Comment le média danois Zetland utilise les articles audio pour fidéliser ses abonnés

Le contexte

En 2016, Zetland, fondé quatre ans plus tôt, cherche à consolider son modèle économique en s’appuyant sur de nouveaux formats, des articles quotidiens et le datajournalisme. A l’époque, le média danois, qui compte 3 000 abonnés, ne propose que des articles long format, disponibles uniquement sur abonnement, et organise occasionnellement des événements réunissant journalistes et membres de sa communauté. “Nous souscrivions déjà à une forme de journalisme ancrée dans la tradition narrative américaine. Certains de nos plus grands héros en termes de narration étaient les podcasters américains tels que NPR ou The American Life”, explique Tav Klitgaard, le directeur général de Zetland. “Le journalisme que nous proposions était déjà narré même s’il était écrit, poursuit-il. C’était comme si un ami vous racontait une histoire.”

Cette année-là, la publication interroge sa communauté, qui réclame le développement d’articles audio. Une phase de test est lancée au printemps 2016, pendant laquelle la petite équipe technique développe un bouton “play” sur le site de Zetland. Le choix est fait de publier un audio tous les samedis à partir des articles publiés dans la semaine. ”Nous nous sommes rendus compte que certains de nos membres délaissaient le texte et attendaient le samedi, espérant que l’article qui les intéressait serait disponible en version audio”, se souvient Tav Klitgaard. L’année d’après, le dispositif est généralisé à l’ensemble des articles produits par le site. 

Les objectifs 

Avec un modèle basé uniquement sur l’abonnement, Zetland cherchait à agrandir sa communauté mais surtout à la fidéliser. “Comme nous ne monétisons pas l’attention des lecteurs via la publicité, il est essentiel que nos membres aient la meilleure expérience possible. Pour améliorer leur expérience, nous devons proposer un produit qui s’adapte à leur humeur et leur besoin du moment”, explique Tav Klitgaard. Chez Zetland, il ne s’agit pas de choisir entre la lecture d’un article et l’écoute d’un podcast, mais plutôt de combiner les deux. “Et c’est à l’utilisateur de choisir comment naviguer entre les deux formats”, précise-t-il. 

Pour le directeur général de Zetland, l’audio est également un moyen de raconter des histoires plus riches en se rapprochant de ses membres. “On peut rajouter de la musique pour étayer la narration, utiliser des effets sonores mais aussi de vrais sons d’interviews. L’audio est idéal pour raconter une histoire personnelle car il permet d’entrer dans l’espace intime de la tête des auditeurs.” C’est pour cette raison que le média danois ne recrute pas d’acteurs pour conter les histoires qu’il produit et n’utilise pas non plus d’outils automatisés de text-to-speech, comme le font de plus en plus d’éditeurs en France et dans le reste du monde. “Pour créer cette proximité avec l’utilisateur, il nous semble essentiel que le journaliste qui rapporte l’histoire soit aussi celui qui la raconte car il est le seul à pouvoir le faire d’une manière authentique”, observe Tav Klitgaard. 

Le dispositif

Depuis le lancement de la phase test, au printemps 2016, les équipes de Zetland ont progressivement fait plus d’audio, jusqu’à l’été 2017, où elles ont décidé de faire de l’audio une partie intégrante du média, en se basant sur la popularité du format pendant la phase de test. Les quatre développeurs de l’équipe technique ont construit un lecteur audio et développé une application sur iOS et Android. Un studio a, par ailleurs, été installé dans la salle de rédaction. “Il existait déjà sur le marché de nombreux outils conçus pour les livres audios et les podcasts, mais nous cherchions à développer quelque chose de différent, analyse Tav Klitgaard. C’est ainsi que nous avons construit notre propre outil, capable de combiner le texte et l’audio.” 

Depuis 2017, Zetland a concentré ses efforts sur l’amélioration de cet outil. L’équipe technique se compose désormais de 10 développeurs sur un total de 60 employés, “ce qui est important pour un média de notre taille”, note le directeur général. “Le point fort de cet outil est la possibilité qu’il donne à l’utilisateur de lire les deux premiers paragraphes lorsqu’il est au bureau, par exemple, et d’écouter le reste lorsqu’il est dans sa voiture”, explique-t-il. “C’est une fonction très intéressante pour les utilisateurs qui  comprennent que Zetland n’est pas juste un média textuel enrichi d’un produit podcast”, poursuit-il.

