Accueil > Médias & Audiovisuel > David Nahum (DNAvocats) : “Pourquoi le comparateur Acheter Moins Cher réclame 266 millions d’euros à Google” David Nahum (DNAvocats) : “Pourquoi le comparateur Acheter Moins Cher réclame 266 millions d’euros à Google” Acheter Moins Cher (AMC) est l’un des comparateurs de prix engagés depuis plusieurs années dans des procédures en réparation contre Google devant les tribunaux français. L’entreprise lui reproche des entorses au droit de la concurrence, en lien avec la décision judiciaire européenne “Google Shopping”. Son avocat, David Nahum, explique à mind Media les enjeux du dossier, les arguments de l’entreprise française et ses attentes. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 18 juin 2025 à 17h43 - Mis à jour le 18 juin 2025 à 17h55 Ressources Vous représentez la société Acheter Moins Cher (AMC), qui a initié dès 2019 une procédure judiciaire en réparation contre Google, comme d’autres comparateurs de prix en France et en Europe. Qu’est-ce que votre client lui reproche ? Il faut se rappeler du contexte. Google a créé son propre service de comparaison de prix en 2002 pour concurrencer des services préexistants, notamment celui proposé dès 1998 par AMC sur ce marché alors très prometteur. Mais le service de Google, qui au fil des années a changé de nom et de fonctionnalités, manquait d’efficacité et de pertinence, ce qui a conduit à son échec. Google a donc pris la décision, dès la fin des années 2000, de mettre en place différentes pratiques anticoncurrentielles pour faire disparaître ses concurrents et favoriser son service. Comme pour d’autres secteurs d’activités : publicité, magasins d’applications, gestion des données… Google a fait l’objet d’enquêtes approfondies de différentes instances, et des sanctions ont été prononcées en Europe et aux Etats-Unis. En ce qui concerne le service de comparaison de prix, Google a été sanctionné en 2017 par la Commission européenne pour avoir abusé de sa position dominante sur ce marché ; décision définitivement confirmée par la CJUE l’année dernière. Pour évincer AMC du marché de la comparaison de prix, Google a détourné le trafic de ses concurrents au profit de son comparateur en développant des algorithmes destinés à les faire disparaître des pages de résultats de recherche générale, puis a positionné son comparateur Google Shopping sur ces mêmes pages de façon plus favorable. Pour le consommateur, Google Shopping est devenu le seul comparateur de prix immédiatement visible. C’est ce qui lui est reproché. Il y a des procédures semblables en Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni… David Nahum2011 avocat fondateur, DNAvocats Quelles sont les conséquences pour le marché ? Les conclusions de l’enquête de la Commission européenne sur les pratiques abusives de Google dans les comparateurs sont claires : le traitement différencié mis en place par ce groupe, consistant à favoriser son service et à déclasser les services concurrents, a faussé le jeu de la concurrence et fait drastiquement chuter le trafic vers leurs services, réduisant leur activité de manière irréversible. Il est impossible pour les quelques entreprises concurrentes qui subsistent de retrouver leurs parts de marché initiales. AMC a d’ailleurs été contrainte de suspendre son activité en 2018. Cela fait près de 20 ans que les pratiques anticoncurrentielles de Google ont commencé. Le marché de la comparaison de prix tel qu’on le connaissait dans les années 2000 n’existe plus. Un site qui proposait une comparaison de prix aussi efficace, fiable et complète dans l’intérêt du consommateur final, tel que le faisait acheter-moins-cher.com, il n’y en a plus. Le marché de la comparaison de prix n’a plus vocation aujourd’hui à être au service du consommateur. Ce n’est plus possible. En septembre 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a confirmé, de manière définitive, la condamnation de Google Shopping pour pratiques anticoncurrentielles. D’un point de vue juridique, êtes-vous totalement satisfait de cette décision et ses constats ? Cette condamnation est évidemment une bonne chose et légitime encore davantage notre action. Elle caractérise clairement ses pratiques et cela renforce notre position devant le Tribunal des activités économiques de Paris. Près de 15 ans se sont écoulés entre l’ouverture de la procédure de la Commission et l’arrêt définitif rendu par la CJUE. C’est aujourd’hui aux instances nationales de réparer les préjudices subis par les comparateurs de prix. Un point essentiel sur lequel les tribunaux doivent se positionner est celui de déterminer si l’abus reproché à Google s’est poursuivi après 2017. Google affirme que les mesures correctives mises