Accueil > Médias & Audiovisuel > Droits voisins : Google fait quelques concessions. Trop tard avant une sanction ? Droits voisins : Google fait quelques concessions. Trop tard avant une sanction ? Près de deux ans après le vote de la loi française prévoyant la rémunération de l’indexation des contenus des éditeurs de presse d’information et des agences de presse par les plateformes, le dispositif n’est toujours pas appliqué. Google, premier acteur visé, qui a trouvé un accord avec l’APIG, défend sa bonne foi et la difficulté à mettre en œuvre la loi plus largement. Après avoir temporisé, le groupe fait quelques propositions. Mais les éditeurs et agences sont profondément divisés et les négociations sont bloquées. L’Autorité de la concurrence devrait intervenir prochainement pour arbitrer. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 02 juillet 2021 à 9h09 - Mis à jour le 21 juin 2022 à 12h15 Ressources Selon plusieurs acteurs concernés, l’Autorité de la concurrence devrait se prononcer dans les tout prochains jours sur la plainte déposée contre Google en septembre 2020 par le Syndicat des éditeurs de presse magazine (SEPM). Celui-ci met en avant le non respect des injonctions faites par l’instance en avril 2020 : elles obligeaient le groupe américain à négocier “de bonne foi” et “dans un délai de trois mois” – jusqu’en septembre 2020 – avec les éditeurs et agences de presse pour la mise en application des droits voisins. L’attente de cette décision a figé depuis plusieurs semaines les négociations entre Google d’un côté, et les différentes associations d’éditeurs et l’AFP de l’autre. Logiquement, l’application de l’accord cadre signé avec l’APIG – le seul conclu jusque-là – est également suspendue à cette décision, comme le souligne Challenges, puisque l’Autorité pourrait revenir dessus ou l’amender. L’Autorité de la concurrence est régulièrement en contact avec l’ensemble des parties depuis maintenant 18 mois pour suivre l’application de la loi sur les droits voisins et l’avancée des négociations. Selon une information de Reuters publiée en février dernier, un rapport interne rédigé au sein de l’Autorité de la concurrence a estimé qu’en signant un accord uniquement avec l’APIG, Google n’avait pas respecté son ordonnance sur les droits voisins d’avril 2020 ; celle qui imposait à la fois un cadre collectif de négociations, un délai de trois mois pour trouver un accord, et la transmission aux éditeurs de l’ensemble des données nécessaires pour négocier. Quelques jours plus tard, l’AFP ajoutait que ledit rapport donnait crédit à la requête déposée ensuite par le SEPM et recommandait à l’organe de prononcer contre Google une amende “dissuasive pour l’avenir”. Le rapport faisait état de manquements d’une gravité “tout à fait exceptionnelle” et proposait une astreinte “suffisamment dissuasive pour une entreprise telle que Google”. Google fait des propositions Il serait surprenant que l’Autorité déjuge aujourd’hui les conclusions de ses enquêteurs. Devançant sans doute une décision qui ne sera pas à son avantage, le groupe américain a fait évoluer sa position ces dernières semaines et a présenté à ses interlocuteurs deux engagements afin de “recréer de la confiance”, comme l’a dit plusieurs fois son directeur général France Sébastien Missoffe dans différentes prises de parole. Le premier de ces engagements porte sur la reconnaissance de l’application des droits voisins pour les agences de presse et les éditeurs de presse qui éditent une publication ou un service de presse en ligne reconnu comme tel. C’est effectivement ce que prévoit la loi française sur le droit voisin votée à l’été 2019. Mais c’est une nouveauté, puisque jusqu’à récemment Google restait campé sur une application uniquement pour les éditeurs et agences disposant du statut de presse d’information politique et générale (IPG). Ce statut, attribué par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP), est restrictif : il n’est possédé que par 572 médias en France, essentiellement des publications de presse imprimée, dont la majorité ont un tirage faible et peu ou pas de présence en ligne, et ne sont donc pas concernés par la loi. A l’inverse, la grande majorité des médias d’information et de services de presse en ligne, que la loi veut protéger, ne détiennent pas ce label IPG. Cette question du champs d’application de la loi est