Accueil > Médias & Audiovisuel > Publicité en ligne : un rapport remis au gouvernement français propose différentes mesures très coercitives contre les plateformes Publicité en ligne : un rapport remis au gouvernement français propose différentes mesures très coercitives contre les plateformes Une vaste étude sur la régulation de la publicité numérique, réalisée par l'Inspection générale des finances, préconise notamment l'ouverture au marché de certaines données détenues par Google et Facebook et plus de pouvoirs accordés à l'Autorité de la concurrence. 18 propositions sont faites, certaines à activer au niveau européen. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 22 janvier 2021 à 14h39 - Mis à jour le 30 septembre 2021 à 16h11 Ressources Les pouvoirs publics cherchent ces dernières années les meilleures options pour mieux réguler le secteur de la publicité en ligne en France afin de protéger l’économie des médias, y compris par des évolutions réglementaires. Un rapport avait été commandé en ce sens en juillet 2020 par le ministre de la Culture et le secrétaire d’Etat chargé du numérique à Anne Perrot, économiste et inspectrice générale des finances et Mathias Emmerich, conseiller référendaire à la Cour des comptes. Ils ont été assistés par Quentin Jagorel, inspecteur des finances, a été remis au ministère en fin d’année dernière. La lettre de mission qui leur avait été confiée en juillet en fixait déjà un cadre assez précis : elle constatait notamment l’absence de régulation efficace jusque-là, le caractère opaque des pratiques publicitaires, la concentration des revenus publicitaires au bénéfice de quelques acteurs, et pointait un risque pour la viabilité des médias. Le gouvernement demandait une étude d’impact et des propositions sur les moyens à mettre en œuvre pour faire évoluer la réglementation, au niveau français et européen. Parmi les points importants soulevés, le gouvernement demandait notamment un éclairage sur l’opportunité de faire évoluer la réglementation française actuelle issue de la loi Sapin (très critiquée par une partie du secteur ; régies et agences en tête). Il semblait aussi s’interroger sur le bien fondé des lignes directrices de la CNIL sur le dépôt des traceurs publicitaires ainsi que sur les dispositions du projet de règlement e-privacy. Qui sont les auteurs du rapport ? Anne Perrot est inspectrice générale des finances, par ailleurs économiste de formation. Elle connaît bien les enjeux liés à la concurrence pour avoir été vice-présidente de l’Autorité de la concurrence (sa fiche LinkedIn). Mathias Emmerich était jusqu’à décembre 2020 conseiller référendaire à la Cour des comptes. Il a auparavant été senior vice president de Publicis et plusieurs fois dirigeant au sein du groupe SNCF (sa fiche LinkedIn). Ils ont été assistés par Quentin Jagorel, qui vient lui aussi de quitter ses fonctions d’inspecteur des finances (sa fiche LinkedIn). Le rapport de 125 pages qui a été remis au gouvernement, intitulé “Publicité en ligne : pour un marché à armes égales”, est composé de quatre parties. Il dresse d’abord un état des lieux du marché de la publicité en constatant “une forte domination d’un duopole”, puis présente les conditions théoriques d’un marché publicitaire équitable au niveau national, avant de pointer ce qui semble constituer, selon les auteurs, des “comportements de nature anticoncurrentielle” du fait du “pouvoir de marché des grandes plateformes” (qui repose sur leurs écosystèmes fermés et sur leur mainmise sur certaines données). Pour y mettre fin, il propose des pistes de régulation qui se veulent structurelles. mind Media en dresse une synthèse. L’Etat des lieux du marché publicitaire en ligne Dans une première partie dédiée à l’état des lieux de la publicité en ligne, les auteurs soulignent les profondes mutations du marché du fait de la collecte et de l’exploitation des données utilisateurs sur internet. L’essor de la publicité ciblée et de l’achat-vente programmatique a été de pair avec le développement d’une chaîne d’acteurs, qui se caractérise désormais par “sa grande fragmentation et sa complexité”. Le rapport pointe également la domination du marché par deux acteurs “captant 75 % du marché français de la publicité digitale et 90 % de la croissance du