Accueil > Adtechs & Martechs > Comment des acteurs spécialisés appliquent le programmatique au recrutement Comment des acteurs spécialisés appliquent le programmatique au recrutement Les entreprises des médias, des adtechs et de la communication éprouvent des difficultés à recruter certains profils. Depuis plusieurs années, des start-up transposent les techniques d'automatisation du marketing et l'exploitation des données afin d'optimiser le recrutement en ligne. Le "programmatique RH" offre des avantages mais représente un coût qui n'est pas négligeable. Les groupes Télégramme et Le Figaro en sont des acteurs significatifs. Par Antoine Piel. Publié le 23 mai 2023 à 7h00 - Mis à jour le 04 mai 2023 à 18h51 Ressources Les trois points à retenir Le procédé du programmatique appliqué au recrutement offre une visibilité décuplée auprès de candidats ciblés. Des groupes médias se sont positionnés sur cette activité pour développer une diversification en s’appuyant sur des synergies métiers. Les solutions de ciblage permettent également de recruter et de renforcer sa marque employeur. Le coût des campagnes peut atteindre 50 000 euros. En 2022, les emplois vacants ont atteint un niveau record en France (jusqu’à 3,32 %) et une entreprise sur quatre a dû renoncer à recruter un cadre, faute de trouver le bon profil. Le constat est le même sur certains postes spécifiques dans le secteur des médias et de la publicité en ligne. Ce constat, outre l’inadéquation entre les qualifications des candidats et les emplois disponibles, pose la question des méthodes de recrutement des entreprises. “Il est très difficile d’attirer les candidats, qui sont aujourd’hui très exigeants, témoigne Marielle Duvivier, Talent acquisition partner chez Vestas France, multinationale spécialisée dans les éoliennes. Sur les postes les plus sollicités, les candidats nous demandent un processus de recrutement court, durant moins d’un mois.” Ce que toutes les entreprises ne sont pas en mesure de proposer. Mieux cibler les candidats avec l’intelligence artificielle Conçue comme un moyen d’accélérer la prise de décision, l’intelligence artificielle était déjà utilisée par 64 % des recruteurs dès 2018, notamment pour réaliser un premier tri des CV. Le programmatique intervient à un autre niveau, en favorisant le sourcing de candidats, notamment quand l’entreprise veut attirer un certain public. “En 2023, nous avons des besoins sur des types de postes précis, qui demandent une expertise spécifique : nous recrutons des ingénieurs software, en cybersécurité, pour de la production en usine ou encore des électromécaniciens (plus de 200 par an)”, indique Alice Leroy, responsable de la communication digitale et de la marque employeur chez Continental Automotive France, filiale de l’entreprise connue pour ses pneumatiques est spécialisée dans l’électronique et les logiciels pour voitures. Le programmatique, technique de ciblage automatisé en ligne qui repose sur la collecte et l’usage de données, doit aider à “faire connaître” ces activités et “par là, intéresser nos cibles de talents difficiles à recruter, sur des projets à forte valeur ajoutée et haute technicité”, complète-elle. “Sur la partie publicitaire, le programmatique a été conçu pour donner aux annonceurs la capacité de cibler les utilisateurs sur internet en fonction de profils et non plus seulement selon les contenus qu’ils regardent, rappelle Yohan Monfort, directeur Acquisition d’HelloWork, agence spécialisée qui appartient au Groupe Le Télégramme et dont l’offre s’appuie sur cette technologie. Les données provenant des cookies, collectées par les plateformes programmatiques, vont permettre, sur la partie RH, de cibler des profils par métier, en recherche d’emploi ou non, en fonction de leurs intérêts”, explique-t-il. Comment les professionnels analysent l’évolution de la publicité programmatique Permettre aux entreprises de se démarquer par une stratégie numérique Dans l’activité RH, les plateformes programmatiques sont aujourd’hui utilisées à la fois pour des recrutements sur un type de poste précis mais également pour optimiser les campagnes de