D’un article audio par semaine, Zetland propose désormais tous ses articles – quatre à cinq par jour – en format texte et audio. “Il y a cinq ans, toutes nos histoires publiées étaient d’abord textuelles avant d’être audio. Désormais, nous développons des histoires à partir d’enregistrements, qui seront plus tard convertis en articles écrits”, détaille Tav Klitgaard. Le média danois cherche également à tirer parti au maximum de l’expérience que l’audio peut apporter à ses membres. “Initialement, les journalistes entraient dans le studio avec un manuscrit imprimé et se contentaient de le lire. Nous utilisons désormais toutes les possibilités offertes par l’audio : des montages, des sons issus du monde réel, de la musique, des effets sonores…. L’instrument le plus important est la voix humaine”, insiste-t-il. Tous les journalistes de la rédaction sont ainsi formés à la narration orale de leurs histoires. 

Pour accentuer sa production audio, le média danois recrute désormais des profils de producteurs audio. “Ils ne s’occupent pas d’investigation ni de storytelling, mais sont chargés d’utiliser l’audio au maximum de ses possibilités”, précise-t-il. 

Zetland vend aussi sa technologie à d’autres médias comme la publication suédoise Vi.se ou encore le média danois Foresight. “Dans le passé, nous avons vendu le code source de notre logiciel pour que les clients le déploient eux-mêmes, mais nous avons constaté qu’il était plus simple et plus avantageux de le proposer sous la forme d’un outil SaaS avec licence, comprenant l’hébergement, les paiements, la gestion de la relation client et les mises à jour”, indique le directeur général. 

Les résultats

Le média danois compte actuellement 30 000 membres – un chiffre multiplié par 10 depuis 2016 – qui paient une adhésion mensuelle de 129 DKK (17 euros) ou annuelle de 1 290 DKK (173 euros). Pour Tav Klitgaard, il n’y a pas de doute que le lancement des articles audio est un facteur important de cette croissance. “Deux mois après le lancement de notre application, 40 % de la consommation était audio, et moins de six mois plus tard, elle atteignait 50 %. Aujourd’hui, nos membres écoutent bien plus qu’ils ne lisent les articles du jour. La version audio des articles représente 80 % de la consommation”, explique-t-il. 

Les articles audio ont permis à Zetland de se démarquer mais aussi de répondre à un besoin de ses membres, dont l’âge moyen est de 39 ans. “Les membres qui écoutent ont un taux de complétion beaucoup plus élevé que ceux qui lisent. Ils passent plus de temps sur l’article, ils s’engagent davantage. Tous les chiffres nous indiquent que c’est une bien meilleure expérience pour l’utilisateur”, analyse-t-il. 

Parmi les pistes d’amélioration de Zetland, Tav Klitgaard cite l’engagement de ses membres. “L’engagement est souvent lié à l’interactivité : l’écriture de commentaires ou la participation à des quizz, par exemple. Avec le contenu audio, l’interface est plus éloignée et il est plus difficile d’inciter les gens à s’engager par le biais du texte.” Pour améliorer l’interactivité et le partage des articles, plusieurs solutions sont imaginées par l’équipe comme “inciter les membres à revenir plus tard à l’article via un rappel dans leur boîte mail”, ou encore “proposer une autre expérience, cette fois visuelle, de la même histoire par le biais des réseaux sociaux”. 

Et après ? 

Si Zetland se concentre actuellement sur l’optimisation de cet outil, notamment dans le but que d’autres éditeurs puissent l’utiliser, le média a également mis au point un service de transcription, qui s’appuie sur l’intelligence artificielle. Lancée en décembre 2022, la solution, appelée Good Tape, a été conçue pour aider journalistes ou encore chercheurs à retranscrire des entretiens enregistrés. “Nous avons créé cet outil parce que nous en avions besoin en interne et que personne d’autre n’investissait dans ce domaine en langue danoise”, affirme Tav Klitgaard. L’outil semble trouver son public, puisqu’il vient de franchir le cap du million d’heures d’audio transcrites. Initialement conçu en danois, l’outil se destine également à d’autres marchés, en dehors du royaume, comme l’explique Klitgaard : “aujourd’hui, la France est l’un de nos plus gros marchés, car l’outil fonctionne parfaitement en français”.