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Accueil > Médias & Audiovisuel > Malik Idri (avocat à FTPA) : “L’affaire entre Equativ et Google a aussi mis en évidence que les éditeurs médias clients de Google ont été privés d’une concurrence saine”

Malik Idri (avocat à FTPA) : “L’affaire entre Equativ et Google a aussi mis en évidence que les éditeurs médias clients de Google ont été privés d’une concurrence saine”

Malik Idri a été l’un des avocats représentant Equativ dans la procédure l’opposant à Google devant le Tribunal de commerce de Paris pour pratiques anticoncurrentielles dans l’adtech, avec 26,5 millions d'euros de dommages et intérêts prononcés contre le groupe américain à l’automne dernier. Une première dans le monde. Pour mind Media, il explique pourquoi il estime néanmoins la décision rendue en partie insatisfaisante. Il en tire également les enseignements pour le droit de la concurrence appliqué au numérique et pour les procédures similaires entamées par une dizaine d’éditeurs médias. Il continue à représenter une partie d’entre eux dans leurs contentieux avec Google, après avoir récemment quitté le cabinet Orrick pour FTPA.

Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 24 janvier 2025 à 16h05 - Mis à jour le 06 mars 2025 à 17h12
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Equativ, dont vous étiez l’un des avocats, a obtenu 26,5 millions d’euros d’indemnités en octobre 2024, dans son contentieux judiciaire contre Google. Quel regard portez-vous sur la décision rendue par le tribunal de commerce ?

J’en ai un avis contrasté. Il y a beaucoup d’éléments qui sont très positifs dans cette décision. D’abord, c’est la première fois dans le monde que Google est condamné à réparer le préjudice résultant des pratiques anticoncurrentielles mises en place dans la publicité en ligne directement au bénéfice d’un acteur qui en a été victime. Jusque-là, il s’agissait uniquement de condamnations par des autorités administratives, avec des amendes versées au budget des États. C’est très notable, d’autant que la démonstration n’était pas facile et le résultat pas acquis d’avance. 

Les pratiques de Google ne laissent pas la place au doute ; l’Autorité de la concurrence l’a condamné très lourdement en juin 2021, et la Commission européenne le fera très probablement dans les prochains mois, parce qu’il y a des mécanismes mis en place qui font du mal aux acteurs du marché. Mais la démonstration d’un préjudice économique dans un contentieux en droit de la concurrence est un exercice extrêmement difficile, même pour les cabinets d’expertise qui sont sollicités. Et ça l’est encore plus dans le secteur de la publicité en ligne, une industrie particulièrement opaque et complexe : dans son fonctionnement, ses outils et la diversité de ses acteurs, par son caractère en temps réel, etc. Il faut déterminer le préjudice au plus près, année par année, poste par poste.  Il y a eu un beau débat contradictoire avec Google et une vraie implication du tribunal de commerce pour comprendre l’industrie et pour entrer dans le cœur d’un débat technique et économique, avec des questions des juges qui étaient pointues et pertinentes. Sur ce point, c’est un bon message envoyé aux justiciables et à la place de Paris dans le “forum shopping” européen (pratique du droit international qui se concrétise par la saisie de la juridiction nationale la plus susceptible de donner raison à ses intérêts quand une diversité de juridictions de différents pays sont susceptibles d’être compétentes, ndlr). C’est l’avantage des juges non professionnels que sont ceux du tribunal de commerce. 

Pour autant, ce qui est beaucoup moins positif, c’est la durée de la procédure : deux ans et demi pour un premier jugement, c’est long. Le tribunal y travaille, et cela tient aussi ici à la stratégie de défense de Google, qui en plus a changé d’avocat en cours de procédure (passant du cabinet Fréget au cabinet Cleary Gottlieb, ndlr), ce qui a allongé la procédure. Mais au-delà de ça, le vrai problème porte sur le fond du jugement. Il y a des questions de droit qui, à mon sens, ont été traitées d’une manière trop légère par le tribunal.

