Accueil > Médias & Audiovisuel > ENQUÊTE – Plusieurs médias français et européens préparent une class action contre Google aux Pays-Bas ENQUÊTE – Plusieurs médias français et européens préparent une class action contre Google aux Pays-Bas Selon nos informations, sept éditeurs d’information français et douze autres médias européens ont donné mandat au cabinet d’avocats Geradin Partners pour agir sur la place d’Amsterdam en réparation financière des pratiques anticoncurrentielles de Google dans les technologies publicitaires. Lagardère, Le Point, Marie Claire, Condé Nast et Le Télégramme, notamment, sont engagés dans cette nouvelle procédure. Plusieurs centaines de millions d’euros de dommages et intérêts seront réclamés. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 06 mars 2025 à 17h47 - Mis à jour le 06 mars 2025 à 18h15 Ressources Bientôt une affaire judiciaire supplémentaire contre Google. Au moins 19 groupes et entreprises médias issus de plusieurs pays européens vont participer à une action collective (class action) contre Google aux Pays-Bas, à Amsterdam, dont sept sont des éditeurs français, a appris mind Media de plusieurs sources concordantes. La procédure, très avancée, sera officiellement enclenchée ces prochains mois, le temps d’achever les dernières expertises juridiques et économiques. Tous ont donné un mandat de représentation au cabinet d’avocats Geradin Partners, qui conduit la procédure. Contacté par mind Media, celui-ci confirme l’initiative et la présence de plusieurs médias français parmi les 19 plaignants, mais ne dévoile pas leur identité. Selon nos informations, les sept groupes médias français sont Le Télégramme, Lagardère, Le Point, Marie Claire, Beaux-Arts Magazine, Studyrama et Condé Nast. La majorité d’entre eux nous ont confirmé leur participation, tout en préférant ne pas communiquer officiellement. Ils agissent aux côtés de douze autres groupes médias issus d’autres pays, notamment de Suède, Finlande et Autriche. ENQUÊTE – Pratiques anticoncurrentielles de Google : pourquoi marques et agences font profil bas Le rôle clé de la sanction de l’Autorité de la concurrence française Les plaignants se prévalent de la décision de juin 2021 de l’Autorité de la concurrence française constatant les pratiques anticoncurrentielles de Google sur le marché des technologies publicitaires de SSP et d’adserving pour les éditeurs d’information. La décision n’a pas été contestée par Google et sa sanction (220 millions d’euros d’amende) a fait l’objet d’une transaction. Les décisions de l’autorité française sont théoriquement exploitables dans d’autres juridictions européennes, et ont déjà été reconnues comme telles par le Tribunal commercial d’Amsterdam. La décision française est confortée par l’enquête de la Commission européenne ouverte en juin 2021, finalisée depuis plusieurs mois, et dont la décision est attendue ces prochaines semaines ou mois, en fonction des relations géopolitiques et commerciales entre l’Union européenne et les États-Unis. Fondé par Damien Geradin et composé de quelques dizaines d’avocats, Geradin Partners est spécialisé en contentieux antitrust et habitué aux class actions. Le cabinet possède cinq bureaux, à Bruxelles, Londres, Amsterdam, et Helsinki et Paris depuis 2024. La structure défend déjà les intérêts d’entreprises de l’adtech en France, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Suisse. Elle assiste également certains d’entre eux dans les enquêtes en cours contre Google auprès de la Commission européenne, du ministère américain de la justice et de l’autorité canadienne de la concurrence. “Comme nous sommes impliqués dans des affaires similaires dans différentes juridictions, nous sommes en mesure d’anticiper et de répondre de manière optimale aux arguments de Google et de bénéficier d’une vision beaucoup plus large de l’économie de l’affaire et de la quantification”, affirment auprès de mind Media Stijn Hujits et Marc Barennes, avocats associés chez Geradin Partners. Le premier est responsable du bureau à Amsterdam et pilote la procédure, le deuxième est responsable du bureau à Paris. Google reconnu coupable de pratiques abusives dans l’adtech aux États-Unis : ce qu’il faut retenir Geradin Partners défend Equativ contre Google en appel Selon nos informations, le cabinet Geradin Partners est devenu cet automne le représentant d’Equativ pour la procédure en appel qui l’oppose devant les tribunaux français à Google pour pratiques anticoncurrentielles dans les technologies publicitaires pour SSP et adserving éditeurs. Lors du procès engagé fin 2021 par la société adtech française devant le Tribunal des activités économiques de Paris, elle était représentée par le cabinet Orrick, Herrington & Sutcliffe. Elle a obtenu en octobre dernier 26,5 millions d’euros de dommages et intérêts sur les 369 millions initialement réclamés, comme mind Media l’a révélé. Equativ et Google ont interjeté appel. Peu après, Equativ a changé de cabinet d’avocats pour choisir Geradin Partners. La procédure devant la Cour d’appel de Paris a débuté et pourrait durer entre 12 et 18 mois. Plusieurs centaines de millions d’euros réclamés La société Litfin, spécialisée en financement des grands contentieux, sera le principal bailleur de fonds de l’opération pour avancer les frais de procédure et d’avocats, ainsi que les expertises économiques. Celles-ci sont indispensables pour chiffrer les préjudices allégués par chacun des plaignants et produire leurs argumentaires de dommages et intérêts. Ces documents, très techniques, sont parfois longs à élaborer pour les très grands éditeurs et peuvent alors atteindre plusieurs centaines de pages. Ces expertises, coûteuses, sont réalisées par le cabinet spécialisé CRA. En l’état, selon nos informations, le montant cumulé des dommages et intérêts de cette class action sera de l’ordre de plusieurs centaines de millions d’euros, et probablement supérieur à 500 millions. Le nombre de médias impliqués dans la procédure et les dommages et intérêts réclamés sont susceptibles d’augmenter d’ici le début de la procédure. Geradin Partners et Liftin poursuivent leur prospection auprès des médias français et européens. Search : Hellowork remporte une victoire judiciaire marquante contre Google devant les tribunaux français Une première action collective déjà en cours Cette class action s’inscrit dans le sillage d’une précédente, annoncée en février 2024 par Geradin Partners sur des fondements identiques, déjà intentée devant le tribunal d’Amsterdam. Celle-là rassemble plus d’une trentaine de médias, issus d’une petite vingtaine de pays (pas la France), dont de très grands éditeurs : Axel Springer, Schibsted, Der Standard, Ringier, Prensa Iberica, Roularta, DPG Media, Mediahuis, Hubert Burda Media, Impresa… Le montant total de dommages et intérêts réclamés est supérieur à deux milliards d’euros. “Les éditeurs qui nous rejoignent avec cette deuxième action bénéficieront des avancées de la première, pour laquelle le tribunal devrait adopter sa décision de recevabilité en septembre ou octobre 2025, indiquent Stijn Hujits et Marc Barennes. Cela profitera aux éditeurs de la deuxième action, car la question de la recevabilité des tribunaux néerlandais aura déjà été tranchée.” Des avantages et des limites Ces actions collectives sont, pour les éditeurs médias, une alternative aux procédures contentieuses individuelles initiées par une dizaine de groupes depuis 2024 – les groupes Figaro, Prisma Media, Les Échos-Le Parisien, Reworld Media, Leboncoin, Dailymotion, etc. – devant le Tribunal des activités économiques de Paris, l’ex-Tribunal de commerce. INFO MIND MEDIA – Technologies publicitaires : Google attaqué en justice par une dizaine de médias français La class action est considérée comme une voie contentieuse plus favorable pour certains éditeurs de petite ou moyenne taille ; “ceux qui ne veulent ou ne peuvent investir du temps, de l’argent et des ressources juridiques dans des procédures individuelles longues, onéreuses et chronophages”, nous confie un éditeur français engagé dans cette deuxième procédure. “C’est intéressant lorsque le montant des dommages et intérêts réclamés est relativement faible du fait d’activités publicitaires modestes”, soit de l’ordre de quelques millions d’euros, souligne un autre dirigeant français membre de l’initiative. Interrogés par mind Media, certains éditeurs et leurs conseils juridiques, membres ou pas de cette class action, émettent également des doutes sur l’expertise juridique et les moyens dont disposent le Tribunal des activités économiques de Paris – des acteurs judiciaires consulaires, non professionnels – pour traiter des litiges aussi pointus et aussi lourds que ceux portant sur le marché de la publicité programmatique. D’après ces acteurs, cela engendrerait des décisions plus aléatoires encore que devant des juges professionnels. Le système juridique français est mis en balance avec l’expertise du contentieux concurrentiel et commercial attribuée aux juges professionnels du Tribunal commercial d’Amsterdam, qui intervient dès la première instance. “Ce sont également des juges qui n’ont pas peur d’accorder des dommages et intérêts très importants aux plaignants chaque fois que cela se justifie. C’est très important dans ces contentieux adtechs complexes et à très forts enjeux pour les plaignants, d’autant que les tribunaux néerlandais ont également l’habitude de traiter des affaires pan-européennes