marque employeur des entreprises. “Avec notre croissance et nos besoins en recrutement, nous avons eu besoin de mettre l’accélérateur sur le sourcing de candidats”, se rappelle Marielle Duvivier, qui a fait appel à la plateforme Seeqle en 2022 pour un projet-pilote et faire connaître son entreprise internationale (700 salariés en France) auprès des agents et techniciens de maintenance, “sur sollicités en France”, qui seront 130 à être recrutés chez Vestas en 2023. “La start-up Golden Bees nous a permis de monter une stratégie digitale au global et trouver les bonnes plateformes pour nous faire davantage connaître, décrit Alice Leroy. Nous avons testé le programmatique sur plusieurs campagnes au ton différent et constaté un apport net en termes de reach des personnes qu’on a ciblées. Nous sommes satisfaits du résultat.” La technologie ne convient toutefois pas pour tous les besoins et tous les types d’entreprises. “Il faut avoir suffisamment de volume et une stratégie par poste pour une vraie efficacité, toutes les entreprises ne peuvent pas l’obtenir, confirme Isabelle Bastide, présidente de PageGroup France et autrice en 2018 de l’ouvrage “Le recrutement réinventé” (Le Cherche midi), qui se penchait déjà sur le programmatique. Tout le monde n’a pas non plus les ressources pour piloter son suivi en interne, c’est ce que nous pouvons leur apporter en tant que cabinet de recrutement.” Outre les campagnes de recrutement, c’est aujourd’hui la partie marque employeur qui se développe : entre 2021 et 2022, sa part dans le chiffre d’affaires de Golden Bees a progressé de 15 %. “Le fil rouge avec nos clients est le suivi de la marque employeur mais nous agissons ponctuellement sur des thématiques de recrutement, notamment pour les secteurs où il y a une certaine tension sur le marché”, confirme Yohan Monfort. Des solutions de marché au positionnement différent Pour parvenir à toucher les publics visés, les solutions RH ont développé leur propre technologie. “Pour faire la promotion des offres d’emploi prioritaires, nos algorithmes pré-sélectionnent une dizaine de job boards (agrégateurs d’offres d’emploi, ndlr) en fonction de leur pertinence pour tel ou tel métier parmi la trentaine avec lesquels nous avons noué des partenariats”, détaille Daniel Morais. Golden Bees achète ensuite un mot-clé correspondant à un métier et une localisation. Les clients apparaissent alors dans les premiers sur les recherches des candidats sur ce mot-clé. En fonction de la performance, les media trader peuvent augmenter ou diminuer l’investissement sur le job board. Son concurrent Hellowork propose une offre similaire après la détermination par algorithme des critères à cibler sur les différentes plateformes. Il détient également des “algorithmes entraînés à faire du jumelage à partir de la navigation internet de profils correspondant à un type de candidats pour cibler ceux ayant une navigation similaire”, indique Yohan Monfort. La méthode est aussi pratiquée par les équipes marketing de PageGroup. Seeqle, dernier venu sur le marché, a fait un choix différent. La start-up a créé une plateforme unique, accessible à ses clients, qui contient 300 profils de métiers ainsi que leur audience associée et permet de les cibler puis d’agréger les données. Elle propose également, sur demande, la création par une IA générative contenus textuels des publicités. “Ensuite notre IA s’occupe automatiquement de la répartition automatique du budget entre réseaux sociaux, sites d’emploi et applications mobiles et de l’achat publicitaire auprès de nos partenaires data tels que Meta, Google, Snap, TikTok ou Indeed, explique son CEO Jean Eudes Yahouedeou. Nous avons créé une boucle d’optimisation continue qui se base sur nos campagnes précédentes et plus de 30 000 points de données RH, ce qui nous permet de proposer un simulateur de budget et de résultat.” “Nos équipes ont constaté davantage de résultats sur les métiers de l’ingénierie, de la finance, du commerce et du marketing” Isabelle Bastide (pageGroup France) Se rendre attractif en restant transparent Les start-up jouent également un rôle d’accompagnement et