Malik Idri

2025 Associé Antitrust, FTPA
2017 Collaborateur puis associé Antitrust, Orrick, Herrington & Sutcliffe LLP 
2011 Collaborateur, Clifford Chance LLP

Vous évoquez la question du périmètre de compétence retenu par le tribunal, qui s’est déclaré incompétent pour examiner les préjudices d’Equativ subis hors de France, soit les deux tiers du litige ?

Exactement. J’ai beaucoup de mal à comprendre cette décision et je ne suis pas le seul. Cette position n’a aucun sens en droit et envoie un très mauvais signal politique. Il y a un grave problème de droit, puisque la Cour de justice de l’Union européenne a déjà tranché  extrêmement clairement, dans sa formation la plus solennelle, la compétence des juridictions nationales dans ce cas de figure, à partir du moment où un certain nombre de conditions, assez simples, sont réunies : il suffit de prouver que l’entité nationale attaquée et tenue responsable (ici Google France) appartient bien au même groupe économique, avec une activité en lien avec celle de l’entité qui a directement commis les pratiques. Il suffisait d’appliquer la solution. 

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Dans notre affaire Equativ, le lien d’activité commun au sein du groupe Google se lit dans les statuts de Google France : la publicité numérique. Les pièces que l’on a transmises au tribunal, notamment des documents émanant de Google, le montraient : ce sont les salariés de Google France qui se déplacent chez les clients français, même quand les contrats sont signés par Google Ireland, ce qui a d’ailleurs été relevé par le tribunal. Il y a donc une erreur de droit manifeste sur cette partie du raisonnement, qui est déjà critiquée en doctrine et qui sera très commentée par l’écosystème judiciaire. 

Cette erreur de droit dessert l’image du système judiciaire français dans l’écosystème du droit du contentieux et du droit de la concurrence, qui est par nature souvent international. Nous faisons du droit, pas de la politique, mais il y a malgré tout des efforts consentis par la place de Paris, que ce soit par le Tribunal de commerce, par la Cour d’appel, par la Cour de cassation, etc., pour montrer au monde économique et industriel européen, voire mondial, que Paris est une place où les grandes entreprises peuvent défendre leurs droits dans des contentieux transnationaux et faire valoir leur préjudice dans de bonnes conditions, plutôt que d’aller plaider au Royaume-Uni ou au Pays-Bas. C’est important pour l’écosystème. Or, là, nous avons un jugement du Tribunal de commerce qui soutient, en dépit du droit applicable, qu’il n’est pas compétent pour les préjudices subis en dehors de la France. Quel message envoie-t-on ? C’est incompréhensible, et dans l’univers du droit, personne ne comprend le raisonnement qui a été tenu. Peut-être que les juges du tribunal de commerce devraient être aidés davantage pour des questions juridiques aussi fondamentales.

“Je n’ai pas de doute sur le fait que la cour d’appel jugera que les juridictions françaises sont également compétentes pour connaître du préjudice subi par Equativ hors de France”

Quels ont été les arguments de Google sur ce point ?

Il a contredit la jurisprudence applicable, mais un peu avec l’énergie du désespoir. Cela fait quinze ans que Google joue sur la question des compétences de juridiction. Le groupe affirmait que tous les préjudices devaient être examinés pays par pays, ou alors qu’ils pouvaient tous être jugés ensemble, mais devant la juridiction irlandaise, parce que la société qui a commis la faute serait Google Irlande. Ni l’un, ni l’autre ne sont acceptables. Aucune entreprise n’a envie d’aller faire du contentieux dans un pays, l’Irlande, dans lequel Google a une influence économique et politique énorme. D’autant que le système judiciaire local, le common law, est très différent du nôtre, plus complexe, et très onéreux. Et puis la partie qui perd le procès peut être condamnée à couvrir des frais de procédures qui sont beaucoup plus élevés qu’en France. C’est dissuasif. 