secteur”. D’abord Google, du fait de son contrôle du segment search “à plus de 90 %” et de son intégration verticale sur le secteur, qui en fait un acteur “devenu dominant sur tous les segments de l’intermédiation technique de la publicité programmatique. Ensuite Facebook, “dominant sur la partie social du display, à savoir les réseaux sociaux.” C’est un rapport extrêmement précis et complet qui a le mérite de traiter en profondeur et de façon globale tous les sujets abordés ces derniers années par des institutions différentes Hélène Chartier, directrice générale du SRI “Google et Facebook sont en situation de duopole avec frange concurrentielle sur ce marché”, écrivent Anne Perrot, Mathias Emmerich et Quentin Jagorel, évoquant les “walled gardens (jardins clos, ndlr), tels que Facebook, Instagram, Google Search ou YouTube, sur lesquels les annonceurs ne peuvent acheter des espaces sur les inventaires propriétaires qu’en passant par les régies intégrées des plateformes ou par leurs solutions d’achat-vente.” Une conséquence en est tirée : ce transfert des investissements publicitaires vers le digital s’est largement fait, ces dernières années, au détriment des médias traditionnels et au profit des plateformes, pointent les auteurs, qui ajoutent que “seuls 6 % des revenus publicitaires en ligne reviennent aux médias (…). Ceux-ci sont placés dans une situation de dépendance économique vis-à-vis des plateformes, tandis que leurs modèles économiques sont profondément déstabilisés.” Les éditeurs médias ont été les acteurs les plus affectés par la crise publicitaire au premier semestre 2020 “C’est un rapport extrêmement précis et complet qui a le mérite de traiter en profondeur et de façon globale tous les sujets abordés ces derniers années par des institutions différentes : sur la fiscalité, la transparence publicitaire, les monopoles des plateformes, la privacy… Tous ces sujets étaient traités jusque-là en silo ; cette étude donne une vision globale des problèmes rencontrés par les médias sur la publicité numérique et fournit des réponses très intéressantes”, estime Hélène Chartier, directrice générale du SRI. “Les analyses et les orientations contenues dans ce rapport vont dans le bon sens. Toutes les mesures qui permettent d’ouvrir et partager les données, d’accélérer les procédures contentieuses, de défendre l’économie des médias, de contrôler la propagation en ligne des fake news et qui permettent de trouver un équilibre entre l’économie des acteurs, la concurrence et la privacy des utilisateurs, sont nécessaires”, abonde Pierre-Emmanuel Cros, président de la Mobile marketing association France (MMAF). Plusieurs comportements anti-concurrentiels montrés du doigt La mission indique d’abord dans le rapport avoir “détecté les comportements à portée anticoncurrentielle de Google et Facebook sur le marché de la publicité digitale”. Ils sont de plusieurs natures : L’auto-mesure de la performance publicitaire qui fait des plateformes à la fois des juges et des parties sur le marché L’intégration verticale et les conflits d’intérêts de Google sur la chaîne programmatique, qui permettent des pratiques d’offres groupées (bundling), voire de prédation, ainsi que d’auto-référencement La vente exclusive de l’inventaire propriétaire YouTube sur la DSP de Google, renforçant le pouvoir de marché de Google sur le côté demande de la chaîne programmatique Les réponses de Google et Facebook Contacté par mind Media, Google nous a indiqué ne pas avoir de commentaire à faire sur le rapport, mais affirme travailler étroitement avec les éditeurs et souligne que le secteur de l’adtech “n’est pas un business à somme nulle en termes de compétitivité”. Le groupe affirme développer ses technologies pour qu’elles soient interopérables “avec plus de 700 plateformes concurrentes pour les annonceurs et 80 plateformes concurrentes pour les éditeurs”. Il ajoute que les annonceurs “utilisent en moyenne quatre DSP et les éditeurs utilisent jusqu’à six SSP”. Google ajoute que lorsque les annonceurs utilisent ses outils Google Ads ou Display & Video 360 pour acheter des espaces publicitaires sur Google Ad Manager, les éditeurs conservent “environ 70 % des revenus générés” par ces transactions. Le chiffre serait de 95 % pour les 100 premiers éditeurs d’actualités