de conseil auprès des entreprises pour “qu’elles produisent des visuels plus personnalisés”, indique Yohan Monfort. “Chez HelloWork, nous avons des équipes photo qui se déplacent chez le client pour illustrer le futur poste du salarié”, précise-t-il. “Nous disons à nos clients que la marque employeur doit correspondre à la réalité de l’entreprise, sinon les candidats s’en rendent compte très rapidement”, explique de son côté Daniel Morais. Certaines entreprises l’ont toutefois réalisées : “Nous cherchons à solliciter nos cibles pour qu’elles aient envie de cliquer et de postuler, explicite Marielle Duvivier. Il faut donc savoir mettre en avant la valeur ajoutée tout en étant attractifs sur la grille salariale et le sens du métier, tout en étant authentiques sur ce qu’on trouve chez nous.” Ce qui renvoie à une autre technique marketing : la méthodologie inbound. Plus de candidatures qualifiées Les clients du programmatique RH ont pu en mesurer les effets. En 2018, la société d’audit Mazars a obtenu 1,8 million d’impressions en l’utilisant (pour un budget de 15 000 euros) avec Golden Bees, quand elle n’en obtenait que 400 000 via un post sponsorisé sur LinkedIn (pour un budget de 7 000 euros). “Sur la partie recrutement, j’avais trouvé ça plus limité en termes de retour sur investissement parce que les compétences précises dont nous avions besoin étaient difficilement requêtables par manque de données. Mais on était encore à la genèse de la technologie”, note la directrice du recrutement de Mazars, Charlotte Gouiard, qui étudie toutefois un nouveau recours. Son homologue de Vestas France se montre également satisfaite du résultat : “Pour un investissement de 5 000 euros, mes annonces ont été vues plus de 3 000 fois sur LinkedIn et le coût du CV reçu est de 25 euros, celui du CV qualifié de 65 euros”, détaille-t-elle. “La promesse que nous délivrons, c’est d’obtenir jusqu’à cinq fois plus de candidats qualifiés en quelques semaines, précise Jean Eudes Yahouedeou. En ciblant y compris sur les réseaux sociaux, nous arrivons également à ouvrir la visibilité des offres aux personnes qui sont en poste et non inscrites sur les job boards.” Les autres start-up ne s’engagent, elles, pas sur des objectifs chiffrés. L’efficacité du programmatique diffère également selon les besoins : “Nos équipes ont constaté davantage de résultats sur les métiers de l’ingénierie, de la finance, du commerce et du marketing”, indique Isabelle Bastide (pageGroup France). Les missions de Seeqle se concentrent également plus particulièrement sur les cadres, métiers ETAM et informatiques, phénomène que constate également Yohan Monfort, comme sur les métiers de vente. “Il y a un coût des typologies de profils : entre des métiers IT et des secteurs moins pénuriques, on va du simple à du x 10”, indique-t-il par ailleurs. Sur ses campagnes, marque employeur ou recrutement, le coût d’Hellowork et de Golden Bees peut ainsi revenir à ses clients de 3 ou 4 000 à plus de 50 000 euros (la campagne pour Continental la plus onéreuse de cette dernière a coûté 30 000 euros). L’investissement est ainsi important mais peut être pondéré par le gain de temps réalisé par les recruteurs, qui n’ont plus à vanter l’entreprise auprès de candidats potentiels. Dans cette optique, Mazars a entrepris d’utiliser l’intelligence artificielle sur d’autres tâches : “Nous avons créé une plateforme qui facilite la prise de rendez-vous : les disponibilités du recruteur sont visibles automatiquement par le candidat. Nous cherchons à automatiser les tâches à faible valeur ajoutée pour passer plus de temps sur le reste, confie Charlotte Gouiard. Nous utilisons également une plateforme d’intelligence artificielle qui propose des tests sur les soft skills permettant de réussir dans l’audit.” Détermination de personae Pour lancer une campagne programmatique, les entreprises doivent établir un cahier des charges précis, qui liste les qualifications prérequises liées au poste mais va bien au-delà. “La caractérisation des personae est très précise, nous avons dû établir des profils avec leurs caractéristiques métier mais aussi leurs centres