Accueil > Médias & Audiovisuel > Bérénice Lajouanie (Les Échos et APIG) : “Les blocklists créent une perte de 20 à 40 % d’inventaires en ligne pour les médias d’actualités” Bérénice Lajouanie (Les Échos et APIG) : “Les blocklists créent une perte de 20 à 40 % d’inventaires en ligne pour les médias d’actualités” La directrice générale des Échos est également présidente de la commission Publicité de l’Alliance de la presse d’information générale (Apig). Elle explique les griefs croissants des éditeurs d’informations et de leurs régies vis-à-vis des politiques d’achat média des agences et annonceurs, qui excluent les sites d’actualités de leurs campagnes publicitaires en ligne via des listes noires de mots présents dans les articles. Ces listes sont incohérentes et nuisent à l’économie des médias, affirme-t-elle, en réclamant une prise de conscience et un travail collectif. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 17 avril 2024 à 10h04 - Mis à jour le 17 avril 2024 à 10h04 Ressources Les éditeurs d’informations et leurs régies semblent très remontés contre les politiques d’exclusion de certains contextes médias mises en place par les marques dans leurs campagnes en ligne, ce qu’on appelle les “listes noires” ou “blocklists”. Quel constat faites-vous ? Beaucoup de campagnes programmatiques excluent une très large partie de nos sites d’informations sur des critères opaques et difficiles à comprendre. Ces dernières années, la presse d’information générale a pourtant fait un gros travail et réalisé beaucoup d’investissements pour développer ses audiences en ligne et améliorer ses contextes publicitaires. Il faut rappeler ce qu’est l’Apig et la mission de nos membres. Notre structure regroupe plus de 250 titres de la presse quotidienne nationale, de la presse quotidienne régionale et de la presse hebdomadaire régionale. Nos médias emploient plus de 12 000 journalistes, soit environ un tiers des journalistes en France. Nos missions, en tant qu’organes de presse d’information générale, est d’apporter au lecteur une information fiable et de qualité, et d’éclairer le jugement du citoyen. L’information est donc au cœur de nos missions et de notre activité, c’est d’ailleurs ce qui nous différencie des médias radio et télévisuels. La publicité est indispensable dans nos modèles économiques pour financer notre travail. Il faut que nos partenaires en aient conscience. Bérénice Lajouanie 2018 Directrice générale, Pôle Les Échos 2011 Éditrice, Les Echos 2005 Directrice de business unit, Groupe Marie Claire 2003 Directrice déléguée, Prisma Presse Les marques ont pourtant le droit de choisir leurs environnements de diffusion publicitaire au gré de leur stratégie marketing et de leur cible, non ? C’est juste, et nous sommes convaincus de l’importance de respecter le souhait des marques de maîtriser leur contexte de communication. Il n’y a pas de débat à ce sujet : les annonceurs ont le droit de choisir les médias vers lesquels sont dirigées leurs publicités. Nous demandons en revanche que ces choix soient effectués sur des critères transparents et rationnels. Cela n’est souvent pas le cas aujourd’hui du fait de ces listes de mots interdits dans les campagnes publicitaires programmatiques qui sont conçues de façon complexe et pour lesquelles beaucoup d’acteurs interviennent. Ce sont des listes interminables de mots et d’expressions ; parfois plusieurs milliers dont certains sont discriminants Quel impact cela a-t-il sur les activités des éditeurs d’informations ? Cela provoque une perte significative de nos inventaires publicitaires : on estime au sein de l’Alliance que les blocklists créent une perte de 20 à 40 % d’inventaires publicitaires en ligne pour les médias d’actualités, selon les titres. C’est énorme et nos économies sont fragiles, il faut en prendre conscience. Au Royaume-Uni, le Guardian a constaté une baisse de 25 % de ses revenus pour la même raison. Concrètement, quels sont les problèmes observés avec ces listes noires de mots-clés ? Ce sont des listes interminables de mots et d’expressions ; parfois plusieurs milliers pour une seule campagne. Elles comprennent d’ailleurs régulièrement beaucoup de termes discriminants sur le genre, la religion, l’opinion politique… Là, ce n’est pas acceptable. Ces pratiques sont contraires aux engagements des marques énoncés dans leurs raisons d’être, dans leurs engagements RSE ou dans leurs chartes éthiques. Et cela devient par ricochet contraire aussi à nos propres engagements pour plus de responsabilité puisque nous les appliquons. Quelles solutions proposez-vous ? Nous n’avons pas de solution clé en main, nous voulons les trouver avec les agences et annonceurs. Mais nous demandons plusieurs choses. D’abord plus de transparence. Nous constatons une absence totale d’informations et de visibilité pour les éditeurs lors de certains modes d’achat publicitaire. C’est par exemple le cas, après une première campagne initiale, des relivraisons de campagnes demandées par l’annonceur à l’éditeur qui ne connaît pas les raisons des blocages et voit son inventaire disponible moins bien monétisé. Nous demandons également plus de granularité dans les dispositifs de blocage actionnés dans les plans médias. Il y a en effet une part importante de nos inventaires qui sont bloqués involontairement par les acheteurs, par erreur ou par précaution du fait des outils de mesure qui