La deuxième option, pays par pays, l’est tout autant : l’intérêt de Google, c’est d’éclater les affaires et que les sociétés victimes agissent devant une variété de tribunaux dans différents pays. Évidemment, aucune entreprise ne peut et ne veut s’adapter à chaque système juridique. C’est d’ailleurs le contraire du concept de marché unique européen et de la conception du droit communautaire. Equativ est une pépite française qui survit admirablement aux pratiques de Google, son siège est à Paris et c’est ici qu’elle subit le préjudice. La société n’a pas à aller à Dublin pour obtenir réparation d’un préjudice en France, ni dans d’autres pays, cela n’a pas de de sens. Au-delà de cette affaire, il faut qu’on se pose la question des moyens judiciaires dont disposent les entreprises pour un contentieux efficace.

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De façon plus globale, quelle a été la stratégie de défense de Google durant la procédure ?

Google met en œuvre une défense similaire à l’échelle mondiale, en disant qu’il agit au bénéfice de tous les acteurs du marché publicitaire et que les contentieux sont ouverts par des concurrents moins talentueux. Clairement, c’est faux. Google est une grande entreprise, avec certes des ingénieurs très talentueux, mais qui a aussi mis en place des mécanismes qui sont faits pour favoriser son écosystème de produits, avec une logique d’omniprésence élaborée de façon très verticale : chaque échelon vertical est utilisé pour aider le reste du groupe. Cela correspond conceptuellement à une certaine logique industrielle, mais cela pose de sérieux problèmes concurrentiels quand celui qui la met en œuvre atteint une taille critique et une position dominante, comme c’est le cas de Google. L’affaire Google Shopping ouverte et sanctionnée par la Commission européenne l’a montré : Google a fait en sorte que son moteur de recherche, outil hégémonique, favorise son service de comparaison de prix, qui avant cela apparaissait sous ceux de ses concurrents lors d’une concurrence équitable. 

C’est le même cas de figure dans la publicité en ligne : Google agit comme régie publicitaire et adserver pour les éditeurs, et comme acteur technologique pour les annonceurs. Il contrôle la grande majorité de la demande publicitaire et des outils utilisés aux deux bouts de la chaîne. Au milieu, il contrôle aussi totalement la salle d’enchères, où les acteurs achètent et vendent la publicité, en imposant ses règles d’accès et de fonctionnement, et la publicité qui y passe, la sienne. Et, mystérieusement, sa salle d’enchères a du mal à communiquer avec celles des concurrents.

“Nous avons déposé des pièces qui montrent qu’il n’est pas possible pour les éditeurs médias de sortir de l’environnement technologique publicitaire de Google, au risque de mettre en jeu leur viabilité économique”

Les deux entreprises ont interjeté appel du jugement. A quoi faut-il s’attendre pour Equativ et sous quel calendrier ?

Je n’ai pas de doute sur le fait que la cour d’appel appliquera le droit applicable et jugera que les juridictions françaises sont également compétentes pour connaître du préjudice subi par Equativ hors de France. Cela pourrait avoir pour conséquence mécanique une augmentation du montant total des dommages et intérêts, du fait de de l’incorporation de la marge perdue hors de France. La cour d’appel pourrait aussi revoir la manière de calculer les préjudices. C’est assez ouvert. 

Sur le calendrier, il faudra compter environ 12 à 18 mois de plus en cour d’appel, après deux ans et demi de procédure au tribunal de commerce. Soit plus ou moins quatre ans de procédure, auxquels s’ajoutent plusieurs mois au minimum pour préparer les assignations, et 12 à 15 mois à prévoir pour une décision finale après pourvoi en cassation ensuite. Ce que ne manquera pas de faire Google. Soit plus ou moins six ans pour Equativ afin d’avoir une décision définitive et obtenir réparation. C’est beaucoup de temps perdu. Dans ce type d’affaire, il faudrait encadrer le temps dédié à la procédure et consacrer plus de temps pour examiner le contrefactuel (la comparaison par les parties au procès des résultats de l’entreprise qui s’estime victime de pratiques anticoncurrentielles pendant la période infractionnelle, avec les résultats qui auraient pu être obtenus en l’absence d’infraction, ndlr). Est-ce que la société a perdu 2 % de revenus, 5, 6, ou 20 % ? C’est cela qui est difficile à déterminer et qui mérite du temps. 

