Accueil > Industrie > Frédérique Debroucker (Medtronic) : “Il faut tendre vers une approche transverse de rémunération à la qualité” Frédérique Debroucker (Medtronic) : “Il faut tendre vers une approche transverse de rémunération à la qualité” Via leur smartphone et objets personnels connectés, les patients partagent plus ou moins consciemment leurs données de santé aux GAFAM, tout en étant parfois réticents à le faire dans le cadre de la recherche. Les industriels, eux, constituent des registres de données, ce qui est chronophage et onéreux. Ils rechignent donc souvent à les partager. Comment valoriser et mieux exploiter les données de vie réelle pour améliorer le parcours patient ? mind Health a interrogé Frédérique Debroucker, directrice économie de la santé et remboursement chez Medtronic, un des géants des dispositifs médicaux. Par Camille Boivigny. Publié le 26 avril 2022 à 23h44 - Mis à jour le 27 avril 2022 à 10h01 Ressources Comment Medtronic se prépare au Data Act de la Commission européenne pour harmoniser les règles d’accès et de partage des données générées notamment par des dispositifs médicaux ou objets connectés ? Frédérique Debroucker : Ce nouveau texte concerne les endroits où doivent être hébergées les données de santé et leurs modalités d’accès. Par exemple, les données de santé de vie réelle collectées via des plateformes de télésurveillance en font partie. Quant à l’environnement européen des données de santé et leur gouvernance, il faut considérer plusieurs niveaux de régulation. Lorsque l’on collecte des données dans le cadre d’un soin en vie réelle, plusieurs éléments sont à prendre en compte. Tout d’abord, l’industriel n’a jamais accès à l’identification formelle du patient. Ensuite, cette identification du patient par plusieurs professionnels de santé, voire l’identité de ces professionnels, est extrêmement différente d’un pays à l’autre. Face à cette problématique de différence de numéro de Sécurité sociale en France et aux Pays-Bas, Medtronic a réfléchi à ce que nous pouvions mettre en place pour que nos dispositifs médicaux numériques s’adaptent aux différents systèmes européens. Il est vain de penser que l’interopérabilité sera immédiate, mais les États membres peuvent définir des socles communs sur lesquels nous pourrions ‘brancher’ nos connecteurs. Notre équipe IT s’appuiera sur les terminologies de Snomed International pour préparer cette interopérabilité. Constituez-vous des entrepôts de données ou des bulles sécurisées pour traiter et analyser vos data ? Notre métier est de mettre en place des plateformes digitales associées à leurs DM ou thérapies. Nous sommes certifiés hébergeur de données. En Europe, nous travaillons essentiellement avec des prestataires de bulles sécurisées. Il y a quelques années, nous avions travaillé en direct sur les données du PMSI [Programme de médicalisation des systèmes d’information] en disposant d’une bulle sécurisée publique (le centre d’accès sécurisé aux données, CASD). Nous pouvons également collaborer avec des consultants externes qui nous fournissent ce type de bulle, effectuent pour nous un travail sur les données puis nous les reversent. Nous ne sommes donc pas créateurs d’entrepôts de données massives en tant que tels. En revanche, nous générons de la donnée. Ce qui nous intéresse, c’est de travailler sur l’épisode de soins dans l’ensemble du parcours patient. Auriez-vous un exemple illustrant vos travaux à partir de données de vie réelle ? Nous menons l’expérimentation “Baria-up” dans le cadre de l’article 51. Cela porte sur la prise en charge de patients obèses qui viennent d’être opérés d’une chirurgie bariatrique. Comme cela modifie la façon dont les éléments vont être absorbés et assimilés par l’organisme, une prise en charge et un accompagnement pluridisciplinaire sont nécessaires avant, pendant et à long terme après la chirurgie. Actuellement, la moitié de ces patients sont perdus de vue, ce qui implique un risque de complications. Avec trois CHU –Lille, Toulouse et les Hospices civils de Lyon– et trois centres SSR [soins de suite et de réadaptation, ndlr], nous proposons une prise en charge coordonnée entre tous ces établissements pour préparer le patient à la chirurgie puis le suivre à cinq ans. L’objectif est d’améliorer l’observance, qu’elle passe de 50 à 80 %. Medtronic fournit une plateforme de télésuivi et une solution digitale, Get Ready (développée avec la start-up française Maela) qui est utilisée par les patients. Ils y reçoivent des rappels de rendez-vous, du contenu éducatif, des questionnaires sur leur qualité de vie etc. Cela permet d’évaluer l’observance, le produit Medtronic [DM], les ressources utilisées, les complications. Avec ce type d’approche, nous utilisons les données de vie réelle avec pour objectif, à terme, de pouvoir connecter les données collectées via