Pour ceux qui ont vécu l’arrivée du web dans les années 90, avec un remplacement progressif du fameux Minitel et l’ouverture de nombreux marchés inédits grâce au numérique, les cinq dernières années sur le marché du retail media ont comme un goût de déjà-vu. Le développement du e-retail media en reprend les caractéristiques et les mêmes enjeux.
D’abord le secteur est à son tour marqué par une effervescence et un engouement très fort. De nombreuses entreprises se créent sur ce segment, avec une impression que tous ceux qui veulent se lancer le peuvent. Les médias couvrent largement le phénomène et les grandes nouvelles se succèdent, reflétant l’effervescence de ce marché. Cependant, la marche pourrait être trop haute pour beaucoup. Les barrières à l’entrée sont nombreuses et incontournables. Il est en effet indispensable de non seulement avoir une maîtrise solide des expertises tech et data mais également retail ou marketplace. Très peu d’acteurs aujourd’hui ont cet atout.
“La technologie appliquée au retail media peut paraître complexe et est assez peu structurée”
La deuxième similitude avec l’internet des années 90 est celle de l’émergence d’un nouveau contexte. Internet promettait aux citoyens un accès illimité et instantané à l’information, avec l’abolition des distances et des frontières, et, pour les marchands, de nouveaux débouchés. Ce nouveau départ correspond à la situation actuelle des commerçants et des annonceurs vis-à-vis du retail media en ligne. D’une part pour les e-commerçants, les distributeurs et les places de marché, pour qui la situation inflationniste macroéconomique et une concurrence exacerbée font fondre les marges, et qui recherchent de nouveaux relais de croissance. L’e-retail media devient alors pour eux un levier très prometteur. D’autre part pour les annonceurs : la fin des cookies tiers annoncée par Google remet au centre du jeu le ciblage contextuel et les environnements logués ; la data first party très riche de ces derniers chez les retailers est devenue le “nouvel or noir numérique”.
Un enjeu fort pour les distributeurs
Enfin, la troisième ressemblance que je vois est celle du faible taux d’équipement chez les retailers. Comme internet dans les années 90, la technologie appliquée au retail media peut paraître complexe pour un retailer et est assez peu structurée. De fait, de nombreux distributeurs ne se sont pas encore intéressés au sujet, et pour ceux qui ont commencé à prendre le tournant du retail media, la relation avec les annonceurs reste “manuelle”, à l’ancienne, avec une vente de gré à gré. Le futur du retail media sera pourtant beaucoup plus automatisé, avec l’émergence d’une technologie qui permettra aux plateformes vendeuses et acheteuses d’interagir avec une rapidité et une précision inédites, créant de meilleurs ROI.
De la réussite du retail media dépendra une partie de la réussite du tournant des distributeurs dans leurs relations avec les consommateurs. Comme dans l’internet des années 90, l’apport d’un service complémentaire permettra de renforcer la précision et la pertinence des offres proposées aux clients finaux, et donc d’augmenter leur satisfaction.
“Alors que Microsoft et Google avaient profité de l’évolution prise par le web dans les années 2000, Amazon est en train de le réaliser dans le retail media”
En somme, il y a deux écoles face à cette révolution : ceux qui balbutient encore dans la concrétisation d’offres pour relever le défi du retail media, et qui n’ont pas encore démarré leur transformation ; et ceux qui ont enclenché la vitesse supérieure, et qui se demandent surtout s’ils doivent développer leurs solutions maison ou acheter des solutions existantes pour maximiser le ROI et la vitesse d’exécution. Seule une poignée d’acteurs techs européens ont aujourd’hui développé des solutions matures et ils captent la majorité des contrats, et donc des données.
Le grand gagnant est pour l’instant un Américain. Alors que Microsoft et Google avaient profité de l’évolution prise par le web dans les années 2000, Amazon est en train de le réaliser dans le retail media. Le groupe a ainsi réalisé en 2021 environ 18 milliards de dollars de revenus grâce à cette activité… C’est seulement 7 % de son volume d’affaires, mais une proportion significative de sa marge. Cela permet à ce géant du e-commerce de capter plus de 75 % des parts de marché aux États-Unis. Au-delà de ce constat, cela illustre la manne incroyable que représente le retail media en ligne, qui a explosé en deux ans et qui offre encore un large potentiel.
Quelle sera la taille du marché ? Comment va-t-il se partager entre tous ses acteurs ? Quel sera le réel potentiel en nombre de clients ? Tout comme internet, ne nous laissons pas aveugler par l’effervescence et l’apparente grandeur des annonces, la révolution du retail media sur le numérique se jouera sur la qualité du produit et l’adéquation avec le marché.
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Par Cyrille Geffray,
CEO de relevanC
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