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Vous venez de quitter le cabinet Orrick pour rejoindre FTPA. Vous perdez Equativ comme client, mais vous conservez la défense de plusieurs médias dans des procédures similaires : Le Figaro, Les-Echos-Le Parisien et Prisma Media. Quels sont les enseignements tirés de cette première décision pour les autres contentieux ?

Je vais effectivement continuer à représenter ces trois groupes, de façon commune avec le cabinet Orrick, Hubert & Sutcliffe. Nous serons deux cabinets côte à côte sur ces dossiers. Le contentieux pour Equativ a été jugé par la 9e chambre du tribunal. Ceux avec les médias le sont par la 15e (les chambres viennent d’être réorganisées et leur numéro revu, ndlr). Lors de l’instruction de ces dossiers, nous avons déposé des pièces qui montrent qu’il n’est pas possible pour les éditeurs médias de sortir de l’environnement technologique publicitaire de Google, au risque de perdre l’accès aux annonceurs, et donc de mettre en jeu leur viabilité économique. 

Certains ont essayé, en utilisant les technologies d’Equativ ou d’autres concurrents : tous ont été très impactés. C’est bien décrit dans le jugement en faveur d’Equativ et dans la décision de l’Autorité de la concurrence de 2021 : les pratiques de Google ne sont pas homogènes et linéaires. Chaque année, il y a des changements, avec une nouvelle fonctionnalité qui est mise en place dans le mécanisme des enchères programmatiques ; un droit de premier regard, un droit de dernier regard, etc. C’est subtil, mais j’estime que c’est pensé, et c’est très efficace pour favoriser son écosystème, au détriment des autres acteurs. 

“La future décision de la Commission donnera lieu, elle aussi, à des actions indemnitaires”

La Commission européenne a ouvert une enquête en juin 2021 sur l’ensemble de l’adtech de Google. Sa décision est très attendue. Peut-elle apporter quelque chose en plus dans les procédures judiciaires ?

Google a été reconnu coupable par l’Autorité de la concurrence et le tribunal en a tiré les conséquences civiles et financières. L’existence d’une enquête européenne, plus large, est forcément une bonne nouvelle de long terme pour les acteurs du secteur, et je n’ai pas de doute sur le fait que la future décision de la Commission donnera lieu, elle aussi, à des actions indemnitaires. Mais la position qui a été prise par la Commission, que je ne comprends absolument pas – je la trouve même scandaleuse -, c’est d’attendre l’issue du procès similaire qui a lieu aux Etats-Unis et dont la décision est attendue dans les prochains mois. Le ministère américain de la Justice a demandé la séparation des activités adtechs de Google. Si le juge américain va dans son sens, la question clé sera de savoir quelles activités adtechs doivent être séparées. La Commission a indiqué privilégier également cette voie, mais elle semble estimer qu’elle ne doit pas prendre le risque d’avoir une différence d’appréciation avec les juges américains (dans le choix des activités à démanteler au sein de la stack adtech de Google, ndlr). C’est un non sens. C’est vraiment difficile de comprendre pourquoi la Commission se plierait à la vision d’un juge américain. Et ce serait pareil si la décision venait de l’autorité de la concurrence américaine.

La décision rendue en faveur d’Equativ aura-t-elle un impact sur les autres affaires devant le tribunal de commerce ?