en œuvre après la décision de la Commission ont mis fin à l’abus. Nous plaidons au contraire que l’infraction se poursuit encore aujourd’hui. “Google a choisi d’éliminer la concurrence plutôt que d’essayer d’augmenter sa part de marché par les mérites” Concrètement, quels enjeux cela pose-t-il pour AMC et les autres comparateurs qui s’estiment victimes ? Outre la réparation du préjudice subi sur la période couverte par l’enquête de la Commission au moment où elle a rendu sa décision, l’un des points essentiels de cette affaire porte sur la question de savoir si Google s’est conformée ou non à la décision de 2017. Autrement dit, les pratiques anticoncurrentielles ont-elles pris fin ? Le jeu de la concurrence a-t-il pu reprendre de manière loyale pour les comparateurs de prix concurrents ? La décision indique clairement que l’infraction se poursuit dans chacun des pays concernés à la date de son adoption. L’examen par le tribunal des activités économiques sur le caractère correctif ou non des mesures prises par Google est donc fondamental. Il impactera AMC et les autres affaires en cours. L’évaluation du préjudice économique subi par les acteurs du marché de la comparaison de prix, dans ce secteur du e-commerce dont le volume n’a cessé de croître, est très différente si l’on considère que l’infraction a pris fin en 2017 ou si elle est toujours en cours. Quel montant de réparation demandez-vous ? AMC a subi et continue à subir différents préjudices. S’agissant du préjudice économique, nous l’avons fait expertiser par le cabinet Michaël Fontaine & Associés, fondé par Michaël Fontaine, qui est aujourd’hui expert près la Cour d’appel de Paris. Cette expertise tient compte de nombreux critères, tels que notamment l’évolution des chiffres d’AMC avant et depuis l’abus, son positionnement, sa visibilité, l’évolution du marché et l’évolution du trafic qui a été très largement détourné par Google. AMC réclame un peu plus de 266 millions d’euros, intégrant également une demande au titre du préjudice futur et du préjudice moral. Mon client était le comparateur de prix préféré des consommateurs, d’après les sondages de l’époque. Il avait une belle notoriété et une excellente réputation. Comme certains autres comparateurs, l’ascension d’AMC, qui était précurseur, a été stoppée brutalement en plein vol par Google qui, conscient de l’évolution rapide et exponentielle du marché du commerce électronique, a choisi d’éliminer la concurrence plutôt que d’essayer d’augmenter sa part de marché par les mérites, comme elle avait su le faire sur le marché de la recherche générale. Google se défend Contacté par mind Media, Google, via un porte-parole, affirme que “le remède fonctionne : depuis 2017, le nombre de sites de comparaison de prix en Europe utilisant le remède a été multiplié, passant de seulement 7 à plus de 1 550, sans intervention de la Commission. Nous sommes en profond désaccord avec ces poursuites intentées par des entreprises qui cherchent à obtenir une compensation financière au lieu d’investir dans leurs propres produits.” Le groupe est représenté dans cette procédure par sa principale avocate en France en matière concurrentielle, Delphine Michot, du cabinet Cleary Gottlieb. Pour la contre-expertise économique, il s’est appuyé principalement sur son cabinet habituel, RBB Economics. Depuis l’ouverture de ce contentieux, la réglementation européenne des pratiques de marché des plateformes se veut plus stricte, notamment via le DMA. En quoi ce texte peut-il venir appuyer la requête d’Acheter Moins Cher contre Google ? L’affaire Google Shopping dont on parle est l’affaire emblématique qui a conduit ensuite la Commission européenne à légiférer, relativement vite, avec la mise en place du DMA afin de réglementer les marchés numériques et mettre fin aux abus des “gatekeepers”, les contrôleurs d’accès. Très rapidement après la promulgation du DMA, les premières enquêtes ont d’ailleurs été diligentées, notamment contre Alphabet. En mars 2025, la Commission a rendu ses conclusions préliminaires : elle a observé que Google accordait – je dirais pour ma part “accorde toujours” – un traitement plus favorable à ses propres services, y compris le service de comparaison de prix, et qu’elle privilégie ses services par rapport aux autres en les affichant de manière plus attrayante, outre des mécanismes de filtrage améliorés. Les résultats de l’enquête renforcent donc un peu plus encore la position d’AMC : ils confirment que ce que la Commission reproche aujourd’hui à Google dans le cadre du DMA est exactement le même abus composé des mêmes pratiques que celles qui constituaient l’infraction en 2017. “Google n’a mis fin à aucune des deux pratiques qui lui