ont des politiques trop floues et qui livrent des résultats trop généraux. Nous avons étayé nos observations par un examen minutieux de certaines campagnes bloquées sur des sites d’informations. Certains exemples sont parlants : il y a de nombreuses campagnes refusées pour des articles simplement parce qu’ils comprennent le mot “Ukraine”, sans qu’ils ne parlent de guerre. Par exemple pour un article sur un designer ukrainien pour une campagne publicitaire lifestyle. Autre exemple, les pages d’accueil des sites d’actualités ne sont quasiment plus achetées de façon automatique du fait des blocklists. C’est d’autant plus aberrant ici qu’elles sont achetées ensuite en opération spéciale par l’annonceur. Enfin, pour revenir à ce que je vous disais sur certains mots discriminants présents au sein des listes, nous demandons des dispositifs respectueux des lois et de nos engagements RSE. “Nous souhaitons travailler de façon collégiale sur les blocklists pour définir des dispositifs adaptés” On peut également pointer du doigt certains supports qui ne sont pas très regardants sur la qualité de leurs contenus ou de leurs formats publicitaires, ni sur l’expérience utilisateur. C’est de cela que les marques veulent se protéger. Comment trouver un équilibre ? Certes, mais le mécanisme des blocklists a été mis en place pour des plateformes ou des sites en ligne sur lesquels l’information n’est pas maîtrisée. Ce n’est pas le cas des contenus des éditeurs d’informations. Nous souhaitons travailler de façon collégiale sur les blocklists pour définir des dispositifs adaptés à ces contenus et aux intérêts des annonceurs. Nous avons sensibilisé l’Udecam : un groupe de travail interprofessionnel est constitué pour travailler ensemble et, nous l’espérons, agir concrètement, en réunissant les éditeurs (via l’Apig), les marques (via l’UDM), les agences (via l’Udecam), les mesureurs (via IAS, Adloox, Moat, DoubleVerify) et les DSP. Quel est votre regard sur le mécanisme inverse, les “listes blanches”, ces listes de sites qui sont constituées par des agences pour valider en amont certains médias d’informations dans leurs politiques d’achat publicitaire pour y diriger les campagnes ? Nous voyons cela d’un bon œil. Ce sont des dispositifs souhaitables par principe, à condition qu’elles soient “exclusives”, c’est-à-dire non cumulatives avec d’autres outils insérés dans la DSP, en particulier ceux des mesureurs. Sinon, cela crée un empilement de listes et ajoute de la complexité et de la confusion. On en revient sinon aux problèmes évoqués précédemment. ll faut plus de simplicité et de clarté dans les technologies publicitaires. Cela passe notamment par une homogénéisation des pratiques et des listes de mots-clés : les acheteurs médias doivent constituer et utiliser des listes de mots-clés cohérentes, plus courtes et communes. Au moins avoir une base commune. Et il faut imposer ces listes aux prestataires technologiques. Alexandra Chabanne (GroupM) : “Notre métier est de trouver le juste équilibre entre investissement technologique et humain” De nouveaux acteurs externes à l’univers de la publicité, comme Newsguard et RSF, proposent désormais de certifier des sites ou de labelliser les médias d’informations jugés fiables. Les éditeurs sont parfois réticents à ce type de jugement sur leur travail. Approuvez-vous ces initiatives ? Nous les suivons de près. La commission Information de l’Alliance, qui rassemble les rédacteurs en chef de nos titres, a étudié les modalités des différents labels proposés. Le label JTI de RSF, qui encadre son programme Journalism trust initiative, est pertinent. Ses critères correspondent en très grande partie à ceux de la CPPAP, ils sont cohérents avec les chartes des différents éditeurs et ils mettent l’éditorial – la qualité des contenus et l’indépendance des rédactions – au cœur de son dispositif. Cela est positif. Mais chaque éditeur est libre de participer ou pas. Parmi nos membres, le groupe EBRA a déjà effectué le programme et obtenu le label. D’autres éditeurs sont en train de le faire ou le feront prochainement. C’est le cas pour Les Échos, tout comme pour Le Parisien au sein de notre groupe. L’objectif est que cela tire la qualité vers le haut et qu’elle soit valorisée dans l’écosystème publicitaire. RSF veut s’appuyer sur l’ACPM pour certifier la fiabilité des médias français Mais les éditeurs médias ont eux-mêmes développé un label de qualité média, le Digital ad trust, qui n’a pas vraiment été efficace sur la publicité. Les médias ont montré leur bonne volonté avec ce dispositif. Ils ont fait des efforts sur la visibilité et financé la création du label, mais effectivement les investissements publicitaires n’ont pas suivi. Il y a eu un manque de soutien stratégique des marques sur la durée. L’hypothèse faite du côté des acheteurs, c’est que le label n’allait pas assez loin en termes de garantie sur la qualité des contenus. Du côté éditeurs, nous pensons plutôt que les annonceurs achètent de l’open web et que le tarif prime très souvent sur les efforts qualitatifs. Il faut inverser cette tendance. C’est le sens de notre démarche actuellement autour des listes noires. Jean-Michel De Marchi AgencesBrand safetyPublicité programmatiqueRelations agences-annonceursRSEStratégies annonceursTransparenceUdecam Besoin d’informations complémentaires ? 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