Accueil > Services bancaires > [Info mind Fintech] La néobanque Kard, abandonnée par Bankable et Okali, en liquidation [Info mind Fintech] La néobanque Kard, abandonnée par Bankable et Okali, en liquidation Une défaillance dans la chaîne de partenaires a plongé plusieurs acteurs du Banking-as-a-Service dans la tourmente. Deux d’entre eux, la néobanque pour ados Kard et la plateforme de BaaS Okali, se sont affrontés devant les tribunaux. Le troisième, la plateforme britannique Bankable, fait l’objet d’une procédure de redressement judiciaire. Par Antoine Duroyon. Publié le 25 septembre 2025 à 7h00 - Mis à jour le 25 septembre 2025 à 14h37 Ressources La plateforme de solutions bancaires via API Bankable a été placée en redressement judiciaire au Royaume-Uni, la néobanque pour les adolescents Kard a été mise en liquidation judiciaire et Okali, plateforme de Banking-as-a-Service (BaaS) détenue par le Crédit Agricole, a fait l’objet d’un jugement en référé, selon les informations de mind Fintech, obtenues à partir d’un ensemble de documents légaux. Ce scénario résulte d’un enchevêtrement de responsabilités et de dépendances qui illustre le virage pris par la finance numérique ces dernières années. Un contrat-cadre avec Bankable Pour bien comprendre les ressorts de l’affaire, il faut en retracer la chronologie. Kard, cofondée en 2019 par Scott Gordon et Amine Bounjou, a signé en mars de la même année un contrat-cadre de prestation de services bancaires d’agence avec Bankable. La néobanque pour les mineurs s’appuie alors sur la fintech britannique pour sa solution de core banking system (CBS). Bankable facture directement Kard. En juillet 2019, la structure change : Kard devient distributeur de monnaie électronique pour le compte de la SFPMEI (renommée par la suite Okali après le rachat, en 2022, de l’activité de BaaS par le Crédit Agricole). La néobanque s’appuie donc sur l’agrément de la SFPMEI, cette dernière ayant notamment à sa charge le back-end, dont le core banking system toujours fourni par Bankable, tandis que Kard gère le front-end et la relation client. Dès lors, c’est la SFPMEI qui devient cliente directe de Bankable, et non plus Kard. En juin 2020, la SFPMEI, émettrice de monnaie électronique, signe un contrat-cadre de services (master services agreement ou MSA) avec Bankable qui fournit sa solution de CBS dans le cadre d’une offre packagée. Ce contrat est similaire à celui de 2019, mais il est conçu pour permettre à la SFPMEI de “loger plusieurs mandataires”. Outre Kard, la plateforme de gestion des dépenses d’entreprise Spendesk et la néobanque pour les indépendants Blank (Crédit Agricole) profiteront de cette offre. De fait, la SFPMEI dépend de Bankable, en tant que prestataire externe, pour le CBS, une activité critique. Reprise de Kard Jusqu’en 2024, Kard se développe et résiste sur un marché des néobanques pour les adolescents concurrentiel, marqué par les disparitions de Vybe et de Xaalys. Avec un modèle devenu exclusivement payant dès 2020, elle revendique plus de 200 000 utilisateurs (parents compris), mais le nombre de clients se compte tout au plus en quelques dizaines de milliers. À l’été 2024, l’entreprise est placée en redressement judiciaire puis rachetée peu après par un duo de repreneurs comprenant Éric Lassus, cofondateur et ancien CEO de Treezor, et Julien Delamorte, CEO de Handsome. [Info mind Fintech] Éric Lassus, cofondateur de Treezor, prend le destin de Kard en main Les repreneurs présentent alors “un projet industriel global par intégration de la société Kard au sein d’une nouvelle société holding, qui sera amenée à jouer un rôle actif et stratégique en agrégeant non seulement la partie fintech mais également d’autres expertises comme le marketing et le juridique”. Ils tablent pour Kard, logée au sein d’une nouvelle société éditrice (Kardly), sur une atteinte du point d’équilibre en 2026 et un chiffre d’affaires multiplié par dix à cette échéance. Bankable sort du jeu La mécanique s’enraye lorsque, fin 2024, Bankable utilise le changement de contrôle de Kard, avec la reprise par Kardly, comme fenêtre contractuelle de résiliation du MSA. La plateforme et les repreneurs de Kard travaillent sur une sortie ordonnée afin de limiter les perturbations et d’assurer la continuité du service. Plusieurs options se dégagent, parmi lesquelles l’acquisition d’une licence perpétuelle ou même la reprise par Kardly de la plateforme technique de Bankable, révèlent les documents analysés par mind Fintech. Ces discussions n’iront jamais à leur terme. Selon nos informations, la plateforme de core banking en mode SaaS Skaleet a également soumis à Okali un projet de poursuite de l’activité de Kard via sa solution. Une proposition repoussée par l’acteur agréé. Le Banking-as-a-Service