ont permis de détourner le trafic des services de comparaison de prix” En quoi les remèdes mis en place depuis 2017 par Google ont-ils été inefficaces selon vous ? Google n’a mis fin à aucune des deux pratiques qui lui ont permis de détourner le trafic des services de comparaison de prix concurrents à son profit. Les algorithmes de déclassement des concurrents, que Google n’applique évidemment pas aux résultats que propose son service, n’ont pas été reprogrammés. Quant à l’accès à l’affichage plus favorable dans les box de résultats affichées en haut des pages du moteur de recherche, que Google indique avoir ouvertes à la concurrence, il ne répond en rien à la préoccupation de la Commission de rétablissement du libre jeu de la concurrence. Comme l’avait relevé le Tribunal de l’UE dans sa décision, les comparateurs doivent changer de modèle économique pour éventuellement bénéficier d’un meilleur affichage moyennant paiement dans un système d’enchères. Ils doivent donc renoncer à être des concurrents directs de Google pour en devenir des clients. Ce système est destiné aux marchands et aux régies publicitaires, pas aux comparateurs comme mon client, ni à son modèle économique. Pourquoi le modèle économique d’AMC était-il particulier ? La plupart des comparateurs victimes des pratiques anticoncurrentielles de Google se rémunéraient au CPC, avec achat et revente de clics. Ce n’était pas le cas d’AMC, dont l’essentiel de la rémunération reposait sur le CPA. AMC avait des contrats de partenariats avec tous les plus grands acteurs du marché, marchands et plateformes marchandes, et était commissionné sur l’achat réalisé chez eux. Or, le système d’enchères publicitaires mis en place par Google est incompatible avec un modèle économique autre que le CPC. Surtout, il implique pour les comparateurs non seulement un changement de modèle économique, mais aussi en réalité un changement de métier. Quel est l’état du marché des comparateurs de prix en ligne aujourd’hui ? C’est l’un des sujets importants dans ces affaires. On ne peut pas sérieusement considérer qu’imposer à ses concurrents de devenir ses clients et changer de modèle économique, voire de métier, comme Google le fait, permet un retour au jeu normal de la concurrence. Ce que Google qualifie aujourd’hui de sites de comparaison de prix apparaissant dans ses box n’en sont pas réellement. On y trouve des marchands et beaucoup de régies publicitaires. Pour les quelques derniers pseudo-comparateurs ayant survécu, ils renvoient en réalité les internautes sur le site du partenaire marchand. Ils ne font donc plus de comparaison de prix. Le consommateur ne s’y retrouve pas et ses intérêts ne sont plus au centre du marché, comme cela était le cas avant les pratiques anticoncurrentielles, en particulier avec AMC. Le modèle au CPA d’Acheter Moins Cher Fondée en 1998 par le Français Frédéric Lambert, Acheter Moins Cher a édité un comparateur de prix en ligne, Acheter-moins-cher.com, jusqu’à la mise en sommeil du site en 2018, du fait, selon son dirigeant, des pratiques anticoncurrentielles de Google, puis de l’installation d’un système d’enchères au clic auquel il ne pouvait pas participer et qui était incompatible avec son activité. La société ne communique pas ses résultats d’alors. Le comparateur avait un modèle au CPA, sur les ventes de produit réalisées via son entremise. Il affirme qu’il renvoyait systématiquement les internautes vers les offres les moins chères, en étant très transparent. Il proposait également aux internautes différents services comme des alertes sur les changements de prix, un suivi des prix depuis le début de vie du produit, et le calcul de l’argent économisé sur un produit via son site. Jean-Michel De Marchi Commission européenneConcurrencee-commerceGAFAMGoogleJuridiqueplateformesProcès contre GoogleSearch Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Analyses Confidentiels ENQUÊTE - Plusieurs médias français et européens préparent une class action contre Google aux Pays-Bas Analyses Confidentiels INFO MIND MEDIA - M6 affronte Google en justice Analyses Confidentiels INFO MIND MEDIA - RMC BFM échoue à faire condamner Google pour pratiques anticoncurrentielles dans la publicité en ligne Analyses Procès contre Google : tout comprendre de la décision judiciaire défavorable à RMC BFM Ads Google échoue à faire suspendre son procès face à Dailymotion Nouvelle manche judiciaire remportée par Proxistore contre Google Google va verser 1,4 milliard de dollars à l’État du Texas pour stopper des poursuites judiciaires Analyses Google reconnu coupable d’abus de position dominante aux Etats-Unis : quel impact pour l'adtech ? 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