Accueil > Adtechs & Martechs > Emmanuel Crego (Values) : “Chaînes de télévision et opérateurs télécoms ont dans l’immédiat des intérêts partagés à ne pas ouvrir l’écosystème audiovisuel à de nouveaux acteurs ou nouveaux services” Emmanuel Crego (Values) : “Chaînes de télévision et opérateurs télécoms ont dans l’immédiat des intérêts partagés à ne pas ouvrir l’écosystème audiovisuel à de nouveaux acteurs ou nouveaux services” Le directeur général de l'agence média Values partage son regard sur l'évolution du marché de la télévision connectée, ses promesses et ses limites, l'émergence de son écosystème publicitaire, et souligne les spécificités de la distribution et des usages de la télévision en France, où les opérateurs télécoms occupent une place centrale. Par Jean-Michel De Marchi. Publié le 06 janvier 2022 à 19h22 - Mis à jour le 11 juin 2022 à 14h05 Ressources Le concept de télévision connectée est parfois utilisée dans une acceptation très large. Quelle en est votre définition ? La télévision connectée, ou “connected TV” en anglais, voire la “CTV”, est la possibilité pour les téléspectateurs de réceptionner internet directement sur sa télévision, et la capacité d’accéder à la fois aux chaînes de télévision et à de nouveaux services numériques. Contrairement à ce qu’on entend parfois dans une interprétation très large, la télévision connectée ce n’est pas simplement la télévision branchée à la box d’un opérateur – que ce soit Orange, Free, SFR ou Bouygues Télécom – qui permet aussi d’accéder à ces contenus. Il y a une nuance importante entre la télévision connectée et cette télévision distribuée par les box, dont l’usage est très majoritaire en France, ce qui tient aux intérêts différents de leurs promoteurs respectifs et aux relations qu’elles génèrent entre tous les acteurs qui y sont impliqués. Emmanuel Crego 2017 Directeur général, Values2014 Director of programmatic & technologies, Oath France2011 Direct of business development and independent media agencies, TF1 Publicité Quelles sont les différences structurelles que vous observez entre la TV connectée et la télévision distribuée par les box ? Lorsque, comme environ 70 % des foyers français, vous utilisez votre box pour recevoir vos chaînes TV et accéder à leurs replay, ou que vous accédez à un service de télévision par abonnement de type SVOD – Netflix, Amazon Prime Vidéo, Disney, etc. – ou un service de vidéo à la demande, vous êtes contraints par l’écosystème de la box : vous ne pouvez pas accéder à d’autres services que les offres proposées par les éditeurs de chaînes ou les plateformes distribués par la box opérateurs. Ce n’est pas un écosystème ouvert, contrairement à un ordinateur ou un mobile. Les opérateurs téléphoniques, propriétaires des box, ont une fonction de distributeurs sur ce marché : ils reversent aux éditeurs une partie de leurs revenus générés par les abonnements des utilisateurs, en échange d’un accès à des contenus, payants ou non. Ces accords font parfois l’objet d’âpres négociations ; on se souvient du blocage de la réception de TF1 sur les box d’Orange en février 2018 par exemple. La télévision connectée, qui était présente dans plus de 81 % des foyers en France fin 2020, selon le CSA, permet, elle, d’accéder à internet sans passer par la box, si l’utilisateur le décide. Le nouvel écosystème qui est proposé n’est plus celui de l’opérateur, mais celui du constructeur de TV connectée et de ses partenaires. Il offre très souvent bien plus de possibilités : accès au web via un navigateur comme on le fait tous les jours depuis un ordinateur ou un mobile, accès aux offres des applications habituelles de SVOD, mais aussi à celles de nouveaux entrants que sont les plateformes de contenus gratuits appelées AVOD (pour Advertising video on demand, la VOD dont le modèle repose sur la publicité, ndlr) comme le proposent Rakuten, PlutoTV ou encore Molotov. Il offre également accès à des applications de réseaux sociaux tels que Twitch, Youtube ou TikTok, ou à des portails de streaming musical comme