de dommages et intérêts en matière concurrentielle, ce qui est le cas pour beaucoup de nos clients, y compris les éditeurs français, actifs dans plusieurs États membres”, affirment Stijn Hujits et Marc Barennes. La première décision du Tribunal de commerce de Paris dans ce type d’affaire – 26,5 millions d’euros prononcés contre Google en faveur d’Equativ -, rendue en octobre dernier, a d’ailleurs été en partie critiquée par plusieurs avocats interrogés par mind Media, en raison d’une supposée erreur de droit dans le périmètre du préjudice retenu. Malik Idri (avocat à FTPA) : “L’affaire entre Equativ et Google a aussi mis en évidence que les éditeurs médias clients de Google ont été privés d’une concurrence saine” Autre avantage, dans les class actions, l’ensemble du travail procédural est pris en charge par le ou les cabinets d’avocats qui en sont à l’origine, et les frais, importants, sont avancés par des structures financières partenaires. Avocats, experts et structures financières sont alors essentiellement rémunérés par une commission sur les dommages et intérêts obtenus. On parle ici de plus ou moins 20 à 30 % de l’indemnisation totale. Enfin, l’action collective peut offrir plus de chances de conclure un accord transactionnel avec le défendeur que lors d’une action individuelle. Tous ces éléments expliquent les choix effectués par Le Point, Marie Claire, Le Télégramme, Lagardère, Condé Nast, Beaux-Arts Magazine et Studyrama. La procédure de class action recouvre néanmoins des limites, voire des inconvénients. “En donnant un mandat de représentation dans une class action de ce type, l’éditeur perd sa liberté. Il délègue totalement sa stratégie judiciaire, l’éventuelle négociation financière, et il peut perdre le droit de changer d’avis et d’agir de façon individuelle. Par ailleurs, la procédure, s’il elle va au bout, est souvent plus longue que devant les juridictions françaises”, observe un expert juridique interrogé par mind Media. Google désormais habitué des contentieux Cette nouvelle affaire contentieuse, pas plus que les dizaines, individuelles ou collectives, en cours en Europe pour différents motifs, ne fera pas sourciller la direction juridique de Google à Mountain View, habituée à traiter des dossiers autrement plus complexes et dangereux pour les intérêts du groupe. INFO MIND MEDIA – Pratiques anticoncurrentielles dans l’App Store : en échouant à faire condamner Apple aux États-Unis, les médias français font confirmer la compétence des tribunaux français Elle met cependant en exergue la nouvelle position affichée par de nombreux éditeurs : judiciariser leurs relations avec les plateformes, et Google en particulier, pour protéger leurs intérêts. Avec comme objectif l’obtention de dommages et intérêts, ou d’enclencher un rapport de force favorable pour contraindre Google à conclure une transaction financière, comme l’a fait récemment News Corp (famille Murdoch) au niveau mondial, avec un accord “à neuf chiffres”, nous a confié un cadre du groupe média américain. Un levier d’autant plus nécessaire que leurs revenus traditionnels – les ventes et la publicité – vacillent, et que les indemnisations perçues au titre des droits voisins demeurent minimes. En France, les procédures se poursuivent Deuxième voie judiciaire actionnée par certains éditeurs, les actions individuelles en réparation initiées en France par une dizaine de groupes médias contre Google sont toujours en phase d’instruction devant le Tribunal des activités économiques de Paris (ex-Tribunal de commerce). mind Media chronique ces assignations depuis la fin du printemps 2024. Une dizaine de groupes médias, au moins, sont concernés : Le Figaro, Les Échos, Le Parisien, Leboncoin, L’Équipe, RMC BFM Ads, Ouest-France, Prisma Media, Dailymotion, Reworld Media… Ils demandent au total, selon nos informations, entre 1,2 et 1,5 milliard d’euros en réparation de leurs préjudices allégués. Ces contentieux se poursuivent actuellement, avec les échanges de pièces et de conclusions. La plupart verront leur dénouement survenir lors du deuxième semestre. De nouvelles actions pourraient être engagées. Parmi la dizaine de demandes en réparation déjà dévoilées par mind Media : Dailymotion réclame 271 millions d’euros Prisma Media réclame 150,5 millions d’euros L’Équipe réclame 119 millions d’euros, RMC BFM Ads 33 millions d’euros ____Si vous avez des informations à nous transmettre ou des commentaires à apporter sur ce sujet ou d’autres, contactez l’auteur de l’article, jmdm@mindmedia.fr, ou la rédaction. Jean-Michel De Marchi ConcurrenceGoogleJuridiqueplateformesProcès contre GoogleSites d'actualité Besoin d’informations complémentaires ? 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