nos plateformes avec des systèmes d’EDS hospitaliers et le SNDS. Concrètement en France, comment accédez-vous aux données du SNDS ? Concernant la problématique d’accès à ces données du SNDS et de l’Assurance maladie, il est aujourd’hui gratuit pour l’industriel. La mise en place du Health Data Hub (HDH), à qui l’on paie des services, permettra de créer un modèle économique beaucoup plus vertueux et donc de disposer de plus de ressources comme des ingénieurs qui pourront extraire ces données du SNDS pour travailler dessus par exemple. Constituer des registres est onéreux et chronophage et obtenir une autorisation Cnil, souvent laborieux. Avez-vous pu effectuer ce chaînage au SNDS ? Exploiter les données de santé dans leur amplitude totale pour les connecter au SNDS est compliqué car les systèmes d’interopérabilité entre les différents acteurs ne sont pas stabilisés. Une volonté commune est nécessaire pour aboutir au partage des données et à la confiance des acteurs. Mais c’est faisable : nous participons à une recherche hospitalo-universitaire du Pr Eltchaninoff du CHU de Rouen avec la Société française de cardiologie portant sur l’amélioration de la prise en charge des patients atteints de sténose aortique. Le registre de suivi des valves percutanées aortiques, France TAVI, peut être connecté au logiciel outil du cardiologue à l’hôpital et avec les données du SNDS. Comment utiliser les données pour transformer le parcours de soins ? Actuellement, le financement du parcours de soins d’un patient atteint d’obésité comprend la prise en charge des coûts de la chirurgie, d’infirmière, de kinésithérapie, d’un psychologue, de médicaments et autres produits de santé. Au final, c’est au patient de coordonner son parcours et chacun des acteurs de sa prise en charge est financé à l’acte et à la quantité de ce qu’il produit. Cela nécessite des données. Un des objectifs de Baria-up consiste à essayer de tout intégrer au sein d’un parcours dont chaque acteur ne sera pas rémunéré à l’acte mais selon des critères de qualité, en l’occurrence l’observance du patient, indiquée notamment par l’absence de complications. Un acteur unique gère le forfait et le répartit auprès des autres sur une partie du parcours. L’idée est réellement d’utiliser ces expérimentations via l’article 51 et leurs données de résultats pour démontrer l’intérêt de travailler différemment, en passant d’une approche comptable (à la quantité) à une approche prospective (à la qualité) et provoquer un changement de culture et de mentalité. Sur quels modèles vous basez-vous ? L’expérimentation actuelle est basée sur le modèle de ce qui avait été réalisé aux Pays-Bas, où la population correspond à celle d’une région de France et où le système de santé est complètement intégré : les médecins par exemple, ne sont pas payés à l’acte mais salariés de cliniques. Nous avons donc dû totalement remanier le schéma de l’expérimentation pour pouvoir l’adapter au système de santé français. L’objectif est d’adopter l’approche la plus ‘factualisée’ possible, basée sur des données, pour faire émerger les évolutions souhaitées par rapport au système actuel. Il s’agit au final d’améliorer la qualité et la pertinence de la prise en charge. Medtronic est une société américaine, dont le siège est désormais en Irlande. Qu’en est-il vis-à-vis du Cloud Act et le Data Act ? Le siège historique de Medtronic est effectivement aux États-Unis. Concernant les différents Acts, nous disposons d’une approche en termes d’hébergement de données de santé sécurisé à différents niveaux et à différents endroits dans le monde -en Allemagne par exemple- et nous respectons le RGPD et les différents éléments en vigueur dans les pays où nous exerçons. Nos serveurs sont dans l’Union Européenne sans accès de nos filiales et de nos partenaires situés sur le territoire des États-Unis aux données à caractère personnel. Existe-t-il un équivalent du HDH et du SNDS aux USA ? Croisez-vous des données françaises et américaines ? Aux USA, Medtronic a accès aux données du CMS collectées par Medicare et Medicaid. L’accès est plus ouvert qu’en Europe, les interactions sont assez directes. Nous travaillons sur ces données depuis des années pour réaliser des études de suivi médico-économiques ou de développement de prise en charge. Les critères morphologiques américains étant si différents des européens que l’on utilise peu ces données américaines. Il en est de même quant aux données médico-économiques : les systèmes de santé sont financés différemment donc il ne serait pas pertinent de les croiser. Quel modèle économique de la donnée imaginez-vous pour la monétiser et répartir équitablement sa valeur ? Cette problématique fait partie de la réflexion mise en place dans le cadre du comité stratégique de filière (CSF). Un producteur de données en réalise la collecte, l’analyse