Deezer et Spotify. Certains constructeurs, comme Samsung, intègrent beaucoup d’autres applications servicielles, liées à la domotique, à la visioconférence ou à l’ordinateur classique. Samsung veut accélérer sa stratégie AVOD en France La télévision connectée devient donc un nouveau terminal internet. Quelles conséquences cela a-t-il pour l’écosystème audiovisuel ? Quels sont les nouveaux enjeux ? Tout éditeur d’application peut potentiellement y voir une opportunité d’accroitre son audience, donc ses clients. Sur ce point, la mise en avant des services par les constructeurs de TV dans l’interface utilisateur est stratégique, à commencer par l’accès direct sur la télécommande via un bouton dédié, puisqu’elle agit comme première porte d’entrée. “De nombreuses études vantent les mérites des nouveaux canaux et offres de la télévision connectée, exemples américains ou anglais à l’appui, mais il faut avoir en tête la réalité du marché français qui est différent” La box reste cependant le seul moyen d’accéder aux programmes télévisés, qui demeurent les contenus audiovisuels les plus consultés. Oui, les chaînes de télévision sont absentes des télévisions connectées en France car les opérateurs de box verrouillent bien le marché actuellement, à l’exception du replay. Ils ont noué des accords avec les chaînes qui les contraignent à ne pas être distribuées différemment pour l’instant. Dans l’immédiat, ils ont des intérêts partagés évidents à ne pas ouvrir l’écosystème audiovisuel à de nouveaux acteurs ou à de nouveaux services qui peuvent être concurrents aux leurs. La seule façon de se passer des opérateurs télécoms pour accéder aux programmes de télévision est aujourd’hui d’utiliser l’application de Molotov. Elle revendique plusieurs millions d’utilisateurs et a un accord de distribution avec quasiment toutes les chaînes en France, dont les acteurs historiques. Comme un opérateur télécom finalement. Mais cela concerne une petite minorité de Français ; la box demeure reine en France. L’usage majoritaire de la télévision demeure la consommation linéaire, l’utilisateur n’a guère d’autres choix, pour le moment, que de passer par la box, via un décodeur Canal+ ou un boitier de TNT. Mais si l’usage de la TV connectée continue sa progression, le marché de la distribution va se diversifier grandement. Nous n’en sommes pas encore là, mais c’est un enjeu stratégique pour les opérateurs télécoms. Ils préparent d’ailleurs déjà la disparition de la box, à l’image de Bouygues Telecom qui s’est associé à Samsung il y a quelques mois pour proposer à la vente une télévision connectée avec la box de Bouygues Télécom déjà intégrée. Panorama des solutions technologiques pour développer une offre vidéo en OTT Quelle analyse faites-vous de l’écosystème publicitaire au sein de la télévision connectée ? On peut distinguer deux grandes catégories d’acteurs. D’abord ceux qu’on peut considérer désormais comme des acteurs traditionnels sur l’audiovisuel numérique, comme Youtube, Twitch, Spotify, et les plateformes de replay. Pour ces acteurs-là, la TV connectée est un terminal comme un autre, avec des formats publicitaires identiques à l’ordinateur ou au mobile. La télévision connectée est ici simplement un canal supplémentaire pour toucher leur audience. En tant qu’acheteur média, lorsque nous achetons de la publicité auprès de l’un de ces acteurs, nous pouvons choisir de diffuser ou non nos campagnes sur la télévision connectée en plus de leurs supports traditionnels. Les tarifs publicitaires sont en général les mêmes. Les capacités de ciblage peuvent en revanche être plus restreintes. A côté de ces acteurs, il y a désormais les nouveaux entrants que sont les plateformes d’AVOD. Si nous souhaitons être présents dans leurs espaces sur des télévisions connectées, il faut spécifiquement les sélectionner dans le plan média. [Essentiels] Les nouveaux enjeux du marché de la vidéo Quelles sont les données exploitables pour la publicité en télévision connectée ? Les possibilités de ciblage sont pour le moment