Les affaires sont différentes parce que Equativ est un concurrent direct. Les autres contentieux concernent des médias qui sont d’abord des clients de Google. Les relations et dynamiques d’affaires ne sont pas les mêmes. Cependant, cette affaire-là met aussi en évidence que les clients de Google ont été privés d’une concurrence saine, ce qui bat en brèche son discours. Cette décision Equativ pourra donc être utilisée de manière contextuelle, y compris par les class actions engagées contre Google aux Pays-Bas et au Royaume-Uni. C’est une étape positive et très importante, mais cela ne nous permet pas de chiffrer le préjudice des clients lésés par Google. 

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Les montants réclamés par les éditeurs médias français à Google

En l’état des procès en cours devant le Tribunal de commerce de Paris, la dizaine d’éditeurs déjà engagés dans des procès contre Google (Leboncoin, L’Équipe, RMC BFM Ads, Le Figaro, Les Échos, Le Parisien, Ouest-France, Prisma Media, Dailymotion, Reworld Media…) demandent au total, selon nos informations, entre 1 et 1,3 milliard d’euros en réparation de leurs préjudices allégués. Ces montants peuvent parfois évoluer au fil de la procédure.

Quelques exemples, selon l’état de nos connaissances :

Dailymotion réclame 271 millions d’euros

Prisma Media réclame 150,5 millions d’euros

L’Équipe réclame 119 millions d’euros, RMC BFM Ads 33 millions d’euros

La décision de l’Autorité de la concurrence de 2021, qui est le fondement juridique et le pilier de la démonstration des pratiques anticoncurrentielles de Google, est-elle totalement satisfaisante et suffit-elle d’un point de vue juridique pour que les victimes obtiennent réparation face Google ?

Cette question est un point important autour de ces affaires. D’abord, il faut le souligner, la décision de l’Autorité de la concurrence est exemplaire sur beaucoup de points. Il y a eu une saisine, et deux ans plus tard, une décision. C’est très rapide. Et c’est la première fois que l’écosystème est décrypté dans sa complexité. Il faut vraiment le saluer (l’Autorité a aussi pu s’appuyer sur son enquête sectorielle sur la publicité en ligne publiée en 2018, ndlr). La démonstration et les arguments étaient tellement convaincants que Google a accepté la décision et a opté pour la transaction (afin de minorer l’amende infligée, ndlr), ce qui me semble être une première de sa part. Ensuite, l’Autorité est allée plus loin que le simple constat que les pratiques de Google pouvaient “être de nature à” créer des situations d’entorse à la concurrence – un constat qui suffit en droit de la concurrence. Elle a aussi constaté et démontré leurs “effets réels”. Ces deux aspects nous offrent des éléments très solides devant le juge lors des actions en réparation. 

La limite à cette rapidité d’enquête, c’est que l’Autorité n’a pas étudié tout l’écosystème adtech et toutes les pratiques de Google. Elle s’est limitée à un bout de la chaîne publicitaire, celle qui concerne les revendeurs, donc les SSP et adservers. Elle ne s’est pas intéressée aux activités de régie et aux liens entre régie et SSP. C’est ce qu’a fait, elle, la Commission européenne, et c’est pour cela que la décision qu’elle rendra est très, très importante. Certains éditeurs clients d’Equativ ont d’ailleurs regretté que l’Autorité n’aille pas aussi loin. Le deuxième regret autour de sa décision porte sur les engagements qu’elle a négociés avec Google pour mettre fin aux pratiques constatées. Tous les observateurs considèrent que ces engagements ne valent pas grand chose et n’ont eu aucun effet sur le marché de la publicité en ligne. C’est d’une technicité telle que Google a pu faire passer des correctifs qui n’en sont pas réellement. C’est un petit raté dans la décision, qui aurait sans doute pu être évité si l’Autorité avait davantage consulté le marché sur ce point. 

Mais globalement, il faut vraiment saluer sa décision, qui permet d’ailleurs aux sociétés victimes d’avoir pu agir en réparation plus rapidement que si l’enquête avait pris plus de temps et avait été contestée judiciairement par Google. C’est sans doute un calcul fait délibérément par l’Autorité, que je trouve respectable. Cela a de la valeur. Plus vite les sociétés lésées peuvent agir, mieux c’est.