dans le monde en revenus programmatiques générés via Ad Manager. Egalement contacté, Facebook n’a pas souhaité apporter de commentaires sur le rapport. Les conditions d’un marché concurrentiel Pour rééquilibrer le marché, les auteurs présentent 18 propositions – pour lesquels un niveau de coercition et de faisabilité est estimé – réparties en trois types de mesures. D’abord celles qui concernent un alignement, au sein du marché, des contraintes entre les acteurs, car “les solutions de consolidation du financement des médias, parfois pertinentes (développement de l’abonnement, soutien fiscal, loi sur les droits voisins…, ndlr) ne modifieront pas à elles seules les grandes tendances à l’oeuvre sur ce marché”, d’autant qu’elles “risquent en outre d’être rapidement obsolètes, contournées, ou insuffisantes pour faire face à l’enjeu de pérennisation des modèles de financement des médias”. Ensuite de nouvelles mesures visant les pratiques des plateformes “pour cibler les sources de pouvoir de marché des plateformes”. Enfin des mesures pour l’évolution du cadre juridique via de nouvelles dispositions. Capture d’écran des 18 propositions synthétisées dans le rapport de l’IGF “Publicité en ligne : pour un marché à armes égales” de novembre 2020. 1) Aligner les contraintes entre acteurs Les cinq premières recommandations visent donc à aligner les contraintes et obligations qui pèsent sur les médias et les plateformes afin d’éviter les distorsions de concurrence. “J’ai des réserves sur la proposition qui consiste à vouloir appliquer le cadre juridique de la publicité sur les médias audiovisuels à la publicité display (proposition n°1) : le contrôle a priori des publicités display par l’interprofession, ou même a posteriori par l’intelligence artificielle, me semble très complexe à mettre en place. Les autres propositions me semblent en revanche très pertinentes”, indique Pierre-Emmanuel Cros (MMAF). L’une d’elles consiste à imposer la brand safety aux plateformes pour garantir aux marques une contextualisation des annonces, ainsi qu’à séparer contenu média et contenu social (proposition n°2). Concrètement, un réseau social comme Facebook et une plateforme vidéo comme YouTube pourraient être contraints de scinder la commercialisation de leurs inventaires publicitaires, entre d’un côté les contenus modérés sponsorisables (notamment médias) et de l’autre les contenus sociaux non garantis. “Cette mesure aurait le double avantage de renforcer l’effort des plateformes dans le sens de la brand safety et de rééquilibrer le marché entre les éditeurs médias et les plateformes”, estiment les auteurs, qui ajoutent que cela permettrait “d’assainir leurs inventaires et donc d’éviter la monétisation de contenus de mauvaise qualité ou illégaux”. Une autre recommandation formulée pour aligner les contraintes entre médias et plateformes est de davantage prendre en compte le contexte économique qui pèse sur l’écosystème concernant le recueil du consentement de l’internaute au dépôt de cookies (proposition n°3). La réglementation sur la protection de la vie privée “tend à conditionner de plus en plus drastiquement l’utilisation des traceurs au consentement de l’internaute et peut entrer en conflit avec des enjeux économiques pour les acteurs d’internet, notamment les médias”, observent les auteurs. En creux, il soulignent que contrairement aux plateformes, qui s’appuient essentiellement sur des logins, les éditeurs médias sont très dépendants aux cookies dans leurs modèles d’affaires. Ils préconisent donc ici un assouplissement de la position de la Cnil sur sa lecture du RGPD concernant les éditeurs médias, notamment dans son interprétation sur la licéité de l’interface des CMP. Une évolution d’ailleurs amorcée par l’organe à l’automne 2020 après une décision du Conseil d’Etat. Comment la Cnil a modifié ses lignes directrices sur le consentement au dépôt de cookies Les CMP choisies par le top 100 des sites médias Dans le même esprit, les auteurs recommandent au gouvernement, dans le cadre des discussions européennes du projet e-privacy auquel il participe depuis plus de deux ans, de ne pas donner aux navigateurs le rôle de “gatekeeper” pour le recueil du consentement au dépôt de cookies tiers (proposition n°4). Cette disposition était présente dans les premières versions du texte, mais a récemment été écartée. Elle effraie les médias et l’écosystème publicitaire car elle renforcerait un peu plus encore le rôle des plateformes : l’accord ou le refus au dépôt de cookies par l’internaute sera centralisé au niveau du navigateur, rendu possible en un seul clic ou presque et pour toute sa navigation. “Sur ces deux points, la mission montre qu’une vision trop stricte, voire allant au-delà du RGPD, pose un problème de viabilité économique des acteurs et que cela doit être pris en compte”, souligne Nicolas Rieul, président de l’IAB France. 