IA générative : Schibsted va multiplier les outils intégrés au CMS

Avec le développement de l’IA générative, de nombreux acteurs des médias expriment des inquiétudes concernant le respect du droit d’auteur, les impacts sur la qualité de l’information et le rôle des journalistes. “Ce sont des préoccupations légitimes auxquelles nous devons répondre, observe Martin Schori, rédacteur en chef d’Aftonbladet. Mais notre réaction instinctive a été la suivante : voici une nouvelle technologie, comment pouvons-nous l’utiliser dans l’intérêt d’Aftonbladet et de son audience ?” 

Ces dernières années, des groupes de travail transversaux autour de l’IA ont vu le jour au niveau du groupe mais aussi, plus récemment, au sein des différentes rédactions de Schibsted. Le but : encourager l’innovation dans l’ensemble de l’organisation et réfléchir au développement de nouveaux outils. Ces groupes ont permis l’élaboration de plusieurs solutions, comme un générateur de résumés d’articles intégré au CMS, des “copilotes” éditoriaux qui visent à simplifier la correction et l’édition des articles, ou encore des “assistants jeunesse” qui accompagnent les jeunes audiences dans le décryptage de l’actualité. 

Des outils pour optimiser le travail des journalistes

Un développeur de VG, un des principaux titres norvégiens du groupe, a conçu une solution de transcription automatique de fichiers audios et vidéos, appelée Jojo, qui exécute localement le modèle Whisper d’OpenAI. Lancée en janvier 2023, l’application web, qui permet aux journalistes de transformer fichiers sonores et vidéos en textes, leur aurait permis d’économiser 13 433 heures de travail. Les médias du groupe utilisent également un outil de traduction norvégien-suédois et suédois-norvégien de ChatGPT directement intégré dans le CMS. “Il nous permet d’économiser beaucoup d’argent et de temps de travail, mais aussi de partager davantage de contenus entre les deux pays où nous sommes présents”, observe Fredric Karén.

Si la plupart des rédactions sont déjà équipées de correcteurs orthographiques installés dans les CMS, Schibsted veut aller plus loin. “La dernière version de ChatGPT-4 Pro permet de créer ses propres agents de chat. Nous avons construit de nombreux agents, localement, au sein de nos différentes rédactions. L’un d’entre eux est un copilote journalistique”, explique Fredric Karén. En plus de vérifier l’orthographe et d’améliorer la syntaxe des articles, il donne des conseils aux journalistes sur la façon d’améliorer leurs écrits conformément au style de la publication. “Nous voulons intégrer cet outil dans les CMS de tous nos titres, poursuit-il. Car le meilleur moyen de s’assurer que nos journalistes utilisent ces outils est de les leur proposer directement sur une seule et même interface.” 

Pour le vice-président en charge de l’éditorial du groupe, ces outils permettent non seulement de rendre le travail des journalistes plus efficient mais aussi d’augmenter la confiance des lecteurs, en proposant “des articles bien orthographiés, sans fautes de frappe, grammaticalement corrects, logiques et faciles à lire”. Pour que les équipes s’approprient ces nouveaux outils, la formation des journalistes est cruciale. Schibsted organise des cours pour se former à ces nouvelles technologies. Parmi les plus récents : comment rédiger un bon prompt, comment mener une recherche sur ChatGPT, ou encore comment utiliser ChatGPT dans le cadre d’une enquête d’investigation. 

De nouveaux formats pour atteindre les jeunes

“L’intelligence artificielle offre de nouvelles alternatives de consommation de nos informations”, affirme également Martin Schori, rédacteur en chef d’Aftonbladet, qui a  publié une charte IA stipulant que les contenus générés par l’IA doivent être contrôlés par un humain. “Le public devrait décider de la manière dont il aimerait consommer l’information. Et l’IA peut nous aider de ce point de vue là”, note-t-il. 

Au printemps 2023, une équipe composée de développeurs de l’équipe centrale de Schibsted et de développeurs d’Aftonbladet a mis au point un outil permettant de générer de courts résumés d’articles produits par les journalistes du titre suédois. S’appuyant sur l’API mise à disposition par OpenAI, la fonctionnalité est désormais intégrée au CMS maison de Schibsted. Une fois l’article écrit, les journalistes n’ont qu’à cliquer sur un bouton pour créer un résumé en trois points, qu’ils vérifient avant publication. 

“Nous nous sommes rapidement rendu compte qu’il s’agissait d’un outil très apprécié de nos lecteurs”, observe Martin Schori. Depuis le déploiement de la fonctionnalité en mai 2023, ces résumés affichent un taux de clic moyen de 26,4 %. Ce taux est encore plus élevé chez les lecteurs âgés de 19 à 36 ans (37,7 %). “On pourrait penser qu’il y a un risque que ces lecteurs ne lisent pas l’article en entier, note Fredric Karén. Mais ils le lisent souvent”. En moyenne sur les huit derniers mois, 62 % des lecteurs qui ont cliqué sur le résumé ont également lu l’article en entier. “Ils utilisent simplement le résumé comme une introduction”, poursuit-il. Pour l’instant, cet outil est utilisé sur 60 % des articles du site, mais Martin Schori affirme vouloir augmenter son usage et même l’utiliser pour résumer “non pas un seul article mais une série d’articles liés à un même événement”. 

Aidée de la dernière mise à jour de ChatGPT permettant de créer ses propres chatbots, l’équipe d’Aftonbladet a lancé un “assistant jeunesse”. Ce dernier permet de “créer des chronologies, des encadrés et des questions-réponses en lien avec certains articles, avec l’instruction qu’un jeune de 18 ans doit être capable de comprendre le texte”, explique Martin Schori. Cet outil, qui est encore en phase de test, pourrait prochainement être installé directement dans le CMS. “A terme, notre objectif est d’intégrer au CMS les outils les plus utiles et/ou les plus performants”, rappelle le rédacteur en chef. 

Des résumés audio 

Pour attirer de jeunes audiences, Schibsted mise sur la multiplication des formats et des médias. L’audio en fait partie. Le groupe souhaite accélérer le développement des outils dédiés au text-to-speech, qui permettent une lecture vocale automatisée des articles.  En coopération avec l’entreprise BeyondWords, il a développé une solution permettant une lecture vocale automatisée des articles sur le site norvégien Aftenposten. “Cette technologie nous a permis d’entraîner une IA à imiter la voix d’une animatrice d’un célèbre podcast du titre”, explique Fredric Karén. Le projet prend de l’ampleur et “sera bientôt lancé sur Aftonbladet”, promet-il. De son côté, Martin Schori ne voit pas la conversion texte-audio se déployer sur tous les articles d’Aftonbladet, comme c’est le cas sur Aftenposten. “Je souhaite plutôt convertir les résumés des articles essentiels de la journée en un résumé quotidien que notre audience pourra écouter”, affirme-t-il. 

Si Fredric Karén exprime beaucoup d’enthousiasme quant au développement de l’IA, il rappelle la nouvelle dépendance que celle-cu alimente. “Comme la plupart des éditeurs, nous n’avons ni la capacité, ni les ressources d’élaborer nos propres LLM, note-t-il. Nous devons donc unir nos forces à d’autres entreprises technologiques telles que OpenAI et Google.” Et il conclut : “ce sont des risques que les médias doivent prendre en considération”.