limitées, au mieux socio-démographiques et géographiques. Les plateformes d’AVOD collectent pour l’instant peu de données exploitables en publicité, qui permettraient de qualifier davantage l’utilisateur. Cela s’explique notamment par le besoin d’un consentement opt-in et la nécessité d’enrichir ces données grâce à des tiers, deux pratiques encore balbutiantes. “Il reste un challenge de taille pour développer le marché de la télévision connectée : expliquer aux téléspectateurs que leur télévision est “connectable” et peut leur permettre d’accéder à de nouveaux contenus et services en ne passant pas systématiquement par la box” Les opérateurs télécoms sont très puissants en France pour la distribution des chaînes de télévision. Comment peut évoluer la télévision connectée dans notre marché ? Il est effectivement important de distinguer le cas français des autres marchés quand on parle de cet écosystème. La télévision connectée est déjà très développée dans certains pays, comme aux Etats-Unis, où une étude d’Emarketer évoque un marché publicitaire de 13,4 milliards de dollars en 2021 pour la CTV contre 65,9 milliards pour la TV linéaire, ce qui est colossal. Le marché français est très majoritairement un marché de box ; c’est une exception qui freine le développement de la télévision connectée pour le moment. Il faut avoir cela en tête quand on entend parler certains acteurs qui veulent à tout prix commercialiser des dispositifs ou des offres publicitaires en France. Le marché français est encore en train de se structurer. Les constructeurs de TV connectées ouvrent – timidement – leurs régies, comme Samsung Ads, par exemple – tout comme les plateformes d’AVOD – Molotov a créé sa régie en 2020. Ce sont surtout les technologies publicitaires, dans une logique mondiale, qui prennent la parole en France sur le sujet. De nombreuses études vantent les mérites de ces nouveaux canaux et offres, exemples américains ou anglais à l’appui, mais là encore, il faut avoir en tête la réalité du marché français. qui est différent. En tant qu’acheteur média, quel regard portez-vous sur les perspectives publicitaires qu’offre la télévision connectée ? Il est difficile d’avoir des données de consommation sur ces plateformes en libre accès : il n’existe pas encore de mesure tierce officielle sur le secteur pour donner une vue exhaustive. C’est assez logique compte-tenu de la jeunesse de ce marché. Ce que nous étudions à date sur la TV connectée, c’est le volume d’impressions publicitaires disponibles en vidéo. Nous les estimons à quelques dizaines de millions par mois en France. A titre de comparaison, sur les autres terminaux – box, ordinateur, mobile -, ce sont plusieurs centaines de millions uniquement pour les plateformes de replay des chaînes historiques, par exemple. Le confort d’un grand écran d’une télévision connectée et son audience captive – puisqu’il y a une intention forte de consommer le contenu dans un contexte dédié à cela – sont un vrai atout pour les annonceurs. Mais les acteurs AVOD, souffrent principalement aujourd’hui d’un volume et de capacités de ciblage trop limités, ce qui les contraint à se positionner sur des tarifs élevés, sans doute trop face aux plateformes de replay des chaînes de TV ou les acteurs traditionnels digitaux. Nous sommes en effet sur un rapport de un à deux, voire un à trois en termes de prix. Pourquoi les acteurs de l’AVOD linéarisent leurs offres de contenus Quelles sont vos attentes pour développer les achats publicitaires ? Même si le marché en est à son démarrage, il sera intéressant de suivre de près la manière dont il va se construire : en terme de mesure d’audience et d’efficacité – où tout est à faire -, de nouveaux formats publicitaires, de nouvelles capacités de ciblage… C’est un marché à fort potentiel, dès que les barrières de distribution se lèveront. Il ne peut que se développer car le taux d’équipement est déjà très élevé. Il reste un challenge de taille : expliquer à ces téléspectateurs que leur télévision est “connectable” et peut leur