2) Cibler les “sources du pouvoir de marché” des plateformes Plusieurs mesures proposées dans le rapport visent clairement à restreindre le rôle de Google et Facebook en s’attaquant à leurs positions dominantes pour les empêcher de fixer leurs règles, et d’imposer de fait les standards du marché : “Sans chercher à détruire les réussites technologiques qu’elles sont incontestablement et sans ignorer la qualité des services qu’elles offrent, il convient, pour être efficace dans la durée, de focaliser la régulation des plateformes sur les sources de leur pouvoir de marché, à savoir, de façonsystémique et interdépendante : la maîtrise des données, les effets de réseau et la structuration conglomérale (…).” Considérer certaines données dites “essentielles” détenues par les plateformes comme des actifs dont l’accès devrait être ouvert. L’une des propositions du rapport “Les entreprises dominantes ont accès à des volumes importants de données qui leur permettent d’offrir de meilleurs services qui, à leur tour, permettent d’attirer davantage d’utilisateurs et donc de collecter davantage de données, soulignent les auteurs du rapport. A l’opposé, les entreprises concurrentes, et notamment les nouveaux entrants qui n’ont pas encore beaucoup d’utilisateurs, ont peu de données et ont donc toutes les chances d’être distancées rapidement en termes de qualité de service. Enfin, les revenus engrangés par les entreprises dominantes permettent de financer des investissements plus importants.” Pour rééquilibrer durablement le secteur, la mission propose donc d’encadrer fortement la collecte, le croisement et l’exploitation de données collectées par différents services des plateformes : “Interdire, ou au moins encadrer les pratiques consistant à attribuer à un même compte logué des données collectées sur des services différents d’une même plateforme ainsi que sur des sites tiers” (proposition n°6). Elle propose aussi de considérer certaines données, dites “essentielles”, détenues par les plateformes, comme des actifs dont l’accès devrait être ouvert, au moins en partie, à d’autres acteurs (proposition n°7). Sur ce point, les auteurs prennent acte de l’importance prise par les données dans la connaissance des audiences en ligne et la monétisation des contenus. C’est notamment de la captation et de l’exclusivité de grands volumes de données que les plateformes tirent leur position dominante. “Le refus d’accès aux données peut être anticoncurrentiel si les données en question constituent une “facilité essentielle” à l’activité de l’entreprise qui cherche à y accéder”, estiment les auteurs. Mais qu’est-ce qu’une “facilité essentielle” ? Ils en présentent trois caractéristiques cumulatifs : celles qui sont “indispensables à l’exercice d’une activité déterminée, notamment sur le marché publicitaire ; non reproductibles à un coût et dans des délais raisonnables et non substituables par un ensemble de données alternatif”. Les plateformes disposant ce type de données devraient alors “accorder des licences aux acteurs tiers demandeurs d’un accès aux données utiles à leur activité, contre une rémunération proportionnée aux coûts objectivement établis pour la fourniture des données en question”, propose la mission. Elle ajoute que les données des audiences en ligne collectées par une plateforme dominante dans le cadre d’un partenariat avec un éditeur média entrent dans ce cadre. C’est une demande ancienne effectuée par les acteurs locaux, par exemple les données publicitaires pour les agences et les données liées aux transactions payantes pour les médias. Autre recommandation concrète, le rapport propose par ailleurs d’assurer la neutralité des