jeunes filles (beauté, développement personnel…).

TF1 souhaitait également s’appuyer sur une alliance européenne entre acteurs audiovisuels nationaux pour gagner en taille et mieux peser sur le marché face aux nouveaux entrants, les plateformes OTT et SVOD : ProSiebenSat.1, TF1 et Mediaset annonçaient vouloir faire du MCN Studio71 un champion de la vidéo européen, voire mondial. Ils envisageaient déjà la mise en place d’autres projets collectifs.

Mais de source interne, les passerelles et les synergies qui avaient été imaginées entre TF1 et ses deux partenaires pour les MCN n’ont pas été au niveau attendu. La commercialisation publicitaire de ces inventaires n’a pas rencontré le succès escompté auprès des marques.

Rachat des participations croisées et recentrage local

Les trois partenaires ont finalement acté l’échec de l’initiative collective autour de Studio71 et choisi de concentrer chacun leurs efforts sur leur périmètre national et à d’autres alliances. Conformément aux dispositions prévues dans leur pacte d’actionnaires, ils sont revenus en février et mars 2021 sur leurs investissements croisés. ProSiebenSat.1 a donc racheté les parts détenues par TF1 (6,1 %) et Mediaset (5,5 %) dans le groupe Studio71, tandis que TF1 a racheté les parts que ProSiebenSat.1 avaient acquises au sein de la filiale Studio71 France (49 %)/ Mediaset a fait de même avec Studio 71 Italia.

Dans le même temps, TF1 a poursuivi le repositionnement de Studio71. L’activité de MCN avait déjà, au fil des années, été complétée par davantage de services de production et de prestations marketing. La structure a cet été totalement basculée d’une configuration initiale de MCN à un modèle plus large, celui d’agence de marketing d’influence. Elle se veut aussi beaucoup plus intégrée au sein d’Unify (Marmiton, Doctissimo, Aufeminin, Les Numériques, Studiofy, Gamned, Gamekult, Zdnet.fr, My Little Box…) et de TF1, dans la lignée du rapprochement global entre les activités numériques du groupe et les antennes qui a été impulsé fin juin par le PDG du groupe, Gilles Pélisson.

Cette réorientation s’est concrétisée par un rebranding à la fin de l’été : Studio71 est devenu StudioFy. L’agence de marketing gère toujours un MCN, mais l’influence marketing est désormais appliquée à des dispositifs plus larges, plus globaux, au-delà de YouTube (Twitch, Instagram…) et intégrés avec les autres offres de communication du groupe. L’activité d’accompagnement et de conseil aux marques est développée, de même que les prestations de production numérique.

Des alliances européennes plus structurelles

Le couplage d’inventaires publicitaires à l’échelle transnationale n’est donc pas à lui seul un gage de succès auprès des marques, du fait notamment d’audiences et d’offres trop disparates entre acteurs. Le partenariat européen entre TF1, ProSiebenSat.1 et Mediaset a fait long feu, mais les rapprochements structurels demeurent malgré tout la priorité des acteurs locaux de l’audiovisuel en Europe. L’objectif : tenter de faire face à la baisse de leurs revenus publicitaires et à la concurrence de plus en plus forte des acteurs du streaming comme Netflix, Disney et Amazon Prime Video. Une recomposition des alliances et des intérêts se met en place partout en Europe pour se positionner comme acteur principal de cette concentration.

ProSiebenSat.1, qui a procédé à une vaste réorganisation de ses activités en 2019 et 2020 pour mieux intégrer télévision, divertissement et vidéo numérique – et qui s’est allié en 2019 à Discovery pour lancer un service de SVOD, Joyn – doit faire face à la pression de Mediaset : le groupe italien est monté à son capital à hauteur de 15 % en 2019. Il en détient désormais 23,5 % (12 % des droits de vote) et veut être un acteur central de la concentration qui s’annonce entre groupes TV européens. Mediaset milite actuellement pour une fusion avec ProSiebenSat.1, lequel repousse jusqu’à présent la proposition.

De son côté, TF1 veut consolider le marché depuis la France. Il a indiqué en mai avoir engagé des négociations avec RTL Group (Bertelsmann) pour fusionner avec le groupe M6 d’ici fin 2022.