un point bloquant entre Google et tous ses interlocuteurs – en dehors de l’APIG avec qui un accord a été trouvé puisque tous sont IPG – depuis l’ouverture des négociations. Pourtant, si la loi votée établit une hiérarchie possible entre les acteurs de l’information dite IPG et non IPG pour fixer le montant de la rémunération perçue, elle n’exclut pas les acteurs non IPG du champ d’application des droits voisins. Elle renvoie à une “publication de presse ou un service de presse ligne” reconnu comme tel. Ce statut de service de presse en ligne est lui aussi attribué par la CPPAP – on en comptait un peu plus de 1 220 en France en mai 2021. Il ne suffit pas à lui seul à délimiter le champ d’application de la loi, mais pourrait servir de base à des négociations plus sérieuses. Comment calculer la rémunération versée par les plateformes à chaque éditeur ou agence indexé ? “La fixation du montant de cette rémunération prend en compte des éléments tels que les investissements humains, matériels et financiers réalisés par les éditeurs et les agences de presse, la contribution des publications de presse à l’information politique et générale et l’importance de l’utilisation des publications de presse par les services de communication au public en ligne”, indique la loi sur les droits voisins de 2019. La question des agences de presse est plus délicate, particulièrement pour l’AFP. La loi leur ouvre clairement l’application du droit voisin pour la reprise de leurs dépêches par une plateforme, mais le fondement législatif semble parfois inopérant pour leur activité. En effet, contrairement à Reuters par exemple, des agences – particulièrement l’AFP – ne disposent par d’un site média propriétaire sur lequel leurs contenus sont publiés. Les dépêches de l’AFP sont par exemple acquises par des médias en ligne via des licences. Elles sont mises en ligne sur leurs sites, parfois en large partie modifiées et complétées. C’est donc un contenu publié en ligne par le site média qui est indexé par Google plutôt qu’une dépêche de l’AFP directement indexée par Google. Le groupe américain s’appuie sur ce paradoxe et refuse de reconnaître le droit voisin à l’AFP, pour ne pas “payer deux fois” le même contenu : une fois au média en ligne et une fois à l’AFP. D’où le “partenariat commercial” – un système de rétribution – que propose jusqu’ici Google à l’agence plutôt qu’un droit voisin. Une loi floue, des modalités d’application parfois peu évidentes Google peut s’abriter derrière des éléments législatifs parfois imprécis du droit voisin et une mise en pratique qui s’avère complexe. Il négocie également avec certaines associations d’éditeurs (SEPM, FNPS) dont la composition est hétérogène : certains membres sont clairement des titres en ligne à portée politique et générale, quand d’autres sont des titres spécialisés ou sans publication en ligne, donc en dehors du champ d’application de la loi. Mais ces 12 derniers mois, Google ne s’est souvent pas montré pressé de trouver une solution, si ce n’est de proposer des partenariats commerciaux. À plusieurs reprises, les élus du Parlement qui sont à l’initiative de l’écriture de la loi et en charge du suivi de son application ont stigmatisé sa “mauvaise foi”. Pour faire acte de transparence, Google présente une deuxième proposition : la désignation d’un acteur indépendant pour faire le lien entre lui et les éditeurs d’informations et les agences. Cet acteur agirait comme tiers de confiance dans les négociations entre le groupe et ses interlocuteurs. Il aurait accès aux données détenues par Google qui permettent de déterminer la valeur du référencement des contenus des médias d’information et des agences et donc de calculer la rémunération des éditeurs et agences. Ce serait l’un des grands cabinets de conseil et d’audit. Dans sa décision d’avril 2020, l’Autorité imposait en effet à Google de “communiquer aux éditeurs et agences de presse entrant en négociation les éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération due, et ce conformément aux dispositions de l’article L. 218-4, alinéa 3, du CPI”. Il s’agit des éléments d’information “relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers”, ainsi que “tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente” de la rémunération et de sa répartition. Quelles sont les données que doivent transmettre les plateformes ? “Les