terminaux via une interopérabilité accrue et la portabilité des données, ainsi qu’un meilleur encadrement des paramétrages et des installations par défaut (proposition n°8). Une dernière proposition consiste à empêcher les plateformes de verrouiller des opt-in par défaut de certaines fonctions (proposition n°9), une manière d’imposer aux utilisateurs des réglages ou des mécanismes de collecte de données, parfois au détriment des médias et de leurs partenaires publicitaires. C’est le reproche formulé récemment à Apple par l’écosystème local de la publicité numérique. Un contentieux est en cours. Pourquoi les associations publicitaires françaises ont saisi l’Autorité de la concurrence contre Apple Ces quatre propositions sont clé, car la collecte et la gestion des données accumulées par les plateformes – et en large partie exclusives -, constitue le socle de leur domination sur l’écosystème publicitaire numérique. Cet avantage échappe aux mécanismes actuels de protection de la concurrence, qui repose essentiellement sur des parts de marché. Le partage de données par Google et Facebook est d’ailleurs une demande formulée de longue date par les éditeurs médias, les acteurs technologiques tiers et les agences médias. “Ce sont des propositions constructives et équilibrées, pas dirigées contre les plateformes, mais dans une logique de rééquilibrage du secteur. Mon seul petit bémol ici porte sur la nécessité “d’encadrer” plutôt qu'”interdire” l’attribution à un même login de données issus de services différents, puisque le rapport évoque les deux possibilités”, estime Pierre-Emmanuel Cros (MMAF). 3) Revoir la régulation de la concurrence de façon structurelle Outre l’alignement des contraintes et l’instauration de limites aux pouvoirs actuels des plateformes, les auteurs soulignent la nécessité, pour parvenir à rééquilibrer le marché, de changer en profondeur les règles de concurrence appliquées à la publicité numérique. Les auteurs du rapport soulignent que l’arsenal de régulation existant “doit être étoffé et rénové”, notamment dans les compétences des organes de régulation. C’est ici l’un des griefs principaux des acteurs locaux des médias et de la publicité : les mécanismes actuels d’intervention du régulateur serait trop actuellement trop lents, trop complexes et inadaptés sur le numérique, particulièrement pour répondre aux conséquences immédiates causées par les abus de position dominante de Google et Facebook. Pas moins de neuf propositions sont formulées en ce sens. L’une d’elles est de permettre à la Commission européenne de recourir plus facilement aux mesures provisoires (proposition n°10) pour faire cesser rapidement des situations anti-concurrentielles évidentes. A l’image de ce que fait l’Autorité de la concurrence en France, par exemple contre Google au sujet des droits voisins. “C’est une mesure clef, estime Nicolas Rieul, président de l’IAB France. C’est ce qui a conduit notre coalition à déposer plainte cet automne contre Apple en France, car l’Autorité est non seulement experte de la publicité digitale mais ordonne aussi plus souvent des mesures provisoires, contrairement à la Commission européenne qui a utilisé ce pouvoir une seule fois en 16 ans. Après des années d’enquête, et malgré les abus constatés et les amendes infligées, le mal est fait : les sociétés victimes disparaissent ou ont dû changer de business model.” Une autre proposition consiste à mettre en place un contrôle “ex post” des acquisitions, c’est-à-dire après l’opération, avec un renversement de la charge de la preuve. Par ce biais, les autorités pourraient par exemple examiner les acquisitions passées, effectuées par des grands acteurs, de start-up sans chiffre d’affaires mais très innovantes ou disposant d’un grand volume de données qui viendraient enrichir les leurs et ainsi renforcer leur position dominante. Ce serait à la société acquéreuse de prouver que l’opération n’a pas d’effet anti-concurrentiel (proposition n°11). C’est un point important – et examiné par plusieurs pays – qui est réclamé par l’Autorité de la concurrence : lui permettre d’intervenir après une acquisition ou une fusion qui ne lui aurait pas été soumise au préalable (car n’atteignant pas les seuils de chiffre d’affaires) pour mettre fin à des situations