permettre d’accéder à de nouveaux contenus et services en ne passant pas systématiquement par la box. C’est un enjeu majeur d’éducation pour les constructeurs de TV, qu’ils prendront très sûrement à cœur à l’avenir. Comment les constructeurs de télévision connectée peuvent-ils s’imposer en France alors que les opérateurs télécoms dominent outrageusement la relation client ? Les constructeurs sont très partagés sur ce point, avec la volonté d’accélérer cette éducation auprès du public mais sans nuire à leurs relations avec les opérateurs télécoms. C’est la situation à laquelle sont confrontées les chaînes qui ont pour clients ces mêmes opérateurs télécoms. Comme d’habitude, on en revient au sujet fondamental : celui qui maitrise le terminal utilisateur est en haut de la chaîne alimentaire. L’avenir est sûrement à des collaborations industrielles, comme le font Bouygues Telecom et Samsung ; c’est un scénario moins coûteux et moins risqué pour les constructeurs que de faire l’éducation seuls, et plus pérenne pour les opérateurs télécoms, la box n’ayant plus de raisons d’être à terme, ce qui verrouillera encore les accords avec les chaînes de télévision. Notre hors-série “Recomposition de l’audiovisuel” Jean-Michel De Marchi AVODPublicité vidéoStreaming vidéoTélévision connectéeTransformation de l'audiovisuelTV Besoin d’informations complémentaires ? Contactez le service d’études à la demande de mind À lire Analyses Dossiers Panorama des solutions technologiques pour développer une offre vidéo en OTT Samsung enrichit les contenus et services de ses télévisions connectées Tribunes gratuit “Les chaînes de télévision doivent adopter une approche hybride pour tirer parti des atouts de leurs offres linéaires et digitales” L’IAB déploie le protocole Ads.cert 2.0 pour protéger la télévision connectée de la fraude publicitaire Le co-inventeur de Siri intègre le conseil d’administration de Radio France Dossiers Martech : comment les marques peuvent accélérer sur la collecte et l'usage de données propriétaires KMTX lance Vibe, une plateforme d’achat publicitaire sur TV connectée Entretiens James Brown (Magnite) : “La télévision connectée représente aujourd’hui plus d'un tiers de nos revenus” Entretiens Laurent Prud'homme (L'Equipe) : "Nous voulons saisir de nouvelles opportunités de partenariats, à l’image de l'accord de production noué avec Amazon" Etudes de cas Comment TV5Monde a développé son offre de vidéo à la demande à l'international essentiels Nos synthèses et chiffres sur les principales thématiques du marché Les mutations du search à l'ère de l'IA générative L'application inaboutie de la loi sur les droits voisins Google vs DOJ : tout ce qu'il faut savoir sur le procès qui pourrait redéfinir l'adtech L’essentiel sur les identifiants publicitaires La transformation du marché publicitaire en 2024 2023 : le marché publicitaire doit se préparer à la fin du tracking utilisateur Comment l’intelligence artificielle générative bouleverse les médias Les enjeux réglementaires des médias en 2023 analyses Les articles d'approfondissement réalisés par la rédaction Adtech : pourquoi la Commission européenne sanctionne Google de près de 3 milliards d’euros Retail media : une consolidation indispensable des régies pour répondre aux attentes des acheteurs publicitaires IA et monétisation des contenus : comment l’IAB Tech Lab veut contrôler les robots crawlers Droits voisins : l’Apig veut introduire une plainte contre Meta devant l'Autorité de la concurrence Paul Boulangé (Starcom France) : "Nous sommes en train de déployer Captiv8 en France, notre solution d'automatisation du marketing d'influence" Claire Léost devient DG de CMA Média, WPP Media promeut Stéphanie Robelus… Comment les SSP généralistes investissent le secteur du retail media Bénédicte Wautelet (Le Figaro) : “Toute solution qui utilise de l’IA en rapport avec nos contenus doit y être autorisée et nous rémunérer” Aides à la presse : combien les éditeurs ont-ils perçu en 2024 ? 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