d’intérêt”, se remémore Marielle Duvivier. “La campagne nous a permis d’attirer des candidats sur la base des mots clés que nous avions définis”, corrobore Charlotte Gouiard. Cette détermination de personae pour les algorithmes renforce-t-elle les biais (genre, origine, catégorie sociale) de recrutement ? “Notre effort autour du recrutement est très important et va grandir, les résultats du programmatique permettent de montrer l’apport du marketing digital auprès de notre DRH et notre direction” Alice Leroy (continental) Le risque est reconnu par l’Union Européenne. Un projet de règlement sur l’intelligence artificielle, publié en avril 2021, place les systèmes d’IA liés au recrutement comme à “haut risque”. Il prévoit, pour ce niveau de classification, des obligations strictes quant à la transparence, le contrôle humain et l’atténuation des risques de discrimination. Le texte n’a pas encore été adopté. “Il faut être très vigilants avec les algorithmes, nous n’avons souvent pas la transparence sur la façon dont ils fonctionnent”, concède la présidente de PageGroup. “Les biais sont davantage liés à la façon dont le machine learning est programmé et avec quelles données ainsi qu’aux candidats qui acceptent une offre”, tempère le dirigeant Golden Bees Daniel Morais. Un marché en plein essor Lancé en 2015, Golden Bees compte aujourd’hui 50 salariés et connaît une forte croissance. La start-up a en commun avec son principal concurrent d’avoir été rachetée par Le Figaro, qui détient déjà la plateforme d’offres d’emploi Figaro Emploi (précédemment Keljob). “Ils étaient clients auparavant et ont voulu détenir cette ressource car ils se sont rendus compte que nous parvenions à des résultats trois à quatre fois supérieurs sur l’acquisition de candidats avec le programmatique”, relate Daniel Morais. Le groupe Figaro renforce son offre d’annonces d’emploi par l’acquisition d’une solution programmatique dédiée, Golden Bees HelloWork a pour sa part été intégrée au groupe Le Télégramme, qui possède déjà Regionsjob. “Cela nous donne la possibilité d’avoir accès à une audience de millions de candidats tous les mois”, indique son directeur acquisition. Le Télégramme et Le Figaro ont ont ici l’occasion de déployer une diversification de façon évidente : les deux groupes médias mettent en application leur expertise de la collecte, de l’exploitation des données et du ciblage en ligne acquise dans leurs activités médias et publicitaires. De son côté, Seeqle, qui travaille depuis 2019 sur le programmatique et compte aujourd’hui une dizaine de collaborateurs, ambitionne de s’exporter : en plus de sa présence déjà entamée en Europe, le dirigeant de la start-up vise une implantation prochaine en Amérique du Nord et du Sud. Si Vestas ne travaille plus à date plus avec Seeqle, après avoir comblé ses besoins, l’entreprise est disposée à investir de nouveau dès que l’entreprise en aura l’occasion. “L’initiative est suivie de très près par la direction au niveau monde, l’équipe Talent Acquisition a suivi notre test en vue d’aller le déployer dans d’autres pays”, annonce Marielle Duvivier. “Notre effort autour du recrutement est très important et va grandir, les résultats du programmatique permettent de montrer l’apport du marketing digital auprès de notre DRH et notre direction, souligne Alice Leroy. Chez Continental, après avoir pris du retard, nous n’en sommes qu’au début de cette stratégie de support aux équipes recrutement, en créant un cercle vertueux entre marketing et recrutement.” La tendance est toutefois relativisée par la présidente de PageGroup France : “Aujourd’hui, ce n’est pas si répandu. On est plutôt sur un plateau concernant le programmatique au niveau RH.” Mais, avec le phénomène ChatGPT, l’IA ne pourrait en être qu’à ses balbutiements dans la sphère RH. ____Cet article a été publié une première fois dans mind RH, autre publication du groupe mind. Antoine Piel AdtechCiblage publicitaireDiversificationsDonnées personnellesIntelligence artificielleMartechOrganisationRHTechnologies Besoin d’informations complémentaires ? 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