anti-concurrentielles qui ne s’inscrivent pas dans des problématiques classiques de parts de marché ou de chiffre d’affaires, mais par exemple dans l’accumulation de données. C’est particulièrement la gestion des données accumulées par les plateformes qui est visée ici, car elle constitue le socle de leur domination sur l’écosystème publicitaire. Cet élément échappe aux mécanismes actuels de protection de la concurrence, qui reposent en France et en Europe sur l’analyse des parts de marché avant et après l’opération. Autre façon de mieux contrôler le secteur : anticiper les risques pour la concurrence. Le développement d’une “régulation “ex ante” asymétrique (avant la survenue de comportements anti-concurrentiels) visant les entreprises qui auront été définies au cas par cas comme des plateformes structurantes”, est donc proposé pour compléter les mesures ex post (proposition n°12). “Notre litige avec Apple illustre parfaitement la nécessité de cette régulation ex ante : la charge de la preuve est de notre côté et cela nécessite du temps, de l’énergie et des ressources financières conséquentes. Cela ne devrait pas être le cas, il faut un meilleur système de défense des victimes de telles actions anti-concurrentielles”, affirme Nicolas Rieul (IAB France). Mais comment définir une “plateforme structurante” ? Les auteurs jugent impossible de dresser une liste, qui deviendrait d’ailleurs obsolète : “Il semble préférable de fixer dans la réglementation européenne des critères de définition de ce caractère « structurant » et de les appliquer au cas par cas.” Ils proposent une série de critères cumulatifs, notamment l’existence de forts effets de réseaux et de forts rendements d’échelle, le fait que la plateforme constitue une porte d’entrée incontournable dans l’accès et la mise à disposition en ligne d’un ensemble de contenus, services et produits, l’existence d’une stratégie conglomérale, etc. Ces critères reprennent ceux proposés par les autorités françaises dans le cadre de leur position sur le Digital Services Act proposé par la Commission européenne qui sera discuté cette année. Rendre systématique la demande d’avis croisés entre l’Autorité de la concurrence et les autres régulateurs sectoriels, dont la Cnil. L’une des propositions du rapport La mission propose, en outre, de formaliser une procédure de publicité, de transparence et de discussion au sein du marché dans le cadre d’un système de notification par les plateformes de leurs décisions technologiques ou autres ayant une incidence sur le marché (proposition n°15). “Là encore, c’est une bonne pratique qui forcerait un acteur comme Apple, qui veut imposer de façon unilatérale un changement de policy – laquelle va avoir des conséquences majeurs pour certains acteurs – d’échanger en amont sur ces conséquences”, souligne Nicolas Rieul (IAB France). A de nombreuses reprises, de grands acteurs ayant une position incontournable modifient en effet unilatéralement Google modifie régulièrement le fonctionnement ou les conditions d’utilisation de leurs produits et services : Google fait évoluer son algorithme d’indexation sur son moteur de recherche, il prépare la fin des cookies tiers dans son navigateur, et il modifie les mécanismes d’enchères dans son adexchange. De son côté, Amazon modifie les règles d’utilisation de sa place de marché, tandis qu’Apple vient annoncer la mise en place de sa propre CMP pour le recueil du consentement des utilisateurs. Autant de conséquences subies par l’écosystèmes des médias et de la publicité en ligne. Parmi les autres mesures innovantes, les auteurs recommandent de rendre systématique la demande d’avis croisés entre l’Autorité de la concurrence et les autres régulateurs sectoriels, dont la Cnil (proposition n°17). “La régulation concurrentielle et les autres types de régulation des plateformes gagneraient à moins être menés en “silos”, soulignent-ils. C’est ce qui se pratique déjà dans certains secteurs : celui de l’électricité (où l’Autorité travaille avec la CRE), les télécommunications (avec l’ARCEP) et les médias (avec le CSA). “Ce serait évidemment une très bonne chose, relève Nicolas Rieul (IAB France). L’Autorité de la concurrence a demandé son avis à la Cnil dans la procédure engagée contre Apple. De la même manière, il aurait