services de communication au public en ligne sont tenus de fournir aux éditeurs de presse et aux agences de presse tous les éléments d’information relatifs aux utilisations des publications de presse par leurs usagers ainsi que tous les autres éléments d’information nécessaires à une évaluation transparente de la rémunération mentionnée au premier alinéa du présent article et de sa répartition”, indique la loi sur les droits voisins de 2019. Sur ce point, Google indiquait jusque-là avoir apporté les éléments nécessaires, alors que différents éditeurs interrogés ces 12 derniers mois estimaient, eux, que les données fournies étaient absentes ou largement insuffisantes. L’accès à des données précises détenues par Google pour évaluer la valeur des contenus médias référencés, et donc avoir des bases objectives et partagées pour déterminer la rémunération des agences et éditeurs, est central. Il peut s’agir des revenus générés, de la data accumulée, du trafic entrant et sortant sur ces liens indexés, etc. Lors de leurs demandes de mesure conservatoire déposées en avril 2020 devant l’Autorité de la concurrence, l’APIG et l’AFP avaient déjà proposé à l’instance de désigner un mandataire indépendant afin de superviser le bon déroulement de la négociation, et particulièrement ce type de détails ; une solution qui n’avait finalement pas été retenue. Google propose donc non pas de partager directement des informations à ses interlocuteurs, mais d’intégrer au dispositif un intermédiaire certificateur. Une nouveauté certes, mais qui peut aussi s’apparenter comme un aveu d’échec dans ses velléités initiales de nouer un dialogue direct, transparent et en confiance avec ses interlocuteurs. Une lourde sanction contre Google ? Si son directeur général en France, Sébastien Missoffe, a reconnu le 23 juin, lors d’une audition par des sénateurs, que “nous aurions pu faire mieux”, Google met en avant sa “bonne foi”. Vingt personnes auraient été mobilisées entre Paris et les Etats-Unis, plus de 200 rendez-vous organisés avec les éditeurs et agences, débouchant sur “plusieurs propositions”, parfois améliorées, et la transmission de données jugées suffisantes. C’est effectivement la “bonne foi” du groupe qui va être examinée. Il n’est pas certain que ces chiffres et ses dernières propositions soient jugés suffisants par l’Autorité de la concurrence. Surtout après le rapport interne à charge de ses enquêteurs. Parmi les sanctions possibles, si elle choisit cette voie, l’Autorité peut d’abord annuler – ou amender – l’accord noué entre Google et l’APIG, et contraindre tous les acteurs à une négociation collective, comme la loi l’indique. Elle peut prononcer une amende, dont le montant maximal s’élève à 10 % du chiffre d’affaires mondial de l’entreprise visée hors taxes. Celui-ci s’est élevé pour Google à 182,5 milliards de dollars en 2020 (pour 40,3 milliards de dollars de bénéfices). On imagine mal l’Autorité annoncer une sanction équivalente à 18 milliards de dollars. En revanche, elle avait condamné Apple en mars 2020 à payer 1,1 milliard d’euros d’amende pour des pratiques anticoncurrentielles dans son réseau de distribution physique. C’est jusqu’à présent la plus lourde sanction infligée par l’organe. L’Autorité de concurrence peut aussi négocier avec Google une sanction minorée si la société le demande, reconnaît l’infraction et s’engage à des changements effectifs. C’est ce qu’a fait le groupe américain début juin dans un autre dossier épineux, en reconnaissant avoir abusé de sa position dominante sur le marché de la publicité en ligne. Google a alors été sanctionné d’une amende minorée à 220 millions d’euros et a accepté de changer ses pratiques liées à l’adserving et la vente publicitaires. Quoi qu’il en soit, la loi sur les droits voisins est loin d’être appliquée et les négociations entre Google et les éditeurs et agences se prolongeront. Et si le groupe a été le premier visé et subit actuellement des critiques pour sa conduite des négociations, les autres plateformes qui indexent des contenus et sont aussi concernées par la loi ont, elles, peu négocié (Facebook) ou pas du tout (Bing, Twitter, Pinterest, Apple, LinkedIn…). Jean-Michel De Marchi Droits voisinsFinancementLobbyingModèles économiquesRéglementationSites d'actualité Besoin d’informations complémentaires ? 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