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Y a-t-il des différences significatives entre les affaires initiées par une dizaine de médias devant le tribunal de commerce ?

Les questionnements sont semblables et les futurs jugements bénéficieront d’une certaine homogénéité. Mais chaque éditeur a sa propre stratégie de monétisation ; certains privilégiant la publicité en programmatique ouvert et d’autres la publicité en gré à gré. Tous pratiquent les deux modes de vente, qui sont impactés tous les deux par les pratiques, mais les différentes clés de répartition justifient des argumentations spécifiques à la situation de chaque éditeur. Deuxièmement, le choix des outils technologiques utilisés par les médias ces dernières années, ceux de Google ou de ses concurrents, va aussi jouer.

“Il faut être lucide ; les amendes et les dommages et intérêts ont échoué à enrayer un mécanisme d’abus quasi systématique de la part de Google”

Les amendes sont-elles suffisantes pour contraindre au respect des règles concurrentielles des acteurs comme Google, mais aussi Meta, Apple et Amazon, et demain peut-être OpenAI et Nvidia ?

C’est la question que les autorités politiques devraient se poser. Google a reçu une dizaine de milliards d’euros d’amendes dans l’Union européenne en dix ans. On lit parfois dans la presse que c’est beaucoup. C’est faux. Ça n’a pas fait bouger d’un iota son cours de Bourse, ni impacté sérieusement ses résultats. C’est très faible comme montant par rapport à ses près de 230 milliards d’euros de revenus publicitaires annuels et ses 80 milliards d’euros de résultat net au niveau du groupe. En un an ! (chiffres 2023, ndlr). Le calcul financier par Google entre bénéfice et risque est rapide à faire. Par ailleurs, j’observe que les montants des amendes infligées pour pratiques anticoncurrentielles dans le numérique sont très inférieurs à ceux infligées pour des ententes entre acteurs industriels traditionnels. Je ne crois pas que cela soit moins grave. Au contraire. Et les plateformes sont beaucoup plus puissantes ; donc l’impact de leurs actions sur l’ordre public économique – que le droit de la concurrence est censé protéger – considérablement plus fort.

ENQUÊTE – Pratiques anticoncurrentielles de Google : pourquoi marques et agences font profil bas

Quelles sont alors les solutions efficaces pour stopper les pratiques anticoncurrentielles dans la publicité en ligne et le numérique en général ?

Cela pose de vraies questions sur l’efficacité du droit de la concurrence vis-à-vis des plateformes. Nous avons pris, en Europe, un angle procédurier autour de leur régulation, en essayant de les enfermer dans des cadres de régulation très complexes, très techniques, avec le DSA, le DMA, etc. Je ne suis pas contre, mais ce sont des entreprises qui ont les moyens de payer des bataillons de salariés et d’avocats pour remettre en cause les règles et faire durer les procédures. Il faut être lucide ; les amendes et les dommages et intérêts ont échoué à enrayer un mécanisme d’abus quasi systématique de la part de Google. Ce que pourrait réussir à faire la séparation des activités litigieuses. C’est d’ailleurs l’origine du droit de la concurrence, avec la décision historique concernant le groupe Rockefeller, qui était devenu trop puissant pour être contenu par la jeune république américaine d’alors.

La limite à cela, avec Google et l’écosystème de la publicité numérique, c’est qu’il est très difficile de comprendre avec certitudes quelles activités il faudrait séparer pour être efficace, parce que toutes sont importantes et tellement hégémoniques que le groupe peut déplacer de la valeur d’une activité à une autre sur la chaîne publicitaire. Dans son communiqué de presse, la Commission dit qu’il faudrait que Google cède “une partie de ses services” adtechs ; mais laquelle ? Et pour la vendre à qui ? A un autre GAFAM ? Et à quel prix ? C’est compliqué. Et à court terme, cela n’empêche pas d’imposer de vraies amendes, avec des montants beaucoup plus significatifs.

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