été intéressant que dans le cadre de sa recommandation sur les cookies, la Cnil interroge l’Autorité de la concurrence.” Hélène Chartier (SRI) partage le constat : “C’est une proposition particulièrement intéressante car ce double avis permettrait de contextualiser davantage les sujets liés aux données personnelles sur lesquels la Cnil se prononce. L’Autorité de la concurrence rend en effet des décisions avec une vision plus globale, à l’aune des effets observés ou attendus sur le marché sur la libre concurrence et en ayant à l’esprit la domination de certains acteurs, quand la Cnil estime, elle, que ce n’est pas son rôle et se limite à examiner les dossiers avec une vision centrée seulement sur la vie privée en ligne, sans contextualisation. Avoir une vision plus global permet de mieux comprendre l’impact des décisions.” Plusieurs des 18 propositions relèvent directement du cadre européen et s’inscrive dans les nouveaux textes DSA et DMA proposés par la Commission européenne pour réguler le marché numérique et les contenus numériques. Que contiennent le Digital markets act (DMA) et le Digital Services act (DSA), les deux textes de régulation du numérique proposés par la Commission européenne ? C’est à cette échelle que les Etats pourront réguler plus efficacement les plateformes. Le rapport le souligne et les acteurs interrogés en ont conscience. “La réglementation de la publicité en ligne est complexe à réaliser au niveau local, français. C’est à l’échelle européenne qu’il faut agir et le rapport insiste beaucoup sur ce sujet, c’est une très bonne chose. le cadre est posé, des initiatives ont été posées, maintenant il faut agir dans le cadre du DSA et du DMA”, observe Hélène Chartier (SRI). Outre d’éventuelles décisions concernant le marché français qui pourraient être prises – aucune indication en ce sens n’a cependant été donnée aux représentants du secteur -, ce rapport va nourrir les réflexions et les arguments du gouvernement pour les discussions tout au long des prochains mois autour du DSA et du DMA. Leur application est prévue au plus tôt fin 2021. Pour apporter un commentaire ou une information supplémentaire sur ce sujet, contactez l’auteur : jmdm@mindnews.fr Jean-Michel De Marchi Toutes les ressources liées à cet article En pièces jointes Rapport de l'IGF pour la régulation de la publicité en ligne - nov 2020 pdf 5 Mo Lettre de mission du gouvernement pour l'IGF - juillet 2020 pdf 3 Ko CNILConcurrenceDuopoleGAFAMPublicité programmatiqueRéglementationRGPD Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Aux États-Unis, Google accusé d'entente illicite avec Facebook pour manipuler les enchères programmatiques La Commission européenne présente ses propositions pour mieux réguler les plateformes Pourquoi les associations publicitaires françaises saisissent l'Autorité de la concurrence contre Apple L’Autorité de la concurrence ouvre une procédure d’instruction liée à la publicité en ligne contre Google La Commission européenne ouvre une enquête sur les pratiques publicitaires de Google Les éditeurs de presse et e-commerçants demandent à la Commission européenne d'agir contre Google essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 Intégrer la transition écologique dans les performances des médias et de la publicité Les enjeux réglementaires de la publicité en ligne en 2023 2023 : la transformation du marché publicitaire analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Arnaud Créput (Equativ) : “Il ne faut surtout pas que Google puisse proposer un mécanisme de consentement global” Biggie, l'agence indépendante "hybride" qui porte les ambitions de croissance de Biggie Group Recommandations de la Cnil sur le mobile : une démarche saluée, mais pas encore intégrée Rapport des États généraux de l’information : comment se positionnent les organisations professionnelles des médias et de la publicité Avec Dentsu Creative, l'armée de Terre prend le virage de la data CGV publicitaires TV 2025 : convergence des offres, simplification de l’achat et RSE INFO MIND MEDIA - Publicité en ligne : nouveaux procès intentés par les médias français contre Google, les premières audiences débutent Search marketing : à quoi s'attendre après le procès Google ? 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