et s’assure de leur bonne qualité. Il les maintient et les “entretient” dans des entrepôts de données, ce qui représente un véritable coût et peut justifier le souhait d’en retirer des bénéfices. À partir de ces données, un utilisateur peut élaborer et nourrir un algorithme. La problématique, imagée, revient au fait d’avoir acheté des données comme lorsque l’on achète une robe : on les utilise de différentes façons. Il faut donc que le modèle économique permette au producteur de continuer à générer des données de bonne qualité et à les développer; et à l’utilisateur de savoir ce qu’il achète et pouvoir utiliser ces données sans être “freiné” par des royalties. Les discussions sont encore en cours. Un producteur de données peut exprimer le souhait de bénéficier de l’usage qui sera fait de sa donnée traitée par l’IA embarquée dans un DM par exemple. Comment intégrer cette valeur ajoutée dans le dossier déposé à la HAS pour un dispositif obtenant une ASA 2 (Amélioration du Service Attendu, ndlr) ? Il est très difficile de calculer la composante de la valeur ajoutée par l’IA. Comment intégrer ce modèle économique et ces valeurs ajoutées au sein du système de santé ? Pour l’industriel, l’enjeu réside dans l’intégration de ces données ou les résultats de jeux de données dans un remboursement. Ce qui fera la différence, c’est l’efficacité à long terme. Or, si l’on veut que les données soient de bonne qualité, il faut souvent les restructurer et les retravailler, ce qui nécessite de la ressource. Globalement, il existe plusieurs approches de financement. En France, on finance le médecin à l’acte, l’hôpital via le groupement homogène de séjour (GHS), l’industriel par le prix de son DM. Les données sont incluses dans le prix du produit -qui peut intégrer du numérique- qu’on rembourse. Il existe désormais de nouvelles modalités de prise en charge par télésurveillance. En résumé, on découpe la valeur en morceaux. Comment procéder autrement ? L’alternative pourrait être d’intégrer cet ensemble de valeur dans un forfait d’épisode de soins qui rémunèrerait tous les acteurs. C’est un Graal qui impliquerait que ces derniers soient inclus dans la même organisation de soins. Qu’ils évoluent dans des organisations différentes complique le schéma car en tant qu’industriel, je vends un produit à un fournisseur de soins, lequel emploie des professionnels de santé salariés. Il ne s’agit plus du système de médecine libérale, de tarification à l’acte et à l’activité puisque ce que l’on paie au forfait peut être une hospitalisation ou une prise en charge à domicile par exemple, incluant différents DM intégrés dans le parcours. Dans ce système de paiement au forfait, il incombe aux acteurs de s’organiser entre eux. Or, en France, ce n’est pas encore fluide. Ce système de forfait existe dans des pays plus petits comme en Israël ou aux Pays-Bas. Les prises en charges tiennent compte de la démographie des pays. En France on essaie d’évoluer à travers l’article 51. Medtronic a-t-elle des bases de données open source partageables sur le futur espace européen des données de santé ? Ouvrir nos données à l’extérieur nécessite une réelle réflexion, les données d’études cliniques notamment. Car les données que l’on va recueillir dans le cadre d’un soin, les données de vie réelle, seront à terme partagées par le patient sur Mon espace santé et seront utilisables, c’est quasiment acté. Pour les données cliniques, si l’on veut que les industriels, de même que les producteurs de données à l’hôpital, ouvrent un peu plus leurs données, il faut une réflexion sur le modèle économique et les ressources nécessaires pour pouvoir le faire. On y travaille, notamment dans le cadre du comité stratégique de filière santé et IA. Un nouveau groupe mené par le laboratoire Roche vient d’être créé pour améliorer ce partage. Medtronic y participe. Frédérique Debroucker Directrice – Économie de la santé et remboursement chez Medtronic (depuis mars 2009) Spécialiste – Économie de la santé et remboursement chez Medtronic (mai 2005 – février 2009) Chef de produit stimulation cardiaque chez Medtronic (mars 1998 – avril 2005) Diplômée d’Ingénierie en génie biologique de l’Université de Technologie de Compiège Master 2 Économie et gestion de la santé de l’Université Paris Dauphine Medtronic – chiffres-clés pour l’année 2021 72 millions de personnes traitées Plus de 90 000 employés Présent dans plus de 150 pays 43 laboratoires et sites R&D Chiffre d’affaires : 30,1 Mds $ Camille Boivigny base de donnéescardiologieDispositif médicalDonnées cliniquesDonnées de santédonnées de vie réelleDonnées privéesEuropeHealth data hubHôpitalIntelligence ArtificielleLaboratoiresmédecinPatientRèglementaireRGPDSystème d'informationTélésurveillanceusa Besoin d’informations complémentaires ? 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