est-il un modèle risqué ? Okali résilie son contrat avec Kardly Les repreneurs de Kard obtiennent finalement en justice le code source de Bankable, qu’ils modifient également. “Kardly a repris la main sur son infrastructure. Nous avons fait notre travail sur la partie technique et la société avait amorcé un cycle de croissance très prometteur à peine quatre mois après son redémarrage [en février 2025, la société recrutait 2 000 familles par mois, Ndlr]”, explique Éric Lassus, CEO de Kardly, à mind Fintech. Mi-avril 2025, cependant, nouveau rebondissement du côté de l’autre maillon de la chaîne. Okali notifie à Kardly la résiliation immédiate de leur partenariat et son souhait de ne pas redéfinir leur relation commerciale en ce qui concerne le back-end. La plateforme de Banking-as-a-Service n’invoque pas de contraintes techniques, mais justifie sa décision par le non-respect de la réglementation LCB-FT. La tenue d’un comité de crise début avril n’a pas suffi à éviter le blocage. Kardly obtient gain de cause en référé En réaction, Kardly assigne Okali en référé afin de contraindre la plateforme de BaaS à honorer les prestations de back-end et à “assurer le bon fonctionnement de l’API permettant la commercialisation et la distribution de la monnaie électronique”. Dans une ordonnance de référé rendue le 13 mai 2025, le tribunal des activités économiques de Paris reconnaît un tort causé à Kardly. Le tribunal constate l’absence dans le dossier de plaidoirie de preuves documentées des manquements dans le KYC (connaissance client), l’absence d’audit, ainsi que des déclarations à l’audience qui ne correspondent pas avec les termes de la lettre de résiliation. En particulier, Okali a indiqué devant le tribunal que la résiliation du contrat ne visait que les nouveaux clients, alors que son courrier mentionnait l’intégralité de la prestation, et que le CBS ne relevait pas de ses obligations envers Kardly (voir encadré). Le positionnement singulier d’Okali dans l’univers du BaaS Okali constitue un cas à part dans l’univers du Banking-as-a-Service. Contrairement à ses concurrents, la plateforme du Crédit Agricole n’intègre pas de core banking system (CBS) dans son offre. “Nous sommes agnostiques sur le choix du CBS de nos agents (in-house, de marché etc.), tant que celui-ci respecte notre cahier des charges”, peut-on lire sur le site internet de la société. Cette particularité a conduit Okali à plaider devant la justice qu’elle n’était pas responsable du CBS. Une thèse rejetée par le tribunal : “la prestation fournie par Okali à Kard, puis à Kardly, inclut le CBS”, a-t-il tranché, considérant que le MSA conclu entre la SFPMEI et Bankable en 2020 s’est substitué, en ce qui concerne Kard, à celui conclu entre Kard et Bankable en 2019. Autre singularité : Okali délègue l’ensemble des contrôles de niveau 1 à l’agent. “Notre positionnement est de donner la souveraineté aux fintech en les laissant garder la main sur l’expérience client”, expliquait Alison Alonso, directrice générale d’Okali, à mind Fintech en novembre 2024. Ce modèle est vivement critiqué par Bankable, qui estime avoir assumé des responsabilités dépassant son champ d’intervention. “Ce contentieux porte sur un différend commercial et s’appuie sur des griefs réglementaires très sérieux soulevés par Bankable concernant la possibilité pour Okali (EME agréé par l’ACPR), de recourir à un délégataire non-agréé [Bankable, Ndlr] en lui sous-traitant son activité et ses missions de compliance sans aucun contrôle ni encadrement, déclare à mind Fintech Nathanaël Majster, avocat mandaté par les administrateurs. Outre le préjudice causé à Bankable et pour lequel réparation est demandée, il s’agit d’un véritable débat de place qui est soulevé au sujet de la régulation des EME. Les administrateurs de Bankable saisiront prochainement les autorités bancaires et les organismes professionnels pour que des réponses soient apportées à ces questions“. L’activité de Kard maintenue jusqu’en novembre Reconnaissant un “dommage imminent” et un “trouble manifestement illicite” pour Kardly, le tribunal ordonne la suspension des effets de la lettre de résiliation et la poursuite de l’exécution du contrat, sous peine d’astreinte. Il condamne également Okali à verser 5 000 euros à Kardly en vertu de l’article 700 du Code de procédure civile. Mais il est déjà trop tard pour la société éditrice de Kard. Le 11 septembre 2025, le tribunal de commerce d’Évreux prononce la liquidation judiciaire de Kardly, estimant son redressement manifestement impossible. La justice autorise néanmoins le maintien de l’activité jusqu’au 11 novembre 2025 “pour permettre de prévenir et rembourser les clients”. Les juges constatent un passif exigible de près de 267 000 euros, sans aucun actif immédiatement disponible. Ils retiennent le 1er mai 2025 comme date de cessation des paiements, “correspondant aux premières factures impayées”, soit quinze jours après la rupture du partenariat par Okali. Selon les informations de mind Fintech, c’est également à cette période, le 6 mai 2025, que Bankable entre au Royaume-Uni en procédure d’administration, confiée à RG Insolvency (voir encadré). Bankable : le déclin d’un pionnier du BaaS Figure historique du BaaS en Europe, Bankable a largement contribué à l’essor du segment puis à sa consolidation. Mais l’expansion de ses clients se retourne contre la société : certains abandonnent la solution Bankable pour développer une infrastructure propriétaire. C’est le cas de la plateforme de gestion des dépenses d’entreprise Spendesk et de la néobanque pour les indépendants Blank. En juin 2023, Bankable annonce l’acquisition d’Arex, une plateforme de finance embarquée mêlant affacturage et crédit de trésorerie, pour se positionner sur le Lending-as-a-Service. Dans ses comptes de l’exercice 2023, publiés en octobre 2024, la société mentionne un premier accord de cession d’une licence perpétuelle en septembre 2024, pour un montant de 4,5 millions de livres sterling (5,17 millions d’euros). Pour la même année, le chiffre d’affaires s’élève à 25,4 millions de livres (29,5 millions d’euros), et la perte nette atteint 9,4 millions de livres (10,9 millions d’euros), contre 3,7 millions de livres (4,3 millions d’euros) en 2022. Fin 2024, Bankable est étranglée financièrement. La société cumule un levier coûteux : environ 4,5 millions d’euros de dettes d’investisseurs privés rémunérées à 1,5 % par mois, avec un principal exigible en juin 2025, et 1,8 million d’euros prêtés par le fondateur. À ce mur de dettes s’ajoute une incertitude capitalistique : des obligations convertibles souscrites par Visa, d’un montant porté à près de 5 millions d’euros, ont vu leur droit de conversion prorogé jusqu’au 2 novembre 2025. Les dirigeants de Kardly demandent réparation Cette affaire illustre l’état du BaaS en 2025 : une rupture dans la chaîne des partenaires essentiels reste une vulnérabilité majeure. “C’est la défaillance d’un partenaire critique sur la chaîne qui nous contraint à arrêter l’activité, alors que nous devions lever des fonds, regrette Éric Lassus. Dans ce contexte, Kardly a d’ores et déjà entrepris les démarches nécessaires auprès des autorités compétentes et d’autres seront également introduites très prochainement. La société se retrouve désormais contrainte d’engager l’ensemble des actions, y compris judiciaires, nécessaires à la réparation de son préjudice. Pour des raisons de confidentialité, Kardly ne communiquera aucun détail supplémentaire à ce stade”. Le dirigeant évoque par ailleurs des marques d’intérêt pour “un très bel actif, qui comprend désormais non seulement le front-end, mais aussi du back-end”. Le litige rappelle la nécessité d’auditer certaines clauses critiques : obligations de continuité de l’émetteur (et ses droits d’intervention chez le sous-traitant), plan de sortie (exit plan), escrow/source code, réversibilité des données, délais et responsabilités en cas de résiliation unilatérale du sous-traitant… DORA en renfort Il souligne enfin qu’une plateforme de BaaS ne peut pas se décharger de ses obligations contractuelles sur un sous-traitant. Ces exigences sont d’ailleurs réaffirmées ou introduites par le règlement européen DORA (Digital operational resilience act), entré en vigueur en janvier 2023 et applicable depuis janvier 2025. Le texte insiste sur la notion de responsabilité intransférable, standardise et impose les clauses contractuelles avec des tiers critiques et formalise la gouvernance opérationnelle. Enfin, DORA instaure un régime de supervision directe des prestataires tiers critiques au niveau européen. DORA : l’écosystème financier est-il conforme ? Contactée, Okali n’a pas souhaité commenter le litige avec Kardly. “Le sujet de la continuité d’activité de nos agents/prestataires et des migrations est un sujet important que nous suivons conjointement avec eux et dans le respect de la réglementation. La réglementation DORA vient renforcer la réglementation PSEE [prestations de services essentiels externalisés, Ndlr] et les guidelines de l’EBA [Autorité bancaire européenne, Ndlr] sur le sujet, et sont toutes deux d’une grande pertinence pour nos activités. En cas de signes de défaillance de nos agents ou de leurs prestataires, nous définissons de concert avec eux des scénarios possibles de migration”, déclare à mind Fintech Alison Alonso, directrice générale d’Okali. Antoine Duroyon banking-as-a-servicenéobanque Besoin d’informations complémentaires ? 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